M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

M. Bernard Fialaire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je m’associe bien sûr aux vœux de bonne santé adressés par nos plus illustres représentants au Président de la République et au Premier ministre.

Dans le contexte d’angoisse, de sacrifice et de colère de nos concitoyens provoqué par cette crise sanitaire et économique inédite, une stratégie vaccinale claire et précise est nécessaire pour redonner confiance à nos concitoyens.

Alors que le Royaume-Uni a entamé, la semaine dernière, sa campagne de vaccination et que l’Allemagne a d’ores et déjà mis en place d’importants moyens logistiques, nous ne pouvions que nous interroger sur le retard de la France en la matière.

Il a fallu attendre le 30 novembre pour que la Haute Autorité de santé publie ses recommandations et permette au Gouvernement d’en dégager une doctrine, alors que l’avis du conseil scientifique du 9 juillet pressait le Gouvernement d’agir dans les plus brefs délais.

Dans ce contexte, monsieur le ministre de la santé, il devenait urgent que la France se dote d’une stratégie de vaccination nationale qui permette d’établir clairement les conditions d’approvisionnement, de stockage, d’allocation, de distribution et d’administration du vaccin.

Bien entendu, le déploiement de la vaccination doit viser en priorité les publics les plus vulnérables au virus et les plus susceptibles de développer des formes graves de la maladie.

Le déploiement en trois phases proposé par le Gouvernement est judicieux pour permettre un accès équitable aux vaccins des personnes selon leur âge, leur comorbidité ou leur exposition.

Néanmoins, le Gouvernement ne cesse de répéter qu’il a conduit une politique de préachat visant à sécuriser l’accès de la France aux vaccins en quantité suffisante.

La France disposera ainsi d’un potentiel de 200 millions de doses, ce qui permettrait de vacciner 100 millions de personnes, puisque le vaccin nécessite deux injections à quelques semaines d’intervalle.

Pour autant, quelle sera la chronologie précise de ces livraisons ? De quelles garanties disposons-nous sur les commandes d’un point de vue logistique ?

Nous pouvons nous inquiéter que, au pays de Pasteur, 61 % des citoyens aient annoncé, dans un récent sondage, n’avoir pas forcément l’intention de se faire vacciner. Ce chiffre édifiant repose en grande partie sur l’irresponsabilité dont quelques personnalités médiatiques ont fait montre en remettant en cause la crédibilité des discours scientifiques, ce qui alimente les fantasmes sur les futurs vaccins.

Que n’a-t-on entendu de la part de spécialistes divers et variés, qui inondaient les informations de leurs avis dans des domaines qu’ils ne maîtrisaient pas, comme la santé publique ? On peut être éminent virologue ou éminent réanimateur et dire des sottises sur l’attitude collective à adopter en réponse à une épidémie.

Néanmoins, ces inquiétudes sont légitimes en l’absence d’une information complète sur les vaccins, au regard de la rapidité de leur développement, malgré les autorisations délivrées par les agences sanitaires européennes. Nous n’avons pas de recul sur la nouvelle technologie que constitue l’ARN messager.

Les interrogations restent multiples sur les effets secondaires de ces vaccins, la durée de la protection qu’ils offrent, ou encore leur impact sur la transmission du virus. Il ne faut rien éluder et, parfois, reconnaître qu’on ne peut pas tout savoir.

La question de la confiance est centrale ; elle doit être au cœur de cette stratégie. Les Français doivent comprendre que se faire vacciner est un acte citoyen pour parvenir de nouveau à vivre en société. Cela passe nécessairement par une transparence des informations que les pouvoirs publics doivent délivrer, de façon nette et précise.

Dans cette perspective, le Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale, qui réunit experts scientifiques, professionnels de santé, représentants des collectivités locales et associations de patients, apparaît pertinent au regard de l’injonction de pédagogie et de clarté qu’exigent nos concitoyens. Il s’agit d’un acte fort en faveur de la démocratie sanitaire.

Le professeur Alain Fischer a ainsi rappelé hier matin, lors de son audition par notre commission des affaires sociales, que les avis de ce conseil allaient être rendus publics. L’effort d’information et de transparence doit être ambitieux, pour inciter les Français à se faire vacciner.

De même, je vous encourage à tabler au maximum sur une communication horizontale, plutôt que verticale, et à vous appuyer sur les relais importants que constituent les professionnels de santé et la société civile.

Je tiens également à saluer le choix annoncé par le Gouvernement de laisser la vaccination facultative et gratuite, mais surtout de placer le médecin généraliste au centre de cette campagne.

Les professionnels de santé seront en première ligne pour convaincre les patients du bienfait de cette vaccination. En effet, je le redis, seule la confiance pourra fonder le succès du déploiement de cette stratégie.

Toutefois, les médecins restent surchargés. Aussi serait-il pertinent d’ouvrir le plus tôt possible aux pharmaciens et au personnel infirmier la possibilité de vacciner, comme c’est le cas pour la vaccination contre la grippe saisonnière, vaccination dont on peut se réjouir qu’elle ait nettement progressé cette année.

Par ailleurs, il faut rappeler le succès de la coopération européenne en matière de stratégie vaccinale. La Commission européenne a ainsi engagé 2,7 milliards d’euros au sein de son instrument d’aide d’urgence pour financer les laboratoires les plus avancés dans leurs recherches. Cet investissement permet également de précommander des doses qui seront partagées entre les États membres selon des conditions tarifaires avantageuses.

Enfin, nous avons affaire à une pandémie ; elle ne pourra donc être combattue qu’à l’échelle internationale.

À cet égard, nous devons nous interroger sur la conception des vaccins comme biens communs universels, de manière à assurer un accès sûr, équitable et universel aux diagnostics, aux traitements et aux vaccins en faveur des pays les plus pauvres. Nous devons en effet refuser toute compétition mondiale où la règle serait celle du chacun pour soi.

L’initiative financière mondiale ACT a permis de mobiliser 2 milliards d’euros pour agir auprès des populations vulnérables et faciliter la recherche, ainsi que la diffusion du vaccin et des traitements.

Ces discussions sur la solidarité internationale doivent être approfondies. Quels pays seront aidés et selon quelle chronologie ? Des doses leur seront-elles réservées ?

Liberté de se faire vacciner ou non, égalité de l’accès au vaccin gratuit pour tous et fraternité envers celles et ceux qui n’ont pas la chance de vivre dans un pays développé et protecteur comme le nôtre : voilà les enjeux à considérer pour rester fiers de notre République.

En résumé, monsieur le ministre, transparence et communication claire, sans bureaucratie excessive dans la transmission des décisions : voilà ce qu’il faut pour redonner confiance dans nos chercheurs, nos médecins et nos décideurs politiques, dont j’espère que nous pourrons saluer a posteriori le courage et la pertinence des décisions ! (M. Jean-Claude Requier applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, j’adresse à mon tour à M. le Premier ministre tous les vœux de bonne santé de mon groupe.

Tout d’abord, monsieur le ministre de la santé, permettez-moi de me réjouir de votre présence devant notre Haute Assemblée, hier comme aujourd’hui, après huit semaines d’absence.

M. Olivier Véran, ministre. Huit semaines d’absence ? Comment comptez-vous ? J’étais ici le 9 novembre !

Mme Laurence Cohen. L’organisation de ce débat sur la place de la stratégie vaccinale dans le dispositif de lutte contre l’épidémie de covid-19 nous permet de prolonger les interrogations issues des travaux de la commission d’enquête du Sénat sur la crise sanitaire.

Alors que la pandémie de covid-19 a bouleversé la vie de toutes et de tous, l’arrivée de vaccins contre le virus est une excellente nouvelle.

Cette nouvelle étape dans la lutte contre la covid-19 s’inscrit dans la stratégie définie, le 24 novembre dernier, par le Président de la République, Emmanuel Macron : « Tester, alerter, protéger, soigner. » Reste à conquérir l’adhésion de la population, sachant que seulement 41 % des Françaises et des Français auraient l’intention de se faire vacciner, selon un sondage de l’IFOP, l’Institut français d’opinion publique, pour Le Journal du dimanche.

Convaincus des bienfaits de la vaccination, nous partageons, monsieur le ministre, les recommandations de la HAS, qui n’est pas favorable à une vaccination obligatoire. Nous pensons en effet qu’il faut privilégier l’intelligence humaine sur les mesures coercitives qui seraient contre-productives.

Il faut donc engager des moyens pour une véritable campagne de prévention sur la vaccination et associer les citoyennes et les citoyens aux décisions politiques.

Les multiples scandales sanitaires – le Mediator, la Dépakine, le Distilbène, l’hormone de croissance, le sang contaminé et l’Isoméride, pour ne citer que quelques exemples – ont entraîné une méfiance d’une partie de la population envers les médicaments et les industriels.

Comment peut-il en être autrement quand on voit les grandes puissances rafler plus de 6 milliards de doses de vaccins et n’en laisser que 500 millions pour le reste du monde ? Nous sommes non pas dans la coopération, mais dans la concurrence et le chacun pour soi !

Comment peut-il en être autrement quand les contrats commerciaux avec les Big Pharma sont totalement couverts par le secret des affaires ?

Comment peut-il en être autrement quand règne une véritable opacité sur le prix auquel l’Union européenne achète ses stocks de vaccins ?

La transparence doit s’imposer à tous les niveaux, y compris pour la composition des vaccins. La course contre le virus ne doit pas nous faire perdre de vue la sécurité sanitaire. Nous soutenons l’engagement de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé de publier, chaque semaine, un rapport sur les effets secondaires et indésirables signalés sur le vaccin.

Afin de rassurer nos concitoyennes et nos concitoyens, nous vous suggérons, monsieur le ministre, de mettre en place un dispositif de vaccinovigilance consolidé.

La stratégie vaccinale prévoit deux circuits de distribution : une centaine d’hôpitaux répartis dans chaque département et cinq plateformes nationales équipées de super-congélateurs.

On nous dit que les généralistes auront un rôle pivot ; encore faudrait-il qu’ils possèdent les équipements nécessaires pour conserver les vaccins ! En effet, ni les hôpitaux, ni les Ehpad, ni les grossistes répartiteurs ne sont actuellement tous équipés de super-congélateurs, tant s’en faut. Selon notre groupe, l’achat de ces congélateurs doit se faire sur le budget de l’État et non sur celui de la Sécurité sociale ou des établissements eux-mêmes.

Depuis l’annonce de l’arrivée des premières doses au début de 2021, une question se posait : quelles populations seraient prioritaires ? La HAS a tranché, en proposant cinq phases vaccinales, ce qui paraît adapté à la situation. Néanmoins, je souhaiterais vous faire part de plusieurs interrogations.

Premièrement, dispose-t-on de suffisamment de personnel pour réaliser la vaccination ? Pourquoi ne pas envisager d’élargir le cercle des professionnels habilités à vacciner, pour cette vaccination-ci, au-delà des seuls généralistes ?

Deuxièmement, quelle sera la capacité du laboratoire Pfizer à livrer la France, notamment pour la deuxième phase, qui concernera 15 millions de nos concitoyennes et de nos concitoyens, au mois de mars prochain ? Le Wall Street Journal a récemment annoncé que les objectifs de livraisons du laboratoire Pfizer ont été divisés par deux. Où en est-on, monsieur le ministre ?

Troisièmement, les 2 milliards d’euros prévus par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 pour la stratégie vaccinale seront-ils suffisants ? Le coût de chaque dose du vaccin Pfizer est de 33 euros, qu’il faut multiplier par 50 millions de Françaises et de Français majeurs. Une seule injection représente donc déjà un coût proche de 1,7 milliard d’euros pour l’assurance maladie, alors qu’il en faut deux.

Quand on sait que le groupe pharmaceutique AstraZeneca a annoncé vendre son vaccin au prix coûtant de 4 euros, on peut s’interroger sur la portée des paroles d’Emmanuel Macron considérant que le vaccin contre la covid-19 est un bien commun de l’humanité, vendu à prix coûtant.

À cet égard, je voudrais rappeler l’initiative citoyenne européenne portée par une large coalition de syndicats, d’ONG, de militantes et militants politiques, d’associations étudiantes et d’experts de la santé, qui vise à recueillir un million de signatures pour obtenir un accès équitable aux futurs vaccins et autres traitements pour toutes et tous en Europe et dans le monde, et pour lever l’opacité des négociations entre l’Union européenne et les laboratoires pharmaceutiques. On peut résumer cette campagne par la formule « ni profits ni monopoles sur la pandémie ».

Je regrette vivement que le Sénat ait rejeté, la semaine dernière, notre proposition de loi portant création d’un pôle public du médicament et des produits médicaux. C’était l’occasion de s’appuyer sur un outil public de production et de distribution des médicaments, ainsi que des vaccins à l’échelle nationale, mais aussi européenne. En ce sens, l’une des recommandations formulées par l’Opecst, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, dans son rapport sur la stratégie vaccinale – prévenir et lutter contre les conflits d’intérêts – nous paraît particulièrement importante.

Je veux enfin attirer votre attention, monsieur le ministre, sur la stratégie de certains grands laboratoires, dont Sanofi : tout en recevant des fonds publics, ce laboratoire affaiblit au fil des ans ses activités de recherche et développement sur des thématiques essentielles, comme les nouveaux antibiotiques, les maladies d’Alzheimer ou de Parkinson, le diabète, ou encore les troubles cardiovasculaires. Cette stratégie nous interroge et ne manque pas d’entraîner un trouble en ce qui concerne le retard pris dans l’élaboration du vaccin Sanofi-Pasteur.

En conclusion, si le vaccin n’est pas la solution miracle, c’est une pierre importante dans le combat que nous menons contre la pandémie. Aussi, ne manquons pas ce rendez-vous, mais tirons des leçons de ce que nous avons vécu avec les masques ou les tests ! C’est le vœu que nous formulons, me semble-t-il, sur toutes les travées de cette assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mmes Marie-Pierre de La Gontrie, Michelle Meunier et Raymonde Poncet Monge applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Sonia de La Provôté, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Sonia de La Provôté. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je souhaite avant tout un bon rétablissement au Président de la République et au Premier ministre.

La question qui nous est posée est celle de la place de la stratégie vaccinale dans le dispositif de lutte contre l’épidémie de covid-19. La réponse est tout sauf simple, ce qui démontre l’importance des défis à relever. En effet, si nous construisons pas à pas des connaissances scientifiques, médicales et sociologiques, elles représentent de simples îlots de certitudes au milieu d’un océan d’incertitudes et d’imprévus.

D’une part, ce virus est nouveau ; bien que l’on connaisse mieux sa virulence et son pouvoir pathogène, il reste beaucoup à apprendre, notamment en clinique et en thérapeutique.

D’autre part, ces vaccins aussi sont nouveaux ; certains d’entre eux font appel à une technologie nouvelle, fondée sur l’utilisation de l’ARN messager.

Dès lors, de nombreuses questions sur l’immunité conférée par la maladie ou le vaccin restent en suspens : quid de la durée de protection et de sa qualité ? Bloque-t-elle la diffusion du virus ?

Ce que nous savons, c’est combien cette maladie est grave, notamment pour les plus âgés et les plus fragiles. Nous savons aussi que les mesures barrières et le confinement sont efficaces. Nous savons enfin que, dès que l’on baisse la garde, l’épidémie reprend vite et fort ; l’actualité de ce jour le démontre une nouvelle fois. Un vaccin efficace et aux effets secondaires limités est donc l’idéal attendu.

Soyons réalistes : il va se passer encore un peu de temps avant que ce virus ne prenne la place qui doit être la sienne, celle d’un agent pathogène connu et contrôlé, avec lequel nous vivrons plus sereinement.

Pour cela, le défi est d’agir individuellement et collectivement le plus efficacement possible, le temps que nous passions de l’inconnu à la connaissance.

Dans cette stratégie, la vaccination est une clé essentielle. Pour autant, elle arrive dans un contexte d’incompréhensions et de doutes par rapport à la puissance publique et la science. La vaccination, qui est pourtant un formidable espoir, reçoit en effet un accueil mitigé de la part de nombre de nos concitoyens.

Aussi, dans la mesure où nous ne pouvons, ni économiquement ni humainement, rater le rendez-vous de la vaccination, deux conditions s’imposent au Gouvernement pour que cette stratégie vaccinale soit une réussite dès sa première phase : tout d’abord, il faut retrouver la confiance en informant bien ; ensuite, il est nécessaire d’organiser impeccablement la logistique.

Le premier défi est donc celui de l’information. Comme le dit le professeur Fischer, elle doit reposer sur plusieurs principes intangibles. Le principal d’entre eux est la transparence : celle-ci est non une option, mais un guide ! C’est accepter de dire ce que l’on sait et ce que l’on ne sait pas. C’est répondre à toutes les questions que nos concitoyens se posent de manière légitime. C’est aussi fournir, au fur et à mesure du déploiement de la vaccination, des points d’étapes de son avancement et de l’état des connaissances. C’est, enfin, éviter de tenir un discours pour ne pas avoir à tenir un autre.

À vaccin nouveau, risques nouveaux, peut-être, parmi lesquels des effets secondaires rares qui ne pourraient se faire jour que quand un grand nombre de personnes seraient vaccinées. Il est donc essentiel que les données de la chaîne de pharmacovigilance et de la traçabilité des doses dispensées soient disponibles, actualisées, fiables et irréprochables.

À ce titre, comme le préconise le rapport de l’Opecst, un site internet unique et ergonomique est vivement souhaitable. On pourrait y trouver l’avis des autorités sanitaires et scientifiques, nationales comme européennes, ou encore les études scientifiques au fur et à mesure de leur parution.

Ce suivi est essentiel pour que chacun comprenne le processus et l’avancée de la stratégie jusqu’à la vaccination de la population générale, d’autant que nous aurons alors plusieurs vaccins différents. C’est à ce moment-là que l’adhésion des Françaises et des Français devra être la plus grande, dans l’espoir d’une immunité qui enraye la propagation du virus.

La transparence, c’est aussi aborder la question de la nature et du montant des contrats conclus avec les laboratoires pharmaceutiques, en particulier la clause d’irresponsabilité, qui cristallise d’ores et déjà bien des suspicions.

Outre cette transparence sur les contenus, un effort essentiel est à produire sur l’organisation des circuits de l’information.

Depuis le début de cette crise, les querelles de plateaux alimentent les doutes ; la parole publique est elle-même source de confusion. La multiplicité des interlocuteurs produit des dissonances, parfois même des contradictions.

Ministère, DGS, ANSM, comité CARE, conseil scientifique, task force vaccin, CESE, groupes de citoyens tirés au sort, HAS, comité vaccin, Conseil stratégique d’orientation de la vaccination, Santé publique France, conseil de défense et de sécurité : l’énumération donne le tournis… Dans cette comitologie, on ne retrouverait pas ses petits ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Il est temps de dire précisément qui fait quoi. Il est temps aussi de choisir qui informe, sur quoi, et comment. Bref, chacun son rôle : la parole publique doit être claire et lisible.

Enfin, la transparence, c’est viser des publics et des canaux variés, c’est choisir prioritairement ceux qui, sur le terrain, seront les transmetteurs et les promoteurs privilégiés de la vaccination.

Dans cette logique, le déficit d’information à l’égard des médecins est regrettable – on a pu le vérifier hier soir –, alors même qu’ils sont les premiers vaccinateurs. Certains demandent encore à être convaincus d’un point de vue scientifique et médical, mais aussi pour la stratégie choisie. Ils sont pourtant un maillon essentiel de la réussite, car le colloque singulier entre le médecin et son patient sera un moment crucial dans l’adhésion à la vaccination. Les soignants dans les structures de santé et les pharmaciens sont eux aussi des rouages stratégiques d’information ; ils sont encore nombreux à devoir être convaincus.

Il paraît d’ailleurs légitime de proposer dès à présent la vaccination à tous les soignants qui le souhaitent. Ce serait un acte positif d’exemplarité.

Par ailleurs, nous ne saurions trop insister sur la nécessité de s’appuyer sur les associations de patients et d’usagers et de concevoir avec elles une stratégie ad hoc de communication à destination des citoyens.

Enfin, nous insistons sur les élus locaux, qui restent hors des écrans radars pour le moment.

M. Olivier Véran, ministre. Nullement !

Mme Sonia de La Provôté. Au premier rang d’entre eux, il y a les maires, qui ont certes un rôle logistique, mais dont le poids de la parole auprès de leurs administrés est réel.

Ces questions de circuit et d’organisation de l’information doivent être réglées avant le début de la campagne vaccinale. Comme vous l’aurez compris, monsieur le ministre, cela doit passer, selon nous, par moins de verticalité et plus de proximité. Autrement dit, il s’agit de préférer la communication racinaire aux éclairs de Jupiter ! (Sourires sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

Après l’information, le second défi est celui de la logistique. La première phase de vaccination, prévue à fin du mois, concerne les personnes âgées résidant dans des structures comme les Ehpad ou les USLD, les unités de soins de longue durée.

Pour ces personnes, la balance bénéfices-risques penche de manière indiscutable vers la vaccination, compte tenu de la fréquence et de la gravité de la maladie chez elles. Les vacciner, c’est les protéger. C’est aussi, en cas de recrudescence du virus, permettre aux hôpitaux d’accueillir tout le monde, en ayant protégé ceux qui étaient les plus vulnérables. Cette phase est donc un choix de raison, humainement et médicalement, mais il faudra très vite engager également la vaccination des personnes âgées à domicile.

Les choses ne sont pas simples pour autant. Le plan de déploiement de cette première phase sera une véritable course contre la montre : des vaccins conservés à –80 degrés Celsius ; 12 heures au plus de transport ; 5 à 6 jours de conservation une fois décongelés ; 5 heures pour l’administration une fois que les vaccins sont déconditionnés ; enfin, une seconde dose au bout de 21 jours.

Ce plan, qui n’a pas encore été communiqué dans les territoires, nécessitera pourtant d’être ajusté avec les acteurs locaux pour tenir compte des particularités locales. Je pense ici en particulier aux outre-mer. Les épisodes que nous avons vécus autour des masques et des tests ont bien montré les limites de l’hypercentralisation. J’insiste vraiment, monsieur le ministre : tirez les enseignements des mois passés !

Nous attendons donc que cette organisation s’appuie sur les relais de terrain pour avoir la réactivité et l’agilité nécessaires. En amont, l’identification géographique des structures et du nombre de personnes à vacciner, en lien avec le nombre de doses disponibles, est une partie délicate de la chaîne.

Intervient alors ce préalable essentiel qu’est le recueil du consentement éclairé des personnes. À ce sujet, l’orientation initiale était celle d’un consentement oral, auquel médecins et directeurs sont opposés : est-ce décidé ?

Concernant les personnes âgées ne pouvant émettre un consentement éclairé, tuteurs, curateurs, tiers de confiance et familles doivent être identifiés dès à présent : ce sont eux qui prendront la décision de vaccination et devront être convaincus.

Par ailleurs, les médecins lancent l’alerte sur leur responsabilité dans le cadre de cette campagne vaccinale : ils veulent se sentir juridiquement protégés, comme pour le H1N1. Un arrêté ministériel est ici nécessaire ; c’est vraiment un élément potentiellement bloquant !

Cruciale, parce que déterminante pour l’adhésion de la population générale, la réussite de cette première phase repose ainsi sur une logistique impeccable et complexe, que nous suivrons avec attention.

Pour conclure, monsieur le ministre, j’aimerais affirmer ici de manière claire et précise que nous accueillons avec espoir l’arrivée de la vaccination dans la stratégie globale de lutte contre la covid-19.

Cet accueil s’accompagne d’une extrême attention et d’une particulière vigilance. Nous ne pouvons pas rater le rendez-vous de la vaccination : ce serait regrettable pour la lutte contre cette épidémie comme pour l’ensemble de la vaccination, avancée majeure dans la lutte contre un grand nombre de maladies.

Pour réussir, il faudra amener nos concitoyens à un consentement libre et éclairé. Cela ne se décrète pas, cela ne s’impose pas, cela se construit.

Je souhaite rappeler ce qui fonde la réussite : d’une part, il faut mettre en place une stratégie d’information transparente, claire, accessible, actualisée, adaptée et non autoritaire ; d’autre part, il faut que le déploiement logistique et technique de cette vaccination dans les territoires soit agile, rigoureux et sécurisé.

Parce que le Sénat et le Parlement entier doivent être pleinement informés et remplir leur mission dans le cadre de la séparation des pouvoirs, la transparence exige que ce débat soit réitéré d’ici à l’été prochain.

Les vaccins sont une lueur dans une crise majeure. D’ici là, il faudra beaucoup d’écoute et de pédagogie pour maintenir la vigilance et l’adhésion aux mesures barrières et aux protocoles imposés, indispensables tant que le virus circule, ce qui est toujours le cas !

Nous sommes conscients de notre rôle ; vous pouvez donc compter sur le groupe Union Centriste pour accompagner la lutte contre l’épidémie de covid-19. Ce sera sans blanc-seing : nous vous alerterons, nous vous conseillerons, nous vous contrôlerons si nécessaire, et nous attendons en retour votre écoute attentive et le respect scrupuleux du rôle de chacun dans notre République. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Bernard Jomier. Mesdames, messieurs les ministres, je voudrais tout d’abord que vous vous fassiez notre interprète auprès de M. le Premier ministre pour lui souhaiter de ne pas avoir été contaminé, et auprès du chef de l’État, à qui nous souhaitons de franchir cette épreuve sans dommage pour lui-même et ses proches.

Faites-vous aussi notre messager, s’il vous plaît, auprès du préfet de police de Paris : qu’il ait pour le chef de l’État l’indulgence qu’il n’a pas eue envers les Parisiens au printemps dernier, quand il a accusé ceux qui avaient été contaminés d’en être responsables en ayant enfreint les gestes barrières et le confinement, ce qui était très injuste.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ne vous inquiétez pas : à ce stade du débat, je n’entends pas répéter ce que nombre de nos collègues ont déjà très justement exprimé quant aux conditions de réussite de cette stratégie. Je voudrais plutôt me livrer à un exercice de mémoire. En effet, si le passé ne dicte pas l’avenir, du moins il l’éclaire.

Rappelons-nous que notre pays, grâce à la vaccination, a éliminé des maladies violentes : la poliomyélite, la variole, qui a d’ailleurs disparu de la surface de la planète, ou encore la diphtérie. Rappelons-nous d’ailleurs que le vaccin qui a permis l’éradication de la poliomyélite connaissait à l’origine une balance bénéfices-risques assez rude : des enfants ont contracté cette maladie du fait de la vaccination !

Notre époque n’accepte plus un tel rapport bénéfices-risques ; elle en demande un qui soit beaucoup plus net. C’est heureux, c’est le progrès, mais cela nous éclaire sur un point : ce n’est pas parce que de nouveaux outils comportent des risques qu’il faut les écarter.

Or la vaccination est avant tout un outil de santé publique inestimable, parce qu’elle porte une protection individuelle, mais aussi parce que, le plus souvent – nous espérons que ce soit le cas cette fois-ci ! –, elle porte une protection collective. La vaccination est donc un acte de santé publique qui permet aussi de lutter contre l’égoïsme et l’individualisme ; c’est un acte qui nous engage collectivement. Monsieur le ministre, vous pouvez être assuré de notre soutien dans la mise en œuvre de cette stratégie de vaccination de notre population.

Je me souviens aussi d’événements qui sont plus proches de nous et qui éclairent tout autant nos décisions.

Jusqu’en 1995, nos patients mouraient d’un nouveau virus, le VIH ; nos amis en mouraient aussi. Quand sont apparus, cette année-là, de nouveaux traitements antirétroviraux, un débat s’est ouvert sur leurs effets secondaires, qui étaient très importants à l’époque.

Les malades réclamaient que l’on aille vite et que ces traitements soient accessibles à tous. Vous êtes sans doute nombreux à vous rappeler ces débats surréalistes sur le tirage au sort de ceux qui pourraient avoir accès à ces traitements… Heureusement, nous n’en sommes pas là ; il ne faut pas que nous en arrivions là !

Pour cela, nous devons être en mesure, au plus vite, de protéger l’ensemble de ceux qui sont vulnérables, toutes les populations – vous les avez détaillées, monsieur le ministre – qui devront bénéficier au plus vite du vaccin, parce qu’elles développent les formes graves de cette maladie et en meurent davantage.

Vous avez fait le choix, monsieur le ministre, après une hésitation que nous allons tous ici oublier, de nommer Alain Fischer comme responsable du Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale.

Or, en 2016, le professeur Fischer avait animé un travail important : une concertation citoyenne sur la vaccination avait été lancée, à la demande de la ministre de la santé de l’époque, parce que, déjà, une grande proportion de nos concitoyens s’interrogeait sur l’intérêt de la vaccination ; il fallait donc agir.

Le rapport qui en est issu était très intéressant. Nous en avions débattu il y a deux ans dans cet hémicycle, lorsqu’Agnès Buzyn, en application de ce travail, est venue nous demander la mise en œuvre de l’une des recommandations de ce rapport, à savoir l’extension de trois à onze du nombre de vaccins obligatoires. Cette recommandation était présentée comme une nécessité provisoire visant à rehausser rapidement les taux de vaccination, notamment contre la rougeole, les oreillons et la rubéole, qui stagnaient alors autour de 80 % chez les enfants.

Néanmoins, ce rapport contenait bien d’autres dispositions. Vous vous en souvenez, car lors des débats dans cet hémicycle, nous avions affirmé que nous voterions en faveur de l’extension de l’obligation vaccinale, tout en soutenant qu’il était absolument nécessaire de mettre en œuvre les autres recommandations, qui, déjà, portaient sur la transparence, le partage de l’information, l’association de nos concitoyens à la politique vaccinale et la communication sur l’intérêt de la vaccination.

Je regrette que ces dispositions-là, pourtant nombreuses, n’aient pas été mises en œuvre. Elles concernaient aussi la nécessité d’expliquer aux enfants en quoi consiste la vaccination, sur la position de l’Opecst à l’égard de la mise en place d’un site numérique unique regroupant l’ensemble des informations sur le vaccin – notre collègue Sonia de la Provôté vient de le rappeler –, ainsi que sur l’association des territoires de santé et des acteurs locaux à la mise en œuvre des politiques de vaccination.

Sans énumérer toutes ces propositions, je rappellerai que leur défaut d’application, depuis plusieurs années, n’a malheureusement pas amélioré l’adhésion de nos concitoyens. Nous arrivons désormais au début de la vaccination, et un grand doute existe dans l’opinion publique.

En responsabilité, monsieur le ministre, nous serons à vos côtés afin de lever ces doutes. Pour ce faire, nous vous appelons, de façon extrêmement forte, à permettre au professeur Alain Fischer de mettre en application, à l’occasion de cette stratégie vaccinale, les dispositions qui étaient contenues dans le rapport de 2016.

Il ne sert à rien de réinventer l’eau tiède tous les quatre matins ; nous ferions bien mieux d’appliquer les bonnes dispositions qui ont déjà été pensées et mûries. (Mmes Marie-Pierre de La Gontrie et Michelle Meunier applaudissent.)

Je tiens à ajouter quelques mots, que je déclinerai en trois points.

Premièrement, dans cet hémicycle comme dans notre société, l’Union européenne est critiquée. Mais cette union, qui prend des décisions permettant de protéger au mieux nos populations, nous l’aimons, et c’est bien elle que nous appelons à développer, car si nous allons pouvoir commencer aussi vite les vaccinations, c’est en partie grâce à elle ; il est important de le dire.

Deuxièmement, nous souhaitons que personne ne soit oublié dans cette campagne de vaccination.

Nous pensons à nos compatriotes résidant à l’étranger, pour lesquels il conviendrait qu’un dispositif soit mis en place, afin de leur permettre d’accéder également au vaccin.

Nous pensons aussi aux populations les plus précaires, aux individus détenus en centres de rétention et, de façon générale, à toutes ces populations qui sont le plus victimes de l’épidémie. En effet, cette dernière – nous le savons tous – ne se répartit pas de manière égale sur le territoire, mais touche particulièrement les personnes vivant dans des conditions sociales et économiques dégradées. Nous vous appelons donc à avoir une attention particulière pour ces populations.

En outre, la France doit être à la hauteur de ses valeurs à l’international. Elle doit participer à l’accès au vaccin de l’ensemble des populations de notre planète : bien qu’elle ne soit pas seule dans cette entreprise, il est attendu, au regard des valeurs d’humanisme et de solidarité qu’elle porte, qu’elle réponde à un devoir particulier, de telle sorte que le vaccin ne soit pas réservé aux seuls pays qui ont les moyens de le payer.

Enfin, vous nous avez expliqué, monsieur le ministre avec une conviction et une cohérence certaines, que la première étape de la stratégie vaccinale visait à protéger les quinze millions de Français les plus vulnérables. Et après ?

Ce n’est pas que nous minorions l’importance de cette première phase : elle est fondamentale, et nous souhaitons qu’elle se déroule au plus vite, afin que, d’ici à trois mois, les personnes les plus vulnérables aient été vaccinées. Mais qu’en est-il de la suite ?

Si les vaccins – ceux qui sont développés par Pfizer-BioNTech et Moderna, et les autres – permettent de mettre fin à la contagiosité et de rompre les chaînes de transmission du virus, quelle stratégie vaccinale allons-nous adopter ? Nous devons poser cette question maintenant, car elle conditionne évidemment le nombre de doses de vaccins que nous souhaiterons acquérir. En clair, pourrons-nous un jour engager une stratégie d’éradication du virus ?

Voilà, monsieur le ministre, les quelques constats et propositions que nous voulions partager avec vous, en attendant que le vaccin nous permette de mettre à l’abri les populations les plus vulnérables et de mettre fin à ces mesures restrictives, qui causent tant de tort à notre vie sociale, économique et culturelle.

Nous allons devoir maintenir et améliorer notre stratégie de test, de traçage et d’isolement, mais aussi continuer à veiller au respect des gestes barrières et de la distanciation physique. Nous pouvons dès à présent nous satisfaire de ne plus être sur la défensive et de mener une bataille qui nous permettra d’éliminer, dans ses aspects les plus néfastes, ce virus : c’est un grand espoir pour tout le pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

(M. Roger Karoutchi remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)