M. le président. Personne ne demande la parole contre la motion ?…

Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. Je ne reviendrai pas sur tous les arguments qui vous font vous opposer à ce texte, madame Apourceau-Poly. Je n’en prendrai qu’un : les mesures de non-compensation. Effectivement, il n’y en a aucune. Sur ce point, la commission aurait pu vous suivre. Cependant, malgré les manques et les imprécisions de ce texte et les arguments que vous avez avancés, qui légitimement vous appartiennent, la commission a émis un avis défavorable sur cette motion.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat. Je ne vais pas revenir sur l’ensemble de vos arguments, madame la sénatrice, car nous aborderons un certain nombre de ces sujets lorsque nous examinerons les amendements que vous avez déposés. Ce sera pour moi l’occasion d’y répondre sur le fond. Pour l’heure, et sans grande surprise, j’émets un avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.

M. René-Paul Savary. Nous avons déjà eu cet intéressant débat sur le modèle sur lequel repose notre système social. Dans le modèle bismarckien, les cotisations permettent de s’assurer contre des risques et donnent droit à des prestations qui constituent en quelque sorte des salaires différés, tandis que le système beveridgien est financé entièrement par l’impôt. De ce point de vue, on ne peut être que sensible aux arguments avancés, car ils soulèvent des questions pertinentes.

Une autre question est celle de l’amortissement de la dette. Or l’État confond capital et intérêts. Cette dette doit-elle être amortie par l’État ou par la Cades, cette dernière étant véritablement une caisse d’amortissement, c’est-à-dire qu’elle différencie capital et intérêts ? Au fond, cela revient au même, parce qu’il faudra de toute façon la rembourser.

Vous n’avez pas répondu à l’interpellation du rapporteur, monsieur le secrétaire d’État : sur les 136 milliards d’euros que vous proposez de transférer à la Cades, la commission des finances estime que 50 milliards sont imputables au covid-19. D’après un article publié dans Les Échos, il resterait toutefois encore 150 milliards d’euros à amortir.

Quel est véritablement le coût de la crise sanitaire ? Est-il de 150 milliards plus 50 milliards, soit 200 milliards d’euros, c’est-à-dire l’équivalent du budget de l’assurance maladie ou des deux tiers de celui des retraites, qui s’élève à 316 milliards d’euros ? Qu’en est-il exactement et quelles sont les intentions du Gouvernement face à cette situation catastrophique ? (Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit.)

M. le président. Je ne veux pas commenter le contenu des interventions, mais je rappelle que les explications de vote doivent porter sur la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. Vous aurez l’occasion de prendre la parole tout au long du débat, que ce soit sur les articles ou dans le cadre d’explications de vote.

Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix la motion n° 8, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi organique.

En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 127 :

Nombre de votants 337
Nombre de suffrages exprimés 337
Pour l’adoption 86
Contre 251

Le Sénat n’a pas adopté.

Question préalable

 
 
 

M. le président. Je suis saisi, par M. Daudigny, Mmes Meunier et Taillé-Polian, M. Kanner, Mmes Cabaret, Féret et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lubin et Rossignol, M. Tourenne, Mme Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain, d’une motion n° 2.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi organique relatif à la dette sociale et à l’autonomie (n° 557, 2019-2020).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour la motion.

Mme Sophie Taillé-Polian. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous avons déposé cette motion, car nous estimons que le choix politique opéré par le Gouvernement va rendre déficitaire et fragiliser la sécurité sociale pour de nombreuses années. Une telle décision n’est pas responsable, et ce pour plusieurs raisons.

D’abord, parce qu’elle fait mentir le chef de l’État, qui, dans son discours solennel du 14 juin dernier – il y a quinze jours –, annonçait que la France ne financerait pas les dépenses de la crise sanitaire en augmentant les impôts. Mes chers collègues, force est de constater que transférer à la Cades 136 milliards d’euros de dette va se traduire par l’extension de la durée de vie de cette caisse de 2024 à 2033 et, en conséquence, par le maintien de la CRDS, impôt qui était censé s’éteindre.

En commission des finances, nous l’avons très tôt dénoncé : il s’agit bien de la création d’un impôt. Et pas n’importe quel impôt : un impôt particulièrement injuste, puisqu’il ponctionne l’intégralité des salaires sans aucune progressivité ! Et pas n’importe quand : l’impôt créé sera appliqué entre 2024 et 2033, c’est-à-dire intégralement après la présente mandature, ce qui n’est pas sans poser une question démocratique !

Il vous faut désormais l’assumer, monsieur le secrétaire d’État : plutôt que de rétablir l’impôt sur la fortune, de solliciter les plus aisés, le capital, les dividendes, vous avez décidé de créer un impôt qui, en pratique, va pénaliser davantage les plus modestes.

Au-delà même de cette décision injuste, nous trouvons la logique de transfert de dette aux comptes sociaux très contestable en termes de gestion. En effet, cette décision va grever nos comptes sociaux, qui risquent de ne plus pouvoir jouer leur rôle d’amortisseurs sociaux et, ainsi, accompagner nos concitoyens que la crise sanitaire et sociale a déjà pourtant mis en grande difficulté. Grever nos comptes sociaux revient, à terme, à baisser la protection sociale.

Ce choix, nous le condamnons. Ce qui est dramatique, c’est qu’il ne nous surprend pas : il s’inscrit dans la logique politique des dernières lois de financement de la sécurité sociale, celle qui vous a poussés à faire la réforme du chômage. En effet, c’est en vous basant sur la dette que vous avez décidé de réduire les droits des chômeurs et des plus précaires.

Aujourd’hui, la dette de l’État est transférée. Or cette dette exceptionnelle résulte majoritairement de choix politiques visant à répondre à un événement lui-même exceptionnel et mondial. Elle ne relève donc pas d’une anomalie structurelle des comptes sociaux.

Malgré vos efforts pour rendre floue et quasiment illisible la séparation entre projet de loi de finances et projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui deviennent des vases communicants, nous persistons à penser que la sécurité sociale doit financer les dépenses sociales et qu’on ne doit pas lui faire porter les choix politiques du Gouvernement.

Mes chers collègues, à quoi correspondent ces 136 milliards d’euros de dette que le Gouvernement entend transférer à la Cades ? Ils correspondent notamment à de l’investissement dans les hôpitaux. Or on ne peut pas investir dans les hôpitaux de cette façon ! En outre, on le sait, il est bien plus avantageux de faire gérer la dette par l’État. On risque donc fort de mettre les comptes de la sécurité sociale en difficulté, ce que nous ne pouvons accepter.

Parmi les dépenses transférées qui ne relèvent pas de la sécurité sociale, je citerai également l’aide à la garde d’enfants.

La Cades est maintenue avec une part de CSG plus importante, alors que nous pouvons anticiper à la fois une augmentation et une diminution des ressources de la sécurité sociale. Concrètement, que va-t-il se passer au cours de ces dix ans de remboursement de la dette ?

Michael Zemmour, économiste au centre d’économie de la Sorbonne et spécialiste du financement de la protection sociale, précise que, « si nous constituons en 2020 plus d’une centaine de milliards d’euros de dette “sociale”, portée par la Cades et l’Unédic, cela signifie que, pour une décennie supplémentaire, des ressources sociales – issues notamment de la CSG, de la CRDS et des cotisations chômage – de l’ordre d’une dizaine de milliards devront être consacrées chaque année au remboursement de cette dette et non à répondre aux besoins sociaux. À l’inverse, si l’État prend en charge cette “dette covid”, il lui en coûtera de l’ordre de 1 milliard d’euros par an […], et cette dette pourra être gérée comme une dette exceptionnelle, appuyé en cela par la politique monétaire non conventionnelle de la Banque centrale européenne. »

De même, le Haut Conseil du financement de la protection sociale nous indique que la dette de l’État et la dette sociale ne sont pas du tout gérées de la même manière.

Le choix que vous faites revient à rembourser plus rapidement une dette qui ne relève pas de la sécurité sociale et, donc, à grever, à terme, ses comptes. Nous pourrions au contraire « faire rouler cette dette » comme nous le faisons pour celle de l’État, de sorte qu’elle ne grève pas les comptes de la sécurité sociale et qu’elle n’amoindrisse pas a posteriori les droits des assurés sociaux.

Pourquoi cette décision que personne ne peut comprendre en termes de gestion a-t-elle été prise ? L’expérience nous apprend malheureusement que la politique des caisses vides justifie ensuite des réformes qui, chaque fois – nous n’en sommes plus surpris –, entraînent la baisse des droits pour les plus fragiles.

Vous souhaitez mettre la pression sur les dépenses de protection sociale afin de les transférer au privé. C’est ce que vous faites toujours, et ce sont toujours les mêmes qui en subissent les conséquences.

On nous dit que le taux de prélèvements obligatoires est beaucoup plus important dans notre pays que dans les autres pays d’Europe. Mais il faut tenir compte du fait que nous socialisons ces dépenses, qui, sinon, seraient réalisées dans la sphère privée de manière moins équitable, moins juste socialement.

Arrêtons cette logique, qui n’est pas humaine. Alors que, dans ce monde d’après, nous devrions revenir à une logique de service public, vous nous faites au contraire courir droit vers la logique de privatisation.

Quant à la création du cinquième risque, il y a de quoi être inquiet, et nous ne sommes pas dupes : il vous a été utile de communiquer sur la mise en œuvre d’une telle réforme pour faire passer la pilule de la dette sociale !

À la lecture de l’intitulé du projet de loi, nous avons tous cru qu’enfin le cinquième risque, que nous appelons de nos vœux depuis plusieurs années avec les associations, les familles et les départements, allait être mis en œuvre. En réalité, vous prévoyez la remise d’un rapport portant sur les conditions de création d’un nouveau risque ou d’une nouvelle branche. Le Gouvernement, qui s’oppose souvent à nos demandes de rapport sur de nombreux sujets, sait bien qu’il n’a pas besoin d’un vote du Parlement en la matière. Il s’agit d’un artifice de communication visant à montrer qu’il agit, alors qu’il n’en est rien et que le financement n’y est pas.

Nos inquiétudes sont donc majeures, monsieur le secrétaire d’État, et le fait que vous n’ayez pas pris la peine de nous exposer ces projets pendant plus de quatre ou cinq minutes dans votre introduction liminaire n’est pas fait pour nous rassurer, car vous mettez ces sujets sous le tapis. En somme, vous n’êtes pas à la hauteur de cet acte politique très fort. Quand les Français se rendront compte que vous avez grevé le budget de la sécurité sociale en lui imputant des dépenses de la dette qui n’en relèvent pas, ils verront l’inanité de cette politique.

Le flou, l’inanité de cette politique et cette absence de cohérence dans la gestion nous ont conduits à déposer cette motion tendant à opposer la question préalable, que nous vous invitons, mes chers collègues, à adopter. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)

M. le président. Personne ne demande la parole contre la motion ?…

Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable. Elle estime qu’il est nécessaire de débattre des mesures contenues dans ces projets de loi.

J’ai bien entendu vos arguments, madame Taillé-Polian. Tous sont recevables, mais nous pensons qu’une grande partie de cette dette – nous reviendrons ultérieurement sur la dette hospitalière – est de nature sociale et que son transfert à la Cades est naturel.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat. Le Gouvernement émet également un avis défavorable. Tout comme la commission, nous pensons que, indépendamment du fond, il est important de débattre des dispositions de ces textes.

En 2012, il y a déjà huit ans – vous étiez alors dans la majorité, madame la sénatrice Taillé-Polian –, François Hollande avait promis la création de cette cinquième branche. Nous allons la créer !

Mme Sophie Taillé-Polian. Vous prévoyez la remise d’un simple rapport ! Sans financement !

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat. Peut-être êtes-vous passée à côté, mais ce n’est pas juste un rapport, puisque l’Assemblée nationale a adopté un amendement visant à la création de cette cinquième branche. Vous aurez ainsi l’occasion, dans le cadre de vos débats sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, puis d’un projet de loi dédié qui a été promis avant la fin de l’année, de donner une réalité à cette cinquième branche.

M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour explication de vote.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Si nous partageons à 90 % l’objet de la motion, déposée cette fois-ci par le groupe socialiste, je tiens à exprimer notre désaccord avec le paragraphe qui précise qu’il serait « de bonne politique au cours des cinq ou dix prochaines années de se servir des recettes sociales, dont la CSG, pour bâtir un nouvel équilibre de la sécurité sociale ».

Cela étant dit, nous voterons la motion tendant à opposer la question préalable.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix la motion n° 2, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi organique.

En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 128 :

Nombre de votants 337
Nombre de suffrages exprimés 337
Pour l’adoption 86
Contre 251

Le Sénat n’a pas adopté.

Discussion générale commune (suite)

M. le président. Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à M. Yves Daudigny.

M. Yves Daudigny. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens d’abord à exprimer mon sentiment de perplexité devant une séquence législative qui, au hasard d’un amendement sur une proposition de remise d’un rapport et la mise en place en 2024 d’une dérivation de tuyauterie de CSG, nous conduira à approuver ou refuser en même temps la création d’une nouvelle branche de la sécurité sociale – rien que cela ! – et le traitement de 136 milliards d’euros de dette.

Ma collègue Michelle Meunier abordera le sujet de l’autonomie. « L’occasion fait le larron », nous a dit M. le ministre des solidarités et de la santé lors d’une audition, mais ce sont un financement pérenne, une gouvernance bien établie et la définition des prestations qui transformeront – peut-être – la secousse médiatique en événement historique dans l’histoire de la sécurité sociale.

J’affirmerai pour ma part notre opposition au transfert de 136 milliards d’euros à la Cades, correspondant à une reprise de dettes passées, de dettes en cours de constitution et même futures, auxquelles s’ajoutent, hors de tout lien avec les missions de la Cades, 13 milliards d’euros de dette hospitalière.

Je tiens également à exprimer mon désaccord avec des décisions financières qui relèvent de choix politiques fondamentaux quant à la philosophie de la sécurité sociale. L’autonomie est un pilier fondateur de celle-ci, conforté par la loi Veil de juillet 1994.

Certes, la création de la CSG et l’évolution vers le caractère universel ont bousculé les principes de 1945, mais, surtout, monsieur le secrétaire d’État, vous avez, ces dernières années, par la suppression de cotisations et par la non-compensation d’exonérations, accentué la confusion entre les périmètres de la protection sociale et du budget de l’État.

Au moment où un événement mondial sans précédent affecte la santé publique, multiplie situations précaires et pauvreté, augmente le chômage, met en danger des pans entiers de notre économie, vous réaffirmez la stricte autonomie de la dette sociale et vous portez à la charge des assurés sociaux des milliards de dettes non liées à leurs comportements ou à une mauvaise gestion des caisses – c’est un deuxième point d’incompréhension. La sécurité sociale ne peut pas être autonome quand elle est en déficit et ne plus l’être quand des excédents sont espérés.

Relativisons à ce stade l’argument du report de la dette sur nos enfants. De 1996 au 31 décembre 2019, la Cades a amorti 271 milliards d’euros. La dette de la France, elle, dépasse 2 400 milliards d’euros, plus de 120 % du PIB, alors qu’elle s’élevait à 700 milliards d’euros à la fin de 1996. C’est bien l’État, qui finance les charges courantes et rembourse le capital de ses emprunts en contractant de nouveaux emprunts, qui l’a majoritairement aggravée.

Comment donc ne pas voir dans votre choix la persistance d’une dramatisation des seules finances sociales, qui fait peser sur l’avenir la charge morale de chiffres vertigineux ? Vous allez me répondre que c’est faux, qu’il y a le Ségur et que vous créez une cinquième branche. Mais, justement, monsieur le secrétaire d’État, il y avait une autre solution : mutualiser la « dette covid » et la dette publique. Cette option est défendue par des économistes, des organisations syndicales, ainsi que par le Haut Conseil du financement de la protection sociale. Elle n’est pas magique – encore que… –, mais elle a le mérite de la cohérence, permet d’affirmer une forte solidarité nationale et, en même temps, de préparer l’avenir.

Dans une « crise comme aucune autre » – je cite le FMI –, l’État a toute légitimité pour jouer son rôle d’assureur de dernier recours. Comme certains l’ont déjà dit, il emprunte plutôt moins cher, car il peut le faire sur de longues durées. Les décisions de la BCE garantissent certainement des taux très bas pour les dix ans à venir.

Surtout, on libérerait ainsi, et sans conséquence pour le budget de l’État, une source de recettes de l’ordre d’une dizaine de milliards d’euros chaque année, qui permettrait de construire enfin un nouvel équilibre réel de la sécurité sociale, prenant en compte les besoins des hôpitaux, les nouvelles thérapies et la création tellement attendue d’une cinquième branche.

Au contraire, le dispositif que vous proposez recréera inévitablement, comme depuis trente ans, les conditions de nouveaux déficits et de nouveaux allongements de la durée de vie de la Cades, qui avait été fixée en 1996, rappelons-le, à treize ans.

En refusant toute nouvelle fiscalité spécifique à caractère progressif, en privilégiant l’impôt proportionnel, ce qui traduit une forme d’obsession conduisant à mettre à contribution les comptes sociaux, vous conjuguez moindre efficacité, inégalité et perte de chance pour l’avenir, alors que la crise a montré à quel point notre système de protection sociale était précieux.

Vous l’avez compris, le groupe socialiste et républicain ne vous suivra pas. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell.

M. Jean-Claude Requier. C’est son grand retour !

M. Guillaume Arnell. Quel plaisir de retrouver l’hémicycle et de vous retrouver, mes chers collègues, après trois mois d’absence !

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’ampleur inédite de la crise sanitaire qui nous frappe a fortement impacté les finances sociales et a mis notre système de sécurité sociale à rude épreuve.

Au début du mois de juin, le ministre de l’action et des comptes publics estimait que le déficit de la sécurité sociale s’établirait à 52,2 milliards d’euros en 2020, contre une prévision initiale de 5,4 milliards d’euros. Il est donc dix fois plus important que prévu.

Afin de répondre à l’aggravation du déficit, le Gouvernement nous présente ces projets de loi, qui visent deux objectifs : transférer une partie de la dette à la Cades et créer une cinquième branche de la sécurité sociale relative à l’autonomie.

Sur le transfert de la dette, dans l’ensemble, les coûts considérables engendrés par l’épidémie de covid-19 résultent notamment de la contraction de la masse salariale du secteur privé, des reports de cotisations accordés aux entreprises pour soulager leur trésorerie, des dépenses pour combattre la propagation du virus et rémunérer les personnels hospitaliers.

Si ces sommes colossales vont peser sur les finances publiques, elles n’en étaient pas moins nécessaires. Elles sont la résultante de mesures d’urgence, qui ont été prises en période de crise et que l’État se doit d’assumer.

Quant à savoir qui va les prendre en charge, vous avez décidé, monsieur le secrétaire d’État, de transférer la dette sociale héritée de l’épidémie de covid-19, non pas à l’État, mais à la Cades. Ce choix peut prêter à débat, mais est somme toute logique, puisque l’objectif de la Cades est d’apurer les déficits de la sécurité sociale, que la crise a aggravés.

En revanche, parmi les 136 milliards d’euros transférés figurent les 13 milliards d’euros de dette des hôpitaux que le Gouvernement, par la voix de Mme Agnès Buzyn, s’était pourtant engagé, au nom de l’État, à reprendre en novembre dernier. Ce transfert ne me paraît donc pas justifié. Aussi, je me félicite que la commission des affaires sociales ait suivi la proposition de notre rapporteur de supprimer la reprise de la dette des hôpitaux par la Cades. Comme l’a rappelé notre président Alain Milon, les hôpitaux appartiennent à l’État et non à l’assurance maladie.

J’en viens à présent au deuxième enjeu de ce texte, la création d’une cinquième branche en faveur de la prise en charge de l’autonomie.

En 2060, les personnes de plus de quatre-vingt-cinq ans seront près de 5 millions, contre 1,4 million aujourd’hui. Le nombre de personnes âgées en perte d’autonomie passera de 1,2 million en 2015 à 2,2 millions en 2050.

« Quand on a de l’espoir, la vieillesse même est belle », écrivait Anton Tchekhov. Nous sommes confrontés à un formidable enjeu de société, celui d’accompagner au mieux nos aînés, de leur offrir une qualité de vie digne et épanouissante.

Les sénateurs du groupe du RDSE plaident depuis de très nombreuses années pour la mise en place d’une grande réforme de la dépendance. Nous saluons donc cette mesure. Mais si l’on peut se réjouir que cette réforme soit enfin à l’ordre du jour, nous sommes plutôt réservés quant à la méthode choisie : créer une cinquième branche par le biais d’un amendement dans un projet de loi sur la dette sociale semble pour le moins incongru.

Pour mémoire, le système à quatre branches a été institutionnalisé il y a vingt-six ans par la loi du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale. La création d’une cinquième branche est donc une réforme de grande ampleur, qui aurait mérité de faire l’objet d’un projet de loi à part entière ou, tout du moins, d’être examinée dans le cadre du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale d’autant que, comme l’a rappelé notre président Alain Milon, « son financement n’est pas assuré, ses bénéficiaires ne sont pas connus et sa gouvernance n’est pas définie ».

S’agissant de son financement, justement, si je salue l’affectation de près de 2,4 milliards d’euros à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie pour amorcer le chantier, je crains que cette enveloppe ne soit tout d’abord insuffisante. Selon les estimations du rapport Libault, publié en mars 2019, les moyens supplémentaires nécessaires s’élèveront en effet à environ 6 milliards d’euros en 2024 et à plus de 10 milliards d’euros en 2030.

Nous craignons par ailleurs que ce financement n’intervienne trop tard, à l’instar de la CNSA, qui a émis des réserves sur l’échéance de 2024, la jugeant « incompatible avec l’urgence de la mise en œuvre d’une grande loi Autonomie ». C’est pourquoi un amendement du groupe du RDSE visait à dégager de nouvelles ressources dès 2021 ; malheureusement, celui-ci a été déclaré irrecevable.

Quoi qu’il en soit, soyez assuré, monsieur le secrétaire d’État, que le groupe du RDSE, le moment venu, sera attentif aux modalités de mise en œuvre de cette nouvelle branche pour qu’elle puisse impulser une véritable politique de l’autonomie à la hauteur des enjeux. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile. (M. Julien Bargeton applaudit.)