Mme Laurence Rossignol. Encore raté ! On verra dans deux ans, comme en 2018 !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ma responsabilité de garde des sceaux consiste à soutenir le meilleur dispositif tout en assurant le respect des exigences de notre État de droit. Les attentes des victimes sont trop fortes pour risquer la déception et l’incompréhension d’une réforme qui pourrait donner lieu à une censure constitutionnelle. (Nouvelles exclamations sur les travées du groupe SER.)

Des questions importantes restent posées et le rapport de la commission ne les occulte d’ailleurs pas. J’observe que le seuil criminel retenu dans la nouvelle écriture proposée est celui de 13 ans, là où la loi du 3 août 2018 retenait le seuil de 15 ans. Cette proposition pourrait ainsi être perçue comme un affaiblissement de la protection des mineurs de 13 à 15 ans, à tout le moins poserait une question d’articulation.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Déposez un amendement !

M. Patrick Kanner. Il suffit d’un amendement du Gouvernement !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Par ailleurs, le crime qu’il est proposé d’instituer ne porte pas le nom de « viol », tout en étant puni comme tel. Des associations ont déjà alerté sur l’importance attachée à une dénomination criminelle claire, au risque sinon de l’incompréhension et de la confusion.

Enfin, s’il n’est pas interdit de faire coexister plusieurs régimes juridiques – la proposition de loi ne pourrait concerner que les faits commis après son entrée en vigueur –, a-t-on véritablement mesuré la difficulté pour les magistrats et les jurés, qui auraient à appliquer plusieurs régimes juridiques en fonction de la date de commission des faits ?

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est ce qu’ils font tous les jours !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame Billon, je salue votre proposition de loi…

M. Max Brisson. Ce n’est pas suffisant !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. … comme une contribution importante au débat démocratique que nous devons avoir sur ce sujet. Ce texte reçoit un accueil favorable de la part du Gouvernement.

Mme Annick Billon. Très bien !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Reste que nous devons, en nous appuyant sur cette base, comme sur les autres propositions et travaux existants – je pense notamment aux textes et rapport de Mme la sénatrice Laurence Rossignol et de Mmes les députées Alexandra Louis et Isabelle Santiago –, parfaire le dispositif envisagé et le sécuriser juridiquement.

Nous souhaitons compléter le travail normatif à la lumière de nos débats, en vous y associant étroitement, mesdames, messieurs les sénateurs, mais aussi dans la concertation indispensable avec les associations participant au quotidien à la libération de la parole, à la prise en charge et à la défense des victimes. J’engagerai, dès la semaine prochaine, ce travail de consultation avec Adrien Taquet.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Vous l’aurez compris, nous partageons votre combat, celui en faveur d’une protection accrue des mineurs contre les violences sexuelles. Votre combat est aussi le mien, celui d’Adrien Taquet et du Gouvernement tout entier. Vous pouvez compter sur notre engagement à avancer très rapidement à vos côtés.

M. Max Brisson. Ce n’est pas suffisant !

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste
Discussion générale (suite)

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Clôture du scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République

M. le président. Mes chers collègues, il est plus de onze heures. Le scrutin est clos pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République.

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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste
Discussion générale (suite)

Protection des jeunes mineurs des crimes sexuels

Suite de la discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission

M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de lenfance et des familles. Monsieur le président, madame la vice-présidente de la commission des lois, madame la sénatrice auteure de la proposition de loi, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, si nous avons ce débat aujourd’hui, c’est parce que, depuis plus de trente ans, des femmes et des hommes, anonymes ou non, ont le courage de briser le silence et de parler : Éva Thomas, Denise Bombardier, Flavie Flament, Christine Angot, Sarah Abitbol, Andréa Bescond, Vanessa Springora, Camille Kouchner. Angélique, Céline, Christine, Laetitia, Mélinda, Sabrina, toutes pensionnaires de la maison d’accueil Jean-Bru, à Agen.

Si nous avons ce débat aujourd’hui, c’est parce que des femmes et des hommes, à la tête de leurs associations, crient sans relâche, depuis des années, les chiffres indignes des violences faites à nos enfants, en particulier des violences sexuelles qu’ils subissent. Je pense évidemment à Isabelle Aubry de Face à l’inceste, François Devaux de La Parole libérée, Laurent Boyer, Arnaud Gallais et tous les représentants des associations de protection de l’enfance, comme, encore, La Voix de l’enfant ou L’Enfant bleu.

Si nous avons ce débat aujourd’hui, c’est parce que des professionnels – pédiatres, psychiatres, anthropologues, philosophes – travaillent depuis des années pour mettre à jour les ressorts profonds, les mécanismes intimes et structurels qui rendent possible ce qui n’est rien d’autre qu’un phénomène de masse. Je citerai évidemment Dorothée Dussy, mais aussi Muriel Salmona, Marc Crépon ou encore tous les chercheurs qui, au sein du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et à la demande de Laurence Rossignol, ont travaillé sur le sujet en 2017.

Si nous avons ce débat aujourd’hui, nous le devons aux dizaines de milliers d’anonymes qui, depuis quelques jours, ont le courage de parler, pour que plus jamais ne s’installent le déni et le silence.

Si nous avons ce débat aujourd’hui, c’est parce que, plus que jamais, il dépasse largement l’enceinte de cet hémicycle. Il n’interroge pas simplement notre droit et nos politiques publiques ; il interroge chacun d’entre nous, individuellement, et nous tous, collectivement, en tant que peuple, en tant que Nation, qui acceptons que ses enfants subissent tant de violences et, pour certains, en meurent à petit feu.

Notre société tout entière doit cesser de mimer le silence. Comme le dit symboliquement Dorothée Dussy dans son ouvrage Le Berceau des dominations, « nous devons collectivement briser la grammaire du silence et de la domination ».

Nous devons interroger nos systèmes de valeurs, interroger la famille, non pas pour la détruire – elle est encore largement, et c’est heureux, le lieu de l’épanouissement et de l’amour –, mais pour reconnaître qu’elle peut aussi être le lieu de la violence et de l’exil pour certains enfants. Nous devons briser ces fameux secrets de famille, si délétères. Nous devons aussi, probablement, interroger le modèle patriarcal sur lequel notre société s’est construite.

Depuis trente ans, les déflagrations sont nombreuses ; chaque fois, le couvercle se referme. Elles se succèdent de manière plus rapprochée et avec une intensité plus forte. Il faut voir dans ce phénomène un motif d’espoir : la société supporte de moins en moins l’insupportable ; elle refuse de détourner le regard des actes commis derrière les portes closes.

Dans l’exercice de mes fonctions, et avec l’ensemble du Gouvernement, j’ai très tôt voulu faire de l’écoute et du soutien aux victimes un aspect central de notre action.

Le plan de lutte contre les violences faites aux enfants évoqué par M. le garde des sceaux, que j’ai annoncé au mois de novembre 2019, à l’occasion du trentième anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant, mettait justement l’accent sur l’importance d’accompagner ceux qui avaient traversé ces épreuves. Ses vingt-deux mesures, travaillées avec l’ensemble des associations, des professionnels de la protection de l’enfance et de la lutte contre les violences sexuelles, ainsi que des ministres du Gouvernement, étaient fortes et commencent à produire leurs effets.

Sous l’égide du garde des sceaux, Éric Dupond-Moretti, nous formons désormais mieux les magistrats, pour qu’ils soient pleinement en mesure de traiter ces situations et ces affaires de violences sexuelles subies par des enfants.

Nous déployons les unités d’accueil pédiatriques enfants en danger. Situées dans les services pédiatriques des hôpitaux, ces unités permettent d’accueillir dans un lieu sécurisant, protecteur, des mineurs – parfois âgés de 3 ou 4 ans – victimes de violence sexuelle et de recueillir leur parole par des professionnels formés, policiers ou gendarmes. Notre territoire en comptera une par département d’ici à 2022.

Nous avons renforcé le contrôle des antécédents judiciaires des personnels intervenant au contact des enfants et systématisé les vérifications du fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes, le Fijaisv.

Nous avons, grâce à votre vote du mois d’août dernier, mesdames, messieurs les sénateurs, durci les peines pour les personnes qui consultent des sites pédocriminels, portant la peine encourue de deux à cinq ans, avec inscription automatique au Fijaisv. Dès lors, contrairement à ce qui avait cours auparavant, ces personnes ne pourront plus jamais travailler au contact des enfants.

Nous avons également systématisé les bilans psychologiques dans la prise en charge des victimes, afin de les aider dès les premiers pas et, sur le long terme, dans leur chemin de soins.

Ensemble, nous agissons. Toutefois, ce que nous montre sans artifice l’actualité, ce que nous disent sans fard les victimes, ce que nous savons au fond de nous-mêmes, c’est que nous devons aller plus loin et plus vite, que nous devons franchir une nouvelle étape.

Nous le devons non seulement aux dizaines de milliers de personnes qui ont témoigné au cours des derniers jours, mais aussi aux millions d’autres qui n’ont pas encore réussi à le faire.

Le Sénat comme l’Assemblée nationale entendent bien évidemment cet appel, comme le montre cette proposition de loi, dont l’examen nous rassemble aujourd’hui. Nous ne pouvons que le saluer.

Je salue également à mon tour le travail constant de la délégation sénatoriale aux droits des femmes, en particulier celui qu’ont effectué, au cours des dernières années, Marie Mercier, Michelle Meunier et Dominique Vérien, ainsi que celui de la députée Alexandra Louis.

Nous en sommes convaincus, nous devons encore mieux former et mieux sensibiliser – et ce très largement – aux questions de violences sexuelles faites aux enfants, instaurer une véritable culture de la prévention, partagée par l’ensemble des professionnels travaillant au contact des enfants.

Nous devons aussi avancer plus rapidement sur la sensibilisation des enfants eux-mêmes, afin qu’ils deviennent les premiers remparts face aux menaces pesant sur eux,…

Mme Marie Mercier, rapporteur. Oui, c’est très important !

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat. … comme c’est le cas dans d’autres pays, notamment la Suède et le Canada. Le Gouvernement a engagé, avec Jean-Michel Blanquer, des travaux pour renforcer et déployer ces temps indispensables pour sensibiliser, mais aussi prévenir et repérer toute forme de violence envers nos enfants.

Nous devons évidemment mieux prendre en charge les victimes, envers qui la dette de la collectivité n’a pas de prix. Estimer, comme cela a trop longtemps été le cas, qu’elles peuvent se remettre seules du traumatisme qu’elles ont vécu est une seconde violence qui leur est faite. Le coût individuel est inimaginable pour qui ne le vit pas et le coût collectif est phénoménal, tant on sait aujourd’hui que les violences sexuelles subies dans l’enfance sont le premier facteur de tentatives de suicide, de dépressions, de troubles du comportement alimentaire, de maladies chroniques à l’âge adulte.

Parmi toutes les questions nourrissant le débat public, il y a celle de l’âge du consentement, que le Sénat a souhaité, par ce texte, faire évoluer. Le garde des sceaux s’est exprimé très clairement à ce sujet. Il a très justement mis en avant les défis soulevés par cette notion et les différents aspects du texte.

La concertation évoquée par ses soins doit permettre d’affronter ces défis, de répondre à toutes ces questions, d’enrichir encore les dispositions de cette proposition de loi. Elle sera rapide, car les données et les sujets sont sur la table. Elle sera efficace et large, par la diversité des paroles recueillies. Elle sera à l’image de ce que nous sommes et de ce à quoi nous faisons face tous ensemble.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce ne sont pas seulement les victimes qui nous attendent ; c’est la société tout entière qui nous regarde.

On peut probablement même parler d’une introspection, individuelle et collective, que nous engageons aujourd’hui ensemble. Ce ne sera pas aisé. Nous devrons remettre en cause certains de nos réflexes, modèles et références. Nous serons conduits, toutes et tous, à nous interroger.

Il faut en passer par là, j’en suis convaincu ! Nous devons appréhender le sujet de la violence sexuelle sur les enfants dans toute son entièreté, dans toute sa complexité, en explorant les « replis » qui n’ont pas encore été portés au débat public.

Nous devons nous assurer que la parole de celles et ceux qui ne peuvent pas parler pourra s’exprimer. Je pense notamment aux enfants en situation de handicap, qui, comme les femmes face aux violences conjugales, sont bien plus exposés à ces menaces. Ne pas faire face à cette question, c’est passer à côté d’une partie importante du sujet.

Ce cheminement – individuel et collectif – ne sera pas simple, il sera même douloureux. Toutefois, j’y insiste, nous devons le faire, pour le bien de nos enfants d’aujourd’hui et de demain, et probablement aussi un peu pour nous-mêmes. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et UC. – Mme le rapporteur applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Xavier Iacovelli. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons s’inscrit dans un contexte politique et médiatique particulier, qui voit enfin une libération progressive de la parole des victimes, mettant fin à l’omerta qui règne trop souvent.

À cela s’ajoute une récente décision de la cour d’appel de Versailles, du 12 novembre dernier, rejetant une demande de requalification en viol de faits présumés d’atteinte sexuelle commis sur une jeune fille de 14 ans.

S’il n’est jamais opportun de légiférer sous le coup de l’émotion ou à la suite d’un fait divers ni de remettre en cause l’office du juge, notre assemblée ne peut rester muette face aux débats sociétaux qui traversent notre pays, en particulier lorsqu’il s’agit de la protection des enfants.

Nous le savons, les jeunes mineurs sont particulièrement exposés aux violences sexuelles, puisque 60 % de celles qui sont recensées concernent des enfants.

Dans leur rapport sur la loi du 3 août 2018, nos collègues députés Erwan Balanant et Marie-Pierre Rixain ont à juste titre estimé que le seuil des 13 ans marquait la limite indiscutable de l’enfance.

Si la notion de consentement trouve déjà sa complexité lorsque le plaignant est un adulte, celle-ci a un écho très singulier lorsque la victime est un jeune mineur.

C’est pourquoi la proposition de loi prévoit d’introduire au sein du code pénal un nouveau crime, puni de vingt ans de réclusion criminelle et caractérisé par tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis par une personne majeure sur un mineur de 13 ans.

Notre assemblée a déjà connu ce débat et le Gouvernement s’est saisi de cette question à l’occasion de l’examen de la loi de 2018. Celle-ci, par une disposition interprétative, est venue préciser l’appréciation de la contrainte et de la surprise, éléments constitutifs du viol et des autres agressions sexuelles, afin d’en faciliter la démonstration par le juge lorsque la victime est un mineur de moins de 15 ans.

Le texte que nous examinons aujourd’hui emprunte un autre chemin, plus affirmé encore, en proposant de criminaliser tous les actes de pénétration sur mineur de moins de 13 ans.

Il est ainsi rappelé qu’au-dessous de cet âge l’enfant est incapable de discernement pour consentir à ce type de rapports avec un adulte.

Il est ainsi affirmé qu’au-dessous de cet âge la question de la violence, de la contrainte, de la menace ou de la surprise ne doit pas intervenir.

Il est ainsi posé, en définitive, un interdit clair dans la loi, plus ferme que le délit d’atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans.

Je tiens à saluer le travail de Mme la rapporteure, Marie Mercier, qui a contribué à l’enrichissement de ce texte par l’adoption de plusieurs amendements en commission.

Son objectif était notamment de ne pas induire, par l’âge de 13 ans, une moindre protection des mineurs de 13 à 15 ans. Si l’articulation de la disposition introduite à cette fin avec les dispositions interprétatives issues de la loi Schiappa peut poser question, l’objectif de ne pas minorer la protection des autres mineurs est justifié.

La question de l’âge et des effets de seuil est centrale et des travaux sont en cours à l’Assemblée nationale sur le sujet. Nous avons tous à l’esprit le rapport d’Alexandra Louis et la proposition de loi d’Isabelle Santiago, auxquels s’ajoute la concertation annoncée aujourd’hui par le garde des sceaux.

Faut-il retenir un seuil de 13 ans, assorti d’une disposition interprétative pour les mineurs âgés de 13 à 15 ans ? Faut-il inclure tous les mineurs de moins de 15 ans, en ménageant des causes objectives d’irresponsabilité ? Ces questions se posent légitimement, en droit comme en opportunité.

D’autres réflexions – d’actualité – sur l’inceste et sur la prescription, enjeu complexe qui peut être déterminant pour la libération de la parole des victimes, mobiliseront notre hémicycle ce matin.

Dans une écrasante majorité, le groupe RDPI votera ce texte.

Mme Annick Billon. Très bien !

M. Xavier Iacovelli. Nous serons plusieurs, également, à voter l’amendement de Laurence Rossignol portant à 15 ans le seuil d’âge de la nouvelle infraction créée. (Mme Laurence Rossignol exprime sa satisfaction.)

Je salue le travail de l’auteure de cette proposition de loi, Annick Billon. Elle se saisit d’un débat de société majeur, que nous ne pouvons pas, je crois, écarter d’un revers de la main. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, SER et UC.)

M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’enfance devrait toujours être le temps de l’insouciance. Malheureusement, trop d’enfants subissent humiliations, violences physiques ou sexuelles, autant de traumatismes profonds et durables auxquels il est inconcevable que la société ne réponde pas.

Ce soutien inconditionnel est avant tout indispensable pour que ces victimes puissent se construire, ou se reconstruire, en surmontant l’innommable.

Face aux crimes sexuels, la réponse institutionnelle doit d’abord être celle de la protection du mineur victime. Ce sujet semble faire consensus dans sa finalité : un adulte n’a pas à entretenir un rapport sexuel ou une relation de même nature avec un enfant et il ne fait aucun doute qu’un mineur de 13 ans est un enfant, quelle que soit l’image qu’il peut renvoyer.

Nous ne pouvons pas approuver les positions parfois ambiguës de certains commentateurs, discutant de l’attitude de l’enfant victime, cherchant une forme de réciprocité déculpabilisante pour l’adulte, là où nous ne devrions voir qu’une perversion du besoin affectif de l’enfant. Un enfant n’est pas un adulte. C’est à l’adulte de le savoir et de s’y tenir. C’est à lui de se contrôler et de « s’empêcher », comme disait Albert Camus.

Aussi, je ne doute pas que nous devrions arriver à une unanimité quant à la prohibition des rapports ou des relations sexuelles entre adulte et enfant. Cette unanimité ne devra pas être perdue de vue quand nous débattrons des moyens de parvenir à ce but.

Cette proposition de loi permet une avancée majeure pour notre arsenal répressif. J’en remercie Annick Billon et l’ensemble des signataires, ainsi que Marie Mercier, notre rapporteur, qui a enrichi le texte. Elle pose un interdit clair et strict, à travers la création d’une infraction autonome interdisant sans détour à un majeur d’avoir une relation sexuelle avec un mineur de 13 ans.

Il est nécessaire que notre droit puisse répondre avec fermeté et sans complexité à ces abus. Nous saluons donc l’ensemble des dispositions de ce texte, tant pour les solutions apportées en vue de faciliter la répression des faits incriminés que pour le respect de nos principes fondamentaux, ni l’imprescriptibilité ni l’irréfragabilité n’ayant été retenue.

Toutefois, cette évolution ne signifie pas que tout est enfin réglé.

D’abord, nous devons réfléchir au moyen de protéger avec la même efficacité les enfants de 13 à 15 ans, afin qu’il n’y ait pas d’effet de seuil à la date d’anniversaire d’un mineur victime.

Certes, cette proposition de loi apporte une première réponse en disposant que la contrainte morale ou la surprise peuvent également résulter de ce que la victime mineure était âgée de moins de 15 ans et ne disposait pas de la maturité sexuelle suffisante. Nous devrons donc observer comment les juges s’approprieront cette disposition et cette notion de « maturité sexuelle suffisante », sans non plus nous empêcher de poursuivre nos réflexions en vue de perfectionner encore davantage ces mécanismes.

Ensuite, demeure la question de l’inceste et de sa condamnation pénale. Le cas de l’abus sexuel intrafamilial ne fait pas, à ce jour, l’objet d’une répression suffisante. Le code pénal ne l’envisage que comme une surqualification ou une circonstance aggravante. Certes, la loi du 3 août 2018 a permis d’avancer sur ce point, mais le dispositif pourrait être complété.

Sur l’initiative de notre ancienne collègue, Françoise Laborde, le groupe du RDSE a déposé une proposition de résolution visant à engager diverses mesures pour intensifier la lutte et la prévention contre l’inceste et à demander sa surqualification pénale. Je renouvelle donc notre souhait que des réflexions soient poursuivies sur cette question.

Enfin, et c’est peut-être le plus important, il faut observer que l’arsenal répressif, même le plus perfectionné, ne suffira pas à faire cesser les abus.

La loi pénale ne fait pas tout. Il faut aussi œuvrer pour une meilleure sensibilisation de la société sur ces sujets, sans les abandonner aux excès qui peuvent être observés dans les réseaux sociaux. Il est aussi nécessaire de veiller à un meilleur accompagnement des victimes, ainsi qu’à un meilleur suivi médical des auteurs des actes.

Pour cela, au-delà des seules sanctions, nous devons travailler à soutenir et aider davantage les professionnels des services de protection de l’enfance, faisant face à ces situations particulièrement lourdes d’un point de vue émotionnel et délicates dans leur suivi.

Toutes ces remarques n’enlèvent rien au texte que nous discutons et que le groupe du RDSE soutiendra sans réserve. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC. – Mme le rapporteur applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi d’Annick Billon, soumise aujourd’hui à notre examen, prend une résonnance particulière à l’aune de l’actualité et des révélations de Camille Kouchner, révélations ayant conduit, comme il y a trois ans avec l’affaire Harvey Weinstein, à la libération de la parole et à des révélations plus larges et « universelles » sur les réseaux sociaux, derrière le hashtag #MeTooInceste.

Voilà comment des drames personnels expurgés du secret des cellules familiales et délivrés du sceau tacite du silence mènent à l’éclosion de sujets jusque-là encore tabous de notre société. Même si la prescription des faits est souvent de mise dans les affaires d’inceste, la libération de la parole travaillera à ce que ces comportements soient, sinon bannis, du moins dénoncés et considérés pour ce qu’ils sont : des interdits structurants de la société.

L’objet de la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui n’est pas sans lien avec cette problématique, puisqu’elle vise à poser un interdit clair dans la loi : l’interdiction absolue de tout acte sexuel entre une personne majeure et un mineur de moins de 13 ans, en instaurant dans le code pénal une nouvelle infraction autonome.

Cette proposition de loi, issue de l’actualité, moins récente mais non moins sordide, de l’affaire Julie, tire sa validité et sa recevabilité de deux éléments importants.

En premier lieu, il s’agit des droits de la défense et du respect du principe de présomption d’innocence.

Pour se défendre de cette infraction autonome, l’auteur des faits aurait la possibilité d’apporter la preuve qu’il ne pouvait connaître l’âge exact du mineur avec lequel il a eu une relation sexuelle. Cela vient répondre aux risques d’inconstitutionnalité notamment soulevés par le Conseil d’État dans son avis sur le premier texte du Gouvernement, en 2018, qui visait une présomption de non-consentement irréfragable.

En second lieu, il s’agit de la question du seuil d’âge à 13 ans.

D’un point de vue juridique, cela nous paraît cohérent avec la présomption de non-responsabilité pénale des mineurs fixée à 13 ans dans le futur code de justice pénale des mineurs.

D’un point de vue sociétal, c’est également cohérent avec le fait qu’une relation puisse être entretenue entre un ou une mineur de 15 ans et un ou une jeune majeur de 18 ou 19 ans.

Enfin, l’âge de 13 ans représente le seuil barrière infranchissable du monde de l’enfance.

En outre, le texte d’Annick Billon a été enrichi en commission des lois, notamment grâce à un amendement de la rapporteure, dont je salue la finesse et la précision du travail. Cet amendement est venu préciser la définition de viol, en indiquant que la contrainte morale ou la surprise, éléments constitutifs de l’infraction, peuvent résulter de ce que la victime mineure était âgée de moins de 15 ans et ne disposait pas de la maturité sexuelle suffisante.

Cette nouvelle indication est pour nous bienvenue et prend en compte la difficulté d’un seuil d’âge infranchissable et des « maturités variables » d’un adolescent à l’autre.

Cela dit, une fois précisés les points positifs qui conduiront notre groupe à voter cette proposition de loi, nous ne pouvons considérer la création d’une infraction autonome – aussi légitime soit-elle – comme une réponse suffisante à ce fléau des violences sexuelles commises à l’encontre des mineurs.

Tout le volet préventif doit être examiné en parallèle, et de toute urgence, avec le traitement de problématiques telles que la prévention et l’éducation sexuelle dès le plus jeune âge, la formation des professionnels de l’enfance ou encore la question des moyens de la justice et de nos forces de l’ordre, mais aussi des moyens accordés aux centres de la protection maternelle et infantile (PMI) et au monde de l’enfance dans son ensemble.

De manière générale, ces infractions sont la résurgence d’un modèle sociétal millénaire : celui de stéréotypes archaïques et de la domination patriarcale qui continue à sévir, malgré l’évolution des mœurs et des lois, à l’encontre des femmes et des enfants. C’est pourquoi il paraît nécessaire qu’une délégation aux droits des enfants prenne toute sa place au sein de notre Parlement. (Mme Laurence Cohen et M. Xavier Iacovelli applaudissent.)

C’est ce que nous vous proposerons de nouveau au cours du débat, même si notre amendement a été jugé irrecevable. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)

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