MM. Jean Bizet et Christian Cambon, président de la commission des affaires européennes et président de la commission des affaires étrangères. Très bien !

M. Pascal Allizard. Une chose est sûre, les crises et dysfonctionnements des dernières années ont conduit – je le déplore – à une défiance à l’égard de l’Union européenne.

Compte tenu, d’une part, de la réaffirmation des grandes puissances et des acteurs régionaux, d’autre part, du montant des dettes engagées pour surmonter la crise sanitaire en Europe, nous ne pouvons pas, madame la secrétaire d’État, nous payer le luxe d’échouer. Ce serait à la fois déplorable et dangereux.

L’Europe, c’est vrai, n’est pas parfaite ; elle doit être adaptée à ces nouveaux paradigmes. C’est, je crois, non pas aux hauts fonctionnaires européens de le faire, mais bien aux États qui la composent d’en être les moteurs. Si cette crise doit amener un progrès, c’est peut-être celui-là ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot.

M. Jean-François Longeot. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le sommet qui s’est tenu vendredi dernier a donné lieu à des réactions ambivalentes. Il a été qualifié de première étape importante par certains, d’échec par d’autres. Une fois encore, la vérité se trouve sans doute entre les deux positions.

En effet, ce sommet entérine un changement de lignes sur notre continent.

Tout d’abord, il témoigne du retour d’un couple franco-allemand à l’initiative, donnant une impulsion politique nécessaire face à la menace existentielle de lignes de fracture irréconciliables qui s’étaient esquissées, en mars, entre le nord et le sud de l’Europe.

Ensuite, si le plan de relance, post-crise sanitaire, mais pré-crise économique, a été discuté pour la première fois et s’il est encore loin de faire l’unanimité, il marque un tournant majeur dans l’intégration du continent : celui de l’emprunt commun. Face à une crise imputable à personne, mais affectant tout le monde, la logique d’une dette mutualisée permet de casser la logique de blocs qui empoisonne les discussions européennes, tout en traduisant une souveraineté commune, sur laquelle je reviendrai.

S’agissant du cadre financier pluriannuel, je partage pleinement la position du Parlement européen : de nouvelles ressources fiscales propres à l’Union européenne permettant d’alléger les contributions des États membres sont indispensables.

Plusieurs pistes sont à l’étude, et ce depuis de nombreuses années déjà. Il reviendra aux chefs d’État de trancher afin d’avancer. Je défends, pour ma part, la position, adoptée par le Sénat le 14 janvier dernier, d’une taxe carbone aux frontières, mais je suis également favorable à un élargissement des recettes collectées sur le marché du carbone européen, ou encore à une taxe sur les transactions financières, mesure également défendue par le Sénat depuis 2013.

Madame la secrétaire d’État, concernant ce cadre financier et face aux nombreux sujets de désaccord, le maintien des rabais sera-t-il une des solutions pour, finalement, aboutir à un accord avant la fin de l’année ?

Enfin, plus généralement, face à la crise sanitaire, l’Union européenne a choisi de se mettre en retrait, qu’il s’agisse de la suspension des règles budgétaires et du droit de la concurrence, du rétablissement des frontières, ou encore de la suspension des principales libertés publiques. Les États-nations ont dès lors recouvré leur souveraineté pour répondre à l’urgence de la crise.

Mais face à la crise économique, il nous faut désormais investir à l’échelon européen une souveraineté nouvelle : commerciale, en filtrant les investissements dans les secteurs stratégiques ; industrielle, en développant des projets importants d’intérêt européen commun ; stratégique, en s’affirmant comme un pôle d’équilibre entre les États-Unis et la Chine.

À ce titre, madame la secrétaire d’État, alors que l’Europe et la Chine affichent l’ambition partagée d’un accord bilatéral sur la protection des investissements, quels sont les points d’attention de la France concernant un tel accord ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny.

Mme Pascale Gruny. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les chefs d’État et de gouvernement européens étaient réunis ce vendredi pour discuter du plan de relance européen de 750 milliards d’euros, censé aider le vieux continent à sortir d’une récession historique.

Comme il fallait s’y attendre, ce Conseil européen a une nouvelle fois mis au jour les profondes divergences entre les Vingt-Sept sur ce sujet. Les discussions achoppent toujours sur les modalités concrètes d’application de ce plan, que ce soit son volume total, la répartition des sommes, ou encore la nature des aides.

Les discussions n’ont pas non plus beaucoup progressé concernant le prochain cadre financier pluriannuel pour la période couvrant les années 2021 à 2027.

Quand les pays dits « frugaux » souhaitent une baisse importante du budget des politiques traditionnelles et s’accrochent à leurs rabais, les autres pays, dits « amis de la cohésion », plaident au contraire pour un budget ambitieux et doté de ressources propres pour éviter les coupes envisagées dans le budget de la cohésion et de la politique agricole commune.

À propos de cette dernière, saluons la majoration de 4 milliards d’euros sur le premier pilier et de 5 milliards d’euros sur le second, auxquels devrait s’ajouter un abondement de 15 milliards d’euros dans le cadre du plan de relance.

Cet effort sera toutefois loin de compenser la baisse de 8 % à 10 % du budget de la politique agricole commune en euros constants. Les Européens ne semblent toujours pas avoir pris conscience de l’importance stratégique de leur agriculture, alors même que celle-ci a démontré toute sa capacité à assurer l’approvisionnement alimentaire de 500 millions de consommateurs au plus fort de la crise !

À l’heure où l’on parle de relocalisation et de souveraineté retrouvée, n’oublions pas que le secteur agricole est l’un des rares domaines dans lesquels notre pays a gardé une réelle capacité à produire !

N’affaiblissons pas notre souveraineté alimentaire par des décisions hasardeuses, comme la proposition incompréhensible de la Commission européenne de baisser de 10 % la superficie des terres cultivables en Europe et, donc, en France.

Pour revenir à l’instrument de relance au centre des discussions des Vingt-Sept, plusieurs propositions doivent être saluées, comme la création d’un nouveau programme de santé, EU4health, doté de 7,5 milliards d’euros et destiné à renforcer la sécurité sanitaire et à anticiper les futures crises.

La concentration des engagements de dépenses sur une période courte – 2021-2024 – est également un choix bienvenu ; elle soulève néanmoins des enjeux importants en termes de capacité de mise en œuvre, d’ingénierie et d’absorption des fonds.

Ne reproduisons pas la technicité de la politique de cohésion, qui aboutit souvent à une sous-consommation des fonds européens.

Enfin, la question des ressources propres de l’Union est un sujet majeur. La Commission souhaite les développer pour soulager les budgets nationaux et rendre le budget européen moins dépendant des contributions des États membres. Mais elle doit encore clarifier ses propositions et, surtout, veiller à maîtriser l’imposition globale pesant sur les ménages et les entreprises.

N’ajoutons pas encore à l’overdose fiscale qui touche beaucoup de pays européens, à commencer par la France.

L’Europe doit s’atteler rapidement au projet de barrière écologique aux frontières de l’Union européenne, comme l’a réclamé le Sénat dans une récente résolution soutenue par nos collègues Jean-François Husson et Bruno Retailleau.

En taxant les produits provenant de pays qui s’affranchissent de toute réglementation environnementale, nous renforcerons la compétitivité de nos entreprises et de nos agriculteurs, soumis à des normes beaucoup plus exigeantes que leurs partenaires commerciaux.

Pour conclure, mes chers collègues, je veux dire que les chefs d’État et de gouvernement se retrouveront en juillet pour tenter de débloquer la situation. Il y a urgence, et vous l’avez dit, madame la secrétaire d’État. Un échec des négociations serait désastreux : politiquement, il alimenterait les tendances nationalistes ; économiquement, il aggraverait encore la récession et la hausse du chômage. Les Européens sont donc condamnés à réussir, sous peine de discréditer définitivement le projet européen.

Car l’Europe traverse depuis dix ans une succession de crises qui ont montré ses fragilités et ont accru la défiance des opinions publiques envers la construction européenne : crise économique et financière, crise sécuritaire avec la résurgence des attentats terroristes, crise migratoire, crise sanitaire.

Nos pays étant interdépendants, chacun doit prendre conscience que la bonne santé économique de tous est dans l’intérêt de chacun !

Le prochain Conseil européen de juillet devra donc incarner cette indispensable solidarité européenne et montrer à nos concitoyens que l’Europe est capable de les protéger, enfin. Pour cela, elle doit réussir à dépasser ses divisions pour se hisser à la hauteur des enjeux auxquels notre continent doit aujourd’hui faire face. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat.

M. Cyril Pellevat. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, voilà près de soixante-dix ans que l’intégration européenne se poursuit et que les divers pays du continent européen collaborent, coopèrent et créent des liens toujours plus étroits.

La construction européenne n’a cependant pas toujours été aisée et a connu son lot de complications.

L’Union a traversé plusieurs crises, et nous ressentons encore aujourd’hui les effets de certaines d’entre elles. Mais, même s’il n’a pas toujours été facile de trouver des solutions satisfaisantes pour tous, l’Union européenne a jusqu’à présent réussi à les dépasser.

Avec l’arrivée de la pandémie sur le territoire européen, nous sommes de nouveau confrontés à une crise majeure, risquant d’ébranler le modèle européen. Et si nous voulons nous en relever, une réponse forte et coordonnée est nécessaire.

Cette collaboration a permis de faire aujourd’hui de l’Union européenne la deuxième puissance économique mondiale, et il faut tout mettre en œuvre pour la maintenir à ce niveau, pour le bien de l’Union comme de la France.

Mais si l’économie est une part essentielle de sa construction, l’Union européenne représente aussi le partage de valeurs et de principes démocratiques, d’entraide et de solidarité.

Le respect de ces valeurs sera essentiel pour maintenir ce qui a été construit jusqu’à présent. Il n’est pas possible, au regard de l’ampleur de la crise, de s’en sortir sans pouvoir compter sur nos partenaires européens, mais également sans qu’ils puissent compter sur notre soutien.

Ainsi, la proposition de la Commission européenne d’adosser au cadre financier pluriannuel un instrument de relance, outil de redistribution et de solidarité, composé de 500 milliards d’euros de subventions et de garanties qui ne devront pas être remboursés, ainsi que de 250 milliards d’euros distribués sous forme de prêts, est une solution forte et satisfaisante, qui reflète ces principes sur lesquels l’Union européenne s’est bâtie.

Des divergences entre les États membres se font pourtant sentir, et pour certains, dits « frugaux », l’absence de remboursement n’est pas envisageable. Ils estiment l’émission de prêts plus adaptée ou souhaitent voir ces subventions assorties de conditions, tel que cela avait été mis en place pour les pays en difficulté lors de la crise des dettes souveraines.

Émettre uniquement des prêts ne me semble cependant pas envisageable, comme vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d’État.

Assortir la distribution des subventions de conditions relatives au respect des priorités de la Commission – numérique, écologie, amélioration de la compétitivité économique – rappelle cependant de mauvais souvenirs aux pays ayant dû par le passé se plier à de nombreuses exigences, afin d’obtenir des prêts.

En outre, la facilité pour la reprise et la résilience s’intégrera dans le cadre du semestre européen, ce qui impliquera en tout état de cause un dialogue exigeant entre les États membres et l’Union.

Nous le savons, aucune proposition ne pourra pleinement satisfaire tous les États membres. Mais il est urgent de trouver une solution si nous souhaitons conserver la confiance des marchés financiers et éviter d’attiser un rejet massif du modèle européen par nos concitoyens, doutant de l’efficacité de l’Union.

Par ailleurs, il est important de rappeler que les États-Unis prévoient un plan de relance trois fois plus important que le nôtre. Si nous ne parvenons pas rapidement à un accord, de grands groupes américains pourraient alors en profiter pour acquérir de larges parts de marché en Europe.

Il devient donc de plus en plus impératif de trouver un compromis. Mais il faut aussi apprendre des erreurs du passé, et ne pas les reproduire.

Ainsi, des conditions trop strictes ne me semblent pas envisageables. Il serait toutefois intéressant, afin de parvenir le plus rapidement possible à un accord, de consentir à poser certaines conditions, sans qu’elles soient trop lourdes pour les États, comme cela a pu être le cas par le passé. Ainsi, madame la secrétaire d’État, j’aurais aimé connaître votre position au sujet de cette conditionnalité des subventions.

Par ailleurs, j’évoquerai le sujet de la défense.

La semaine dernière, l’Union européenne a sélectionné seize projets pour soutenir le développement des capacités de la défense et trois projets consacrés aux technologies de rupture qui seront menés à l’échelle paneuropéenne. Ceux-ci bénéficieront ainsi d’un financement à hauteur de 205 millions d’euros. C’est un pas important, et l’on peut s’en réjouir. Pourtant, dans les discussions sur le cadre financier pluriannuel, le Fonds européen de la défense apparaît toujours comme une variable d’ajustement.

En février dernier, Gisèle Jourda et moi-même avions présenté une proposition de résolution européenne qui soulignait la nécessité, si l’on veut réellement assurer l’autonomie stratégique de l’Union et renforcer sa base industrielle et technologique de défense, de doter ce fonds à la hauteur initialement prévue. La nouvelle proposition de CFP présentée par la Commission est, à cet égard, décevante. À l’issue de ce Conseil européen, madame la secrétaire d’État, pensez-vous encore possible de relever de manière significative les crédits consacrés au Fonds européen de la défense et, si oui, quelle est votre cible ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire dÉtat. Avant de répondre à vos questions, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais vous faire part d’un sentiment. Au fond, ce débat a quelque chose d’un peu d’étrange : à droite comme à gauche, vous avez les uns et les autres oscillé entre une bonne dose de déception, considérant que les choses auraient pu aller plus vite, et une forme de pessimisme, considérant que nous n’y arriverions pas.

Plusieurs d’entre vous ont souligné que nous étions pugnaces et déterminés. C’est en effet le cas, et il faut vraiment beaucoup de détermination, de persévérance et de courage pour, comme l’a fait depuis maintenant trois ans le Président de la République, convaincre successivement la Chancelière, la Commission, une majorité d’États membres et le Parlement européen et parvenir à mettre sur la table ce plan de relance solidaire, ambitieux, qui répond à nos besoins.

Nous avons parcouru un long chemin. Voilà quelques semaines, nous nous demandions encore si un plan européen verrait le jour, si une réponse solidaire allait être apportée. L’idée d’un endettement commun, qui est désormais reconnue par tous comme possible, n’était même pas sur la table ! Force est de reconnaître que le déblocage de 500 milliards d’euros de subventions budgétaires est déjà en soi une réussite.

Faire adopter un tel plan de relance en quelques jours, ce n’est pas crédible. Le confinement est entré en vigueur en France le 16 mars et nous sommes aujourd’hui le 23 juin, trois mois après le début d’une crise inédite : l’Europe n’a jamais avancé aussi vite. Le rythme est peut-être encore trop lent, mais il faut rester lucide.

Je veux maintenant aborder une question non pas rhétorique, mais hautement politique. Les uns et les autres, vous avez dit que les Français exprimaient de la défiance à l’égard de ce projet européen. Pour moi, la clarté est la seule manière de combattre cette défiance, et chacun doit donc marquer très clairement son soutien politique ou son opposition à ce plan de relance.

Je le dis avec un peu de passion parce que j’ai entendu, à droite, François-Xavier Bellamy, président de la délégation française au sein du groupe PPE, ou Geoffroy Didier, auditionné tout à l’heure par l’Assemblée nationale, exprimer très explicitement leurs doutes, leurs suspicions permanentes sur ce que nous faisons, parlant même de fédéralisme au sujet de ces ressources propres.

Il ne faut pas mentir aux Français, il ne faut pas agiter les épouvantails habituels ; il faut être très clair : oui ou non la délégation française au sein du groupe PPE du Parlement européen soutient-elle ce plan de relance ? Nous avons besoin de clarté, parce que la crédibilité de la parole française dépend de moi, de vous aussi, mais également des votes qui seront exprimés au Parlement européen.

Dans cet hémicycle, vous devrez vous prononcer sur la décision de doter l’Union de ressources propres. Soit vous voterez pour, soit vous voterez contre, soit vous vous abstiendrez – sans qu’on sache vraiment ce que ce dernier choix signifierait. Oui ou non acceptera-t-on de contracter des dettes communes au profit de l’Italie ou de l’Espagne ?

À gauche, vous dites que ce plan ne doit bénéficier qu’à certaines entreprises, qu’aux secteurs les plus touchés. Je suis incapable, à ce jour, de fixer cette ligne de partage des eaux sachant que, derrière, ce sont des familles et des emplois qui sont en jeu, qu’il nous faut bien sûr engager la transition énergétique et la transition numérique. Le but, c’est de sauver l’emploi en Europe, et personne n’a envie que l’argent de l’Europe serve à créer des emplois ailleurs. Mais adhérez-vous à cette logique et estimez-vous que c’est là une bonne mesure ? Ce ne serait pas suffisant ; mais êtes-vous d’accord pour considérer que, avec 500 milliards d’euros, nous franchissons déjà une sacrée étape ?

Je répondrai précisément aux différentes questions qui ont été soulevées, mais, auparavant, je tiens à dire avec beaucoup de force, que, sans soutien – un soutien qui ne soit pas du bout des lèvres, un soutien qui n’aille pas de pair avec le regret que les choses n’aillent pas assez vite –, je ne pourrai pas, dans le sillage du Président de la République, mener le travail que je conduis partout en Europe.

Je ne vise personne ici en particulier, et, pour beaucoup d’entre vous, votre engagement est sincère et entier. Pour autant, la clarté s’impose au sein de vos familles politiques.

Je le constate également à l’occasion de mes déplacements : le débat sur le fonds de relance européen est hautement politique en Autriche et aux Pays-Bas ; il n’est question que de cela au sein des coalitions gouvernementales qui y sont au pouvoir et ce sujet y est matière à débat bien plus que d’autres questions politiques nationales. C’est là un enjeu existentiel, qui marque une ligne de partage entre la vision qu’a chacun de la souveraineté nationale et de la manière dont celle-ci doit s’appuyer ou non sur une souveraineté européenne.

Certains estiment qu’il convient de s’appuyer sur une Europe beaucoup plus forte pour s’en sortir, tandis que d’autres pensent le contraire.

Des questions se poseront dans les semaines qui viennent. Nous avons pris notre bâton de pèlerin et faisons notre part du travail. Mais, je le répète, les uns et les autres devront clarifier leur position, indiquer le sens de leur vote sur les ressources propres au Parlement européen et, à l’automne, à l’Assemblée nationale et au Sénat.

Le Président de la République, le Gouvernement et moi-même, avec toute notre énergie, menons la bataille et sommes à la manœuvre. Maintenant, j’ai besoin de vous et j’ai besoin que vous nous aidiez à aider non pas l’Europe pour elle-même, mais les Français, parce que ce sont eux qui sont concernés par ce plan.

J’en viens maintenant à vos questions.

M. Rapin m’a interrogée sur le calendrier. Des discussions bilatérales sont menées par Charles Michel pour préparer la rencontre des 17 et 18 juillet. En parallèle, les États membres, en particulier l’Italie, la France et l’Allemagne, tentent ensemble d’identifier leurs besoins mutuels, ce qu’il faudra inclure dans le futur accord, notamment de manière à s’assurer, à l’automne, une majorité dans chacun des parlements nationaux sur cette question des ressources propres.

L’Allemagne prenant la présidence de l’Union à partir du 1er juillet, la Chancelière jouera bien sûr un rôle d’entraînement majeur pour parvenir, si, comme nous, elle le souhaite, à un accord avant la fin du mois de juillet.

Comme tous les parlements nationaux, le parlement français se prononcera à l’automne sur cette décision relative aux ressources propres, ce qui nous permettra d’engager le 1er janvier 2021 le plan de relance et le budget 2021-2027.

Y aura-t-il un plan de contingence, à défaut d’accord ? Nous ne travaillons pas dans l’optique d’un tel scénario. À l’échelon européen, plus personne n’a dans l’idée que nous pourrions nous offrir le luxe d’un budget transitoire ou d’un budget de contingence. Nous espérons donc que, au mois d’octobre au plus tard, quand le plan de relance européen sera connu, les plans de relance nationaux pourront être lancés, le dialogue politique engagé avec la Commission pour que, au 1er janvier 2021, l’ensemble de la machine se mette concrètement en marche.

Que se passera-t-il dans le cas où les ressources propres seraient insuffisantes, nécessitant que les remboursements soient assurés par les contributions nationales ?

Entre 2021 et 2027, dans le cadre du budget européen, nous paierons les intérêts, à savoir 20 milliards d’euros pour 500 milliards d’euros d’emprunts. En ce moment, l’argent ne coûte pas très cher. Pour la période postérieure à 2028, nous rembourserons le principal.

Les paramètres sont nombreux : les ressources propres, le volume des rabais – certains d’entre vous aimeraient bien qu’on en finisse avec cette dynamique de rabais et de juste retour, qui n’est pas cohérente avec la nature du marché intérieur –, les frais de collecte, la ressource liée à la TVA. Autant de paramètres dont la moindre variation a une incidence très forte sur notre propre équation, sachant que notre pays est contributeur net et ne bénéficie d’aucun rabais.

Monsieur le président Cambon, vous m’avez interrogée, comme d’autres, sur le Fonds européen de la défense. Doté initialement de 13 milliards d’euros, son montant a oscillé par la suite entre 6 et 7 milliards d’euros, pour atteindre aujourd’hui 9 milliards d’euros. Ces variations sont le signe que certains sont à la manœuvre… Paradoxalement, le fait que la présence des troupes américaines dans certains pays soit un sujet de questionnement remet le sujet d’une défense européenne sur le devant de la scène et montre qu’un engagement européen en faveur de notre propre sécurité est plus que jamais légitime.

Avec Thierry Breton, nous sommes à la manœuvre pour doter davantage ce fonds. De fait, je suis d’accord avec vous : la défense ne peut pas être une variable d’ajustement. Puisque nous avons vécu une crise de sécurité sanitaire, nous devons être conscients aussi des risques de sécurité à proprement parler.

Comme vous le savez, le Président de la République était à Londres le 18 juin pour montrer que, indépendamment du Brexit, notre relation bilatérale devait se développer et prospérer dans d’autres domaines. L’objectif est que se tienne un sommet bilatéral soit à la fin de l’année, soit au début de 2021 au plus tard, afin de mettre à jour les accords de Lancaster House pour, concernant les aspects de la défense et de la sécurité, faire face aux nouveaux défis et aux nouvelles menaces, qui sont une réalité géopolitique, et – c’est également le souhait de Boris Johnson – relancer de grands projets communs.

Monsieur le président Bizet, vous m’avez demandé ce que je retenais de mes déplacements en Autriche et aux Pays-Bas.

Comme je l’ai dit, j’ai mesuré à quel point ce plan de relance européen était un sujet hautement politique et pu constater qu’il était le sujet principal de débat entre les forces composant les différentes coalitions et les oppositions. C’est en soi une information intéressante. Dans ces deux pays, les syndicats de salariés et les représentants des entreprises sont très favorables à ce plan ; la population tout entière ne s’y oppose pas. De fait, on note un décalage assez fort entre la société civile, les salariés, les entreprises et leurs représentants politiques.

J’indique aussi qu’ils ne sont pas dans une logique de juste retour, dans une logique de type « si je mets un, je veux recevoir un ». Ils veulent plutôt être certains que leurs contributions nationales ne vont pas augmenter de façon vertigineuse ou exponentielle. Ainsi, l’Autriche, qui avait pris le leadership sur la taxe numérique pendant sa présidence de l’Union en 2018, se demande si la décision de doter l’Europe de ressources propres fonctionnera cette fois-ci et si l’on peut y croire.

Les Pays-Bas, quant à eux, sont potentiellement intéressés par le mécanisme d’inclusion carbone aux frontières et se demandent comment celui-ci pourrait fonctionner, combien il pourrait rapporter et comment il pourrait favorablement affecter leurs contributions.

Vous connaissez les chiffres : l’excédent commercial annuel des Pays-Bas avec l’Italie s’élève à 12 milliards d’euros. C’est beaucoup plus que ce que serait la part des Pays-Bas dans le pot commun au titre des garanties en cas d’éventuelles difficultés de remboursement de l’Italie.

Mme Jouve, notamment, m’a interrogée sur les outils de protection face à la concurrence.

S’agissant de la protection des actifs stratégiques, une étape très importante a été franchie la semaine dernière avec la présentation par Thierry Breton et Margrethe Vestager de leur Livre blanc, dans lequel ils proposent, dans trois domaines – la protection des marchés publics, la protection des prises de participations, notamment dans les entreprises, y compris d’ailleurs de grosses PME, et le contrôle des subventions étrangères –, une capacité accrue d’intervention de la Commission en appliquant notre régime relatif à la concurrence non pas seulement à nous-mêmes, mais à tous les acteurs économiques qui opèrent sur le marché européen, qui, eux, ne sont pas soumis à une telle vigilance – je pense notamment aux aides d’État qu’ils peuvent percevoir.

Par exemple, les industries chinoises hautement subventionnées peuvent pratiquer des prix moins élevés que leurs concurrentes, lesquelles, ne percevant pas de telles aides, ne peuvent pas faire jeu égal.

Autre pilier de la relance, l’outil destiné à faciliter les investissements stratégiques notamment pour renforcer le capital d’entreprises qui, fragilisées par la crise, pourraient être victimes de prises de participation hostiles.

La France est pleinement déterminée à avancer et cette crise nous ouvre les yeux sur la fragilité d’un certain nombre de secteurs.

Mme Jouve m’a également interrogée au sujet du plan Santé européen. Sa finalité est-elle de lutter contre notre dépendance à l’Asie ? Assurément oui : qu’il s’agisse de la recherche, des équipements médicaux ou des traitements, l’idée est de déployer des subventions et des actions de contrôle où elles sont nécessaires tout en constituant des stocks stratégiques.

Nous devons mettre en commun notre capacité d’anticipation pour être plus réactifs face aux crises à venir, en faisant à l’échelon européen ce qu’il est utile de faire à ce niveau. Je le dis souvent : on ne va pas gérer les hôpitaux depuis Bruxelles. La valeur ajoutée serait nulle. L’Europe, c’est aussi la subsidiarité et – j’y insiste – nous ne sommes pas des forcenés de la mise en commun à Bruxelles.

Monsieur Gattolin, vous me demandez quelles concessions nous faisons. Pour ma part, je ne me dis pas : que faut-il retrancher ? Je me demande : que faut-il ajouter ?

Quelles garanties donner aux parlementaires néerlandais ? Comme l’a dit le Premier ministre italien, nous devons prouver que cet argent n’est pas un pactole offert à qui que ce soit, mais un investissement. Bien sûr, à lui seul, il ne suffira pas face aux défis que chaque pays doit affronter, du fait de cette crise ou à cause de fragilités antérieures. La réussite du plan de relance européen suppose une responsabilité nationale.

Ainsi, au sujet des ressources propres, nous avons apporté de la clarté : que veut-on, quand et avec quels types de rendements ? Vous le voyez bien : ma logique n’est pas d’amoindrir le plan élaboré dans l’espoir de le rendre acceptable, mais d’y ajouter des garanties. En particulier, il faut préserver les 500 milliards d’euros de subventions.

Monsieur Laurent, vous avez évoqué la conditionnalité – c’est le point de votre intervention qui m’a le plus marquée. Nous ne sommes pas là pour recréer des troïkas ou des mises sous tutelle, pour instituer des diktats.

La Commission travaille à une architecture financière en vertu de laquelle chaque État, de manière souveraine, regarde comment articuler son plan de relance national, avec les moyens budgétaires dont il dispose, les priorités de son programme de réformes – en France, l’investissement hospitalier pourra bénéficier de l’argent européen ; du moins, c’est une option – et la relance européenne.

Certains pays nous diront peut-être qu’ils veulent financer les infrastructures de mobilité électrique ; d’autres qu’ils entendent soutenir le secteur du tourisme, lequel est particulièrement touché ; d’autres encore qu’ils souhaitent investir dans la formation. Ce qui importe, c’est que, suivant les principes édictés par la Commission, chaque État puisse choisir les secteurs où la valeur ajoutée européenne est, pour lui, la plus utile.

À mon sens, cette logique politique est tout à fait pertinente : ce n’est pas de Bruxelles que l’on va décider, ligne à ligne, comment seront répartis ces crédits dans chacune des régions de France…