M. le président. La parole est à M. Alain Richard.

M. Alain Richard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la gravité s’impose face à un conflit meurtrier dont nous voyons désormais les conséquences : des milliers de morts, combattants et civils, des atrocités commises dans et autour des combats et des suspicions profondes de crimes de guerre.

La population arménienne du Haut-Karabagh est déplacée en masse sous la menace. L’Arménie elle-même est déstabilisée.

Cette nouvelle épreuve se place dans une histoire dramatique de l’Arménie, faite d’une succession de guerres, d’échanges forcés de territoires, d’exodes, d’attaques contre son existence même, avec le génocide de 1915. La réorganisation des frontières dont nous héritons aujourd’hui résulte de la domination soviétique.

C’est l’ensemble de ces épreuves qui a forgé l’amitié de la France avec l’Arménie, et les actions que nous avons menées en commun lors de multiples épisodes historiques nous créent aujourd’hui des devoirs.

Le Haut-Karabagh, depuis la renaissance de l’Arménie indépendante, est un territoire restreint, enclavé dans l’Azerbaïdjan, où se regroupent environ 150 000 Arméniens. Son existence n’a été garantie depuis trente ans que par la présence de forces armées arméniennes occupant aussi des zones à peuplement azéri, et sans aucun règlement politique.

Cet historique menaçant nous dit ce que doit et ce que peut faire la France. Le Haut-Karabagh a été attaqué par l’Azerbaïdjan. Il doit bénéficier d’une protection internationale.

Toutefois, regardons les faits. Cette protection part d’une base imparfaite, mais réelle : l’action de la Russie pour faire cesser les combats et pour faire appliquer un cessez-le-feu. Cette protection doit devenir stable, juridique et effective, pour assurer aux Arméniens de vivre au Haut-Karabagh dans le respect de leur culture, de leur vie démocratique et de leur foi.

Soyons tous conscients du rôle maléfique de la Turquie dans cette campagne meurtrière. Ses forces sont en cause dans les exactions criminelles qui ont été relevées. Nous devrons nous tourner vers la Cour pénale internationale pour qu’une enquête approfondie soit menée et dévoile la vérité sur l’ensemble de ces agissements.

L’attitude agressive de la Turquie d’Erdogan, sur ce terrain et sur bien d’autres, est une atteinte aggravée à la paix et aux règles internationales. Elle coïncide avec un grave échec économique et social, qui met ce dirigeant sous pression. C’est un défi majeur pour l’Union européenne, qui, par sa puissance économique et commerciale, peut contribuer à le faire rentrer dans le rang.

Gardons-nous cependant d’assimiler toute la nation turque avec ce dirigeant dévoyé. Ne nous fermons pas aux contacts avec la société turque, où les défenseurs de la liberté et des droits humains agissent pour un autre avenir.

Cette situation dramatique ne peut encourager la France à agir unilatéralement. Nous n’interviendrons pas sur la base d’un rapport de force. Notre rôle se situe dans la légalité et dans l’ordre international. Nos outils s’appellent l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), l’ONU et son conseil de sécurité, la Cour pénale internationale, l’Unesco, le groupe de Minsk. Notons que le dialogue que le Président de la République a voulu entreprendre avec la Russie, choix difficile et critiqué, trouve là son sens. Cette réalité s’impose à nous et cadre avec notre vocation internationale, qui est d’agir dans le multilatéralisme, à un moment, d’ailleurs, où celui-ci va voir son horizon s’éclaircir quelque peu à Washington.

Rappelons-nous l’épisode du conflit de Géorgie : voilà douze ans, la Géorgie attaque une enclave séparatiste protégée par la Russie, laquelle la vainc en quelques jours. Le Président de la République Nicolas Sarkozy joue alors un rôle actif et méritoire de bons offices et facilite un règlement politique. Il l’a fait en respectant le rapport de force et la réalité. (Mme Valérie Boyer le confirme.) Il n’a pas pu inverser la domination russe. Il n’empêche que le peuple géorgien lui en garde une profonde reconnaissance.

J’en viens à ce qui nous sépare de la proposition de résolution de M. Retailleau : déclarer unilatéralement une reconnaissance du Haut-Karabagh comme État indépendant, c’est-à-dire la création d’un État souverain,…

M. Pierre Ouzoulias. Il existe déjà !

M. Alain Richard. … et prétendre, ainsi, changer les frontières dans cette région traversée de conflits nous paraît porteur de difficultés supplémentaires. Un tel État ne serait viable qu’avec une garantie internationale qui, aujourd’hui, est hors de portée.

J’ai évoqué le conflit géorgien : rappelons-nous que la Russie elle-même a reconnu l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud comme États indépendants. Cela n’a eu aucun effet en douze ans !

Au contraire, cette initiative de reconnaissance artificielle nous couperait immédiatement des partenaires qui peuvent construire avec nous une solution partagée. Il faut défendre une protection internationale du Haut-Karabagh, mais pas par cette voie. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les autorités arméniennes ne l’ont jamais demandée depuis trente ans.

Au fond, ce débat pose la question de ce qu’est une résolution, que la Constitution se garde bien de définir. Une résolution est ce moment où le Parlement veut exprimer une volonté, fixer un objectif ; mais, si elle perd le contact avec la réalité, son autorité s’en trouve affaiblie.

Du fait de cette différence significative avec la proposition de résolution, alors que nous partageons les motivations essentielles qu’elle présente, la plupart d’entre nous s’abstiendront, en espérant que les réflexions ainsi échangées serviront l’influence collective du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Guérini.

M. Jean-Noël Guérini. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au moment où nous sommes réunis pour défendre la résolution visant à reconnaître la République du Haut-Karabagh, je ne peux oublier l’émotion qui était la nôtre voilà tout juste vingt ans – le président Retailleau l’a rappelée –, alors que la France reconnaissait le génocide arménien du 24 avril 1915.

Aujourd’hui, cette fierté est remplacée par la tristesse provoquée par le silence assourdissant de notre diplomatie, monsieur le secrétaire d’État, mis à part quelques propos.

Alors oui, c’est avec le cœur lourd que je défends devant vous ce projet de résolution. Une fois encore, une fois de plus, une fois de trop, la République d’Arménie est victime du cynisme de ses voisins. Ses soldats, sa jeunesse, ses enfants ont payé les assauts de l’Azerbaïdjan de leur sang, de leur vie.

Je regrette, monsieur le secrétaire d’État, que cette agression ait été accompagnée d’une coupable neutralité, au sens noble du terme, de notre gouvernement.

Nous entendons, bien sûr, ici et là, des voix demandant : « À quoi bon ? » À quoi bon reconnaître cet Artsakh aujourd’hui, alors qu’un cessez-le-feu parrainé par Moscou et Ankara affiche la volonté de sceller pour lui un funeste destin ?

La réponse tient pour moi dans une phrase écrite par Charles Péguy quelques années avant la Grande Guerre : « Il faut toujours dire ce que l’on voit. Surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit. »

Cet exercice de lucidité, quand les propagandes populistes déversent la haine à travers le monde, n’est pas aisé – je le reconnais bien volontiers.

Le 14 octobre dernier, M. le ministre Le Drian, à l’occasion de la séance de questions d’actualité au Gouvernement, a déclaré avec justesse : « Dans cette affaire grave, il y a, pour la France, une urgence, un devoir et une exigence. »

Oui, il est urgent de dire à nos amis d’Erevan, à nos frères arméniens, aux Arméniens de France, que notre pays est à leurs côtés. Et il est de notre devoir d’en finir avec les grands discours rarement suivis d’effets.

Il y a une urgence humanitaire, car des dizaines de milliers de femmes, d’hommes, d’enfants, de personnes âgées se sont repliés vers Erevan, face à des troupes djihadistes accompagnées d’Azéris.

Il y a urgence à remettre le sultan d’Ankara à sa place.

Il y a urgence à se retrouver aux côtés des victimes d’un conflit que, par aveuglement, nous n’avons pas su prévenir.

Il sera bien temps, demain, de comprendre les raisons de ces tragiques échecs, dont celui, disons-le franchement, des gouvernants d’Erevan, qui n’ont pas vu monter les périls.

Dans un Caucase où Moscou ne joue, en toute logique, que pour reconstituer son pré carré, il sera bien temps, demain, de comprendre l’inertie des travaux du groupe de Minsk.

Relever ce défi est une urgence, un devoir et une exigence pour la France des Lumières, que les assauts d’un islamisme militant tentent de fracturer.

Nous retrouvons ce dédain, ce rejet, ce refus de ce que nous sommes dans le comportement inacceptable de la Turquie et dans les propos inqualifiables du président Aliyev.

Monsieur le secrétaire d’État, l’ambassadeur azéri aurait dû être convoqué par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères lorsque le président Aliyev a demandé au gouvernement de la France d’offrir à la Corse son indépendance et d’élever Marseille en république du Haut-Karabagh ! (Sourires.)

Mme Valérie Boyer. C’est vrai !

M. Jean-Noël Guérini. Les Corses et les Marseillais, dont je suis – je ne suis pas le seul ici –, attendent toujours votre réaction.

Notre devoir est de reprendre le flambeau de la justice, du droit et de la fraternité, afin que le groupe de Minsk ne soit plus le théâtre poussiéreux des bonnes consciences qui regardent le monde se défaire et les peuples souffrir.

Pour tout cela, le projet de résolution est une exigence, celle qui éclairera le chemin du renouveau, pour l’Arménie, pour le Haut-Karabagh et pour notre diplomatie.

« Urgence », « devoir, « exigence » : en adoptant cette proposition de résolution, nous retrouverons un peu de notre fierté perdue. Le groupe du RDSE votera, évidemment, en faveur de celle-ci. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, SER, GEST, CRCE, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a un siècle, le 10 août 1920, les puissances victorieuses du premier conflit mondial et l’Empire ottoman signaient le traité de Sèvres. Ce traité prévoyait la création d’un territoire autonome pour les Kurdes et celle d’une république indépendante d’Arménie. Ce nouvel État devait être le refuge d’un peuple qui avait perdu un million cinq cent mille des siens dans le premier génocide du XXe siècle, ce meurtre d’une nation, ce crime contre l’humanité erga omnes – à l’égard de tous.

Pourtant, au traité de Sèvres succéda le traité de Lausanne, par lequel fut ratifiée l’annexion par la nouvelle Turquie de la partie occidentale de cette république mort-née et l’incorporation du reliquat dans l’ensemble soviétique. Plus tard, Staline rattacha les régions autonomes du Haut-Karabagh et du Nakhitchevan, peuplées majoritairement par des Arméniens, à la nouvelle république d’Azerbaïdjan.

C’est l’une des causes, un siècle plus tard, de l’embrasement meurtrier actuel.

En 1991, le parlement de la région autonome du Haut-Karabagh proclama son indépendance, qui fut ratifiée par un référendum. Cette proclamation fut prise à l’issue d’un processus démocratique parfaitement respectueux des conditions législatives de l’époque. Cette indépendance ne fut pas moins légitime que celle prononcée par l’Azerbaïdjan, la même année. Par la présente résolution, c’est cette affirmation légale du droit d’un peuple à disposer de lui-même que le Sénat demande au gouvernement de la France de reconnaître.

Cette exigence, le parti communiste français et notre groupe, dont certains élus sont très impliqués sur ce sujet, l’ont portée, il y a plus d’un an. Aujourd’hui, animés par cette même volonté, nous voterons cette proposition de résolution, et avec elle la demande de reconnaissance de la République d’Artsakh, parce que nous pensons qu’elle est un signe plus que jamais nécessaire à un règlement pacifique et politique des conflits dans le Caucase du Sud.

Comme le précise l’exposé des motifs de cette proposition de résolution, nous pensons que le peuple arménien continue d’être la victime expiatoire du nationalisme néo-ottoman de la Turquie.

Malheureusement, il ne fait aucun doute que la dérive dictatoriale du pouvoir de Recep Tayyip Erdogan, qui emprisonne l’opposition, musèle les journalistes ou fait assassiner jusqu’en France les militants kurdes, se projette aujourd’hui en dehors des frontières de la Turquie par un projet agressif qui se donne pour nouvelles frontières les Balkans, le Proche-Orient et l’Asie centrale.

À la fiction d’une homogénéité culturelle par l’exaltation du nationalisme turc, la Turquie de Turgut Özal et de Recep Tayyip Erdogan ajoute une dimension expansionniste qui profite des déséquilibres géostratégiques de la fin de la guerre froide, de la connivence coupable de l’OTAN et de l’incapacité désespérante de l’Europe à s’impliquer dans la résolution des conflits armés qui se déroulent à ses portes.

Pour ne pas avoir joué le rôle moteur qu’on attendait d’elle dans le groupe de Minsk, la France a été mise sur le côté par le cessez-le-feu signé sous l’égide de la Russie. La résolution du Sénat redonne de la voix à la France. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et Les Républicains.)

Mme Éliane Assassi. En 1992, Turgut Özal, alors président de la République de Turquie, avait déclaré qu’il était nécessaire, de temps en temps, « de faire un peu peur aux Arméniens ». Aujourd’hui, Recep Tayyip Erdogan déclare, lui, vouloir « finir le travail commencé il y a plus d’un siècle par les grands-parents ». Cette rhétorique guerrière et criminelle, qui a l’amer goût du sang et qui ne renonce pas à l’objectif génocidaire, considère la République d’Artsakh comme un îlot de résistance au sein de la grande nation turque et azérie et l’Arménie comme un obstacle à l’unité territoriale d’un nouvel empire ottoman étendu au-delà de la mer Caspienne.

Par cette résolution, mes chers collègues, nous devons exprimer notre condamnation vigoureuse de ce projet expansionniste, de toutes les formes de nationalisme mortifère et des risques qu’ils font courir à toute la région. De la même façon, il nous faut manifester avec force notre totale solidarité avec l’Arménie devant les menaces terribles proférées contre son existence.

Dans cet hémicycle et dans celui de l’Assemblée nationale, à la suite de Marcel Cachin, de Guy Ducoloné, d’Hélène Luc et de Guy Fischer, les parlementaires communistes n’ont cessé de demander la reconnaissance du génocide arménien pour rendre justice à toutes ses victimes et montrer à quelle horreur aboutissent les nationalismes dressés contre un peuple.

Cette résolution sera une bien faible consolation pour toutes les familles endeuillées, pour celles qui ont fui sans espoir de retour et pour cette jeune génération élevée dans le Haut-Karabagh et broyée par la machine de guerre colossale déployée contre elle.

Néanmoins, elle est pour notre groupe le moyen de rappeler notre attachement au règlement pacifique de ce conflit millénaire. Dans le Caucase du Sud, comme dans tout le Proche-Orient, seules des solutions politiques permettront d’apporter aux peuples et aux minorités la paix et les garanties de leur existence dans la libre administration de leurs destinées.

Les mots prononcés par Jean Jaurès à la Chambre des députés en 1896 résonnent encore et, à notre tour, il nous revient « d’accomplir notre devoir d’élémentaire humanité […] qui conciliera l’œuvre de paix et l’œuvre de justice ».

Monsieur le ministre, nous espérons vivement que le Gouvernement fera sienne la démarche du Sénat, qui tire sa force de sa grande solennité. (Applaudissements sur toutes les travées, sauf celles du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Cigolotti. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Emmanuel Capus applaudit également.)

M. Olivier Cigolotti. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’actualité nous oblige, cet après-midi, à examiner une proposition de résolution portant sur la nécessité de reconnaître la République du Haut-Karabagh.

Signée par une majorité des présidents de groupe de la Haute Assemblée, cette proposition de résolution fait l’objet d’un assez large consensus sur nos travées.

Il apparaît cependant important de rappeler quelques éléments de contexte historique.

À l’époque bolchevique, Moscou a fait du Haut-Karabagh une région autonome au sein de la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan, et ce malgré les promesses qui avaient été faites à l’Arménie.

Avec la chute de l’URSS, le réveil des revendications ethniques et religieuses a été brutal.

Durant ces dernières décennies, Azéris et Arméniens se sont observés, invectivés, affrontés, parfois séparés par quelques centaines de mètres seulement. Aujourd’hui, la situation demeure très préoccupante.

Après six semaines d’affrontements intenses marqués par de graves exactions, la fin des hostilités opposant l’Arménie et l’Azerbaïdjan dans cette région du Haut-Karabagh a été signée entre ces deux pays le 9 novembre dernier.

Ce cessez-le-feu, réalisé sous l’égide de la Russie, semble, à ce jour, faire autorité.

Le Haut-Karabagh est l’une de ces régions du Caucase du Sud trop longtemps considéré comme le théâtre d’un conflit gelé, au même titre que celui qui oppose l’Ossétie du Sud et la Géorgie.

Les tensions ont malheureusement repris le 27 septembre dernier, et ce nouvel embrasement de la région intervient désormais avec en toile de fond la prédominance d’États puissants comme la Turquie et la Russie.

Le soutien de la Turquie à l’Azerbaïdjan se concrétise par l’apport de matériel de guerre et de drones lui conférant une suprématie aérienne évidente, mais également par l’acheminement de supplétifs de l’armée syrienne.

Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, ce sont au moins 850 mercenaires syriens ayant pris part aux combats contre Bachar el-Assad qui ont été envoyés par Ankara dans les zones de combat afin de renforcer les forces azerbaïdjanaises.

Dans le même temps, nous assistons à une succession de provocations de la part de la Turquie, qui ne cache pas ses ambitions expansionnistes et constitue à ce jour la deuxième armée de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord.

Nous ne pouvons que vivement regretter l’accélération dangereuse des faits constatés ces derniers mois : poursuite de forages gaziers illégaux à Chypre, réouverture de la plage de Varosha, et ce au mépris des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, incursion dans les eaux territoriales grecques par des navires de forage sous escorte militaire, positions troubles face à Daech en Syrie et multiplication des interventions armées contre nos alliés kurdes.

Je rappellerai également l’incident qui s’est produit avec la frégate Courbet en juin dernier en Méditerranée orientale, et l’accumulation de déclarations plus ou moins hostiles à l’égard de la France et de son exécutif.

Quant à la Russie, cette dernière a su demeurer dans une position des plus ambiguës en vendant des armes aux deux camps, en commerçant avec Bakou et Erevan, tout en conservant un statut d’arbitre – il faut malheureusement le reconnaître – bien plus convaincant que celui que devraient assumer les instances européennes.

Moscou souhaite depuis de nombreuses années se montrer en défenseur des chrétiens d’Orient et entretient en même temps, depuis l’ère bolchevique, une forme de division au sein des républiques du Caucase, afin de faire respecter l’ordre.

Mais, désormais, c’est une déstabilisation profonde du Caucase du Sud qui est à l’œuvre, et il semble bien difficile de se contenter des termes du cessez-le-feu signé le 9 novembre dernier.

Il est aujourd’hui plus que nécessaire, mes chers collègues, de travailler à un règlement politique durable de ce conflit. La communauté internationale, et notamment la France, doit se mobiliser pour une sortie de crise pérenne, et toutes les formes de négociation doivent être utilisées pour que le multilatéralisme fasse émerger une solution durable.

Après la signature de ce cessez-le-feu, la situation au Haut-Karabagh retrouve son statut de conflit gelé.

Et qui dit conflit gelé dit possible reprise d’un conflit armé violent et de toutes les exactions afférentes. Nous ne pouvons cautionner un tel risque.

M. Le Drian a déclaré, le 10 novembre dernier, que la France s’était mobilisée ces dernières semaines en faveur des populations locales, notamment par des initiatives très nombreuses de la société civile, et que les autorités françaises y contribuaient largement, avec une aide médicale arrivée à Erevan.

Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d’État, éclairer la représentation nationale sur ces actions, et nous indiquer ce qu’il en est de la reprise des négociations entre les deux parties pour un accord durable ?

Si la grande majorité du groupe Union Centriste est favorable à cette proposition de résolution et partage ces propos, certains membres du groupe ont soulevé quelques interrogations.

Tout d’abord, la création d’une mission d’information sur les conflits gelés du Caucase avait été un temps sollicitée afin d’anticiper au mieux les déséquilibres probables de la région en cas de reprise de l’un ou l’autre de ces nombreux conflits. S’il avait été fait droit à une telle demande, nous aurions peut-être été en mesure de mener un travail plus approfondi.

Ensuite, cette résolution, quand bien même elle n’a qu’une valeur de recommandation, ne doit pas affaiblir diplomatiquement la France dans cette région du Caucase déjà ô combien troublée.

Autre sujet d’inquiétude : le groupe de Minsk.

Aux côtés de la Russie et des États-Unis, la France se doit de respecter une certaine neutralité sur cette question du Haut-Karabagh. Mais l’efficacité de ce groupe suscite des interrogations. Quelle a été son action depuis de nombreuses années et dans cette nouvelle phase du conflit ?

Enfin, mes chers collègues, ne tombons pas dans la facilité consistant à considérer que l’Azerbaïdjan n’est qu’un État velléitaire ou terroriste, alors qu’il se développe économiquement, grâce à la manne du pétrole, et culturellement, avec une certaine forme de laïcité.

Certes, ce pays n’est pas la plus grande des démocraties, mais c’est un pays jeune qui se construit dans un contexte régional souvent difficile, et marqué du poids de son histoire.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, malgré ces quelques remarques divergentes, le groupe Union Centriste votera dans sa grande majorité cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains, RDSE, SER et CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Patrick Kanner. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce qui nous réunit aujourd’hui est une situation d’une particulière gravité. Cette gravité nous oblige ; elle a conduit nos groupes politiques, différents sur bien des points, à travailler de concert pour aboutir à cette proposition de résolution. Cette convergence a été rendue possible, car elle était absolument nécessaire. C’est une obligation morale et politique : refuser que la guerre soit une option pour régler des différends territoriaux.

Il y va de notre responsabilité de parlementaires de dénoncer des faits accomplis qui ne peuvent être acceptés : le recours à la force, le ciblage des populations civiles, l’usage d’armes prohibées par le droit international, le non-respect des droits des prisonniers de guerre ou encore le déplacement massif de population qui quittent du jour au lendemain toute une vie… ce qui ressemble étrangement à une forme de nettoyage ethnique.

Nous ne pouvons ni laisser faire ni admettre une telle situation dans le Caucase, c’est-à-dire aux portes de l’Europe. Les souvenirs qui nous submergent à ces évocations d’exactions nous montrent que proclamer « plus jamais ça ! » n’est plus suffisant.

Je voudrais réitérer ici notre amitié et notre soutien à la population arménienne qui, une nouvelle fois dans son histoire, est ciblée, vilipendée, attaquée et mise en danger.

Le cessez-le-feu du 9 novembre, inspiré par la Russie, n’a au fond rien résolu ; il ne saurait tenir lieu de règlement définitif du conflit alors que l’usage de la force et de la contrainte ne peut satisfaire qu’une seule des deux parties.

Plus inquiétants encore sont les bénéfices géostratégiques pour les parrains de ce cessez-le-feu, qui remettent au goût du jour des rêves impérialistes, en tout cas un panturquisme incarné par le président Erdogan, qui déstabiliseraient plus encore une région déjà si fragile.

Dans ces conditions et compte tenu de ses modalités, ce cessez-le-feu ne peut offrir aucune garantie de paix durable. Il se limite à entériner le fait accompli et à consacrer l’usage de la force. Cet accord est hors de tout contrôle international et ne présente aucune solution pour les populations arméniennes.

En revanche, il acte une installation militaire durable d’un pays tiers et un redécoupage territorial qui pérennise la mainmise de puissances étrangères.

Mes chers collègues, ce qui nous anime aujourd’hui, c’est la volonté d’aider les acteurs locaux à dessiner un avenir pour le Haut-Karabagh.

Il est urgent, monsieur le secrétaire d’État, de redéfinir les conditions et les règles d’un compromis possible ; la France, en tant que coprésidente du groupe de Minsk, doit demander le retrait des forces et le retour aux frontières d’avant le 27 septembre et baliser à nouveau la voie d’une reconnaissance de ce territoire. Elle ne peut se contenter de demander que les « ambiguïtés » du cessez-le-feu soient levées. Sa voix doit être plus forte et plus ferme.

Oui, le retour de la question du Haut-Karabagh fait la tragique démonstration qu’un conflit dont le règlement n’est que gelé ne reste jamais figé.

Ce conflit s’impose aujourd’hui comme un défi à la réinvention de la relation transatlantique ainsi qu’aux ambitions de l’Union européenne de devenir un acteur géopolitique majeur. Il faut changer de braquet, et cela passera par un nécessaire réinvestissement du multilatéralisme.

La reconnaissance de la République du Haut-Karabagh n’est pas seulement un symbole ; c’est un devoir ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, GEST, Les Républicains et UC. – M. Stéphane Artano applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « l’Azerbaïdjan est le premier partenaire économique de la France dans le Caucase du Sud. Et ce n’est pas parce que l’Azerbaïdjan n’est que peu démocratique que l’on doit s’interdire de commercer avec lui… »

Ou quand certains, parmi mes chers collègues de droite, font rimer pragmatisme avec cynisme et, in fine, résument la position réelle de la France dans cette partie du monde. Cela a le mérite d’être clair !

Le peuple arménien pensait pouvoir compter sur l’amitié de la France ? La France préfère compter avec son client azerbaïdjanais, à qui elle a vendu, entre 2015 et 2019, des équipements militaires d’une valeur totale de 364 millions d’euros.

Et que peuvent bien peser quelques centaines de milliers d’Arméniens dans la balance commerciale ? Une résolution, tout au plus, qui ne rime pas avec « intervention ».

La vérité est là ; elle est commerciale, comptable ; elle est crue et cruelle. Les affaires du monde passeront après le monde des affaires !

Aujourd’hui, après le silence assourdissant de la communauté internationale durant le conflit éclair déclenché par les Azéris, notre assemblée sort de sa torpeur pour voter en toute hâte cette proposition de résolution. Ou comment s’acheter une bonne conscience, à peu de frais…

Reconnaître l’indépendance de l’Artsakh n’est cependant pas inutile. Cette reconnaissance est nécessaire ; elle constitue un premier pas pour protéger le peuple arménien de l’épuration ethnique qui a déjà commencé.

Menacé dans sa chair, dans sa culture et dans son âme, le plus vieux pays chrétien du monde est la cible d’une Turquie dont l’expansionnisme territorial et islamiste est désormais assumé par son leader, le sultan Erdogan.

Car, autre vérité, l’Azerbaïdjan n’aurait pas déclenché cette guerre et ne l’aurait pas remportée sans le soutien appuyé de la Turquie.

L’expansionnisme turc, qui repose sur le rêve de recréer l’Empire ottoman, conduit Erdogan à avoir Chypre et la Grèce dans son viseur.

Après l’Artsakh, après l’Arménie, c’est notre tour, mes chers collègues ! Et, irai-je même jusqu’à dire, avec l’Artsakh et l’Arménie, c’est déjà notre tour !

Sortez donc de cette logique munichoise, et punissons l’ogre turc qui menace la paix dans le monde. Mais, pour cela, il va falloir abandonner votre double discours, car vous êtes encore nombreux à souhaiter l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne et à être des acteurs et actrices du clientélisme communautaire. (Non ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

Entre le déshonneur et la guerre, il y a encore un chemin pour retrouver notre honneur en faisant notre devoir ! Son devoir, la jeunesse arménienne l’a fait. J’ai vu à l’hôpital de Goris, au premier mois de la guerre, de jeunes Arméniens blessés au combat. Âgés d’à peine 20 ans, ils ne demandaient qu’à retourner au front pour se battre, prêts à mourir pour que vive leur patrie. Mon ami Aram avait raison de m’écrire que la modernité n’avait pas effacé la bravoure et l’héroïsme arméniens !

Héroïsme, bravoure, solidarité, de jeunes Français aussi en font preuve, tous bénévoles au sein de l’association SOS Chrétiens d’Orient et qui, sur place, apportent aide et réconfort aux réfugiés de l’intérieur. Grâce à eux, la flamme française ne s’est pas tout à fait éteinte ; elle continue de réchauffer le corps, le cœur et l’âme des Arméniens…

Garegin Njdeh, homme d’État, philosophe, militaire et stratège arménien, connaissait, selon ses propres termes, une vérité : « Si tu veux deviner et voir l’avenir de ton peuple, regarde sa jeunesse. Ceux qui ont une jeunesse patriote et de conviction ont un avenir. »

La jeunesse arménienne, pleine de convictions et de patriotisme, prouve que l’Arménie a un grand et bel avenir devant elle, à condition, mes chers collègues, que nous ne l’abandonnions pas une seconde fois, cent cinq ans après l’horreur du génocide.