Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marie Mercier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, encore, me direz-vous, une loi sur les violences conjugales ! Et toujours tant de violences : 36 femmes ont été tuées par leur conjoint depuis le début de l’année.

Aussi, quelques mois seulement après la promulgation de la loi visant à agir contre les violences au sein de la famille, portée par le député Aurélien Pradié, le Sénat est saisi d’une proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales, présentée par deux députés de la majorité, Bérangère Couillard et Guillaume Gouffier-Cha.

Ce nouveau texte a pour ambition d’inscrire dans la loi certaines préconisations du Grenelle contre les violences conjugales, dont les conclusions ont été rendues publiques le 25 novembre dernier. Il comporte aussi des mesures visant à protéger les mineurs ou à prévenir les violences en général.

Sur le plan de la méthode, la commission regrette que deux textes se soient ainsi succédé à quelques mois d’intervalle. L’examen d’un texte unique, déposé après le Grenelle, nous aurait permis d’avoir un débat plus cohérent, avec une vision globale de la politique de lutte contre les violences conjugales et intrafamiliales.

Le calendrier qui nous a été imposé n’a pas non plus facilité notre travail : nous avons été informés il y a tout juste deux semaines que ce texte serait examiné aujourd’hui en séance publique, ce qui nous a laissé peu de temps pour achever notre cycle d’auditions, suspendu pendant la période du confinement. Je regrette d’ailleurs de ne pas avoir pu procéder à une véritable évaluation de l’impact de ce confinement sur les violences intrafamiliales, même si vous nous avez fait part, mesdames les ministres, d’une multiplication par cinq du nombre de signalements.

Nous n’avons pas pu non plus apprécier l’efficacité des dispositifs mis en place pour combattre ces violences. Je sais que la délégation sénatoriale aux droits des femmes, dont je salue la présidente, a cependant mené un travail de veille sur le sujet au cours des trois derniers mois, ce qui nous permettra de disposer bientôt de premiers éléments d’information très pertinents.

Sur le fond, la commission accueille favorablement la plupart des mesures qui figurent dans cette proposition de loi. Il nous semble toutefois que l’on approche un peu les limites de ce qu’il est possible de faire en matière législative, l’arsenal juridique étant déjà très étoffé. Beaucoup de dispositions du texte consistent en des ajustements, des clarifications, des précisions, que nous n’avons pas de raison de rejeter mais qui ne nous semblent pas non plus de nature à renforcer de manière significative la lutte contre les violences conjugales.

Le texte propose, tout d’abord, d’interdire le recours à la médiation pénale et à la médiation familiale en cas de violences au sein du couple. Il parachève ainsi une évolution, entamée il y a plusieurs années, qui a déjà beaucoup restreint le recours à la médiation : elle ne peut à l’évidence constituer une procédure adaptée en cas de violences au sein du couple en raison de l’inégalité entre l’agresseur et sa victime.

Plusieurs articles visent ensuite à alourdir les peines encourues ou à créer de nouvelles infractions. Des circonstances aggravantes sont introduites pour certains délits, quand les faits sont commis par le conjoint, le concubin ou le partenaire de PACS. Le délit de harcèlement du conjoint serait puni plus sévèrement lorsque le harcèlement a conduit au suicide de la victime, ce qui n’est pas rare. Il est également prévu de compléter le code pénal pour sanctionner, au titre des atteintes à la vie privée, le fait de géolocaliser un individu sans son consentement.

Ces sanctions pénales seraient complétées par ce qui s’apparente à de nouvelles formes de sanctions civiles.

Une disposition porte ainsi sur la décharge de l’obligation alimentaire. Elle répond à une demande forte des associations, qui veulent éviter que les enfants dont, par exemple, le père a tué la mère, soient contraints de subvenir aux besoins de leur père meurtrier. La commission en a cependant revu la rédaction, craignant qu’une décharge automatique ne pose un problème sur le plan constitutionnel, et elle a proposé que ce soit le juge pénal qui statue sur cette question dès l’étape de la condamnation.

Le texte prévoit également que le juge pourra déclarer indigne de succéder celui qui a été condamné à une peine criminelle pour avoir commis des violences ou un viol sur son conjoint. Sur ce point, la commission a élargi la liste des infractions permettant de prononcer l’indignité successorale.

D’autres dispositions du texte s’inscrivent davantage dans une démarche de prévention.

Je citerai la possibilité donnée au juge pénal, dans le cadre d’un placement sous contrôle judiciaire, de suspendre le droit de visite et d’hébergement de l’enfant mineur, ou encore l’inscription d’un plus grand nombre de personnes dans le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijais), l’objectif étant d’éviter que ces personnes ne soient embauchées pour des postes où elles seraient placées au contact de mineurs.

Certaines mesures longuement débattues au cours du Grenelle se révèlent d’une portée plus limitée. Il en est ainsi de l’article 9, sur la saisie des armes que peut posséder le conjoint violent : la saisie est déjà autorisée et pratiquée au cours des enquêtes et la proposition de loi vient seulement rendre plus lisible le cadre juridique applicable. Ce n’est pas inintéressant, mais ce n’est pas non plus révolutionnaire.

Même remarque concernant la possibilité de déroger au secret médical pour signaler des faits de violences conjugales, même en l’absence d’accord de la victime : un examen attentif montre que cette dérogation vise des hypothèses très restrictives – il faut, à la fois, un danger immédiat pour la victime et une emprise –, pour lesquelles il est déjà admis que le professionnel de santé puisse déroger au secret médical au nom de l’obligation de porter secours à une personne en péril. L’ajout qui nous est proposé a donc surtout un but pédagogique à destination des professionnels de santé : il cherche à attirer leur attention sur la situation des femmes victimes de violences conjugales, au risque cependant de rendre plus complexes des exceptions au secret professionnel qui ne sont déjà pas toujours lisibles.

J’en arrive à l’article 11 sur l’accès des mineurs aux sites pornographiques, qui a pour objet de codifier une jurisprudence ancienne de la Cour de cassation et qui ne modifie donc pas l’état du droit en vigueur.

Le contrôle effectif de l’accès des mineurs à ces sites constitue pourtant un problème majeur : il n’est pas rare aujourd’hui que les mineurs aient accès à ces contenus pornographiques dès le collège, lorsque les parents leur confient leur premier smartphone. Cela me fait penser à cette phrase de Flaubert, écrivant à Louise Colet le 8 octobre 1852 : « À mesure que l’humanité se perfectionne, l’homme se dégrade. » Il avait raison !

On ne peut que s’inquiéter des conséquences que l’exposition précoce à ces images peut entraîner sur le développement psychologique et affectif de ces jeunes, et sur les relations entre garçons et filles. J’étais donc peu satisfaite du manque d’ambition de la proposition de loi sur le sujet, mais le court délai dont nous avons disposé pour l’étudier ne m’avait pas permis d’approfondir cette question avant son examen en commission. Suivant une démarche un peu inhabituelle, dont je prie mes collègues de la commission des lois de bien vouloir m’excuser, j’ai donc procédé à quelques auditions complémentaires au cours de la semaine écoulée afin de pouvoir proposer au Sénat un dispositif réellement à la hauteur des enjeux.

M’inspirant d’une mesure en vigueur depuis dix ans et relative aux jeux en ligne, je vous propose de confier au Conseil supérieur de l’audiovisuel un rôle de régulation, en lui donnant le pouvoir de saisir la justice pour qu’elle ordonne le blocage de l’accès aux sites qui ne prendraient aucune mesure effective pour contrôler l’âge de ceux qui consultent leurs contenus. Je crois que seul le recours à des mesures réellement dissuasives est susceptible d’inciter les éditeurs de ces sites à agir.

En proposant cet amendement, je m’inscris dans la perspective tracée par le Président de la République dans son discours devant l’Unesco du 20 novembre dernier : il avait alors donné six mois aux acteurs concernés pour trouver des solutions sur une base volontaire, sans quoi il avait estimé qu’il serait nécessaire de légiférer. Six mois plus tard, le dossier n’a pas vraiment avancé et le Gouvernement n’a pas dévoilé ses intentions. Il est donc nécessaire que la représentation nationale s’en saisisse, et c’est ce que nous allons faire.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très bien !

Mme Marie Mercier, rapporteur. J’en termine en évoquant quelques mesures qui débordent le strict cadre de la lutte contre les violences conjugales.

Nous n’avons pas été convaincus par la mesure envisagée concernant l’accès provisoire à l’aide juridictionnelle dans les procédures d’urgence, qui nous a paru présenter plus d’inconvénients que d’avantages. Nous aurons l’occasion d’y revenir au cours de la discussion des amendements.

La commission a, en revanche, approuvé les dispositions relatives au droit pour les victimes de violences de se voir remettre un certificat médical, de même que celles qui ouvrent la possibilité de prononcer certaines interdictions en complément d’une peine d’emprisonnement, ou encore la création de nouvelles infractions pour mieux sanctionner le comportement odieux qui consiste à commanditer, depuis la France, des crimes ou des délits commis à l’étranger afin de les visionner sur internet.

En conclusion, je veux souligner que nous avons besoin, certes, de bonnes lois pour lutter efficacement contre les violences commises contre les femmes et les enfants, mais aussi d’une volonté politique implacable et de moyens. Il nous faut ressentir qu’il s’agit d’une priorité absolue d’éducation et de prévention.

L’État doit soutenir tous ceux – policiers, gendarmes, magistrats, éducateurs, travailleurs sociaux, associations – qui œuvrent aux côtés des victimes, mais aussi aux côtés des auteurs pour aider ceux-ci à prendre conscience de leurs actes et prévenir la récidive. C’est à ce prix que nous pourrons faire vivre cet objectif qui nous rassemble et qui est au cœur de notre pacte républicain : la protection des plus fragiles.

Protéger les femmes et les enfants, c’est accepter de changer les mentalités, c’est infléchir ce monde de violences. Nous devons être, tous ensemble, des guetteurs de violence !

Je veux le redire, la violence empêche tout simplement de vivre. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la délégation.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes et à légalité des chances entre les hommes et les femmes. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, je tiens à remercier sincèrement Mme la rapporteure ainsi que la commission des lois pour leur travail.

Il y a seulement sept mois, nous débattions d’une proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille. Je m’interrogeais alors sur un calendrier contestable, qui nous conduisait à débattre d’un texte alors que les conclusions du Grenelle de lutte contre les violences conjugales n’étaient pas connues. Je déplore vivement que la lutte contre les violences alimente l’inflation législative, sans permettre un véritable débat parlementaire.

Cet empilement de textes disparates n’a qu’un mérite, relatif : celui de faire des violences un sujet régulier de l’agenda parlementaire, au risque, parfois, de voir sortir des décrets qui vont à l’encontre des objectifs visés. J’en veux pour exemple celui du 27 mai dernier, synonyme de recul des droits des victimes et contre lequel les avocats spécialisés s’élèvent à juste titre.

Je me félicite de ce que les dispositions de la proposition de loi mettent en œuvre des recommandations que la délégation aux droits des femmes porte parfois depuis longtemps, notamment la nécessité absolue d’interdire toute médiation pénale en cas de violence, ou encore la remise en question de l’autorité parentale pour un conjoint violent, qui, par définition, ne peut être un bon parent.

Certaines dispositions auraient pu aboutir lors de la discussion de la loi promulguée en décembre 2019. Des amendements défendus dans notre hémicycle le permettaient. Écartés au Sénat, ils ont pourtant fait partie des annonces du Gouvernement, trois semaines plus tard, lors des conclusions du Grenelle…

En matière de violences conjugales, de nombreuses avancées auraient pu être atteintes depuis longtemps, car les bonnes pratiques en la matière sont connues.

Il est difficile de comprendre que, sur les 88 « homicides conjugaux » analysés par l’inspection générale de la justice dans un rapport publié en octobre 2019, une seule victime ait bénéficié d’une ordonnance de protection.

Difficile d’accepter que 41 % de ces femmes aient signalé en vain au parquet et/ou aux forces de l’ordre, avant d’être tuées, des violences ou menaces qu’elles subissaient.

Difficile d’admettre que 7 de ces meurtres aient été commis malgré une interdiction d’entrer en contact avec la victime.

Difficile, enfin, de croire que 90 % des femmes victimes de violences aient pu se déclarer satisfaites de l’accueil reçu dans les commissariats et gendarmeries, selon l’audit annoncé lors du Grenelle. Ce n’est absolument pas le constat fait par les experts entendus par la délégation !

La discussion de cette proposition de loi intervient après plusieurs semaines de confinement, qui ont rendu difficile la protection de femmes et d’enfants enfermés dans un foyer violent.

Pendant ce confinement, notre délégation a centré son travail sur les violences. Parmi les lacunes pointées par les interlocuteurs de la délégation, citons l’insuffisante interaction entre la police, le parquet et le juge civil. Soulignons aussi la nécessité, évoquée par Luc Frémiot, ancien procureur de la République de Douai, d’encadrer plus strictement l’activité des procureurs en matière de lutte contre les violences et d’organiser, pour les auteurs de violences, un suivi psychologique dans la durée.

Le principal enjeu est d’abord de permettre aux victimes que le confinement a tenues éloignées des institutions judiciaires de porter plainte. Elles ne doivent plus recevoir pour toute réponse une main courante inutile. Il est impératif de leur assurer un accueil adapté, sur tout le territoire, en métropole comme dans les outre-mer.

Nous ne pouvons plus accepter que les chances d’une victime d’être crue et prise au sérieux dépendent de la sensibilisation aux violences conjugales du professionnel qui va les accueillir. La mise en cause de la responsabilité de l’État pour faute lourde dans des affaires de violences conjugales, comme cela a été le cas à Grande-Synthe, se doit de demeurer une exception.

Il y a urgence ! Pour de nombreuses femmes et de nombreux enfants, le confinement n’est pas terminé : la réalité quotidienne des familles maintenues dans une terreur permanente par un conjoint ou un père violent ressemble à un confinement sans fin. La priorité pour nous est de gagner le combat contre les violences conjugales, et de le gagner tous ensemble. Cette proposition de loi y contribuera-t-elle ? Espérons-le.

Dans chaque commissariat, dans chaque gendarmerie et dans chaque juridiction, toutes les victimes de violences doivent pouvoir rencontrer des professionnels acharnés à les protéger. Ce n’est qu’à cette condition que nous pourrons gagner ce combat ensemble ! (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Madame la présidente, mesdames les ministres, madame la rapporteure – je salue aussi nos collègues masculins qui participent à ces travaux, comme chaque fois que nous traitons de ce thème très important –, nous sommes ici réunis pour un exercice un peu particulier.

Vos interventions, mesdames les ministres, l’ont bien mis en lumière. Nous débattons en effet depuis plusieurs mois – pour moi qui suis élue au Sénat depuis trois ans, c’est la troisième fois – de la question des violences conjugales.

On peut de manière très optimiste, comme vient de le faire Annick Billon, considérer que cela montre que le sujet préoccupe. Cela signifie en réalité, nous le savons bien, que nous ne légiférons pas dans les meilleures conditions. La preuve en est que l’examen au fond de cette proposition de loi, dont la genèse fut quelque peu particulière, traduit la nécessité de réconforter la majorité En Marche. En effet, après le Grenelle, celle-ci avait été fort dépitée de constater que la proposition de loi de notre collègue député Aurélien Pradié était très innovante et avait réussi à rassembler des majorités autour de propositions originales.

Une proposition de loi fut donc déposée en catastrophe et il a fallu faire disparaître les deux premiers articles puisque nous avions déjà voté les dispositions visées. Vous avez donc dû au début de cette séance, mesdames les ministres, dresser le bilan de ce que vous avez fait plutôt qu’évoquer le texte lui-même.

Cette proposition de loi ne mérite ni excès d’indignité ni excès d’honneur. Elle améliore de manière assez marginale un certain nombre de points et reprend, sur d’autres, des amendements présentés par le groupe socialiste qui n’avaient pas eu l’heur de plaire. Finalement, elle permettra de faire un pas supplémentaire.

Elle est aussi l’occasion de réparer une erreur. Nous avons découvert, à l’instar des associations, que vous aviez pris le 27 mai dernier, madame la garde des sceaux, un décret ayant ni plus ni moins pour vocation que de rendre impossible pour la plaignante – ou plutôt la demandeuse puisque nous sommes en matière civile – l’engagement, dans des conditions réalistes, de la procédure de l’ordonnance de protection (ODP).

Pourquoi cela ? Parce que le décret prévoyait le recours à un huissier, la notification de la date d’audience, tout cela en vingt-quatre heures, puis le retour devant le magistrat. Ayant été avocate pendant dix-sept ans, je puis vous dire que le fait de trouver un huissier dans la journée relève du tour de force lorsque l’on exerce ma profession. Je vous le dis, il est impossible qu’un simple particulier trouve un huissier, obtienne de lui qu’il signifie une ordonnance et en fasse retour devant le juge !

Les associations l’ont bien compris, qui ont expliqué que ce décret, dont je ne sais s’il est le fruit de l’incompétence ou du cynisme, avait vidé totalement la possibilité de produire l’ODP, à laquelle vous indiquez être attachée.

Le groupe socialiste et républicain a présenté un amendement à cet égard, et je suis heureuse d’avoir pu convaincre les collègues de la majorité du Sénat de l’adopter. Nous pourrons donc revenir sur ce point très problématique.

J’ajoute que ce décret est paru au bout de cinq mois… C’est dire si le sujet était urgent pour la chancellerie !

Au final, que dire ? Sur certains points, nous proposerons des amendements complémentaires. Qui sait, peut-être convaincrons-nous, cette fois, sur les questions de la résidence des enfants, du traitement du compagnon ou conjoint violent, du rôle des magistrats et de la réception des plaignantes par les services de police ?

La grande absente, que nous avons essayé de faire revenir par le biais d’une demande de rapport – une démarche qui rencontre toujours un succès proche de zéro dans cet hémicycle –, est la question des moyens.

Dans ce domaine, nous le savons, s’il n’y a pas des mesures conséquentes en termes de formation, d’accompagnement des associations, d’aide juridictionnelle, comme nous le proposerons, et de communication, afin que les femmes sachent qu’elles peuvent disposer d’un arsenal et d’un accompagnement destinés à limiter la violence qu’elles subissent, nous n’obtiendrons rien ! Nous aurons alors finalement voté, pour la troisième fois en quelques mois, un texte qui n’aura ni fait progresser les choses ni amélioré le sort des femmes et leur protection.

Nous n’avons pas de retour, à ce jour, sur ce qui s’est passé pendant la période du confinement. Des chiffres, de toute façon, dramatiques sortent aujourd’hui. Je partage votre point de vue, madame la garde des sceaux, nous ne pouvons pas nous réjouir d’une quelconque diminution, dès lors qu’il existe toujours des violences ! Il faudra nécessairement nous pencher sur cette période, qui a dû être terrible pour un certain nombre de familles, notamment pour les enfants.

Nous voterons sans doute ce texte, mais avec un enthousiasme assez relatif, étant donné sa portée fort limitée. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs a marqué une prise de conscience à la fois sociale, judiciaire et législative de l’urgence de briser le tabou des violences conjugales, et d’y remédier par des dispositions fortes.

La loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants a renforcé l’arsenal juridique pour la prise en charge des victimes, supprimant la présomption de consentement et instaurant l’ordonnance de protection (ODP) des victimes.

Un pan entier de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes aggrave les sanctions et améliore l’accompagnement des victimes à long terme : durée de l’ODP portée de quatre à six mois, maintien de la victime dans le logement du couple, meilleure protection des enfants, extension du champ d’application de l’ODP aux violences sur les enfants, possibilité de retrait total ou partiel de l’autorité parentale, restriction du recours à la médiation pénale, déploiement du téléphone d’alerte grave danger – un dispositif qui a été très utile durant le confinement, avec une forte augmentation du nombre d’attributions. Comme le disait récemment Ernestine Ronai, « lorsqu’il existe une politique publique, volontariste et claire, on obtient des résultats ».

Plus récemment, nous avons examiné la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes et, en novembre 2019, la loi visant à agir contre les violences au sein de la famille, dite loi Pradié, adoptée à l’issue du Grenelle contre les violences faites aux femmes.

Même si je déplore le calendrier choisi pour examiner dans l’urgence cette proposition de loi, nous devons en apprécier les nouvelles avancées. Certaines avaient déjà été proposées au vote du Sénat sous la forme d’amendements lors de l’examen de la loi Pradié.

J’avais moi-même déposé des amendements en vue de restreindre l’autorité parentale ou d’empêcher le recours à la médiation pénale en cas de violences conjugales, conformément aux indications des juges et des pédopsychiatres auditionnés par la délégation aux droits des femmes, qui nous exhortent sans relâche à privilégier l’intérêt de l’enfant. Grâce à eux, nous savons maintenant qu’un conjoint violent ne peut pas être un bon parent.

Le maintien à tout prix de l’autorité parentale, du droit de visite ou de la garde du parent violent conjugal est dénoncé unanimement, car ce sont autant d’occasions de perpétuer l’emprise sur la victime et sur l’enfant, autant de risques majeurs de sur-violence, en particulier pendant les périodes de séparation et, ajouterais-je, en période de confinement.

Il n’est pas concevable qu’un parent ayant tué ou violenté son conjoint puisse continuer à exercer son autorité parentale. L’enfant a d’abord besoin, pour se construire, de sécurité affective et matérielle. S’il est pris dans un conflit de loyauté ou de protection, il ne peut pas le faire. Cette vérité doit franchir les portes des tribunaux et devenir une évidence judiciaire sur tout notre territoire.

C’est pourquoi je salue les articles 1er et 2, satisfaits par la loi Pradié, tout comme l’article 3 suspendant le droit de visite et d’hébergement, ou encore les articles 4 et 5 interdisant la médiation pénale en cas de violences conjugales.

La reconnaissance de l’emprise comme violence psychologique sera aussi un changement de paradigme déterminant pour toutes les victimes.

L’article 6 décharge les enfants d’un parent condamné pour violences conjugales de l’obligation alimentaire envers celui-ci.

L’article 8, autre pilier du texte, permettra aux médecins de signaler aux autorités judiciaires des violences exercées au sein du couple. C’était aussi une recommandation, martelée depuis longtemps, de notre délégation.

Avant de conclure, j’évoquerai les conséquences du récent confinement. Il nous permet de nous rendre compte que ce huis clos de violences n’est autre que la terrible réalité que vivent tous les jours, crise sanitaire ou pas, toutes les victimes de violences.

Je voudrais vous citer les propos d’une victime que Luc Frémiot, ancien procureur de la République, nous a rapportés lors de son audition par la délégation aux droits des femmes, laquelle, vous le constatez, travaille beaucoup : « Mon mari et moi habitons au quinzième étage d’une tour. Il a calculé qu’il me fallait trois minutes pour descendre lorsque l’ascenseur fonctionne, six ou sept minutes quand je dois descendre à pied, tant de minutes pour aller au supermarché, tant de minutes pour faire ceci, tant de minutes pour revenir. Quand je suis en retard d’une minute, je suis frappée. » Cela n’arrive pas qu’aux autres, et nous devons tous être des lanceurs d’alerte !

Dès le mois de mars, beaucoup a été fait pour mobiliser la population et protéger les victimes, à l’image de notre délégation qui a publié une tribune dans la presse alertant l’opinion sur l’enfer vécu par les femmes et les enfants enfermés avec un compagnon et un père violent. De nombreux acteurs se sont mobilisés en première ligne – réseau associatif, personnels de police et de gendarmerie, magistrats, médecins, pharmaciens, enseignants, et d’autres encore – pour assurer une vigilance accrue, et je voudrais leur rendre hommage.

Des expérimentations ont été multipliées, qu’il faudra pérenniser, comme l’envoi de SMS d’alerte au 114, l’éloignement des conjoints violents du domicile conjugal vers des chambres d’hôtel, ou encore des campagnes d’affichage des numéros d’urgence.

Je regrette pourtant que certains points soient absents de ce texte, tels que la lutte contre les violences incestueuses, qui sont les plus difficiles à concevoir et à nommer, jusque dans le code pénal. Or il ressort de nos auditions qu’une fille court 6,5 fois plus de risques qu’une autre personne d’être victime de violences sexuelles incestueuses si elle a un parent violent conjugal.

J’avais déposé, sans succès, des amendements pour renforcer la qualification pénale des actes incestueux sur mineur. Il est urgent de briser aussi ce tabou.

Il serait également souhaitable de prévoir une prise en charge psychologique très large des enfants témoins de violences conjugales, y compris les plus âgés et ceux qui sont issus de familles recomposées. Ils sont souvent les grands oubliés, laissés sans repères pour se reconstruire.

Enfin, mes collègues du groupe RDSE et moi-même serons vigilants sur la création du nouveau comité de pilotage national annoncé par Mme la garde des sceaux pour améliorer la mise en œuvre des ordonnances de protection. Pour autant, j’aimerais obtenir quelques explications. La collègue qui m’a précédée a bien montré qu’il y avait une inadéquation entre ce que nous attendions des ordonnances et la publication du décret concerné.

Si les statistiques des violences conjugales restent cruelles, aujourd’hui le tabou est bel et bien brisé. Nous sommes nombreux dans cet hémicycle à considérer la question de la lutte contre les violences envers les femmes comme un fil rouge de notre mandat de parlementaire.

Considérant que cette proposition de loi participera à ce que la peur change de camp et contribuera à une meilleure protection des victimes de violences conjugales et de leurs enfants, mon groupe votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et SOCR.)