Mme la présidente. La parole est à M. Didier Mandelli, pour la réplique.

M. Didier Mandelli. Si nous partageons les objectifs, madame la secrétaire d’État, je suis assez dubitatif quant à la capacité de RTE à mesurer globalement l’évolution de la consommation. Les précédents orateurs ont évoqué les besoins afférents au bâtiment, aux voitures électriques ou au numérique. Je ne suis pas persuadé qu’on ait pris la mesure des évolutions très rapides – que nous observons déjà dans d’autres pays – qu’entraîne l’ensemble de ces nouvelles demandes.

C’est pourquoi je proposerai aux présidents de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des affaires économiques d’auditionner des représentants de RTE afin de mieux connaître les modèles qui servent à établir ces indicateurs et ces perspectives. Je doute en effet que la prise en compte de l’ensemble de ces évolutions aboutisse à cette position qui consiste à dire que tout va bien, que tout est prévu et intégré. Aujourd’hui, nous avons la preuve que nous ne sommes pas réellement prêts.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Mouiller.

M. Philippe Mouiller. La loi de 2015 relative à la transition énergétique a marqué un tournant dans la politique énergétique française en prévoyant la réduction à l’horizon de 2025 de la part du nucléaire dans la production d’électricité à hauteur de 50 %, objectif reporté à 2035 depuis la loi Énergie-climat car totalement irréaliste. Voilà comment, par dogmatisme, on réduit notre capacité de production électrique pilotable et propre, à savoir le nucléaire, pour la remplacer par des énergies tout aussi propres mais intermittentes et aléatoires, à savoir les énergies renouvelables, avec comme conséquence l’incapacité de couvrir la consommation des ménages et des entreprises en électricité en cas d’hiver rigoureux, et ce peut-être dès cet hiver.

Le Gouvernement veut s’appuyer sur l’électricité d’origine renouvelable pour pallier la réduction de la production d’électricité d’origine nucléaire, mais les voyants sont au rouge : les objectifs de la politique énergétique nationale risquent de ne pas être atteints et le compte d’affectation spéciale « Transition énergétique », qui assurait le financement des EnR, a été supprimé du budget.

Les dispositifs de soutien aux EnR sont entrés dans une zone de turbulences, puisque la baisse des prix des énergies renchérit les charges de service public de l’énergie qui les sous-tendent. L’hydroélectricité, première source d’énergie renouvelable en France, est menacée par la demande d’ouverture à la concurrence du secteur par Bruxelles. En tout cas, les projets sont à l’arrêt.

Les EnR sont aussi le parent pauvre du plan de relance. Au total, 28 % des objectifs fixés par la PPE d’ici à 2023 ne sont pas réalisés pour les installations photovoltaïques, éoliennes et hydrauliques.

Madame la secrétaire d’État, quelle est donc la stratégie pour le développement des EnR électriques ? Seront-elles un jour suffisantes pour pallier le recul de l’électricité nucléaire dans le mix énergétique et assurer la continuité du service ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Bérangère Abba, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Mouiller, la loi fixe des objectifs ambitieux en visant 40 % de la production électrique d’origine renouvelable à l’horizon de 2030. Pour atteindre cet objectif, nous déployons des dispositifs de soutien public en faveur des énergies renouvelables. En 2021, plus de 6 milliards d’euros seront consacrés à ce soutien.

Grâce à cet effort soutenu depuis plusieurs années, la compétitivité des énergies renouvelables, notamment électriques, s’est fortement améliorée. En effet, lors des derniers appels d’offres, le prix du mégawatt était d’environ 60 euros pour l’éolien, et même de 44 euros pour le parc éolien en mer de Dunkerque, alors que la CRE annonce des prix situés entre 48 et 50 euros pour le nucléaire existant et bien au-delà pour le nucléaire à venir. La compétitivité des énergies renouvelables est donc tout à fait évidente aujourd’hui.

Pour rendre crédible l’atteinte des objectifs de la PPE, nous travaillons effectivement sur tous les leviers : nous avons mis en place un calendrier des appels d’offres pluriannuel, qui donne aux acteurs une visibilité leur permettant de développer leurs projets et leur stratégie ; nous soutenons l’innovation par le PIA pour développer les technologies et des appels d’offres spécifiques pour les déployer ; et nous travaillons sur des questions de planification et de délais de raccordement, de qualité de la concertation des projets et de planification jusque dans l’appropriation locale, qui constitue un enjeu fort dans nos territoires.

Les études techniques approfondies qui sont menées par RTE montrent que la diversification du mix électrique prévue par la loi, en particulier dans le cadre du programme de fermetures de réacteurs et du développement des énergies renouvelables, ne met pas en péril la sécurité d’approvisionnement à moyen terme. Ces évolutions seront évoquées dans l’étude qui doit être publiée mi-2021 par RTE, notamment sur cette sécurité d’approvisionnement.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Mouiller, pour la réplique.

M. Philippe Mouiller. J’entends l’ensemble de vos arguments – vous avez lu une fiche vous donnant toutes les explications –, mais, concrètement, il y a un problème d’équilibre entre la volonté de diminuer le nucléaire et la capacité à produire de l’électricité grâce aux énergies renouvelables. Aujourd’hui, nous constatons une vraie difficulté, car les énergies renouvelables ne sont pas toujours maîtrisables. Dès lors que nous ne sommes pas capables de stocker, il faut une évaluation qui soit différente. À mon avis, la situation que nous connaissons aujourd’hui est donc liée à une mauvaise évaluation de notre capacité à réduire la part du nucléaire.

Par ailleurs, en tant que membre d’un syndicat d’énergie, je constate sur le terrain que, entre les contrats administratifs, les politiques financières et la conduite des projets, la capacité à produire rencontre de vrais freins. Il y a un décalage entre votre vision technique à l’échelon national – même si je peux la comprendre – et la réalité. C’est un point essentiel du présent débat.

Conclusion du débat

Mme la présidente. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Stéphane Piednoir, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Piednoir, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comment en est-on arrivé là ? C’est sans doute la question qui est venue à l’esprit d’un certain nombre d’entre nous lorsque RTE a demandé aux Français, vendredi dernier, de réduire leur consommation pour éviter des coupures d’électricité sur le territoire.

Je salue la pertinence de l’initiative du groupe Les Républicains qui a souhaité la tenue de ce débat, et je regrette l’absence de réponse concrète de votre part, madame la secrétaire d’État.

Le 8 janvier dernier, la situation climatique était-elle si rigoureuse et les besoins prévisionnels étaient-ils si exceptionnels que nous devions craindre à ce point un blackout ? En réalité, non ! Les températures affichaient seulement quelques valeurs légèrement négatives et le pic de la demande était estimé à 88 gigawatts, très loin du maximum historique du 8 février 2012 à hauteur de 102 gigawatts. Rien n’était susceptible, a priori, d’effrayer un pays comme la France.

À bien y réfléchir, il est assez inouï que nous nous soyons retrouvés dans une telle difficulté, car il ne s’agit pas d’une énergie fossile, comme le gaz ou le pétrole dont notre sol national est quasiment dépourvu, mais d’une énergie pour laquelle notre pays a savamment construit une stratégie d’autonomie dès les années 1960. Hélas, l’absence de décisions anticipatrices et les renoncements sur l’autel des petits arrangements politiques ont mis à mal cette souveraineté, basée sur une avance technologique reconnue dans le domaine du nucléaire !

Certains, dont la ministre de la transition écologique, évoquent la possibilité de se tourner radicalement vers d’autres sources d’électricité et caressent même l’espoir d’un mix totalement renouvelable à l’horizon de 2050.

D’autres sont nettement plus sceptiques et partagent l’analyse de l’ancien député socialiste Jean-Yves Le Déaut, qui déclarait en 2017, en sa qualité de président de l’Opecst : « Le développement de la puissance éolienne et photovoltaïque installée ne contribue pas à assurer la sécurité d’approvisionnement, en tout cas pas dans la période de pointe la plus critique, celle du soir. »

Les chiffres sont têtus : le 8 janvier dernier, même au meilleur de la journée, ces deux sources de production n’ont jamais excédé 5 % du total d’électricité fournie. Quels que soient les rêves des uns et des autres, la géographie naturelle de la France n’est pas celle de la Norvège. Elle ne permet pas de remplacer notre capacité de production par des sources intermittentes et non pilotables. Au contraire, et il faut avoir le courage de le dire aux Français, nous importons régulièrement de l’énergie très fortement carbonée, en raison notamment de la baisse de notre production d’origine nucléaire, liée à la fermeture des deux réacteurs de Fessenheim.

Certes, plusieurs pistes prometteuses ont été mentionnées au cours de ce débat, des systèmes de stockage par batteries à la production d’hydrogène vert, mais dans le même temps on abandonne le programme Astrid sur les réacteurs nucléaires de quatrième génération, alors que d’autres pays accélèrent leur développement dans cette voie.

Pour atteindre l’équilibre recherché et éviter un blackout, la solution viendrait-elle du côté de la demande ? Malheureusement, non ! J’en veux pour preuve la décision prise par la représentation nationale d’interdire la commercialisation des véhicules émettant des gaz à effet de serre à l’horizon de 2040. Si l’on admet qu’une telle mesure contribue à renforcer la place du véhicule électrique, la consommation d’électricité devrait augmenter de l’ordre de 15 % d’ici à 2040. Les propriétaires ont, en effet, pour réflexe naturel de brancher leur véhicule en rentrant du travail, c’est-à-dire précisément au moment du pic de consommation, et les 30 000 bornes de recharge publiques sont davantage sollicitées en journée.

Autre exemple : le Gouvernement a annoncé en juillet dernier la fin des chaudières fonctionnant au fioul et, plus récemment, la réglementation environnementale 2020 prévue dans la loi ÉLAN a interdit le chauffage au gaz dans les nouvelles constructions immobilières. Ces mesures se traduisent de facto par le développement de solutions consommatrices d’électricité, au premier rang desquelles les pompes à chaleur.

Par ailleurs, une récente étude du cabinet E-CUBE et de l’Institut d’économie de Cologne montre qu’une vague de froid rigoureux en Europe pourrait conduire à un déficit de capacité de production allant de 35 à 70 gigawatts, entraînant des coupures d’électricité de 100 à 250 heures.

Un autre facteur de nature à tendre le réseau durant les vagues de chaleur tient à l’utilisation de climatiseurs, qui peut représenter jusqu’à 70 % de la consommation d’électricité dans le secteur résidentiel, comme on l’a constaté l’été dernier en Californie.

Enfin, les usages numériques continuent de croître de manière importante, qu’il s’agisse des smartphones, du stockage des données sur le cloud, ou encore du télétravail et des visioconférences que le confinement a nettement renforcés.

En résumé, au moment même où la demande suit une « tendance haussière » incontestable et certainement durable, notre pays a choisi de réduire les moyens dont il dispose pour y répondre de manière opérationnelle. Ce sentiment d’absurde me conduit à conclure en citant Jacques Rouxel, le célèbre parolier des Shadoks : « En essayant continuellement, on finit par réussir. Donc plus ça rate, plus on a de chance que ça marche. » (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François Bonhomme. Bonne référence !

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le risque de blackout énergétique.

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Montagne

Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur la montagne.

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. Cyril Pellevat, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Cyril Pellevat, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 4 décembre dernier – première date à retenir –, le Premier ministre prenait un décret interdisant l’accès du public aux remontées mécaniques. Cette décision n’est pas apparue comme une surprise aux acteurs de la montagne, compte tenu des propos du Président de la République à la fin du mois de novembre 2020. Cependant, ses conséquences sont désastreuses pour le secteur, qui représente environ 18 000 emplois directs et 100 000 emplois indirects. Déjà fragilisée par la fin brutale de la saison 2019-2020, du fait du premier confinement et d’un été en demi-teinte, la filière de la montagne va subir de nouvelles pertes économiques sèches, ce que reconnaît d’ailleurs le juge des référés du Conseil d’État dans son ordonnance du 11 décembre 2020.

La deuxième date à retenir est celle du 7 janvier, qui avait été fixée pour une éventuelle réouverture. En dépit des données épidémiologiques encourageantes d’autres pays voisins du nôtre qui n’ont pas fait le choix de fermer leurs remontées mécaniques, cette réouverture a été repoussée. Il est maintenant temps d’écouter la demande formulée dès le début par les acteurs de la montagne : qu’une date de reprise d’activité soit fermement fixée et que l’on s’y tienne, ou bien que l’on nous dise si nous allons vers une saison blanche. Il n’est plus possible de continuer à tenir l’ensemble des acteurs économiques de la montagne dans l’obscurité.

Monsieur le secrétaire d’État, puisque vous êtes en lien direct avec les professionnels, vous savez quel coup de massue cette décision représente pour les territoires de montagne, qui comptaient énormément sur cette saison hivernale pour tenter de rattraper le retard économique accusé. Opérateurs de remontées mécaniques, commerçants, professionnels de l’immobilier, collectivités territoriales ou travailleurs indépendants comme les médecins ou les pharmaciens, tous sont concernés.

Sans la fréquentation touristique française et étrangère, l’économie de montagne est à l’arrêt. Les taux d’occupation des stations atteignent à peine les 10 % pour les plus touchées, et les domaines skiables ont déjà perdu entre 20 % et 30 % de leur chiffre d’affaires annuel durant la seule période des vacances de fin d’année.

La décision du Gouvernement va donc compromettre durablement les capacités d’investissement de l’ensemble des acteurs de la montagne. La filière d’excellence des sports d’hiver anticipe une baisse des investissements de 50 %. En outre, les aides mises en place par le Gouvernement ne suffiront pas à pallier les difficultés liées à la fermeture des remontées mécaniques si celle-ci continue de s’éterniser.

Pour éviter une catastrophe, il faut à tout prix que le Gouvernement mette en œuvre les propositions pleines de bon sens et de raison au sujet desquelles les acteurs de la montagne et les élus vous sollicitent inlassablement. Rien ne vous empêche d’utiliser les moyens existants pour limiter la propagation du virus et les accidents, mais ne laissez pas à l’abandon cette économie, qui, en raison de ses spécificités, ne pourra pas reprendre une activité normale au printemps ! J’ai transmis dans un courrier au Premier ministre les principales propositions que nous avions formulées. Il est resté sans réponse à ce jour ; je le tiens à votre disposition.

Au nom de l’ensemble des acteurs de la montagne, je vous prie de faire le bon choix et de permettre une reprise d’activité le plus rapidement possible. Deux mesures me paraissent particulièrement intéressantes à mettre en œuvre, sans débourser 1 euro : d’une part, étaler les vacances d’hiver sur six semaines au lieu de quatre, afin de soutenir l’activité des stations sur les « ailes de saison » ; d’autre part, envisager de différencier les restrictions selon les départements, comme c’est le cas actuellement pour le couvre-feu, en observant le taux moyen d’occupation des lits d’hôpitaux. Les stations des départements situés au-dessous d’un certain seuil pourraient alors être autorisées à rouvrir leurs remontées mécaniques. J’espère que vous envisagerez sérieusement ces propositions.

La possibilité de cette différenciation me conduit au second point de mon propos : il faut continuer d’avancer sur le chemin d’une meilleure adaptation des normes législatives et réglementaires aux spécificités des territoires de montagne et des massifs. Ce travail doit commencer dès la conception de ces normes.

On gagnerait aussi à développer une démarche comparable pour améliorer le maillage des services publics. Plusieurs propositions figurent dans le rapport que la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a adopté, le 15 juillet dernier. Mes collègues y reviendront, notamment Dominique Estrosi Sassone.

Un premier pas pourrait consister à renforcer les liens avec le Conseil national d’évaluation des normes et le Conseil national de la montagne, ou bien encore à prévoir des expérimentations spécifiques.

Pour répondre à la désertification médicale, il me semble nécessaire de modifier le fonctionnement et la gouvernance des agences régionales de santé, de favoriser le développement de l’offre de stages en ambulatoire dans les zones de montagne, de développer la création de maisons de santé pluriprofessionnelles et de garantir le maintien d’une offre hospitalière de qualité, en proximité.

L’accès territorial au numérique et la lutte contre l’illectronisme sont d’autres sujets prioritaires. Le Gouvernement s’est fixé des objectifs ambitieux, qu’il est plus que jamais nécessaire d’atteindre.

Enfin, des questions d’attribution de compétences se posent, en particulier pour l’eau et l’assainissement. Une proposition de loi a été récemment déposée à ce sujet.

L’adaptation des territoires de montagne au réchauffement climatique remet durablement en cause leur modèle économique. Cette problématique a été peu abordée par les précédentes lois Montagne, alors qu’elle est vitale pour nos territoires, surtout pour les stations de basse et moyenne altitudes. Pour rappel, depuis les années cinquante, les températures annuelles moyennes dans les Alpes ont augmenté de deux degrés.

Si le risque de disparition des sports d’hiver est limité à l’horizon de 2040-2050 pour les stations situées au-dessus de 1 800 mètres d’altitude, elles seront confrontées comme les autres au manque d’enneigement, en particulier sur les « ailes » de la saison hivernale. Cette situation est très préoccupante, car la viabilité d’un domaine skiable suppose une durée minimale d’ouverture de cent jours par an. Certes, des outils existent pour sécuriser l’enneigement, comme la neige de culture. Nous devons cependant trouver des solutions pérennes, écologiques et moins coûteuses pour les stations, notamment les plus petites. Même sans neige, la montagne est et doit rester un espace attractif pour les Français et les touristes étrangers.

Deux pistes principales se dégagent des propositions qui figurent dans le rapport adopté le 15 juillet dernier.

Tout d’abord, il faut accompagner les territoires de montagne dans le développement d’un tourisme « 4 saisons » ou « 2 saisons plus », ainsi que dans la diversification des activités touristiques, qu’il s’agisse du VTT, de la randonnée, de l’escalade, du parapente, des loisirs en eau vive, ou bien d’autres activités qu’il reste à imaginer et à développer. À cet effet, les comités de massif pourront élaborer des plans stratégiques d’adaptation au changement climatique. Il faudra également travailler sur le développement des servitudes estivales. Le concours de l’État et de l’Agence nationale de la cohésion des territoires, qui dispose depuis peu d’un programme spécifique pour la montagne, sera déterminant pour aider les collectivités à construire et à faire aboutir leurs projets.

Ensuite, cette transition doit être soutenue et accompagnée sur le plan financier. Il est donc nécessaire de créer un fonds spécifique d’adaptation au changement climatique en zone de montagne, pour restructurer les activités économiques face au recul de l’enneigement et financer la réhabilitation énergétique de bâtiments touristiques. Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021, j’avais proposé un amendement visant à mettre en place ce fonds à hauteur de 15 millions d’euros par an pendant deux ans. Nous pourrions aussi envisager un gel du Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales pendant un ou deux ans.

Il serait également bon de prolonger la possibilité de recourir à l’activité partielle pour les remontées mécaniques qui relèvent des régies dotées de la seule autonomie financière. Une expérimentation était prévue dans la loi Montagne II, mais elle a pris fin. Les textes adoptés pendant la crise sanitaire ont apporté une réponse immédiate à cette problématique. Je souhaite qu’elle soit désormais traitée de manière durable.

Monsieur le secrétaire d’État, avant de conclure, je souhaiterais vous poser deux questions : s’agissant de la réouverture des remontées mécaniques, quel horizon pouvons-nous donner à la filière et comment l’État compte-t-il compenser les pertes subies par les professionnels ? Le Gouvernement prévoit-il d’inscrire dans le projet de loi 4D des mesures spécifiques pour le développement des territoires de montagne ?

Nous avons siégé ensemble au Conseil national de la montagne. Je connais donc votre engagement en faveur des territoires de montagne et le soutien que vous leur apportez. Sachez que nous serons à vos côtés quand viendra le jour de plaider de nouveau notre cause auprès des membres du Gouvernement et du Président de la République. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Joël Giraud, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d’emblée de remercier Cyril Pellevat d’avoir demandé l’organisation de ce débat sur la montagne, ici, au Sénat, la chambre des territoires. Je suis heureux d’y représenter le Gouvernement en ma qualité de secrétaire d’État chargé de la ruralité, non seulement parce que la politique de la montagne relève de mes attributions, mais aussi parce que je suis un ancien élu de la montagne et que celle-ci reste chère à mon cœur, comme M. Pellevat l’a rappelé.

Depuis 1985, la politique de la montagne vise l’équilibre entre la préservation d’un patrimoine naturel exceptionnel et le développement économique. Elle doit aussi adapter la gouvernance de ces territoires à leurs spécificités. C’est tout l’objet de la loi Montagne, qui a introduit, il y a trente-six ans, dans la législation française, un droit à la différence des territoires. Il concerne environ 5 000 communes, soit un tiers du territoire métropolitain et 15 % de la population. La loi Montagne a été complétée par celle du 28 décembre 2016, dite loi Montagne II, dont M. le sénateur Pellevat a suivi l’application.

En tant qu’ancien élu d’un territoire de montagne, je mesure tous les apports de ce texte. Durant près de trente ans, j’ai été maire de la commune de L’Argentière-La Bessée, dans les Hautes-Alpes. J’ai également occupé les fonctions de coprésident du comité de massif des Alpes, puis du Conseil national de la montagne. Je côtoie les élus de montagne depuis le début de mon engagement dans la vie publique. Nous avons noué entre nous une forme de solidarité transpartisane qui fait notre force.

Les élus de la montagne sont inventifs et ingénieux, de sorte qu’ils trouvent souvent avant les autres des solutions à des problèmes qui se posent sur le reste du territoire. Nous sommes par exemple les premiers à avoir créé les futures maisons de service public pour faciliter l’accès aux services du quotidien. Désormais, les maisons France Services maillent les territoires ruraux et périurbains.

Parce qu’ils œuvrent dans des territoires qui sont soumis à des contraintes naturelles plus fortes qu’ailleurs, les élus de la montagne redoublent de ténacité et de persévérance. Ils savent mieux que quiconque ce que veut dire le proverbe « Aide-toi, le ciel t’aidera », qui est toujours préférable à « Tout ce qui tombe du ciel est béni », car le ciel est souvent un peu trop parisien… (Sourires.)

Vous comprendrez donc aisément que, dans mes fonctions actuelles de secrétaire d’État chargé de la ruralité, j’aie un fort tropisme pour la montagne. Certains esprits malicieux m’avaient d’ailleurs qualifié, dès ma nomination, de « secrétaire d’État à la montagne ». Je ne récuse nullement cette qualité, même si j’ai vocation à traiter tous les sujets de la ruralité et pas seulement ceux où il y a « de la pente » !

Je suis aussi chargé de suivre la mise en œuvre de l’agenda rural, ce grand plan national en faveur de la ruralité, dont les 181 mesures profitent directement aux territoires de montagne.

Cependant, ce débat couvre un champ plus large, car la montagne n’est pas que rurale. Les territoires de montagne se caractérisent par leur grande diversité. Parmi les sujets que nous allons évoquer, beaucoup débordent le périmètre du ministère de la cohésion des territoires auquel mon secrétariat d’État est rattaché. Il s’agit notamment des sujets agricoles ou encore des aides compensatrices des conséquences de la crise de la covid. Je m’efforcerai néanmoins de répondre à toutes les questions, et pour celles qui ne relèvent pas du ministère de la cohésion des territoires ou pour lesquelles je n’aurais pas tous les éléments à ma disposition, je m’engage à vous apporter le cas échéant des compléments par écrit, à l’issue du débat.

Le contexte dans lequel nous débattons est difficile, si ce n’est éprouvant. Le pays tout entier vit dans l’angoisse d’une nouvelle vague, synonyme d’un troisième confinement, mais aussi de la mutation du virus, dont on retrouve une variante britannique sur notre territoire, y compris dans un village des Hautes-Alpes situé à 2 040 mètres d’altitude. Tous nos espoirs reposent désormais sur l’efficacité du vaccin.

De longues semaines de privations sont, hélas, encore à venir. Je sais mieux que quiconque ce que cela implique pour les stations de montagne. Je suis en contact quotidien avec les acteurs du secteur du tourisme. Croyez bien que je joue mon rôle au sein du Gouvernement pour défendre les intérêts de la montagne. Monsieur le sénateur, vous me le demandiez tout à l’heure : je puis vous assurer que je porte la voix des montagnards dans ce gouvernement.

Les exploitants de remontées mécaniques sont particulièrement touchés. Ils réalisent habituellement un chiffre d’affaires de l’ordre de 1,4 milliard d’euros par an, dont l’essentiel dans un intervalle de quatre à cinq mois en période hivernale, alors que les coûts qu’ils supportent sont répartis sur l’ensemble de l’année. Grâce au fonds de soutien, nous leur accordons une aide, tant sur les charges fixes que sur les pertes de recettes. Le Gouvernement a engagé la semaine dernière les échanges nécessaires avec la Commission européenne pour mettre en place ce dispositif, qui doit faire l’objet d’une notification préalable au titre de l’aide d’État. Je précise qu’il sera évolutif au cas où de nouvelles périodes de confinement s’avéreraient malheureusement indispensables. Il faut préserver l’avenir en la matière.

L’ensemble des commerces situés dans les stations de ski et les vallées qui en dépendent a été intégré aux secteurs S1 et S1 bis, qui font l’objet du plan Tourisme. Ils peuvent donc bénéficier d’une aide allant jusqu’à 10 000 euros et de l’activité partielle prise en charge à 100 % par l’État.

La mesure s’applique non seulement dans les communes des stations de ski, mais aussi dans celles des vallées qui en dépendent : communes de montagne, membres de l’EPCI support d’une station de ski et n’appartenant pas une unité urbaine de plus de 50 000 habitants. C’est la première fois qu’une mesure de cette nature est territorialisée. J’y tenais beaucoup. Mon secrétariat d’État a fourni un travail considérable pour définir ces périmètres, grâce auxquels l’acception des pertes économiques est la plus large possible, car les conséquences portent sur toute la vallée, et pas seulement sur la commune qui est support de la station.

Les moniteurs de ski, à titre individuel, peuvent accéder au fonds de solidarité, avec un droit d’option leur permettant une compensation des pertes de recettes allant jusqu’à 10 000 euros ou 20 % du chiffre d’affaires réalisé sur la même période en 2019.

Les autres activités touristiques et les activités hôtelières liées au fonctionnement des stations de sports d’hiver bénéficient déjà d’une aide renforcée du fonds de solidarité, grâce à leur intégration au plan Tourisme.

Enfin, afin de permettre aux professionnels de la montagne de sécuriser les embauches des saisonniers, le Gouvernement a décidé, dès le 30 novembre dernier, d’octroyer le bénéfice de l’activité partielle aux entreprises concernées, jusqu’à la reprise d’activité dans les stations. Cette mesure destinée à protéger l’emploi porte déjà ses fruits, puisque les remontées mécaniques ont embauché 95 % de leurs saisonniers.

Monsieur le sénateur, j’ai entendu votre appel sur la pérennisation de ce dispositif. À l’époque où nous voulions le mettre en place de manière définitive, nous nous étions heurtés à un avis du Conseil d’État, qui est toujours très vigilant sur ces questions, tout comme il l’est sur les régies thermales. Il nous faut « grignoter » des points petit à petit pour faire comprendre que les modèles économiques varient selon le type de station concerné.

Un récent voyage officiel en Maurienne et en Tarentaise, pendant les vacances de fin d’année, a démontré les bénéfices de la pluriactivité, notamment pour les agriculteurs qui tirent un meilleur revenu des pratiques diversifiées, ou bien pour les médecins de montagne dont l’activité en période touristique est seule à même de solvabiliser les cabinets installés dans les vallées à faible patientèle. Nous avons d’ores et déjà saisi Bercy sur ces sujets.

Je mesure parfaitement que cela ne suffira pas. Plus que des aides, les acteurs de la montagne attendent une perspective claire sur l’avenir et, si possible, une date de réouverture des remontées mécaniques. Croyez bien que nous le désirons tous, et moi le premier. Nous sommes, hélas, contraints à la plus grande prudence, à l’heure où de nombreux pays reconfinent et où l’on ignore encore l’état précis de diffusion de nouveaux variants sur le territoire national.

Les propositions que vous formulez doivent être étudiées. Le Gouvernement doit rester à votre écoute. Il le fera, et je continuerai d’être votre interlocuteur.

Cette crise agit aussi comme un révélateur. Elle met en lumière la forte dépendance de certains territoires à un type d’activité. Nous devons donner aux collectivités qui le souhaitent les moyens d’y remédier et de s’adapter. C’est tout le sens du programme Montagne que nous concevons avec l’Agence nationale de la cohésion des territoires, l’ANCT. Il s’agit du premier programme national depuis le plan Neige des années 1960-1970. Une consultation des acteurs de la montagne est en cours à ce sujet et se déroule dans le cadre du Conseil national de la montagne, d’une part, et des comités de massif, d’autre part.

Ce programme privilégiera le « cousu main ». Il ne reposera pas sur des appels nationaux à manifestation d’intérêt conçus depuis Paris. L’idée est de construire des projets qui partent des territoires et d’apporter l’aide nécessaire, notamment en matière d’ingénierie.

La contribution du Sénat, au travers de ses travaux et des échanges que nous avons, sera évidemment déterminante. Je n’oublie pas non plus que, dans son rapport public annuel de 2018, la Cour des comptes a appelé les collectivités à faire évoluer rapidement la gouvernance et le fonctionnement des domaines skiables, pour s’adapter suffisamment tôt à un avenir où le ski et les sports de neige ne seront plus leur seule ressource.