Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville, pour la réplique.

M. Franck Menonville. Nous avons là une occasion assez unique d’allier l’économie et l’environnement, deux enjeux qu’on oppose parfois. Cela dit, j’estime qu’il faut vraiment en rester à l’incitation plutôt que d’avoir recours à la coercition et à des taxes supplémentaires.

Permettez-moi aussi de vous dire, monsieur le ministre, que ces mesures sont sûrement plus porteuses que d’autres propositions de la Convention citoyenne, notamment la limitation de la vitesse sur autoroute à 110 kilomètres par heure,…

M. Franck Menonville. … mais aussi tout ce qui a trait à la viande et au lait. Très honnêtement, il faudra dans ce débat s’attaquer aux vrais enjeux et avoir des projets qui constitueront de véritables leviers pour l’écologie plutôt que de dresser les uns contre les autres. (M. Pierre Louault applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Férat.

Mme Françoise Férat. Monsieur le ministre, le bon sens populaire le rappelle, « quand le bâtiment va, tout va ». Aussi, le plan de relance doit passer en priorité par la construction et la rénovation énergétique efficace des bâtiments, vecteur important d’activité économique.

Notons que le secteur du bâtiment, qui représente plus d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre en France, a dépassé de plus de 22 % en 2017 la trajectoire de la stratégie bas carbone.

Le rapport de l’enquête sur les travaux de rénovation énergétique des maisons individuelles (Trémi) réalisée par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) montre que 75 % des travaux en maisons individuelles n’ont pas permis à ces logements de changer de classe dans le diagnostic de performance énergétique (DPE). Pour ne citer qu’un exemple criant, la mise en œuvre de l’isolation à un euro par des entreprises parfois peu scrupuleuses a terni l’utilité de ces travaux.

Monsieur le ministre, combien ce dispositif a-t-il coûté aux finances publiques pour un résultat aux trois quarts inefficace ?

Il faut faire évoluer les procédures et les contrôles pour que ces moyens financiers écologiques soient correctement utilisés.

Pour que les Français rénovent et investissent, il faut de la confiance. Ils doivent s’assurer que l’investissement dégagera un gain financier à moyen ou long terme.

Les plateformes de rénovation énergétique et les conseillers des espaces info énergie sont des outils fiables. Il faut que l’État soutienne plus fortement et plus durablement ces dispositifs : vous connaissez, monsieur le ministre, le temps nécessaire pour mettre en place la structure, recruter les conseillers et recouvrer la confiance des habitants.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Madame la sénatrice, vous avez utilisé le mot clé : « confiance ». Aujourd’hui, on observe que le lien de confiance est parfois perdu dans la rénovation des bâtiments. Ainsi, il arrive à des retraités de recevoir dans une seule semaine neuf ou dix appels téléphoniques visant à leur vendre une isolation à un euro : il est normal qu’ils se demandent qui a raison dans tout cela. Quand vous faites des travaux et que le contrôle qui suit est mauvais, un gros problème de confiance se pose !

C’est d’autant plus dommageable que nos artisans font un boulot formidable. Je profite d’ailleurs de cette occasion pour rappeler que, dans le plan de relance que nous mettons en place, dans la reprise des chantiers que j’évoquais, il faut absolument refaire travailler nos artisans. Nous avons établi avec eux des protocoles sanitaires ; il est important de dire sur tous les territoires : « Faites confiance à nos artisans ! »

Cela dit, la confiance n’exclut pas le contrôle. Pour ce faire, il convient de mettre en place des mesures parfaitement objectivables et comprises par chacun d’entre nous. Il existe dans le secteur de la rénovation le label « Reconnu garant de l’environnement » (RGE) : figurez-vous que les entreprises chargées de labelliser ses potentiels bénéficiaires demandent à ceux-ci de leur indiquer les chantiers à inspecter : ça ne peut pas marcher ! Quand on demande à la personne que l’on contrôle de choisir les chantiers à inspecter, on peut être sûr que tout le monde aura le label et que nos concitoyens n’auront pas confiance en lui.

C’est pourquoi, juste avant le confinement, avec Emmanuelle Wargon et Agnès Pannier-Runacher, j’ai annoncé un plan d’amélioration de ce contrôle. Je le redis, la confiance n’exclut pas le contrôle. Au titre de ce plan, les caractéristiques du label RGE seront revues. Par ailleurs, il sera mis fin au démarchage téléphonique abusif dans le domaine de la rénovation énergétique : vous avez tout récemment adopté une proposition de loi à cette fin, ce que je salue. Enfin, on fera en sorte que la labellisation soit encore renforcée. C’est une ambition que nous portons avec les artisans eux-mêmes, dont l’immense majorité fait un très beau travail : il faut faire travailler les artisans de notre pays, surtout dans la période actuelle.

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Férat, pour la réplique.

Mme Françoise Férat. Nous sommes d’accord quant au constat, monsieur le ministre. Quant à moi, pour accomplir cette relance économique conjuguée à une réelle transition écologique, je vois quatre mots clés : le conseil, qui nous ramène à vos propos sur le harcèlement téléphonique de nos concitoyens ; l’accompagnement, souvent nécessaire ; le contrôle, au sujet duquel nous sommes d’accord ; enfin, la qualité, plutôt que la quantité. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marta de Cidrac. Le secteur de la construction, auquel le secteur du logement est intimement lié, représente plus de 6 % de l’emploi et subit de plein fouet les conséquences de la crise que nous traversons. Il représente également 20 % des émissions de gaz à effet de serre. À travers ces deux chiffres, il est facile de comprendre les perspectives offertes par ce secteur, qu’il convient de soutenir pour relancer l’économie tout en y inscrivant des solutions environnementales fortes.

Je souhaite aussi rappeler que différents textes législatifs ont défini le logement décent et ont introduit des exigences d’isolation thermique et de performance énergétique.

L’Ademe estime d’ailleurs que les travaux d’isolation permettraient de réaliser jusqu’à 25 % d’économie sur la facture énergétique annuelle des ménages.

Je crois que nous pouvons tous convenir que la rénovation des logements est partie prenante de tout plan de transition écologique. Il faut aussi s’assurer, a minima, que les exigences existantes seront appliquées.

S’agissant des surfaces, rappelons qu’un logement en location est défini comme devant disposer, au moins, d’une pièce principale de 9 mètres carrés, avec une hauteur sous plafond de 2,20 mètres. Vous conviendrez, monsieur le ministre, que ce type de logement ressemble plus à un dortoir qu’à un logement digne de la France du XXIe siècle !

D’ailleurs, la crise sanitaire a aussi révélé l’importance que revêtent les critères de qualité d’un logement souvent transformé en bureau par le télétravail.

Je plaide donc pour une incitation forte à la réhabilitation et à la rénovation énergétique des bâtiments, mais j’ai aussi la conviction que nous devons nous atteler à la « reconception » du parc immobilier, dès lors que des travaux sont engagés, car la rénovation doit non pas se résumer à son volet énergétique, mais être plus globale.

Dans ce contexte, monsieur le ministre, ne pensez-vous pas qu’il faille, d’une part, redéfinir ce qu’est un logement décent, en France, en 2020, et, d’autre part, accompagner les propriétaires et instaurer, peut-être, une obligation de rénovation énergétique du logement, comme celle qui existe déjà pour les bâtiments tertiaires ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Madame la sénatrice, la loi Énergie-climat a élargi la définition de la décence, en y incorporant le volet thermique. Y sont incluses les très grosses passoires thermiques, c’est-à-dire celles qui sont les plus mal classées au sein de la classe G du diagnostic de performance énergétique. Cela représente tout de même 400 000 logements dans notre pays, logements qui seront interdits à la location à partir du 1er janvier 2023.

Pour la Convention citoyenne sur le climat, cela va dans le bon sens, mais ce n’est pas assez rapide. C’est pourquoi le volet coercitif doit être renforcé par rapport au volet incitatif : il faut toujours marcher sur ses deux jambes. Élargir la notion de décence, comme vous le soutenez, est une très bonne mesure, mais il faut aller plus loin que ce que prévoit la loi Énergie-climat. Il s’agit là d’un débat très légitime que nous aurons.

J’en viens à la rénovation, qui était votre seconde question, madame la sénatrice. Là aussi, il faut absolument aller plus loin, et ce dans tous les domaines. Le problème majeur auquel on se heurte aujourd’hui en matière de rénovation, au-delà des définitions, ce sont les trous dans la raquette. Je pense aux propriétaires bailleurs pour lesquels les dispositifs incitatifs ne sont pas efficients. Ne faut-il pas alors passer directement à des mesures coercitives ? Cela étant, et je me réfère à ce que j’ai répondu à Joël Labbé, jusqu’où aller dans le coercitif quand l’incitatif ne fonctionne pas ?

Il faut bien mesurer d’où l’on part : aujourd’hui, dans le parc locatif privé, un logement sur deux est une passoire thermique. Il faut arriver à trouver le bon équilibre entre l’incitatif et le coercitif. Encore une fois, la Convention citoyenne sur le climat nous exhorte à aller plus vite que ce que nous avions prévu de faire. C’est cela qu’il nous faut retenir et mettre en œuvre à la suite de ses travaux.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac, pour la réplique.

Mme Marta de Cidrac. Monsieur le ministre, de mon point de vue, il ne s’agit pas de trancher entre coercition ou incitation. Nous sommes tous conscients du problème.

Aujourd’hui, il nous faut nous intéresser à l’accompagnement des classes moyennes. En effet, toutes les aides existantes sont fléchées vers les classes les plus modestes. C’est très bien, mais, souvent, ce ne sont pas elles qui entreprennent des travaux. N’oublions pas les classes moyennes. Tous les Français ont besoin de ce dispositif : les études réalisées à l’issue de la crise sanitaire révèlent toutes qu’ils envisagent d’améliorer leur logement. Ce qui est apparu, c’est bien l’inégalité d’hébergement. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Indépendants.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme Viviane Artigalas. Monsieur le ministre, la crise de la Covid-19 a montré l’importance de la qualité des logements pour télétravailler, étudier ou tout simplement vivre en période de confinement. Cette qualité dépend directement des bailleurs sociaux, qui sont des acteurs majeurs de la construction et de la rénovation de logements. Or, en touchant le secteur du bâtiment, la crise a provoqué un retard de trois mois dans leurs travaux : aujourd’hui, seuls 69 % des chantiers affichent un niveau d’activité pleine.

Les bailleurs sociaux sont pourtant des moteurs de la relance économique, en vertu de leur relation avec les territoires. Bien avant la crise, leur situation financière avait été fragilisée par les décisions du Gouvernement prises depuis deux ans. Pour rappel, la réduction de loyer de solidarité (RSL), décidée à la suite de la baisse des APL, a fortement affecté leurs ressources et les a obligés à puiser dans leurs fonds propres. Cela représente un prélèvement d’environ 1,5 million d’euros par an pour l’office public de l’habitat des Hautes-Pyrénées, ce qui limite sa capacité d’investissement. En outre, la plupart des dispositifs de compensation sont nettement insuffisants et concernent très largement les zones tendues.

Cette accumulation de difficultés risque d’empêcher nombre de bailleurs sociaux de participer à la relance de la commande publique. C’est tout un écosystème qui attend que l’État redevienne un acteur du financement du logement social et le garant de la solidarité nationale.

Il est donc plus que nécessaire de revenir sur les réformes qui ont mis les bailleurs sociaux en difficulté : reconnaître le logement social comme un bien d’utilité publique avec une TVA à 5,5 %, revaloriser les APL, bloquer la RLS a minima à son niveau actuel et, par conséquent, abandonner le palier d’augmentation prévu pour 2022.

Monsieur le ministre, quelles réponses pouvez-vous apporter à ces légitimes demandes ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Madame la sénatrice Artigalas, nous partageons le même objectif : faire en sorte que le logement social, qui est un bien dans notre nation que beaucoup d’autres pays nous envient, ait les moyens de participer en tant que donneur d’ordre à la relance de l’activité, d’autant que le nombre de logements sociaux nécessaire dans notre pays est extrêmement important.

Quels sont les appuis pour ce faire ? On me parle très souvent de la RLS, mais beaucoup moins souvent de toutes les lignes de soutien que l’on met en place. Songez que, cette année, les titres participatifs que j’ai déjà évoqués oscilleront entre 900 millions d’euros et 1 milliard d’euros : c’est du quasi-fonds propres pour les offices, qui, par définition, n’ont pas de fonds propres. Je ne trahirai pas un secret en révélant que le président d’une grande fédération des offices publics de l’habitat – c’est d’ailleurs la seule ! (Sourires) – a affirmé que nous n’aurions pu trouver meilleur outil pour soutenir les bailleurs sociaux dans la crise que celui que nous avions déjà inventé.

Je le dis d’autant plus sereinement que cela ne vient pas de moi : Mme Estrosi Sassone a milité depuis le premier jour avec le président des OPH en faveur des titres participatifs. Le fait est qu’ils sont particulièrement utiles dans cette période : je le répète, nous finirons l’année avec 900 millions d’euros, voire 1 milliard d’euros, alors que nous avions prévu au mieux 400 millions d’euros.

Dans le même temps, nous avons ouvert une ligne de trésorerie de 2 milliards d’euros pour les bailleurs sociaux. L’ensemble des dispositifs de la Banque des territoires au bénéfice de ces acteurs représente plusieurs milliards d’euros. Il en est de même pour Action Logement.

Je rappelle qu’il a fallu neuf mois de travaux pour parvenir à deux accords. L’un d’entre eux prévoyait plus de 25 % de rénovation, je l’ai dit, mais surtout 110 000 agréments par an. L’année dernière, 109 000 agréments ont été accordés. L’objectif est donc atteint. Nous devons continuer de trouver chaque fois des solutions pragmatiques. Soyez sûre que je le ferai avec la même volonté, car je partage le même objectif que vous, madame la sénatrice.

Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour la réplique.

Mme Viviane Artigalas. Monsieur le ministre, je sais que vous agissez et j’entends ce que vous dites, mais je vous répète que l’État doit redevenir financeur en abondant le Fonds national des aides à la pierre (FNAP) en lieu et place d’Action Logement – il ne peut pas se décharger sur d’autres organismes de ses responsabilités – et les fonds de solidarité pour le logement.

L’État doit également être un garant de la solidarité nationale en sécurisant l’accès des particuliers au logement, en rétablissant l’APL accession et le prêt à taux zéro dans les zones détendues.

Monsieur le ministre, on vous l’a déjà dit, vous devez revoir votre politique du logement. Pour cela, appuyez-vous sur l’excellent rapport d’information de nos collègues Annie Guillemot et Dominique Estrosi Sassone. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Louault.

M. Pierre Louault. Je remercie tout d’abord celles et ceux qui sont à l’origine de ce débat, mais je ne voudrais pas que celui-ci s’achève sans que soit évoqué le devenir de 80 % de notre territoire, même s’il ne représente plus que 20 % de la population. Je souhaite aborder le bâti rural et le logement dans ces mêmes territoires, qui sont en permanence oubliés, quand ils ne sont pas tout simplement condamnés par la loi.

Monsieur le ministre, aujourd’hui, l’empilement des règles et des dispositions du code de l’urbanisme, par leur inadaptation aux territoires ruraux, interdisent tout simplement la plupart du temps la construction…

M. Jean-Marc Boyer. Exactement !

M. Pierre Louault. … tout comme la réhabilitation de l’habitat ancien. Les paysans ont peur des néo-ruraux, lesquels, il faut bien le reconnaître, ignorent tout de la vie des territoires ruraux et de la vie de l’agriculture. (Murmures sur les travées des groupes LaREM et SOCR) Si nous voulons soutenir l’habitat, il faudra protéger les activités naturelles des espaces ruraux.

Oui, mesdames et messieurs les gens de la ville, si vous voulez que les territoires ruraux vous accueillent après le déconfinement,…

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ces territoires appartiennent à tout le monde ! Nous sommes tous des citoyens de la République !

M. Pierre Louault. … il faut respecter le travail qui y est accompli au quotidien. Dans le même temps, la loi doit permettre de développer l’urbanisme dans les territoires ruraux en supprimant un certain nombre de règles et en adaptant le code de l’urbanisme. Certes, il faut que les constructions neuves se fassent en continuité du bâti existant, mais il faut donner aux communes la possibilité d’acquérir ces terrains pour de nouvelles constructions.

Monsieur le ministre, allons-nous enfin donner une chance à ces territoires en adaptant le code de l’urbanisme, en y protégeant mieux les activités agricoles, nécessaires à l’entretien de l’espace rural pour construire et réhabiliter le bâti existant ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Monsieur le sénateur Louault, les politiques du logement et les politiques agricoles sont-elles compatibles ? Il se trouve qu’en plus d’être ministre du logement je suis ingénieur agronome.

M. Pierre Louault. Cela tombe bien !

M. Julien Denormandie, ministre. Comme quoi, la vie est bien faite ! (Sourires.)

La question fondamentale que vous posez est celle des politiques d’aménagement du territoire. On pourrait parler de manière très spécifique : dans les bourgs, les questions qui se posent provoquent des débats très endiablés, par exemple sur ce que l’on appelle les « dents creuses ». Je ne voudrais surtout pas, en prononçant ces mots, rouvrir un débat qui nous a déjà occupés des heures et des heures, mais qui est extrêmement important !

Je fais partie de ceux qui considèrent que faire de l’aménagement du territoire ne signifie pas figer le territoire à un moment donné. Il ne s’agit pas de se dire que, parce que tel territoire a telle configuration, toute action ne devrait viser qu’à en amplifier la cartographie, telle qu’elle est aujourd’hui. Non, il faut donner leur opportunité à tous les territoires.

Depuis trois ans, je me bats, d’abord avec Jacques Mézard, ensuite avec Jacqueline Gourault, pour revitaliser les villes moyennes. Si Jacqueline Gourault est aujourd’hui en train de présenter un plan sur les villes de demain, c’est-à-dire les villes de très petite taille, c’est précisément pour cela. Certes, il faut adapter nos législations, tenir compte de la spécificité de chaque territoire, régler des problèmes comme ceux des dents creuses, mais il faut surtout réussir à concilier deux impératifs : l’impératif d’aménagement du territoire et l’impératif écologique. Il faut réussir à rénover plutôt qu’à artificialiser les sols. La grande difficulté, c’est que rénover coûte souvent plus cher.

Les politiques fiscales ont toujours concouru à faire de l’artificialisation des sols, parce qu’elles privilégiaient la création de zones pavillonnaires à la rénovation des centres-villes. En tant que ministre du logement, mon rôle consiste à favoriser la rénovation des centres-villes. Ce faisant, je ne porte aucun jugement de valeur sur les pavillons : je considère qu’une politique d’aménagement du territoire se pilote aussi de cette manière.

Telle est mon action depuis trois ans. La route est encore longue, mais nous devons avancer dans ce sens.

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Piednoir.

M. Stéphane Piednoir. Monsieur le ministre, nous connaissons et mesurons tous les obstacles autant financiers qu’opérationnels qui se dressent sur le chemin menant aux multiples objectifs environnementaux, tous plus ambitieux les uns que les autres, que nous inscrivons régulièrement dans le marbre des textes législatifs.

Nous nous accordons aussi globalement sur l’urgence de la situation. Par conséquent, de toutes les démarches utiles, il me semble que nous devrions privilégier les plus efficientes.

Or nous savons que le secteur du logement et du bâtiment constitue un axe primordial dans la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre. Si le logement individuel ou collectif concentre généralement l’essentiel de l’attention des pouvoirs publics, nous devrions aussi regarder du côté du patrimoine de l’État, des collectivités et, plus globalement, des structures publiques.

Dans le cadre du groupe de travail « Enseignement supérieur » que j’ai piloté au nom de la commission de la culture, mes collègues et moi-même avons recommandé un plan de rénovation des bâtiments universitaires, facteur à la fois de relance économique sur le plan local et de démarche écologique, en écho aux propos qu’a tenus le Président de la République le 14 juin dernier.

Avec ses 18,6 millions de mètres carrés, dont un tiers est classé passoire énergétique, le parc immobilier universitaire est un gros consommateur d’énergie. Les simulations d’ores et déjà effectuées à partir d’un échantillon d’universités expérimentales démontrent que la rénovation des campus induit une réduction de charges très importante.

Là où la rénovation globale des logements est encore difficile à mettre en place, celle des bâtiments publics peut et doit être un levier d’action. Les universités sont prêtes à s’engager dans de tels investissements, qui permettent de créer des emplois, de soutenir le secteur du BTP et de limiter les émissions de gaz à effet de serre.

Monsieur le ministre, votre gouvernement est-il prêt à élaborer des contrats de plan État-université pour la rénovation des bâtiments universitaires ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir m’excuser de n’avoir pas pris connaissance de votre document, ce que je ferai avec grand plaisir : je n’ai donc pas en tête le détail des propositions que vous formulez et je ne voudrais pas m’engager par une réponse très précise sur l’une de vos propositions qui, j’en suis sûr, est très pertinente.

Évidemment, de manière générale, je partage le constat que vous dressez. Là encore, il s’agit d’un débat compliqué. Oui, la rénovation des universités est une nécessité impérieuse. C’est d’ailleurs tout aussi vrai pour les écoles et le ministre Jean-Michel Blanquer a lancé un plan important de rénovation des écoles. J’y prends ma part de manière significative, au titre de la politique de la ville, puisque l’ANRU rénovera plusieurs centaines d’écoles.

Pour le bâti universitaire, il nous faut trouver les bons moyens. Nous savons que la valorisation du foncier des universités permettrait de réaliser plusieurs innovations : là aussi, le débat est plus complexe qu’il n’y paraît et c’est pour cela que je suis prudent dans ma réponse. Pas plus tard qu’hier, des intervenants sont venus me voir avec l’idée qu’il faudrait coupler les deux aspects, c’est-à-dire engager une valorisation pour financer la rénovation.

Élaborer un projet global, c’est faisable : des acteurs de la rénovation sont prêts à le faire. Peut-être est-ce là une piste qui va dans le sens des recommandations que vous avez formulées. J’en parlerai avec ma collègue Frédérique Vidal, parce que le sujet que vous évoquez est très important et il faut trouver les bonnes réponses.

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Piednoir, pour la réplique.

M. Stéphane Piednoir. Pour apporter un peu d’eau à ce moulin, je précise que, si l’une des préconisations vise à renouveler l’ensemble des bâtis, on peut imaginer une période expérimentale de deux à trois mois avec une dizaine d’universités qui représenteraient par exemple 500 000 mètres carrés sur les 18 millions que j’ai cités : cela permettrait de mesurer l’efficacité d’un tel plan de rénovation des campus – je parle des bâtiments dans leur ensemble, c’est-à-dire aussi des logements étudiants – avant d’en envisager la généralisation sur l’ensemble des campus.

Il s’agit là, me semble-t-il, de solutions pragmatiques et réalistes, assez loin des incantations idéologiques qu’on a pu entendre récemment et qui ont peut-être pour vocation unique de braquer les acteurs et, in fine, de maintenir le statu quo.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot.

M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le ministre, je souhaite aborder le sujet de la rénovation énergétique des logements, car il répond à trois enjeux forts.

Il répond d’abord à un enjeu environnemental, puisque le secteur du bâtiment représente 43 % de la consommation d’énergie finale en France et compte pour près du quart des émissions de gaz à effet de serre.

Il répond ensuite à un enjeu social, puisque 12 millions de nos concitoyens sont en situation de précarité énergétique. Le médiateur national de l’énergie a d’ailleurs signalé une hausse significative des interventions pour impayés de factures d’énergie en 2019.

Il répond enfin à un enjeu économique. On recense ainsi en France 7,5 millions de passoires énergétiques : autant de chantiers non délocalisables en perspective pour lancer fortement ce secteur fondamental dans notre économie, celui du bâtiment et des travaux publics.

Le Président de la République a annoncé le 14 juin dernier un plan de modernisation du pays, notamment autour de la rénovation thermique des bâtiments. Cette ambition nécessite une implication forte de l’État à une tout autre échelle que les politiques menées ces dernières années. Nous savons tous que le Green Deal de la rénovation n’a pas eu lieu : on peut même dire que la France piétine sur ce chantier pourtant majeur.

Aussi les parlementaires socialistes proposent-ils d’engager une approche nouvelle de la rénovation thermique des bâtiments en créant immédiatement une prime unique pour le climat. Cette prime universelle aurait pour objectif d’accompagner l’ensemble des propriétaires du parc privé dans la réalisation de travaux améliorant significativement la performance énergétique du logement. Elle permettrait de préfinancer jusqu’à 100 % des coûts de rénovation thermique en fonction des ressources des ménages.

Ce dispositif aurait l’avantage de lever les trois principaux freins à la rénovation. Premier frein, le manque d’accompagnement des ménages dans leur projet de rénovation. C’est pourquoi le dispositif prévoit un accompagnement renforcé des ménages par l’ANAH. Deuxième frein, le reste à charge, qui est souvent trop élevé. Troisième frein, la multiplicité des aides à la rénovation. C’est pourquoi la prime pour le climat prévoit aussi de fusionner les différents dispositifs existants afin de les rendre plus lisibles et accessibles.

Monsieur le ministre, nous vous proposons ce dispositif, construit avec les apports des principaux acteurs du logement au travers de nombreuses auditions, pour un véritable changement d’échelle de la rénovation énergétique dans notre pays. Vous en saisirez-vous pour accompagner concrètement le plan de modernisation annoncé par le Président de la République ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)