Mme le président. La parole est à Mme Colette Mélot. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme Colette Mélot. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, voilà quarante-six ans, la loi Veil dépénalisait l’IVG, dans un contexte que nous n’avons pas oublié. Cette loi est fragile, et nous devons être vigilants, car rien n’est jamais acquis.

Le texte que nous examinons a pour disposition principale l’allongement de deux semaines du délai légal pour pratiquer une IVG, le portant de douze à quatorze semaines de grossesse.

Des articles additionnels ont également été introduits à l’Assemblée nationale, visant, notamment, à permettre aux sages-femmes de pratiquer des interruptions volontaires de grossesse par voie chirurgicale et à rendre obligatoire la pratique du tiers payant pour les actes en lien avec l’IVG – des dispositions déjà satisfaites par l’adoption de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021.

Même si je comprends la volonté des auteurs de la proposition de loi, qui s’adresse avant tout aux milliers de femmes contraintes chaque année de partir à l’étranger pour pratiquer une IVG hors délai, je ne suis pas favorable à l’allongement du délai à quatorze semaines.

Dans la plupart des cas, les patientes n’ont eu connaissance de leur grossesse que tardivement et étaient en grande partie sous contraception. Pour autant, rallonger de deux semaines le délai d’accès à l’IVG en France s’apparente à une fuite en avant.

Le Royaume-Uni autorisant cet acte jusqu’à vingt-quatre semaines, la France sera toujours en deçà de cette limite. De nombreux praticiens refusent de pratiquer une IVG instrumentale au-delà de dix semaines. En pratique, si nous allongeons de nouveau le délai de deux semaines, un plus grand nombre de médecins refuseront de pratiquer l’IVG, laissant beaucoup de femmes sans solution de prise en charge.

Aujourd’hui, les difficultés d’accès à l’avortement persistent : il faut les supprimer. C’est là l’urgence, pour que la loi s’applique pleinement.

L’accroissement des délais de prise en charge est un véritable problème, plus encore pendant la période estivale. La marginalisation de l’activité de l’IVG au sein des hôpitaux publics, souvent pratiquée par des vacataires, l’engorgement de certains centres hospitaliers et la désertification médicale aggravent ces difficultés.

Nous devons prendre les mesures nécessaires pour permettre aux femmes d’avoir accès à l’IVG dans les cinq jours suivant la première consultation. Plus cet acte est pratiqué de façon anticipée, plus le risque de complication est faible. La loi Veil est bien faite ; veillons donc à son application effective et à l’égalité d’accès à ce droit pour toutes les femmes, sans discrimination.

N’oublions pas la détresse des femmes confrontées à une grossesse non désirée, surtout lorsqu’elles sont isolées et fragilisées par la vie.

Les centres sociaux ont, à mon sens, un rôle d’information et de soutien à jouer. Je souhaite également insister sur un point essentiel, trop souvent oublié en matière de santé publique, me semble-t-il : les carences en matière de prévention expliquent l’absence de diminution, au cours des trente dernières années, du nombre de recours à l’IVG. En 2019, plus de 230 000 IVG ont été pratiquées, soit une grossesse sur quatre. C’est beaucoup trop !

Plus grave encore, ce nombre augmente chez les mineures. Nous devons donc, sans plus tarder, nous doter d’une véritable politique d’information sur la sexualité et sur la contraception, en ciblant particulièrement les jeunes femmes, mais aussi les hommes. En 2019, le Conseil économique, social et environnemental, le CESE, pointait un déficit alarmant en matière d’éducation ; un établissement scolaire sur quatre ne prévoit pas d’éducation à la sexualité.

Je dirai un mot, enfin, sur les mesures prises pour adapter notre système de santé à la crise sanitaire. Nous saluons l’extension du délai de l’IVG médicamenteuse pratiquée en ville.

Je considère, en conclusion, qu’il nous faut renforcer les moyens d’accès à l’IVG, adapter les actions d’une prévention digne de ce nom et mieux accompagner les femmes pour que toutes les demandes puissent être prises en charge avant la fin de la douzième semaine.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera contre l’allongement de deux semaines du délai légal ; néanmoins, nous voterons contre la motion tendant à opposer la question préalable, parce que, d’une façon générale, nous sommes opposés au refus de débattre et que, dans le cas qui nous occupe, un tel sujet mérite d’être examiné de façon approfondie. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – MM. Julien Bargeton et Martin Lévrier applaudissent également.)

Mme le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, tout le monde en convient, la présente proposition de loi ne vise pas à rouvrir le débat sur le droit à l’IVG en France, et notre discussion ne doit pas être l’occasion de le faire. Elle tend à améliorer l’effectivité de ce droit, car, en dépit de nombreuses avancées législatives, des obstacles demeurent, voire s’aggravent.

Nous sommes invités, au travers d’un rapport d’information de l’Assemblée nationale, à renforcer l’effectivité du droit à l’avortement. C’est à cette nécessité que répond cette proposition de loi.

Comme il s’agit, pour le législateur, de garantir la liberté des femmes qui veulent et doivent pouvoir user de ce droit fondamental, quelle que soit leur situation socioéconomique et territoriale, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera contre la motion tendant à opposer la question préalable, qui conduirait au statu quo, et pour la proposition de loi.

On ne prétend pas, au travers de ce texte, traiter toutes les causes bridant l’accès à ce droit. En effet, parmi ces dernières, certaines, qui sont structurelles, nécessiteront une action de long terme : offre de soins en orthogénie dégradée et concentrée territorialement, faiblesse de la politique de prévention et quasi-absence de grande campagne d’information et d’éducation.

Pour autant, peut-on se cacher derrière le constat selon lequel cela ne répond pas à la totalité du problème pour s’interdire des avancées ?

J’invite les collègues tentés par cet attentisme à amender le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, pour y intégrer des actions plus structurelles ; nous les soutiendrons volontiers. En attendant, la cohérence des différents articles de cette proposition de loi réside dans la problématique commune d’un accès amélioré et égal au droit fondamental à l’IVG.

Cette proposition de loi améliore l’accès à l’IVG en allongeant, de douze à quatorze semaines, les délais légaux pour y recourir. Bien sûr, tout doit être fait pour que l’interruption de grossesse se déroule le plus tôt possible – d’autres articles de la proposition de loi y contribuent d’ailleurs –, mais il demeurera toujours des diagnostics tardifs de grossesse ou des situations personnelles complexes, dans un contexte où, de surcroît, les insuffisances de l’offre en aggravent les conséquences.

Aucune justification médicale ne s’oppose à cet allongement et le Comité consultatif national d’éthique conclut à l’absence « d’objection éthique à allonger le délai d’accès à l’IVG de deux semaines ».

Dès lors, même si les intéressées ne sont que quelques milliers à devoir se rendre à l’étranger, nous devons mettre fin aux conséquences préjudiciables de cette situation, y compris du point de vue de la santé et de l’accroissement des inégalités face à ce droit.

Cette proposition de loi améliore également l’accès à l’avortement en permettant aux sages-femmes de pratiquer les IVG instrumentales jusqu’à la dixième semaine – une demande forte de la profession –, améliorant ainsi, de façon indirecte, le maillage du territoire en praticiens et donnant aux femmes la possibilité de choisir entre les deux méthodes.

Ce texte améliore en outre l’accès à l’IVG au travers de l’article relatif au tiers payant et en supprimant, enfin, la clause de conscience spécifique.

La clause de conscience générale garantit le même droit individuel aux professionnels à ne pas pratiquer une IVG que la clause dite « spécifique ». Il n’y a pas de nécessité objective et juridique à cette double clause, mais, en insistant pour la qualifier de « spécifique », en donnant un statut particulier à cet acte médical, en le mettant à part, c’est le débat collectif sur ce droit que l’on poursuit, c’est l’impact collectif que l’on vise et, in fine, ce n’est pas un droit individuel que l’on préserve, c’est un stigmate que l’on pose.

Chers collègues, dans certains pays, les acquis – ou plutôt les « conquis » – des droits de la femme sont menacés, et, à l’inverse, les femmes ont fait progresser leurs droits en Argentine. La France se doit d’être du côté des avancées.

Si, pour le poète, « Rien n’est jamais acquis à l’homme », rien n’est jamais non plus acquis à la femme, pour qui tout statu quo, toute pause dans la défense de ses droits formels et réels, ouvre la voie aux remises en cause. Aussi, confortons et améliorons, pas à pas, l’accès à l’IVG, en adoptant cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE.)

Mme le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli.

M. Xavier Iacovelli. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’avortement, dépénalisé et légalisé voilà plus de quarante-cinq ans, est devenu un droit qui fait, depuis plusieurs années, l’objet d’attaques répétées, en Europe et partout dans le monde.

Ces attaques, qui se traduisent bien souvent par des tentatives de culpabilisation des femmes, démontrent que ce droit reste fragile, contesté, et qu’il nous appartient de le protéger et d’en garantir l’effectivité.

« Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. Il suffit d’écouter les femmes. C’est toujours un drame et cela restera toujours un drame », disait Simone Veil, à la tribune de l’Assemblée nationale, le 26 novembre 1974.

Pourtant, près d’un demi-siècle plus tard, on constate que de nombreux freins rendent difficile l’accès à l’IVG pour les femmes se trouvant à la limite du délai légal ou vivant dans des territoires où les professionnels de santé pratiquant l’IVG se font rares.

Il convient de rappeler les chiffres : en 2019, quelque 232 200 avortements ont eu lieu sur notre territoire ; c’est le chiffre le plus élevé depuis 2001. Chaque année, entre 1 000 et 4 000 femmes, selon les sources, sont contraintes d’avorter à l’étranger en raison du dépassement du délai légal de douze semaines de grossesse et 5 % des IVG sont pratiquées chaque année, en France, entre la dixième et la douzième semaine. Ce chiffre atteint même 16,7 % à Mayotte, ce qui démontre les importantes disparités sur notre territoire.

Selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, la Drees, les IVG dites « tardives » touchent particulièrement les plus jeunes – elles représentent 10,5 % des IVG chez les mineures, 8,5 % chez les 18-19 ans et 6,6 % chez les 20-24 ans –, révélant ainsi des parcours plus longs ou une prise en compte plus tardive de leur grossesse.

Si certains pays, comme la Pologne, n’autorisent l’IVG qu’en cas de viol, d’inceste, de danger pour la mère ou de malformation grave du fœtus, plusieurs de nos voisins européens ont des délais plus étendus que la France : quatorze semaines en Espagne, dix-huit en Suède, vingt-deux aux Pays-Bas et même vingt-quatre semaines au Royaume-Uni.

Notre rôle, mes chers collègues, est d’entendre le cri d’alerte venu des associations et des professionnels de santé sur les nombreux freins qui persistent en matière d’accès à l’IVG. L’allongement de deux semaines des délais légaux permettrait en partie de répondre à la situation de femmes se trouvant proches du délai limite pour avorter et n’ayant d’autre recours que celui de partir à l’étranger.

À cet égard, je rappelle que le Comité consultatif national d’éthique a estimé, le 11 décembre dernier, que, en « fondant sa réflexion sur les principes d’autonomie, de bienfaisance, d’équité et de non-malfaisance à l’égard des femmes, [il n’y avait] pas d’objection éthique à allonger le délai d’accès à l’IVG de deux semaines, passant ainsi de douze à quatorze semaines de grossesse. »

Le même avis a été donné dans un rapport, adopté à l’unanimité par la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale le 16 septembre dernier, qui indiquait qu’il était souhaitable d’allonger ce délai si les professionnels étaient formés pour pratiquer cet acte.

Étendre les compétences des sages-femmes pour leur permettre de pratiquer des IVG instrumentales jusqu’à la fin de la dixième semaine de grossesse constitue ainsi une avancée notoire. Il est en effet essentiel de renforcer l’offre médicale sur l’ensemble de notre territoire, qui présente d’importantes disparités ; je pense notamment aux territoires d’outre-mer.

Par ailleurs, l’amendement adopté par nos collègues de l’Assemblée nationale visant à supprimer le délai de 48 heures de réflexion en cas d’entretien psychosocial, comme c’était préconisé dans le rapport de la délégation aux droits des femmes, permettra de fluidifier le parcours d’IVG.

Cette disposition, soutenue par les professionnels et par les acteurs de terrain, répond à la nécessité de mettre en œuvre un parcours d’IVG simplifié et accéléré pour toutes les femmes qui souhaitent y avoir recours.

La possibilité de sanctionner un pharmacien qui refuse la délivrance d’un contraceptif d’urgence me paraît une mesure de bon sens, allant vers une meilleure protection du droit des femmes à disposer de leur corps.

Enfin, ce texte supprime, à l’article 2, la clause de conscience spécifique à l’IVG. Il ne s’agit pas là de supprimer purement et simplement la clause de conscience, puisqu’une clause de conscience générale existe dans notre droit ; celle-ci suffit largement pour permettre à un médecin de ne pas pratiquer une IVG, sans avoir à en donner les motifs. Cette double clause de conscience, qui fait de l’IVG un acte à part, est source de stigmatisation pour les femmes qui souhaitent y avoir recours. Sa suppression à l’échelon législatif semble donc bienvenue.

La Drees, qui, en 2020, a pu analyser, pour la première fois, le recours à l’IVG selon la situation sociale, a démontré que les femmes aux revenus les plus faibles avaient plus souvent recours à l’IVG. Par ailleurs, chaque année, près de 1 000 jeunes filles de 12 à 14 ans tombent enceintes et 770 de ces grossesses se concluent par une IVG.

Il est donc nécessaire de mener une politique ambitieuse en matière d’accès à l’information et à la contraception pour toutes les femmes. L’entrée en vigueur de la prise en charge à 100 % de la contraception pour les jeunes filles de moins de 15 ans, depuis le 28 août 2020, traduit la volonté du Gouvernement et de sa majorité en la matière.

Je le rappelle, pour les jeunes filles ayant entre 15 et 18 ans, qui ont déjà accès à une contraception gratuite, le taux de recours à l’IVG a nettement baissé, puisqu’il est passé de 9,5 pour mille à 6 pour mille entre 2012 et 2018.

Ainsi, les membres du groupe RDPI seront libres de leur vote, qu’ils détermineront en leur âme et conscience, sur cette proposition de loi, laquelle a le mérite de poser un débat crucial et d’identifier des pistes de réflexion intéressantes pour limiter les freins à l’accès à l’IVG. Je regrette que l’on ne puisse avoir un débat plus large sur les articles du texte – ma collègue Nadège Havet y reviendra – et une discussion de fond sur cette question, qui touche 50 % de la population française.

Mme le président. La parole est à M. Stéphane Artano.

M. Stéphane Artano. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les rédacteurs du code civil avaient écrit, dans le préambule de ce texte : « La femme est donnée à l’homme pour qu’elle fasse des enfants. Elle est donc sa propriété comme l’arbre à fruits est celle du jardinier ». (Sourires.) Depuis lors, le code civil et la société ont, fort heureusement, bien changé…

Le droit à l’avortement, conquis de haute lutte, a marqué une étape décisive dans la reconnaissance du droit des femmes à disposer librement de leur corps et, au cours des vingt dernières années, il a été considérablement amélioré.

Pour autant, quarante-cinq ans après la loi Veil, force est de constater que, paradoxalement, ce droit est loin d’être un acquis et qu’il est essentiel de le défendre avec vigilance.

De nombreux obstacles contribuent, encore aujourd’hui, à fragiliser son exercice : refus des prises en charge tardives, désinformation, pression psychologique, discours culpabilisant et surtout difficulté à trouver un praticien proche de son domicile pour pratiquer une IVG dans des délais rapides.

Déjà, en 2015, dans un rapport d’information de la délégation aux droits des femmes, Annick Billon et Françoise Laborde indiquaient que, en dix ans, plus de 130 établissements de santé pratiquant des IVG avaient fermé, alors que la demande restait stable. Il en résulte une forte concentration sur un nombre limité d’établissements, ce qui contribue à accroître les délais d’attente.

Mes chers collègues, l’examen de cette proposition de loi a fait naître au sein de mon groupe des positions variées : certains y sont favorables, tandis que d’autres craignent qu’il ne soit, dans les faits, une mauvaise réponse à un vrai problème.

À la suite de l’adoption de la présente proposition de loi par l’Assemblée nationale, tant l’Académie nationale de médecine que l’ordre des médecins et le Collègue national des gynécologues et obstétriciens français ont publié des communiqués de presse pour rappeler leur opposition à l’allongement du délai légal.

Ils estiment en effet que cette mesure ne permettra pas de répondre aux difficultés et que les femmes espèrent au contraire une prise en charge plus rapide. Surtout, ils évoquent les complications médicales qui peuvent survenir à la suite d’une interruption volontaire de grossesse au-delà de quatorze semaines d’aménorrhée. Enfin, ils redoutent que l’allongement du délai légal entraîne une désaffection des professionnels de santé qui les réalisent aujourd’hui.

Aussi, au-delà de toute considération éthique, nous pouvons légitimement nous interroger : l’allongement du délai légal permettra-t-il réellement aux femmes d’accéder plus facilement à l’IVG ? Doit-il remédier aux défaillances de notre politique publique de santé reproductive ?

Lors de la présentation de son rapport, notre collègue Laurence Rossignol a appelé de ses vœux la mise en place d’un véritable pilotage national de l’activité d’IVG et la création d’un Institut national de la santé sexuelle et reproductive, auxquelles je souscris pleinement. Piloter l’offre nationale de soins en orthogénie et de planification familiale, évaluer la qualité de cette offre dans les établissements de santé ou de planification, assurer un maillage équilibré du territoire ; tout cela nous semble essentiel.

Nous devons également améliorer l’information, réfléchir à la gratuité de toutes les contraceptions, pour toutes les femmes, et promouvoir l’éducation à la sexualité dès le plus jeune âge.

Mes chers collègues, comme à son habitude, mais plus particulièrement aujourd’hui, le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen regrette le dépôt d’une motion tendant à opposer la question préalable.

Par le passé, nous avons pu déplorer que l’allongement du délai légal ou la suppression de la clause spécifique soient abordés au détour d’amendements – certains diraient « en catimini » –, lors de l’examen de textes qui n’étaient pas le bon véhicule législatif. Aujourd’hui, le groupe socialiste a décidé d’inscrire cette proposition de loi au sein de son espace réservé, afin que nous prenions le temps de débattre.

Par ailleurs, au moment de son examen à l’Assemblée nationale, vous avez annoncé, monsieur le secrétaire d’État, avoir saisi le Comité consultatif national d’éthique pour que celui-ci puisse rendre un avis sur cette délicate question. C’est chose faite ; chacun de nous a pu prendre connaissance de cet avis, de même que de la position de l’ordre national des médecins, du Collège national des gynécologues et obstétriciens français, du Conseil national de l’ordre des sages-femmes ou encore du planning familial, pour ne citer qu’eux.

Tous les éléments sont donc réunis pour que nous puissions avoir un débat éclairé, une réflexion sereine et approfondie dans le respect des convictions de chacun.

Parce qu’un sujet aussi important et sensible ne mérite pas d’être balayé d’un revers de main par l’adoption d’une motion tendant à opposer la question préalable, l’ensemble des sénateurs du groupe du RDSE votera unanimement contre cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Mme le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à remercier ma collègue, la sénatrice Laurence Rossignol, d’avoir repris le travail transpartisan de l’Assemblée nationale, mené par Albane Gaillot, afin de permettre à la navette parlementaire de se poursuivre et au Sénat d’en débattre.

J’y tiens d’autant que nous défendons, depuis longtemps, les propositions adoptées le 8 octobre dernier : allongement, de douze à quatorze semaines, du délai de recours à l’IVG, suppression de la clause de conscience spécifique à l’avortement des médecins, possibilité pour les sages-femmes de pratiquer des IVG chirurgicales.

Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste a déposé, en 2017, une proposition de loi visant à inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution ; en 2019, nous avons déposé une proposition de loi visant à allonger les délais pour pratiquer l’IVG, ainsi que des amendements pour supprimer la double clause de conscience.

C’est donc tout naturellement que nous soutenons cette proposition de loi, qui s’inscrit dans la continuité de la lutte des femmes pour maîtriser leur fécondité, condition essentielle de leur émancipation.

Le Gouvernement, conscient des difficultés que rencontrent les femmes avec la pandémie, a d’ailleurs étendu, momentanément, de douze à quatorze semaines, le délai d’accès à une IVG, mesure qu’il suffit de rendre pérenne, en s’appuyant notamment sur le Comité consultatif national d’éthique, qui a émis un avis favorable à l’allongement des délais en dehors de l’épidémie de covid-19, afin d’apporter une réponse aux près de 5 000 femmes contraintes de se rendre à l’étranger pour avorter.

Il faut le redire, l’avortement ne se fait jamais de gaieté de cœur, et près de trois femmes sur quatre qui recourent à une IVG étaient sous contraception. Devoir aller à l’étranger pour avorter revêt un caractère encore plus dramatique. Je n’ai pas le temps de développer ce sujet, mais l’incapacité de la France à permettre à toutes ses citoyennes d’exercer ce droit fondamental nous renvoie à la situation antérieure à la loi Veil, quand le barrage des moyens financiers s’ajoutait aux angoisses individuelles. Ne pas voter l’allongement du délai aujourd’hui revient donc à reproduire des inégalités inacceptables.

De même, pour garantir ce droit à l’avortement, le Gouvernement doit revenir sur les reculs des dix dernières années. Entre la fermeture de 8 % des centres d’IVG, soit de près de 130 sites, celle des hôpitaux de proximité, la réduction des subventions du planning familial et l’absence de politique de prévention en matière de santé sexuelle, l’accès à l’avortement a été fragilisé en France.

Au moment où le droit à l’avortement est dénié dans de nombreux pays et remis en cause dans certains pays européens, comme en Pologne, mais tandis que des conquêtes importantes ont lieu à l’échelle mondiale, comme en Argentine, il est indispensable de soutenir le droit à l’avortement et de le rendre effectif partout et pour toutes les femmes, en France.

Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à voir les images du rassemblement de dimanche dernier, au Trocadéro, à Paris, organisé par des associations catholiques conservatrices, traditionalistes et antiavortement. Ces « pro-vie », heureusement ultraminoritaires, montrent que le combat n’est pas terminé pour défendre le droit à l’avortement. La motion déposée par la droite sénatoriale pour ne pas débattre de cette question entre, hélas, en écho avec ces anti-IVG. Nous voterons – faut-il le préciser ? – contre cette motion.

À l’inverse, que ce soit pour conquérir ce droit ou pour l’améliorer, il a fallu des mobilisations constantes des femmes et des mouvements féministes ; je pense notamment au courage des signataires du « manifeste des 343 », dans les années 1970, à l’engagement sans faille de Simone Veil ou encore à l’opiniâtreté de l’avocate Gisèle Halimi.

Rappelons-nous quelques dates essentielles : 1982, IVG remboursée par la sécurité sociale, assurant l’égalité entre toutes les femmes ; 2001, allongement, de dix à douze semaines de grossesse, du délai légal pour l’accès à l’IVG ; 2016, suppression du délai de réflexion par la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé et prise en charge à 100 % de l’ensemble des frais afférents à l’IVG ; 2017, extension du délit d’entrave à l’IVG, pour lutter contre les sites de désinformation antiavortement.

Parallèlement, il est urgent de développer l’éducation sexuelle à l’école, donc de débloquer des moyens pour l’information et l’éducation des élèves.

Mes chers collègues, le Sénat aurait pu s’enorgueillir de voter à l’unanimité cette proposition de loi pour permettre à toutes les femmes, quels que soient leur lieu d’habitation et leur condition sociale, de maîtriser leur fécondité. Nous sommes en 2021 : il est temps de cesser d’être frileux dès lors qu’il s’agit des droits des femmes ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

Mme le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Élisabeth Doineau. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le débat que nous avons cet après-midi renvoie à des histoires singulières, souvent douloureuses, personnelles, parfois familiales, et il renvoie aussi à l’histoire des femmes et de l’évolution de leurs droits, donc à une histoire universelle.

La loi du 17 janvier 1975 portée par Simone Veil était initialement – souvenons-nous-en – une loi dépénalisant l’avortement avant la fin de la dixième semaine de grossesse. C’était aussi une loi de compromis, proclamant, à l’article 1er, le respect de la vie. La clause de conscience était l’un des deux éléments de ce compromis, l’autre étant la situation de détresse des patientes, supprimée en 2014.

Le délai légal de recours à l’avortement a été allongé, en 2001, à douze semaines de grossesse. Depuis 1975, notre société a évolué sur bien des aspects. Il n’en demeure pas moins que le droit à l’IVG est régulièrement remis en débat, soit pour en circonscrire la portée, soit pour en renforcer l’accès. Aussi, rappelons-nous les mots de Simone de Beauvoir : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis ; vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »

Dans cet esprit de mesure et de compromis irriguant la loi de 1975, si je suis, à titre personnel, favorable à l’allongement du délai légal d’avortement de douze à quatorze semaines de grossesse, proposé dans l’article 1er de la proposition de loi, je m’oppose à la suppression de la clause de conscience spécifique à l’IVG, prévue à l’article 2.

Par ailleurs, je voterai pour la motion tendant à opposer la question préalable à cette proposition de loi. La suite de mon propos visera à expliquer cette position.

En ce qui concerne l’article 1er, si le Conseil consultatif national d’éthique « considère qu’il n’y a pas d’objection éthique à allonger le délai d’accès à l’IVG de deux semaines », il estime également que cela ne doit pas être un palliatif pour d’éventuelles difficultés d’accès à l’IVG et à la contraception. Je partage en tout point cette analyse, qui a d’ailleurs été exposée par mes collègues.

L’OMS a défini, en 1977, le seuil de viabilité du fœtus à vingt semaines de grossesse et/ou à un poids du fœtus de 500 grammes. Aussi, en se fondant sur des critères médicaux et scientifiques, l’allongement du délai d’accès à l’IVG proposé par ce texte ne suscite pas de remise en cause profonde de l’équilibre trouvé en 1975.

Les IVG dites « tardives », pratiquées entre la dixième et la douzième semaine de grossesse, représentent seulement 5,3 % des actes pratiqués en France et moins de 2 000 femmes par an – d’autres chiffres ont été évoqués – se rendent à l’étranger pour pratiquer une IVG au-delà des douze semaines de grossesse. Ces situations ne sont pas acceptables, mais je doute que les dispositions de l’article 1er suffisent à les résoudre.

En parallèle, il convient de renforcer l’accompagnement des femmes dans leurs parcours de santé, de l’amont à l’aval. En effet, si l’IVG est un droit essentiel, cet acte n’est jamais anodin. Comme le disait, avec une certaine pudeur, Simone Veil à la tribune de l’Assemblée nationale, « aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement ».

Par ailleurs, il convient d’informer davantage, cela a été dit, les jeunes – mais pas seulement eux –, filles comme garçons, sur leur fertilité et sur les différents moyens de contraception disponibles, sans tabou. Les femmes ne peuvent être les seules à assumer la responsabilité de la contraception.

Un travail est probablement à mener auprès des professionnels de santé – médecins, infirmières scolaires et sages-femmes –, pour orienter les patients sur la contraception la plus adaptée à leur situation ; le préservatif et la pilule contraceptive ne sont pas les uniques méthodes de contraception.

Enfin, il est primordial d’arrêter l’érosion des moyens octroyés à l’orthogénie et du nombre de centres habilités à pratiquer l’IVG ; je ne reviens pas sur cette question, déjà largement abordée par nos collègues.

J’en viens désormais à l’article 2, qui vise à supprimer la clause de conscience spécifique à l’IVG et qui était l’un des éléments du compromis trouvé lors de l’adoption de la loi du 17 janvier 1975.

Si les arguments médicaux ou scientifiques ne s’opposent pas à l’allongement des délais d’accès à l’IVG, le débat moral sur l’avortement reste, néanmoins, prégnant en France. Aussi, à l’instar du CCNE, j’estime que la pratique d’une IVG ne peut être considérée comme un acte médical ordinaire. Par conséquent, il me semble nécessaire de maintenir cette clause de conscience spécifique pour les médecins et les sages-femmes.

Concernant le reste des articles de cette proposition de loi, je m’attarderai sur l’article 1er bis, qui vise à permettre aux sages-femmes de pratiquer des interruptions volontaires de grossesse par voie chirurgicale, jusqu’à la fin de la dixième semaine de grossesse.

L’article 70 de la dernière loi de financement de la sécurité sociale lance une expérimentation de trois ans sur ce sujet. Adopter cet article démontrerait l’inconstance du Parlement. Donnons du temps à cette expérimentation pour que nous puissions décider en conscience.

Pour conclure, le droit des femmes à disposer de leurs corps est toujours l’endroit de nombreux débats. Le projet de loi de bioéthique examiné en février nous en donnera un autre aperçu.

À mon sens, il aurait été, par ailleurs, plus judicieux de discuter de l’allongement du délai d’accès à l’IVG dans ce cadre. On m’a rappelé que ce n’est pas seulement une question d’éthique. Je le sais, c’est aussi une question de santé publique et une question sociétale, mais je pense que nous aurions eu un débat intéressant dans le cadre de ce projet de loi ; cela aurait donné une légitimité plus forte sur un sujet de cette nature.

Enfin, bien que je sois personnellement favorable à l’article 1er, la remise en cause de la clause de conscience spécifique, la généralisation de la pratique de l’IVG par voie chirurgicale par les sages-femmes, alors même qu’une expérimentation commence, et l’absence de mesures relatives à la contraception m’invitent, tout comme la majorité des membres de mon groupe, à adopter la motion opposant la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)