M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.

M. Jean-Marc Gabouty. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il convient de replacer l’examen de cette proposition de loi dans le contexte très particulier de l’état d’urgence sanitaire en vigueur depuis le 17 mars, et qui doit se prolonger jusqu’au 10 juillet prochain.

La crise sanitaire du Covid-19 a révélé les carences de la couverture assurantielle des entreprises pour les pertes d’exploitation ne résultant pas d’un dommage.

En effet, comme l’ont avancé les assureurs, le risque de pertes d’exploitation n’est pas couvert par la plupart des contrats d’assurance souscrits par les entreprises, du fait de son caractère facultatif, mais aussi parce qu’il doit être rattaché à un dommage matériel comme un incendie ou un bris de machines.

Dans la crise actuelle, il est cependant naturel que les assureurs participent à l’effort de solidarité nationale. C’est en tout cas un avis largement partagé par le Président de la République, le Gouvernement, de nombreux parlementaires de toutes sensibilités et les entreprises, petites ou grandes. Cette participation est moralement d’autant plus justifiée que, du fait de la crise sanitaire et des mesures administratives de confinement prises par le Gouvernement, le niveau de sinistralité des compagnies d’assurance a fortement chuté pendant plus de deux mois pour les principaux risques de dommages.

La Fédération française de l’assurance chiffre cette économie à environ 300 millions d’euros par mois, ce qui représenterait aujourd’hui un total de l’ordre de 750 millions d’euros. Ce montant n’a pourtant fait l’objet d’aucune évaluation sérieuse à ce jour, sauf bien entendu si le groupe de travail du ministère s’est penché sur le sujet, madame la secrétaire d’État. Il semble pourtant assez facile d’effectuer une estimation au moyen des déclarations de sinistres de la période.

Des chiffres portant sur les prévisions de pertes d’exploitation totales avec un certain taux de prise en charge ont été avancés. Je suis toutefois surpris que l’on ne soit pas capable de mesurer les économies réalisées par le secteur des assurances du fait des décisions gouvernementales.

Ces économies, dont le fait générateur est une décision administrative, me semblent très largement sous-estimées par les compagnies d’assurance.

L’on sait que le total annuel des indemnisations au titre des dommages s’établit à environ 40 milliards d’euros, soit 3,3 milliards par mois, dont plus de 40 % ou 45 % pour la seule assurance automobile. Faites rapidement un calcul : la circulation a diminué de 70 % à 80 % et les accidents de 60 %, selon ce que l’on a indiqué au rapporteur spécial du budget de la sécurité routière que je suis ; dans le même temps, les dommages pour les assurances auraient diminué de 20 % seulement…

Compte tenu de ces éléments, l’économie réelle est certainement de trois à cinq fois le montant annoncé par la Fédération française de l’assurance. Sous la pression, le secteur s’est engagé à verser 200 millions d’euros au Fonds national de solidarité en faveur des petites entreprises et des indépendants, une mise qui a été doublée quelques semaines plus tard pour tenter de répondre aux critiques du Gouvernement et du Parlement, en particulier du Sénat.

Je voudrais rappeler que, fin avril, lors du PLFR 2, le Sénat a voté à une très large majorité plusieurs amendements, déposés notamment par Bruno Retailleau et par moi-même, mettant à contribution le secteur des assurances à hauteur de près de 2 milliards d’euros pour abonder le Fonds de solidarité – il me semblait d’ailleurs, madame Taillé-Polian, que l’amendement du groupe socialiste, présenté par Claude Raynal, avait également été adopté.

Ces dispositions n’ont pas été retenues en CMP, dans l’attente d’un éventuel accord plus structurel et consensuel entre le Gouvernement et la Fédération française de l’assurance.

Ce feuilleton, qui ne me semble pas encore définitivement clos, me laisse perplexe, surtout lorsqu’une grande organisation professionnelle revendique un effort de 3,2 milliards d’euros, additionnant ce qui ressemble, dirais-je, à des choux et des pamplemousses, c’est-à-dire des dotations de nature totalement différente – Fonds de solidarité, investissements en quasi-fonds propres dans certains secteurs, reports d’échéance, remises commerciales, etc. On a même dit à certains assurés que, s’ils renonçaient à la proposition commerciale qui leur était faite, les sommes économisées iraient alimenter le Fonds de solidarité…

Si l’on ajoute à cela les divergences apparues entre différentes compagnies, on ne peut pas dire que le secteur de l’assurance ait fait preuve d’une grande transparence. On est plutôt dans le clair-obscur. Cette situation, que l’on peut déplorer, a été un élément de motivation important pour l’émergence de cette proposition de loi, tout comme elle explique les délais dans lesquels nous sommes amenés à l’examiner.

Avec mes collègues du groupe RDSE, j’adhère à cette démarche : à défaut d’être parfaite à ce stade, elle a le mérite de bien cadrer la couverture des besoins assurantiels face à une crise sanitaire d’envergure et de proposer des solutions relativement simples, comme son caractère obligatoire et son rattachement à la couverture du risque incendie.

Je pense que nous pouvons encore améliorer ce texte en prenant en compte certains amendements.

Même si je n’ai pas déposé d’amendements pour ma part, je regrette en effet que la commission ait retenu comme critère de déclenchement une perte de chiffre d’affaires d’au moins 50 %. Outre qu’il faudrait par ailleurs le corriger des variations d’encours ou de stocks de produits finis, le chiffre d’affaires est un critère plus ou moins pertinent suivant la nature et l’activité des entreprises.

Rapprocher ce dispositif du critère d’éligibilité au Fonds de solidarité ne me paraît pas justifié, car, dans ce dernier cas, il s’agissait d’une subvention d’un montant forfaitaire limitée, plutôt destinée à faire passer un cap difficile aux petites entreprises en termes de trésorerie.

Et je vous fais grâce, mes chers collègues, des effets de seuil ! Un entrepreneur qui perd 45 % de son chiffre d’affaires n’aura rien, même s’il perd 60 % de marges, alors que celui qui perd 55 % de chiffre d’affaires, mais qui ne perd que 35 % de marges, aura droit au dispositif. Il faudrait tout de même prendre en compte ces effets pervers.

Je préférerais qu’on revienne à des critères de marges ou de résultat brut d’exploitation, quitte à rétablir une franchise proportionnelle acceptable. Cette option aurait par ailleurs le mérite d’être plus conforme aux approches habituelles des compagnies d’assurance en termes de couverture des pertes d’exploitation.

Examinant ce texte dans une certaine urgence, nous n’avons pas, à mon sens, suffisamment de recul sur la crise économique qui s’annonce, notamment son impact sur les pertes d’exploitation effectives des entreprises.

Sur le principe, nous approuverons toutefois cette proposition de loi, en remerciant ses auteurs de leur initiative et en espérant que la navette parlementaire et la poursuite du dialogue avec les différentes parties prenantes permettront de la compléter et de l’améliorer.

M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

M. Julien Bargeton. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi met le doigt là où ça fait mal !

Nous avons vécu une crise inédite, et les risques de faillite ou de difficultés sérieuses pour certaines entreprises sont connus. Les pertes d’exploitation sont évaluées entre 50 et 60 milliards d’euros, même si le chiffre peut faire débat.

Dans cette crise, aux yeux des Français, les assureurs n’ont clairement pas été à la hauteur. Les avis sur les banques ne sont pas toujours plus reluisants – au début de la crise, des remarques ont été formulées au sein de la commission des finances sur la façon dont les prêts garantis étaient accordés –, mais la situation s’est globalement améliorée, en dépit de difficultés qui peuvent subsister ici ou là, notamment pour certains restaurateurs.

En revanche, les assureurs ont été décriés, peut-être en raison d’une certaine difficulté à tenir compte de la situation pour se dépasser et se lancer dans un embryon de responsabilité sociale et environnementale (RSE). Et nous voilà donc réunis aujourd’hui pour examiner une proposition de loi dont les dispositions ne sont au demeurant pas entièrement nouvelles.

Comme cela a été dit, les assureurs ont fini par réagir. Certains ont tenu compte de la diminution des dommages liés aux accidents de voiture. Pour autant, il a fallu la pression du Parlement, des députés comme des sénateurs – plusieurs amendements ont été votés dans cette enceinte –, et la mobilisation du Gouvernement – je veux notamment souligner le rôle de Bruno Le Maire – pour aboutir à une participation de 400 millions d’euros des assureurs dans un fonds.

C’est une première avancée, qui doit toutefois être complétée par un dispositif plus pérenne. Tel est précisément l’objet de ce texte, avec un double dispositif reposant à la fois sur l’État, au moyen d’un fonds, et sur les assureurs, au moyen d’une prime.

Un débat s’est engagé sur les critères de calcul – chiffre d’affaires, notamment – et je remercie le rapporteur pour son implication et ses propositions. Sur ce premier point, pourquoi ne pas avancer dans les discussions ?

Pour le reste, sans doute faudra-t-il aboutir à un dispositif proche de la proposition de Jean-François Husson, dont je salue l’implication ancienne sur ces sujets.

En revanche, il me semble qu’on veut aller un peu vite, poussé par une forme d’urgence. Je regrette que la commission des finances n’ait pas auditionné d’experts ou d’universitaires, d’autant qu’un groupe de travail, au sein duquel siègent notamment Jean-François Husson et Michel Raison, a été mis en place et a déjà tenu quatre réunions.

Peut-être faudrait-il attendre les propositions de ce comité pour pouvoir, toujours dans le courant de l’année 2020, bien entendu, s’entendre sur un dispositif plus abouti.

Dès 2015, dans une tribune, des assureurs se demandaient comment assurer un monde qui va se réchauffer de 2 à 4 degrés. Derrière ce sujet des pandémies, il y a aussi celui de la crise écologique. Comment assure-t-on le monde de demain ? En Californie, certains assureurs refusent déjà d’assurer le risque incendie. D’autres refusent d’assurer le risque inondation dans les zones qui connaissent une montée importante des eaux.

Une personne qui construit sa maison dans le respect des normes antisismiques subira des dommages moins importants que son voisin qui ne l’a pas fait, mais il est vraisemblable qu’elle paye la même prime que lui. Comment intégrer les efforts pour faire face à l’urgence écologique dans le calcul des assurances ? Alors que les assurances reposent sur un risque quantifiable, donc assurable et mutualisable, comment modéliser les pandémies, la pollution ou le réchauffement climatique ? Nous devons répondre à toutes ces interrogations qui nous attendent en même temps qu’à la question pertinente posée par Jean-François Husson. Quel est, au fond, le rôle des assureurs dans la transition écologique et climatique ?

Je ne voudrais pas non plus que l’on retombe dans les discussions que nous avons régulièrement à propos du fonds Barnier. J’entends notamment des critiques, de la part de personnes qui connaissent très bien le sujet, à chaque projet de loi de finances. Ce fonds n’est sans doute pas parfait dans son périmètre et sa conception, mais il représente une énorme avancée.

Nous discutons là d’une proposition de loi engageant quelque 500 millions d’euros, pour des pertes d’exploitation évaluées à 50 ou 60 milliards d’euros. Qui prend en charge l’écart ? Personne ne dit que les 50 milliards d’euros de pertes d’exploitation devront être intégralement compensés par les assureurs, sauf à fermer des assurances et à mettre aussi leurs employés au chômage.

L’État, pour sa part, a déjà injecté au moins 110 milliards d’euros dans les entreprises pendant cette crise.

L’équation est posée, mais elle ne me semble pas entièrement résolue à ce jour. S’il a fallu agir dans l’urgence pendant la crise, il faut aujourd’hui prendre le temps d’affiner nos réponses.

Notre groupe s’abstiendra donc sur cette proposition de loi. Nous partageons certes l’idée qui est sur la table, mais nous devons nous donner plus de temps, notamment pour mener des expertises approfondies. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons cet après-midi la proposition de loi tendant à définir et à coordonner les rôles respectifs des assurances et de la solidarité nationale dans le soutien des entreprises victimes d’une menace ou d’une crise sanitaire majeure.

Le texte qui nous est proposé n’est pas sans rappeler les termes de la demande formulée par le directeur général d’Axa il y a quelques semaines dans la presse, visant à créer après la crise du coronavirus un régime d’assurance pandémie.

En effet, dans son interview du dimanche 5 avril dernier, le directeur général d’Axa, M. Thomas Buberl, avait annoncé sa volonté de « créer après la crise du coronavirus un régime d’assurance pandémie inspiré de celui qui existe déjà pour les catastrophes naturelles et qui pourrait appartenir à 50 % à l’État et à 50 % à un pool d’assureurs privés ».

Or, il se trouve que la proposition de nos collègues ambitionne, selon l’exposé des motifs, d’« instaurer une couverture obligatoire des entreprises par les assurances pour les pertes générées par une menace ou une crise sanitaire grave », mais aussi « de permettre le financement de cette couverture obligatoire par un fonds de l’État ».

L’analogie entre les propos du directeur général d’Axa et l’exposé des motifs est assez frappante. Nos collègues sont suffisamment rigoureux pour connaître les besoins des entreprises, qui subissent les conséquences des fermetures et des baisses d’activité. Je rappellerai ici les propos de la présidente de la Fédération française de l’assurance, qui, le 13 avril dernier, déclarait au Figaro : « En France, les pertes d’exploitation liées à la pandémie se chiffrent à près de 60 milliards d’euros. Si nous devions indemniser l’intégralité des pertes d’exploitation, cela reviendrait à mettre le secteur de l’assurance à terre. » Pourtant, ces dernières années, le chiffre d’affaires du secteur de l’assurance a progressé en France, au point de placer l’Hexagone en tête du marché européen, avec 2 609 milliards d’euros de cotisations.

Sans doute sera-t-il nécessaire, à un moment, d’établir un bilan exhaustif et sincère de l’intervention des assurances auprès des entreprises dans cette crise. Ainsi, l’assureur français numéro 1 a enregistré un bond de 80 % de son bénéfice net, à 3,86 milliards d’euros en 2019, 3,4 milliards d’euros étant versés aux actionnaires sous forme de dividendes. Et on demande en même temps aux salariés de prendre entre 5 et 10 jours de congés payés au mois d’avril…

Alors, quand on parle de mettre en place un « paratonnerre économique » qui protégerait les entreprises des pertes d’exploitation consécutives à une menace, il semblerait que la couverture proposée ne soit pas tout à fait intégrale. En réalité, les petites entreprises ne paieront pas forcément la surtaxe demandée sur leurs contrats pour les protéger contre les pertes d’exploitation générées par les mesures prises dans le cadre d’une menace ou d’une crise sanitaire grave. À l’inverse, il est prévu que l’État prenne en charge les salaires avec le chômage partiel, les impôts et les taxes.

Le 13 avril dernier, le Président de la République déclarait, dans son allocution télévisée : « Les assurances doivent être au rendez-vous de cette mobilisation économique. J’y serai attentif. » Il aura fallu cette déclaration pour que les compagnies d’assurance s’engagent à verser dans un premier temps 400 millions d’euros pour l’hôtellerie-restauration dans le plan Tourisme, alors même que, sur la période, la diminution mécanique du nombre d’accidents a permis aux assureurs d’économiser plus de 2 milliards d’euros d’indemnisations.

C’est d’ailleurs toute la subtilité de cette proposition de loi, qui semble critiquer l’absence « morale » des assureurs, mais qui fait financer la garantie uniquement par les entreprises et l’État. Puisque la proposition de loi appelle les compagnies d’assurance à la générosité, sous la forme d’une contribution au Fonds d’indemnisation des très petites entreprises, je rappelle que les 400 millions d’euros initiaux versés par les assurances pour aider l’hôtellerie-restauration représentent moins de 1 % du total des réserves des assurances, qui se sont élevées en 2019 à 54 milliards d’euros.

Ces résultats vont probablement augmenter en 2020, puisque, selon l’UFC-Que Choisir, le confinement a entraîné une chute de 91 % des accidents corporels, et par conséquent diminué les indemnisations des compagnies d’assurance pour un montant compris entre 1,4 milliard d’euros et 2,3 milliards d’euros.

Enfin, notons que la proposition de loi ne concerne pas uniquement les pandémies, puisqu’elle a vocation à couvrir la « menace de crise sanitaire grave ». Nous souhaitons bien du plaisir aux juges pour définir, en cas de contentieux, ce concept bien large et bien flou.

En conclusion, cette proposition de loi, qui prend la forme d’une garantie pandémie, s’est largement inspirée de la proposition des assureurs. Elle porte certes des aspects pragmatiques intéressants, mais fait selon nous la part trop belle aux compagnies d’assurance. Ce point mériterait d’être davantage travaillé. Le risque existe, avec ce modèle, que seules les grandes entreprises aient les reins financiers assez solides pour prendre cette garantie. En cas de nouvelle crise sanitaire, elles seront indemnisées par leur assurance. À l’inverse, les petites entreprises, notamment les plus fragiles d’entre elles, pourraient faire le choix de ne pas souscrire à la surcotisation car le coût en serait trop important. Dans ce cas, une nouvelle crise sanitaire pourrait leur être fatale.

Cette proposition risque donc d’être d’une efficacité assez limitée, les petites entreprises étant aussi celles qui sont le plus fortement soumises aux divers aléas. Si elles ne peuvent obtenir une indemnisation de la part de leur assurance, elles seront comme aujourd’hui contraintes de demander l’aide de l’État ou éventuellement de cesser complètement leur activité.

Enfin, cette proposition est, selon nous, encore trop déséquilibrée, puisqu’elle exige des pouvoirs publics de prendre en charge les dépenses de personnel, les impôts et les taxes tout en laissant les grandes entreprises bénéficier des aides de leurs assurances et maintenir le cas échéant le versement des dividendes aux actionnaires.

Compte tenu des réserves émises à l’encontre de cette proposition de loi, nous nous abstiendrons donc sur le vote final.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.

M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, « la théorie des hasards consiste à réduire tous les événements du même genre à un certain nombre de cas également possibles et à déterminer le nombre de cas favorables à l’événement dont on cherche la probabilité ». Ainsi le mathématicien Laplace définissait-il, voilà près de deux siècles, la discipline alors novatrice du calcul des probabilités. Le langage est clair, net, précis.

Clair, net et précis, au point de laisser croire que l’esprit humain serait capable de réduire le hasard à des nombres, capable d’identifier tous les possibles de ce monde, capable, enfin, d’épuiser l’imprévu par le seul usage de la raison.

Or l’imprévu a la fâcheuse habitude de ne jamais se présenter tel qu’on l’attendait. Il se réinvente sans cesse. Il excède toujours le cadre que nous croyions avoir taillé à sa mesure.

Tel a été le cas avec la crise sanitaire et économique que nous traversons actuellement. Elle nous oblige à considérer un risque nouveau, celui d’une épidémie généralisée, qui bloque d’un coup le pays tout entier.

Mais il faut distinguer les facteurs qui ont provoqué la crise sanitaire de ceux qui ont provoqué la crise économique. La crise sanitaire tient à la propagation fulgurante d’un nouveau virus particulièrement dangereux. La crise économique tient au choix politique que nous avons fait pour y répondre.

Nous avons choisi de privilégier la santé à l’économie. Si le Gouvernement n’a pas hésité à faire ce choix, le Parlement n’a pas non plus hésité à le soutenir dans ce choix. Je le dis, car d’autres pays, confrontés à une situation similaire, ont fait des choix opposés. L’avenir dira si la crise économique se révèle pour eux moins sévère. Le présent atteste déjà que la crise sanitaire les frappe plus durement.

Le choix que nous avons fait est probablement le bon. Nous ne devons pas en douter, mais nous devons l’assumer, avec ses conséquences.

Les dommages subis par nos entreprises dans cette crise s’avèrent d’ores et déjà colossaux. Mais ces dommages, parce qu’ils relèvent justement de ces décisions inédites que nous avons prises, n’entrent pas dans les cases actuellement prévues par notre droit.

Comme nombre d’entre vous, mes chers collègues, j’ai été interpellé par des acteurs du territoire et des professionnels de l’assurance, dès le début du confinement. Ils ont vite pris conscience du choc économique qui les attendait.

Nombre d’entre eux étaient au désespoir – je pèse mes mots –, car ils refusaient de choisir entre le sens patriotique, qui leur commandait de participer aux efforts du pays contre le virus, et leur conscience professionnelle, qui les enjoignait de ne pas manquer à leur poste malgré les risques sanitaires.

Au reste, ils croyaient déjà avoir la solution à ce dilemme. Cette solution, c’est la police d’assurance, qui permet précisément la couverture contre un risque. Charge à l’assureur, ensuite, d’affronter l’imprévu s’il se présente.

D’où l’incompréhension des Français au début de la crise : comment se peut-il que les assureurs, dont le métier consiste justement à anticiper les risques et accompagner les particuliers face aux imprévus, n’aient pas couvert les pertes d’exploitation subies par nos entreprises ? Comment se peut-il qu’ils n’y aient pas été tenus par des obligations contractuelles ?

C’est là le signe que le cadre assurantiel n’est pas adapté et que l’état d’urgence sanitaire doit encore être amélioré pour bien lutter contre une pandémie. C’est là le signe, pour le législateur, qu’il faut agir et changer la loi.

Je me réjouis donc que le Sénat se soit rapidement emparé de ce sujet. Plusieurs propositions ont été mises sur la table, et nous discuterons ensemble des différentes options.

Avec mes collègues du groupe Les Indépendants, j’ai déposé le 8 avril une proposition de loi visant à créer un mécanisme d’assurance des pertes d’exploitation liées à des menaces ou crises sanitaires graves.

Je l’ai dit, il s’agit d’articuler deux logiques : d’une part, la santé, qui impose la solidarité nationale ; d’autre part, l’économie, qui impose la responsabilité individuelle. Le mécanisme que nous devrons choisir aujourd’hui devra trouver un point d’équilibre entre ces deux logiques.

La solution que j’avais proposée consistait ainsi en un mécanisme d’assurance contre les pertes de recettes ouvrant droit à un crédit d’impôt. Il revêtait à mes yeux deux avantages : le premier, c’est qu’en restant à l’initiative des entreprises il mettait les acteurs privés en situation de responsabilité ; le second, c’est que, par l’incitation, il faisait participer la solidarité nationale à cette responsabilité individuelle.

Je parle déjà au passé, car je crois que nous devons agir vite. Je sais le travail sérieux qu’a fait la commission des finances, sous la houlette du rapporteur et de l’auteur de la proposition de loi, que je tiens à le saluer. Leur proposition a déjà recueilli de nombreux soutiens. Aussi, je ne crois pas utile, à ce stade des discussions, de remettre en question le principe même du dispositif.

Cependant, je suis convaincu que nous pouvons encore l’améliorer lors de nos échanges. Je vous soumettrai plusieurs amendements en ce sens, qui visent notamment à préciser les modalités de calcul de la baisse d’activité dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire et à faciliter la reprise d’activité pour les entreprises assurées.

Mes chers collègues, alors que les Français vivent à plein le déconfinement, on pourrait facilement dire que nous nous y prenons un peu tard. Je crois pour ma part qu’au contraire nous nous y prenons très tôt : l’objectif qui nous rassemble est non pas de faire une loi de circonstances pour la crise actuelle, mais bien de poser un cadre pour pouvoir à l’avenir agir efficacement, si d’aventure nous étions amenés à décider d’un nouvel état d’urgence sanitaire.

Calderón de la Barca disait que « le pire n’est pas toujours certain ». Mais c’est parce que le pire n’est pas toujours certain que nous devons sans cesse renouveler nos efforts pour l’éviter. Notre responsabilité consiste aujourd’hui à élaborer le meilleur dispositif, en espérant que nous n’aurons pas à nous en servir.

M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros.

M. Bernard Delcros. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les débats que nous avons eus à l’occasion de l’examen du deuxième projet de loi de finances rectificative ont bien montré toute l’étendue des interrogations que suscite, en cas de crise sanitaire grave, la question de la contribution des assurances à l’effort de maintien du tissu économique et de redressement du pays. Ces débats nous ont également montré les insuffisances et les lacunes du droit existant en la matière.

C’est dire si le sujet que nous traitons aujourd’hui est capital, alors que la pandémie que nous traversons est la plus grave crise sanitaire qu’ait connue notre pays depuis la grippe espagnole il y a un siècle. Nous tenons donc à saluer l’initiative prise par Jean-François Husson et ses collègues de présenter cette proposition de loi : elle vise à définir en pareille circonstance les rôles respectifs du secteur des assurances, d’une part, et de la solidarité nationale, d’autre part, dans le soutien aux entreprises, aux artisans, aux commerçants, aux agriculteurs, bref au tissu économique et social dans tous les territoires de France.

Nous savons bien que les compagnies d’assurance enregistrent, malgré elles, à la faveur du Covid-19, des résultats exceptionnels sur la couverture des dommages. Il aura pourtant fallu qu’elles soient sous le feu des critiques de leurs assurés et sous la pression du Gouvernement et du Parlement pour qu’elles s’engagent, au début du mois d’avril, à mobiliser 200 millions d’euros, puis 400 millions pour abonder le fonds de solidarité en faveur des PME, des TPE et des indépendants.

Certes, c’était là un premier pas nécessaire, mais il est néanmoins insuffisant. C’est ce constat qui avait amené le Sénat à adopter, dans le cadre du deuxième projet de loi de finances rectificative, deux mesures fiscales : l’une visait à relever la taxe sur les excédents des provisions des sociétés d’assurance ; l’autre, adoptée sur l’initiative du groupe Union Centriste, proposait d’appliquer une taxe exceptionnelle de 10 % sur la réserve de capitalisation des assureurs. Mais le Gouvernement ayant indiqué conduire des négociations avec le secteur des assurances, nous avons bien voulu renoncer à ces mesures par la voix de notre rapporteur général en commission mixte paritaire.

Madame la secrétaire d’État, pourriez-vous nous indiquer où en sont vos pourparlers et où en est le plan d’investissement d’un milliard d’euros annoncé en concertation avec la Caisse des dépôts et consignations pour accompagner les entreprises dans un plan de relance et sur le long terme ? La perspective, déjà proche, d’un troisième collectif budgétaire pourra-t-elle aboutir à une solution satisfaisante pour tous ?

J’en viens maintenant au cœur de la proposition de loi qui n’a évidemment pas vocation à s’appliquer de manière rétroactive. Au contraire, l’assurance relative aux crises sanitaires que propose ce texte ne vaudrait que pour l’avenir, dans l’hypothèse où surviendrait une nouvelle crise d’ampleur. Cette proposition de loi a donc pour objectif de bâtir un cadre pérenne, sans qu’il soit nécessaire de colmater les brèches dans l’urgence par voie d’amendements au gré des budgets rectificatifs.

C’est donc un texte d’importance qui a vocation à dépasser les seules circonstances immédiates pour s’inscrire dans le temps long avec, en toile de fond, la préservation en cas de grave crise sanitaire du tissu entrepreneurial et productif français.

Le texte contient deux volets qui nous semblent opportuns et complémentaires : créer une couverture obligatoire des entreprises par les assurances pour les pertes générées par une menace ou une crise sanitaire grave ; corrélativement – c’est important –, permettre le financement de cette couverture obligatoire par un fonds, mutualisé entre les assureurs et abondé par l’État.

L’examen du texte en commission des finances a permis de l’enrichir substantiellement et je tiens ici à saluer le travail de notre rapporteur, Claude Nougein.

Premièrement, plutôt que de calculer l’indemnisation sur les pertes d’exploitation, comme le prévoyait la mouture initiale du texte, la commission propose de la fonder sur les charges fixes de l’entreprise. Cela permettrait à la fois d’approcher ses coûts fixes et de ne pas renchérir inconsidérément le coût de la prime pour les entreprises.

Deuxièmement, le calibrage du dispositif nous semble lui aussi parfaitement cohérent, en ce qu’il réserve l’octroi de la garantie aux seules entreprises les plus en difficulté et selon des critères d’éligibilité comparables à ceux de l’actuel fonds de solidarité.

Troisièmement, notre commission a apporté des modifications au texte en ce qui concerne le montant des primes payées par les entreprises. Elles devront faire l’objet d’un encadrement par voie réglementaire de façon à prémunir les entreprises contre toute dérive dans la fixation des tarifs.

Quatrièmement, toujours dans une même logique d’efficience, la commission des finances a souhaité préciser les délais de versement des indemnisations aux assurés. Le texte initial de la proposition de loi comportait quelques écueils que le travail du rapporteur a permis de gommer afin que les entreprises soient très rapidement indemnisées, ce qui est évidemment essentiel en pareille circonstance.

Concernant la création du fonds de soutien de l’État proposé à l’article 2, la mutualisation entre les assureurs des ressources destinées à l’indemnisation, d’une part, et la contribution de l’État à ce fonds, d’autre part, constituent deux points forts qui me paraissent importants. Par sa composition et sa structure, ce fonds d’indemnisation permettra opportunément de limiter le montant de la prime versée par les entreprises.

Enfin, la clarification apportée par la commission concernant le rôle dévolu à ce fonds, recentré sur les crises de grande ampleur, à l’image de celle que nous connaissons, nous apparaît là encore totalement justifiée.

En conclusion, c’est sans la moindre réserve que nous soutenons la création pour l’avenir d’une assurance obligatoire destinée à faire face à des pertes consécutives aux crises sanitaires. C’est donc à l’unanimité que le groupe Union Centriste adoptera la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)