M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez.

Mme Jocelyne Guidez. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ils sont urgentistes, médecins généralistes, internes, infirmiers, aides à domicile. Ils travaillent dans des hôpitaux, des cliniques, des Ehpad, publics ou privés, au domicile des Français, et ont été en première ligne face à un ennemi invisible, sournois et si redoutable. Ils n’ont compté ni leurs heures ni leur nuit et n’avaient parfois pas assez de masques, de blouses ou de gel hydroalcoolique. Mais ils étaient tout de même présents. Au milieu de l’urgence, dans un environnement de stress et de doute, ils ont tenu leur poste avec dignité et sans la moindre hésitation, car ils étaient motivés par cette ferme ambition d’en finir avec un virus qui semblait infatigable.

Les visages de ces héros resteront gravés dans le marbre de notre République. Des héros auxquels des millions de concitoyens ont adressé leurs remerciements d’une seule et même voix.

Sur les vitrines de nos boulangeries ou de nos pharmacies, par le bruit des gyrophares de police devant nos hôpitaux, cet élan de solidarité s’est manifesté par tant de façons, mais surtout avec émotion. Devant leur mobilisation exceptionnelle, c’est tout notre pays qui a tenu à les encourager, à les soutenir et à les remercier. Alors, avec vous, mes chers collègues, je veux de nouveau leur témoigner notre profonde reconnaissance et leur dire combien leur détermination a été vitale.

Cependant, ces moments de joie n’effaceront jamais le courage de nos professionnels de santé qui ont payé de leur vie pour soigner la population. Dans ce contexte sanitaire incertain, ils ont incarné, mieux que personne, ce que pouvait être le dévouement au service d’une grande cause. Leur héroïsme nous oblige à ne pas oublier : à ne pas oublier que la vie, si belle soit-elle, demeure tellement fragile. Nos pensées émues entourent leurs familles.

Avant d’entrer un peu plus dans le détail des dispositions de cette proposition de loi, permettez-moi de souligner un élément important qui a certainement inspiré ses auteurs. Je veux parler de cet esprit d’unité qui s’est exprimé ces derniers mois.

Cela ne me surprend pas, car notre peuple est un peuple uni face à l’adversité. C’est notre histoire, c’est cette France de l’engagement, c’est cette France de la persévérance, c’est cette France de la Résistance face à toute épreuve, qui nous a été enseignée. Aussi, je suis persuadée, madame la ministre, que la République ne pourrait tenir debout sans cette cohésion nationale, indispensable pour affronter de telles tempêtes.

Désormais, il nous appartient de permettre à cette solidarité de s’exprimer sous une autre forme, notamment pour tous ceux qui ont été en première ligne contre le Covid-19. C’est l’objet du texte qui est soumis à l’examen de notre assemblée. Je tiens tout d’abord à remercier ses auteurs, en particulier le député Christophe Blanchet. À présent, il incombe à la Haute Chambre de l’examiner.

Je veux saluer la pertinence du rapport de notre collègue Frédérique Puissat. Les modifications substantielles qu’elle a proposées à notre commission étaient nécessaires, car la rédaction initiale du texte rendait son application difficile.

Ainsi, le choix a été fait de réécrire en profondeur l’article 1er. Initialement, il tendait à permettre un don de jours de repos par tout salarié afin de les monétiser sous forme de chèques-vacances au profit des personnels mobilisés en première ligne pendant l’épidémie. Désormais, le dispositif ne consiste plus pour les salariés à donner des jours de repos, mais à leur permettre, jusqu’au 31 août 2020, de renoncer à leur rémunération nette au titre d’une ou de plusieurs journées de travail. Un accord d’entreprise pourrait également prévoir un abondement complémentaire de l’employeur.

En somme, nous comprenons cette modification, car un don de jours de RTT ou de repos conventionnel, comme c’était prévu au tout début, présente des inconvénients. Toutes les personnes qui travaillent ne bénéficient pas de RTT. C’est une problématique que j’avais déjà soulevée en janvier 2018, dans mon rapport sur une proposition de loi visant également à créer un dispositif de don de jours de repos.

De plus, l’article 1er tendait à mettre en œuvre non pas un simple don de jours de repos, mais leur monétisation, ce qui est différent et pas simple à envisager surtout quand ces jours étaient déjà rémunérés.

Désormais, avec ce nouvel article, une partie du problème est résolue, et cette possibilité de donner est offerte à tous les salariés et agents publics.

Même si nous partageons la philosophie du texte et les apports de notre collègue, d’autres problématiques se posent, notamment sur le plan des bénéficiaires, qui nous placent dans une position délicate. Certes, le périmètre des bénéficiaires fixé à l’Assemblée nationale a été retenu en commission. Il est donc prévu que les chèques-vacances soient répartis entre les établissements et services sanitaires, médico-sociaux et d’aide et d’accompagnement à domicile, au prorata de leur masse salariale. Cette répartition concernerait, sous conditions de ressources, les personnels, y compris vacataires et stagiaires, qui ont travaillé entre le 12 mars et le 10 mai 2020, c’est-à-dire pendant la période de confinement.

Sur ce point, je me réjouis que les aides à domicile n’aient pas été oubliées, car elles ont été mobilisées, parfois sans avoir de masques et sans pouvoir bénéficier en priorité de tests de dépistage. Cette reconnaissance qui leur est exprimée est donc une juste mesure. Il en est de même pour les internes en médecine, par exemple. Plusieurs ont été appelés en renfort, du jour au lendemain, dans un univers qui était tout sauf habituel.

Néanmoins, notre satisfaction n’est pas entière.

Il est regrettable que les aidants familiaux n’aient pas été intégrés dans ce texte, alors qu’ils ont joué un rôle essentiel auprès de leur proche. Ils ont aussi été confrontés au Covid-19, parfois sans disposer de matériels de protection. Combien risquaient de contaminer d’autres membres de leur famille parce qu’ils n’avaient pas de masques ? Certains de nos concitoyens ont dû endosser à la fois leur casquette de parent, de soignant, d’auxiliaire de vie et de salarié.

En outre, en raison du confinement, de nombreuses personnes aidées n’ont pas pu retourner dans leur structure d’accueil. Cette situation a parfois provoqué un épuisement physique et moral.

Sans l’action précieuse des proches aidants, sur qui la puissance publique aurait-elle pu s’appuyer ? Il me semble donc normal et juste qu’ils puissent être éligibles à ce dispositif. C’est l’objet de l’amendement que j’ai déposé et dont nous débattrons tout à l’heure.

Par ailleurs, pourquoi le financement de cette solidarité ne pourrait-il pas concerner d’autres professions qui ont permis à la société de continuer de fonctionner ? Je pense aux hôtes de caisse, aux agents chargés de la collecte des déchets, etc. La même question se pose peut-être pour tous ceux qui vont perdre leur emploi et pour d’autres catégories professionnelles.

Oui, nous soutenons la philosophie du texte ! Mais, dans l’idéal, il eût été souhaitable qu’un public plus large puisse en bénéficier. Malheureusement, cela nécessiterait d’avoir des ressources considérables, en ayant suffisamment de dons. Même s’il me semble judicieux que ce fonds puisse également être alimenté par des dons volontaires de toute personne physique ou morale, je ne suis pas certaine que cela soit suffisant pour autant.

Enfin, et on l’a vu pour la remise d’une « médaille de l’engagement face aux épidémies », nous ne sommes pas convaincus que ce texte suscite une adhésion unanime de la part du personnel soignant. Je veux d’ailleurs partager avec vous cette phrase d’une infirmière : « On ne fait pas la manche ! »

Oui, cette proposition de loi est la concrétisation matérielle et volontaire d’un soutien exprimé ; un soutien qui pourrait permettre aux personnes mobilisées pendant le Covid-19 de retrouver du temps et de se consacrer à leur famille, autour de moments de loisirs, de voyages, de restauration. Cependant, il faut être vigilant à ce que cette mesure, qui est tout à fait louable sur le fond, ne crée pas non plus de la frustration chez des personnes qui aimeraient faire un don, mais qui ne le pourraient pas en raison de leurs faibles revenus.

Bien sûr, cette proposition de loi n’est qu’une première étape, avant d’autres, qui devront être actées à l’occasion du Ségur de la santé. Je pense, en particulier, à la rémunération du personnel soignant, qu’il me soit permis d’en remercier le Gouvernement. L’engagement de la procédure accélérée laisse d’ailleurs espérer une mise en œuvre rapide de ce texte.

En somme, il ne serait pas envisageable un seul instant de voter contre une mesure de solidarité. Si le groupe Union Centriste soutient l’esprit du texte, des interrogations et des doutes demeurent. Pour toutes ces raisons, nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier.

M. Bernard Jomier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi de vous exprimer, comme d’autres ont déjà eu l’occasion de le faire, notamment les soignants eux-mêmes, le trouble que j’ai ressenti à la lecture de la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui.

En premier lieu, j’ai ressenti un trouble sur la forme du dispositif que le Gouvernement paraît si pressé de faire voter. Comme l’a décrit notre rapporteure, dont je tiens à saluer le travail de précision et de clarification, ce texte n’était ni abouti ni applicable en l’état. Il était même si bancal qu’elle a été conduite à remplacer le don de jours de repos par un mécanisme de don, par le salarié, d’une partie de sa rémunération.

Passons sur le message qui ressortait en filigrane dans son ancienne version, à savoir que les Français auraient trop de vacances, peut-être même que le confinement pouvait être considéré comme des jours de repos, alors qu’en réalité les salariés ont parfois été obligés de poser des jours de congé pendant le confinement.

L’important travail de réécriture a permis des avancées, comme le fait d’adosser au dispositif un fonds pouvant être abondé par des dons volontaires de toute personne physique ou morale. Cela dit, la portée de ce complément est limitée par l’absence d’incitation fiscale. L’introduction d’une limite dans le temps est une autre avancée. Elle permettra de connaître la somme collectée pour ensuite la répartir au prorata de la masse salariale, par les structures concernées.

Néanmoins, ces améliorations ne peuvent pallier les nombreux écueils de ce texte. Ainsi, la question de savoir qui en seront les bénéficiaires reste entière et gêne profondément, y compris dans les rangs des soignants. Dans le train de six heures du matin, cela a été rappelé, ces derniers étaient aux côtés des caissiers, des livreurs, des éboueurs, des agents du service public…

Quand ils s’opposent à ce dispositif, les soignants se montrent, eux, solidaires de toutes celles et tous ceux qui étaient en première ligne. Ils refusent de fragmenter un peu plus la société. Est-ce l’heure de telles réponses fractionnées qui opposent nos concitoyens les uns aux autres, madame la ministre ?

De plus, faute de données sur le nombre de bénéficiaires éligibles et d’évaluation des montants qui pourraient être collectés, il n’est pas exclu que les sommes à redistribuer soient en réalité assez faibles. Nous sommes donc invités à voter un texte pour lequel le Gouvernement a acté la procédure accélérée, qui mobilisera l’administration pour que les décrets soient publiés dans de très brefs délais, et sur lequel nous avons de sérieux doutes du point de vue opérationnel : atteindra-t-il ses objectifs, d’autant que le contexte de crise économique et sociale entraîne un appauvrissement certain de la population ?

Rappelons que plus d’un tiers des salariés sont encore au chômage partiel et que, si l’on en croit le ministre de l’action et des comptes publics au micro d’une antenne hier matin, l’indemnisation des salariés devrait passer de 70 % à 60 % du salaire brut. (Mme la ministre le conteste.) Certes, il a été démenti depuis… C’est à se demander si le Gouvernement a le sens des priorités.

Vous l’aurez compris, comme sur la forme, ce texte génère un profond malaise sur le fond.

D’une part, j’éprouve une gêne à l’écoute de l’auteur de cette proposition de loi, qui reconnaissait le 2 juin dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale que ce texte « n’était pas destiné à répondre aux attentes du personnel soignant ». Quel aveu, alors que le Ségur de la santé s’est ouvert le 25 mai et qu’en ce moment même plusieurs milliers de soignants et de citoyens venus les soutenir sont devant le ministère de la santé, après plus de dix-huit mois de conflit, pour exiger des réformes structurantes !

Tant de questions restent sans réponse. Parmi elles, celle du versement des primes exceptionnelles, notamment pour les personnels des services départementaux d’aide à domicile, qui n’est toujours pas garanti. La question de la revalorisation des salaires de ces soignants, hospitaliers comme du secteur médico-social, reste aussi ouverte, tout comme celle des praticiens étrangers à diplôme hors de l’Union européenne, dont l’égalité de traitement avec les médecins français et européens demeure suspendue à la publication des décrets de la loi Santé, qui date maintenant d’un an.

Parmi eux, ceux qui exercent dans les Ehpad sont exclus du dispositif d’intégration pleine et entière dans le système de santé français, alors qu’ils affrontaient le virus aux côtés de leurs collègues français dans ces structures durement touchées.

La question de la réorganisation du système de santé, dans laquelle vous avez ouvertement refusé d’inclure le problème crucial de la gouvernance ainsi que de la place des soignants et des élus locaux dans la refonte du processus décisionnel de l’hôpital – c’est le Premier ministre qui l’a annoncé en ouverture du Ségur – est un véritable problème.

D’autre part, j’éprouve une gêne sur le fond lorsque, en plus de rester sourds aux revendications des professionnels concernés, vous drapez dans des valeurs de solidarité et de générosité une logique consistant à déshabiller l’un pour habiller l’autre. En demandant aux salariés de payer des chèques-vacances aux soignants, je crains que vous ne travestissiez, madame la ministre, l’impuissance de l’État.

Vous souhaitez, avec cette proposition de loi, monétiser les dons des Français ? Mais vous démonétisez en réalité un principe auquel les Français sont extrêmement attachés, celui de la solidarité nationale par laquelle chacun cotise selon ses ressources et reçoit selon ses besoins.

Pendant cette crise, on a vu se multiplier les « cagnottes ». Les actions de solidarité, par exemple à l’intérieur d’une entreprise, ne posent aucun problème, tout au contraire, mais soyez clairs.

En avril, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, s’était exprimé dans la presse pour demander aux actionnaires de ne pas être trop gourmands. En écho, les personnels soignants répondent que cette proposition de loi sur le don de chèques-vacances est irrecevable, comme j’ai encore pu le lire ce matin sur une banderole tendue à l’entrée de l’hôpital Saint-Louis. C’est dire s’ils sont attentifs à nos débats !

Les Français attendent plus que des médailles, des primes ou des lois les « autorisant à se montrer solidaires », puisque c’est en ces termes exacts que ce texte a été présenté par son auteur. Ils préféreraient, à juste titre, que la rémunération des soignants soit à la hauteur de la valeur sociale dont ils ont été les témoins. Ils veulent un engagement ferme et une réponse forte de l’État mettant en avant l’exigence de la contribution de chacun selon ses moyens plutôt que selon sa bonne volonté.

Au lieu de cela, vous fermez la porte à toute hausse de la fiscalité sur les plus fortunés et vous choisissez de faire peser le remboursement des 136 milliards d’euros de dette publique sur les cotisations sociales des Français.

Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires, madame la ministre. Celle-ci, dans ses fondements, est peut-être plus grave encore. Le groupe socialiste et républicain votera résolument contre ce texte. (Mmes Cathy Apourceau-Poly et Éliane Assassi applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Mme Nathalie Delattre applaudit.)

Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, deux semaines après l’examen de la proposition de loi relative aux points d’accueil pour soins immédiats (PASI), nous nous retrouvons de nouveau pour débattre d’un texte qui semble ne pas faire l’unanimité au sein de cet hémicycle. Pourtant, s’agissant des aspirations des personnels des secteurs sanitaire et médico-social, les problématiques, et même les solutions, sont bien identifiées et partagées par la majorité d’entre nous. Impossible de les ignorer, alors que les manifestations de soignants et les auditions que je mène sur les territoires font émerger les mêmes revendications.

C’est donc probablement le décalage entre la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui et les demandes des acteurs de terrain qui provoque une certaine forme de malaise, tant chez les soignants que chez les parlementaires. La question de la pertinence et de l’urgence de débattre d’un tel mécanisme se pose en effet, alors que des mesures structurantes doivent être adoptées à l’issue du Ségur de la santé.

Ce texte, qui vise à offrir des chèques-vacances aux professionnels des secteurs sanitaire et médico-social mobilisés pendant la crise, trouve selon moi, en premier lieu, un sens économique : par l’émission de chèques-vacances, il permet aux bénéficiaires de participer à la relance du tourisme, activité durement touchée par le Covid-19, ce qui est en soi une bonne chose. Il présente néanmoins plusieurs faiblesses.

D’une part, si j’entrevois dans cette mesure d’abord un bienfait économique, telle n’était pas l’intention première des auteurs de cette proposition de loi, qui entendent apporter aux personnels des secteurs sanitaire et médico-social la preuve de la reconnaissance de la Nation. Or, malgré les bonnes intentions, nous sommes nombreux à douter que la mesure atteigne réellement son objectif, tant les aspirations du secteur dépassent quelques chèques-vacances.

La question du salaire a souvent été évoquée et figurera, nous l’espérons tous, en bonne place dans les conclusions du Ségur de la santé. Ce que les soignants attendent, c’est une véritable revalorisation de leurs métiers, qui passe par le salaire mais aussi par le recrutement de personnel dans de nombreux services et par une organisation plus agile du système de santé.

Les aides à domicile pourraient, quant à eux, y voir une prime bienvenue, alors que celle négociée entre l’État et les départements tarde à venir. Toutefois, même pour ces métiers particulièrement précaires et dévalorisés, qui ont été en première ligne pendant la crise malgré les difficultés et le manque de matériel, la temporalité et le niveau de la mesure pourraient apparaître en décalage avec les réformes attendues.

Parmi les autres faiblesses de ce texte, soulignées par notre rapporteure, je note tout particulièrement le choix des auteurs concernant les bénéficiaires de la mesure. En effet, alors que de nombreuses professions ont continué à faire leur travail au contact des Français et du virus – je pense notamment aux salariés de la grande distribution et à ceux des services de nettoyage –, comment justifier que seuls les employés des secteurs sanitaire et médico-social bénéficient de ces chèques-vacances ? Néanmoins, élargir l’assiette des bénéficiaires reviendrait à dissoudre encore l’enveloppe disponible, dont nous ne pouvons pas connaître le montant à l’avance. Sur ce point, il ne semble pas y avoir de bonne réponse, ce qui souligne probablement le caractère inabouti de la proposition de loi.

Des doutes subsistent par ailleurs quant au succès de l’entreprise. La majorité du groupe du RDSE approuve le travail effectué par la rapporteure Frédérique Puissat. Celui-ci a permis d’améliorer le dispositif tout en évitant d’alourdir les charges des entreprises, dont un certain nombre entrevoit aujourd’hui un avenir sombre. Cependant, nous pouvons aussi douter de la capacité de nombreux salariés à renoncer à une journée de salaire, quand plusieurs millions d’entre eux ont été placés en chômage partiel et ont ainsi perdu une part de leurs revenus. Il est à craindre que le coût d’administration de la mesure s’avère disproportionné au regard des sommes collectées et de ses effets marginaux.

En résumé, cette proposition de loi représente une marque d’attention et de solidarité, une certaine forme de reconnaissance, qu’il ne faut pas sous-estimer, à l’égard des personnels du monde médical et médico-social. Cependant, ces personnels attendent autre chose, et même plus, du Gouvernement. Par le mot « plus », j’entends des réformes structurantes à la hauteur de l’enjeu. En effet, si le virus semble être derrière nous, il continue de circuler dans le monde. Et d’autres virus suivront ! Les canicules deviendront plus fréquentes, de même que les maladies chroniques, qui prennent une part plus importante dans notre système de soins et appellent des prises en charge au long cours, dans le cadre d’un véritable parcours du patient.

Si l’intention du texte est louable, les personnels concernés méritent davantage qu’une simple mesure, après avoir été trop longtemps délaissés. Ils réclament que l’État investisse dans ce secteur d’avenir, qu’il recrute, améliore les conditions de travail et place le soignant au cœur du processus décisionnel et organisationnel, l’un et l’autre termes n’étant pas incompatibles.

La majorité de mon groupe sera favorable à cette proposition de loi, à condition que celle-ci prévoie des mesures d’accompagnement structurantes, ce à quoi le Ségur devrait aboutir. Que ce texte soit adopté ou non, nous insistons sur le fait que les attentes sont fortes dans les territoires. Plus que des médailles et des chèques-vacances, les soignants réclament des réformes en profondeur ! (Mme Nathalie Delattre applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier.

M. Martin Lévrier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au cours des derniers mois, les Français n’ont eu de cesse d’inventer de nouvelles solidarités pour apporter un soutien moral aux soignants sous pression face à l’épidémie de la Covid-19. Applaudissements, livraisons de repas chauds dans les services les plus tendus des hôpitaux… : nos concitoyens ont ressenti l’impérieuse nécessité de leur rappeler leur importance et le rôle essentiel qu’ils ont joué et continuent de jouer en cette période inédite. Nous savons tous que ces manifestations sont allées droit au cœur des soignants.

Personnels des secteurs sanitaire et médico-social, personnels des hôpitaux, des établissements pour personnes âgées, des services à domicile et personnels non salariés, qu’ils soient soignants ou non, tous ont multiplié les heures de travail, sans prendre de repos, faute de personnel disponible pour les relever, ou simplement par esprit de dévouement professionnel.

Notre travail de législateur n’est pas de faire des lois d’émotion. Pour autant, lorsqu’une pandémie d’une telle ampleur frappe notre pays, nous ne pouvons rester insensibles au besoin affiché des citoyens. Il n’est, dès lors, pas surprenant que des propositions de loi similaires aient émané de la plupart des bancs du Parlement. Je citerai, par exemple, la proposition de loi déposée par notre collègue Édouard Courtial, ou celles des députés Maxime Minot et Christophe Bouillon.

C’est donc dans un double objectif que l’Assemblée nationale a adopté la proposition de loi de Christophe Blanchet : faire un geste original envers le personnel soignant en offrant un ou plusieurs jours de congé sous forme de chèques-vacances et permettre aux Français qui le demandent de mettre en place un geste de solidarité correspondant à leur souhait ; c’est peut-être là l’essentiel.

Cela démontre bien que cette proposition n’est en aucun cas destinée à se substituer aux politiques publiques qui visent à apporter une réponse pérenne aux difficultés structurelles des secteurs, que ce soit celui de la santé ou du secteur médico-social.

Pour signifier l’évidence, dois-je rappeler les chantiers engagés avant la crise sanitaire à travers le plan Ma santé 2022 ?

Dois-je rappeler les annonces significatives de ces dernières semaines ? J’entends par là le versement de primes pour les personnels soignants, les mesures financières pour l’hôpital, la meilleure prise en charge de la dépendance.

Dois-je rappeler le lancement du Ségur de la santé, le 25 mai dernier ? Cette grande concertation, impliquant près de 300 acteurs du système de santé, répond à l’engagement du Président de la République d’élaborer, à l’issue de la crise, un plan massif d’investissements et de revalorisation de l’ensemble des carrières : transformation et revalorisation des métiers, nouvelle politique d’investissements et de financement des services de soins, simplification radicale des organisations des équipes… Les conclusions de ces travaux sont attendues en juillet.

De manière plus générale, dois-je détailler l’action actuellement menée par le Gouvernement dans ces domaines, et ainsi répondre aux critiques selon lesquelles nous ne serions pas à la hauteur de la situation ?

Vous le voyez, cette proposition de loi ne peut en rien se substituer à la réforme profonde du système de santé engagée par le Gouvernement. Elle n’est qu’un « plus », qui permet de lier les Français avec ceux qu’ils ont soutenus durant ces trois mois.

D’ailleurs, ce texte comportait initialement un article unique visant à offrir la possibilité aux salariés, dans le secteur public comme dans le secteur privé, de faire don à titre volontaire d’une partie de leurs jours de repos, afin de financer des chèques-vacances au bénéfice de ceux qui ont lutté directement contre la Covid-19. Durant l’examen à l’Assemblée nationale, les députés de la majorité ont souhaité créer un compte spécifique de l’Agence nationale pour les chèques-vacances pour recueillir les dons des particuliers non salariés, tels que les retraités, les indépendants, voire les parlementaires.

Lors de l’examen de la proposition de loi devant la commission des affaires sociales du Sénat, la rapporteure, notre collègue Frédérique Puissat, a déposé un amendement visant à réécrire l’article 1er. Le texte propose désormais la retenue de salaire d’un ou plusieurs jours de travail, et non plus d’un jour de congé.

Cette proposition est très intéressante. Sa quintessence est même partagée par la plupart des groupes, car elle offre un nouveau moyen d’action. Pour autant, pourquoi la mettre en opposition avec le projet initial, en remplaçant le jour de congé par cette nouvelle écriture ? La force du bicamérisme réside souvent dans la complémentarité des deux chambres. C’est pourquoi nous déposerons un amendement visant à réintroduire le don de jours de repos, offrant ainsi deux possibilités plutôt qu’une au salarié et à l’employeur.

Par ailleurs, nous déposerons un second amendement visant à abaisser le plafond de rémunération des bénéficiaires du dispositif à deux SMIC, afin d’amplifier la mesure pour celles et ceux qui, en première ligne, en ont le plus besoin.

Vous l’aurez compris mes chers collègues, le groupe La République En Marche votera en faveur de ce texte, sous réserve de l’adoption de notre premier amendement ; dans le cas contraire, et sans grande surprise, nous nous abstiendrons.