Mme le président. La parole est à Mme Annick Billon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Annick Billon. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, quarante ans après la mise en place des premières zones d’éducation prioritaire, le constat est sans appel : 70 % des élèves socialement défavorisés ne sont pas scolarisés en réseau d’éducation prioritaire, tandis que la Cour des comptes dresse un bilan plutôt décevant de ces politiques.

La politique d’éducation prioritaire fait l’objet de nombreuses critiques : notamment un cadre trop rigide ou des effets de seuil qui rendent toute modification de la carte scolaire très difficile. Dès lors, une refonte globale semble nécessaire.

En 2019, nos collègues Laurent Lafon et Jean-Yves Roux avaient réalisé un travail de fond, que je salue, sur cette problématique de l’éducation prioritaire, avec la mission d’information sur les nouveaux territoires de l’éducation.

Ils constataient qu’un grand nombre d’élèves, pourtant défavorisés, étaient exclus des dispositifs de REP, et plaidaient alors pour une politique de l’éducation prioritaire définie aux niveaux académique et départemental, avec des critères territoriaux, en concertation avec les élus.

Cette recommandation trouve son application avec le dispositif des contrats locaux d’accompagnement, qui seront le socle de votre expérimentation, madame la secrétaire d’État.

Ce dispositif, qui se veut plus adaptable aux situations locales, permettra de répondre aux écueils des politiques actuelles, en ciblant deux catégories d’établissements : d’une part, des établissements à la lisière des réseaux d’éducation prioritaire ; d’autre part, des établissements ruraux isolés et ne relevant pas des politiques de la ville, dont les besoins sont spécifiques.

Cette expérimentation pourrait être une première réponse à la problématique des écoles dites « orphelines », soit 500 établissements. Ils cumulent toutes les caractéristiques des REP, c’est-à-dire un nombre élevé d’élèves boursiers, des parents issus de catégories socioprofessionnelles défavorisées et un taux de redoublement important.

Ces établissements ne peuvent intégrer ces réseaux d’éducation prioritaire, car leur collège de rattachement recrute une population mixte. Ce sont donc quelque 51 000 élèves qui ne peuvent bénéficier des compensations propres à l’éducation prioritaire, par exemple le dédoublement des classes de CP et de CE1.

Ce dispositif est pourtant efficace pour des élèves en apprentissage de la lecture et de l’écriture. Et ces établissements sont tout à fait identifiés par les élus locaux.

En intégrant une dimension territoriale à son élaboration, cette expérimentation permettra également de mieux prendre en compte les besoins spécifiques des écoles situées en zones rurales, grandes absentes des statistiques.

Certains territoires, particulièrement en zone isolée ou subissant une crise industrielle ou postindustrielle, voient se cumuler des difficultés sociales qui peuvent avoir des effets scolaires. Et ces dernières ont été aggravées par la crise sanitaire que nous traversons.

Dès lors, comment comprendre les fermetures de classes annoncées dans ces territoires, notamment pour les communes de moins de 5 000 habitants ? Ce sont justement ces territoires qui doivent bénéficier d’une attention particulière.

Par exemple, dans la commune vendéenne de Petosse, où je me trouvais la semaine dernière et qui fonctionne en regroupement pédagogique intercommunal avec la commune du Langon, une fermeture de classe est annoncée, alors qu’elle accueille un public connaissant des difficultés sociales et d’apprentissage.

Vous l’aurez compris, madame la secrétaire d’État, si l’idée est de rebattre les cartes pour coller au mieux aux besoins réels des établissements, nous soutiendrons votre expérimentation. Celle-ci ne pourra atteindre ses objectifs qu’en concertation avec les acteurs locaux, et avec des moyens humains.

J’y serai particulièrement attentive, puisque, sur les trois régions choisies pour l’expérimentation, la région Pays de la Loire a été retenue, donc la Vendée, avec des établissements situés sur l’île d’Yeu, à L’Île-d’Elle, à Fontenay-le-Comte, à La Châtaigneraie ou à Chaillé-les-Marais. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Marie-Pierre Monier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’éducation prioritaire est au cœur de notre promesse républicaine ; c’est l’un des piliers de notre politique en faveur de l’égalité des chances.

Le Sénat examinera bientôt le projet de loi confortant le respect des principes de la République : il est bon de se rappeler que c’est d’abord par de tels outils que nous pouvons lutter efficacement contre les séparatismes.

Cela ne signifie pas que l’éducation prioritaire doit être pensée de façon figée. Le quinquennat précédent a permis une révision ambitieuse, la première depuis les lois Savary. Élaborée en lien étroit avec les acteurs de l’éducation prioritaire, elle a créé un indice social juste et objectif, élaboré une nouvelle carte de l’éducation prioritaire et impulsé une dynamique reposant sur un travail pédagogique en réseau.

Je remercie le groupe CRCE d’avoir proposé ce débat. J’espère que, à son issue, nous aurons des pistes pour répondre aux défis de l’éducation prioritaire : la nécessité d’une meilleure articulation avec la politique de la ville, la défense de la mixité sociale et scolaire, la problématique des établissements dits « orphelins », la revalorisation des personnels à la hauteur de leur investissement, et, bien sûr, la question des établissements ruraux.

Il est positif que ce débat fasse une place à leurs spécificités, d’autant plus que, dans certains départements, la carte scolaire de 2021 se constitue dans la douleur, par manque de moyens, ce qui met directement en concurrence des écoles en REP avec des écoles rurales.

Dans la Drôme, la rentrée se fera à moyens constants. Pour dédoubler des classes en REP, il faut prendre les postes quelque part. Et souvent, c’est dans les territoires ruraux ! Cette mesure de dédoublement est une bonne chose, mais les moyens pour la mettre en œuvre n’ont pas suivi.

J’espère sincèrement que ce sera l’occasion d’une prise de conscience. Les classes en REP et les classes rurales ont en commun d’avoir des besoins spécifiques, mais ceux-ci ne sont pas les mêmes et ne doivent pas être opposés. Il faut prendre les deux en compte et, surtout, les financer comme il se doit.

Nous faisons nôtre également une partie des constats mis en avant pour justifier cette réforme, mais cette expérimentation en vue de transformer l’éducation prioritaire semble créer plus de problèmes qu’elle n’en résout.

Le premier point qui pose question, c’est sa temporalité très courte. Comment se prononcer sur la pertinence d’une généralisation à partir d’une expérimentation d’un an seulement, alors que les contrats locaux d’accompagnement sont prévus pour une durée de trois ans ? Pourquoi lancer une opération dans la précipitation, alors que nous approchons de la fin du quinquennat ?

Cette évolution majeure du système d’éducation prioritaire doit au contraire être pensée dans le temps long, dans une optique de concertation avec les syndicats et la représentation nationale. Les réactions suscitées par l’annonce de cette réforme montrent combien c’est nécessaire.

Nous nous interrogeons aussi sur son financement. Madame la secrétaire d’État, vous avez annoncé un budget spécifique de 3,2 millions d’euros dans le cadre de l’expérimentation, dont la répartition dépendrait des contrats signés par les académies. Comment appréciera-t-on si son montant est adapté aux besoins réels ? Quels seront les critères de répartition ? Et sur quel budget cette somme sera-t-elle prise ?

Le risque vient également des nouveaux indicateurs de choix des établissements retenus : en plus des critères nationaux, vous avez indiqué que des indicateurs spécifiques « aux mains des académies » seront définis, par exemple le climat scolaire. La conséquence en sera évidemment une dilution des critères sociaux, pourtant au fondement même de l’éducation prioritaire.

Cette réforme s’appuie sur une vision de l’enseignement prioritaire contractualisé, émancipé de tout pilotage national au profit d’arbitrages locaux. Un tel changement conduira fatalement à une rupture d’égalité entre les territoires et à une mise en concurrence des établissements.

Nous partageons un constat : acteurs et actrices de terrain doivent être mieux associés pour constituer la carte de l’éducation prioritaire. Mais cela n’implique pas la disparition d’un cadre national.

Avec les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, je vous propose de retourner le problème : au lieu de s’appuyer sur des contractualisations locales, demandons dans un premier temps aux académies quels sont les besoins réels sur le terrain, pour ensuite, à partir de ces remontées, dessiner la carte nationale de l’éducation prioritaire. Cela permettrait de prendre en compte l’ensemble des besoins et de prévoir les financements adaptés.

Madame la secrétaire d’État, je vous invite à saisir cette occasion. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)

Mme le président. La parole est à M. Max Brisson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie le groupe CRCE d’avoir proposé ce débat.

« Le français, la morale, le calcul ! », proclamait Jules Ferry. Sa devise illustrait alors la priorité de l’école élémentaire obligatoire et gratuite : l’égal accès de tous aux apprentissages fondamentaux et aux capacités citoyennes.

Puis, progressivement, l’école a suivi le cours de l’évolution de la société, marquée par le besoin de spécialisation et de qualification. L’école capable d’offrir à tous l’égalité des chances par le travail, par la motivation et par le mérite est venue charpenter l’image de l’école vectrice de l’ascenseur social.

La promesse scolaire était alors non plus celle de l’instruction élémentaire pour tous, mais plutôt celle de l’égalité des chances, par le mérite tout d’abord, puis de plus en plus par la différenciation et l’adaptabilité.

Ainsi est née en 1981 l’éducation prioritaire, chargée de corriger les maux de la société pour mieux parvenir à l’égalité des chances. Pourtant, quarante ans après sa création, force est de constater que l’éducation prioritaire n’a atteint ni son objectif de mixité ni, surtout, celui de limiter à 10 % les écarts de niveau entre les élèves des zones prioritaires et les autres.

Au contraire, plus les élèves empruntent les voies du succès et de la réussite et plus la société leur accorde une offre scolaire de qualité et coûteuse. Ainsi, un lycéen français coûte près de 30 % plus cher en moyenne que son camarade issu de l’un des pays membres de l’OCDE, alors que l’élève de l’école élémentaire coûte, lui, 20 % moins cher.

Je crois en fait très profondément que l’éducation prioritaire a souffert du non-respect de son principe initial, c’est-à-dire son caractère temporaire.

Prévue à l’origine pour quatre ans, sa pérennisation par le zonage a marqué au fer les établissements désignés, accélérant le départ des familles les plus favorisées et le turnover des enseignants.

Mes chers collègues, soyons clairs : cette politique était indispensable ; pour autant, nous nous devons de discuter aujourd’hui de la modestie de ses résultats, d’en trouver les causes et de proposer des solutions concrètes. Pour cela, je vous livre aujourd’hui les constats que j’ai dressés.

La réduction des effectifs des classes a été et demeure un moyen trop peu souvent utilisé. Les enseignants affectés sont les moins expérimentés, l’absentéisme y est le plus marqué et les contractuels le plus nombreux. De fait, les mesures d’amélioration de l’attractivité de postes et de stabilisation des équipes éducatives ont été atténuées par la rigidité de gestion des enseignants.

Il est également nécessaire de souligner l’absence d’autonomie des établissements et de marges de manœuvre pour les chefs d’établissement.

Enfin, la labellisation des établissements en réseau d’éducation prioritaire et l’octroi des dérogations à la carte scolaire ont encouragé les stratégies d’évitement des familles et ont contribué à réduire encore la mixité sociale.

Madame la secrétaire d’État, si votre souhait est d’ouvrir le chantier de l’éducation prioritaire, lancez-vous dans la refonte d’un dispositif vacillant et dépassé, en vous détournant d’une politique centralisée à laquelle on vient, pourtant, de vous inviter encore. Ne vous limitez pas à une simple réforme paramétrique du dispositif, faisant fi des erreurs passées.

Pour faire réussir l’éducation prioritaire, il vous faudra adapter les modalités de gestion et d’affectation des professeurs afin d’attirer, de stabiliser, de former et de soutenir les équipes.

Cette ambition renouvelée impliquera nécessairement une augmentation des postes à profil, le renforcement de la formation, l’affectation d’enseignants chevronnés, des conditions de rémunération plus attractives et des modalités d’affectation spécifiques. Il faudra entrer dans une école du contrat, contrairement à ce qui vous a été dit il y a un instant, avec des contrats de mission destinés à permettre aux professeurs chevronnés de venir servir dans ces territoires difficiles.

Pour faire réussir l’éducation prioritaire, il vous faudra aussi adapter l’école à la diversité des territoires et, pour cela, consulter les élus et les équipes éducatives, en les interrogeant sur leur réalité, leur spécificité, en échangeant avec eux sur leurs attentes, leurs difficultés et leurs réussites, en les invitant à partager leurs idées, leurs propositions et même leurs revendications.

Bref, pour réussir, il vous faut faire du sur-mesure, au plus près des établissements, en laissant la main aux acteurs de terrain. Il vous faut desserrer l’étau de la centralisation et du zonage descendant auxquels on vous a encore appelée, pour permettre aux équipes de terrain de prendre une part active aux esquisses de l’école républicaine de demain.

Voilà le chantier de l’éducation prioritaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.

M. Jean-Pierre Decool. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, créée par Alain Savary en 1981, l’éducation prioritaire était conçue comme un dispositif temporaire de discrimination positive visant à compenser les inégalités sociales en matière scolaire, en renforçant les moyens de l’éducation nationale en direction des élèves des quartiers défavorisés.

L’objectif initial était de limiter à 10 % les écarts de niveaux observés entre les établissements des quartiers les plus défavorisés et les autres. Force est de constater que, quarante ans plus tard, les disparités restent élevées, avec 20 % à 35 % de différence entre établissements.

En 2017, le réseau de l’éducation prioritaire couvrait 1 000 collèges, dont 356 en REP+, et 7 000 écoles, dont 2 500 en REP+, pour un coût de 1,6 milliard d’euros. Les principaux critères pris en compte sont le taux d’élèves boursiers, le type de quartier, les catégories socioprofessionnelles et, pour les collèges, le nombre d’élèves ayant redoublé au moins une classe.

Toutefois, les moyens déployés manquent souvent leur cible, comme le souligne la Cour des comptes dans un rapport d’octobre 2018. Cette politique ne couvre que 30 % des élèves défavorisés, et les effets de bord sont importants : de nombreux établissements en difficulté sont écartés du dispositif ; une école placée en plein cœur d’un quartier prioritaire peut ainsi être exclue du réseau si son collège de rattachement n’en fait pas partie.

En parallèle, les effets pervers constatés par le Centre national d’étude des systèmes scolaires, le Cnesco, dans son rapport de 2016 ne sont pas négligeables : l’éducation prioritaire semble associée à la dégradation du niveau des élèves, en raison de la stigmatisation des établissements concernés.

Le processus est double : non seulement les familles les plus aisées évitent de scolariser leurs enfants dans ces établissements, mais les enseignants les plus expérimentés et les enseignants titulaires y sont moins nombreux et les taux d’arrêt maladie et de mutation s’y révèlent élevés.

La conjonction de ces deux facteurs – la concentration, d’une part, d’élèves en difficultés sociale et scolaire, de l’autre, d’enseignants peu expérimentés – annule les effets positifs escomptés du dispositif.

Le renouvellement de la politique d’éducation prioritaire depuis 2017 et la réforme en cours visent à remédier à ces problèmes.

Parmi les récentes réformes figure le dédoublement des classes de CP, de CE1 et de grande section de maternelle. Le Gouvernement a fait ce choix plutôt que celui du dispositif « Maître+ », plus flexible, visant à renforcer ponctuellement l’encadrement de la classe grâce à un enseignant supplémentaire ou un assistant.

Pourtant, les deux dispositifs semblent complémentaires. Des assistants pourraient être déployés dans certaines classes en difficulté pour seconder l’enseignant et améliorer l’accompagnement des élèves. La revalorisation des salaires des enseignants et le renforcement des effectifs du personnel non enseignant sont également des facteurs indispensables au succès du dispositif.

La mise en place des classes coopératives donne de bons résultats pour favoriser l’apprentissage du vivre-ensemble et traiter les problèmes de vie scolaire. De même, le dispositif Devoirs faits, déployé depuis 2017 dans les collèges du réseau, est très demandé.

En novembre dernier, le Gouvernement a annoncé la mise en place de contrats locaux d’accompagnement, ou CLA, dans les académies de Lille, Nantes et Aix-Marseille. À partir de septembre 2021, cette expérimentation permettra à certaines écoles, certains collèges et lycées, hors réseaux, de bénéficier au cas par cas de moyens supplémentaires, pour améliorer l’accompagnement des élèves.

Certains établissements implantés en milieu rural pourront bénéficier de ce dispositif. Si ses résultats se révèlent prometteurs, sa généralisation permettra aux 500 écoles dites « orphelines », présentant tous les critères d’une école de REP, mais rattachées à un collège hors réseau, d’en bénéficier également.

Nous considérons qu’une réforme globale du fonctionnement de l’éducation prioritaire est souhaitable, pour ne pas dire indispensable, au regard de l’insuffisance des résultats du dispositif actuel. Nous devons aller vers un maillage plus souple et plus réactif des écoles et des collèges du réseau ainsi que vers une dissociation des écoles et des collèges. Aussi, nous accueillons favorablement l’expérimentation des CLA.

En conclusion de son ouvrage Terre des hommes, le commandant Antoine de Saint-Exupéry s’interroge sur l’avenir du jeune enfant né dans la misère qu’il voit face à lui, dans un wagon de troisième classe en partance pour la Russie : « Ce qui me tourmente […], c’est un peu, dans chacun de ces hommes, Mozart assassiné. »

L’essentiel est de concentrer nos efforts dès le plus jeune âge, afin d’offrir à chaque enfant, quelle que soit son origine, l’accès à la lecture, à l’écriture et à une maîtrise suffisante du français. Ces prérequis sont le sésame dont dépend l’accès à tous les autres apprentissages ! (Mme Marie Mercier et M. Marc Laménie applaudissent.)

Mme le président. La parole est à M. Thomas Dossus.

M. Thomas Dossus. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant tout, je tiens à remercier les membres du groupe CRCE de ce débat.

La France est l’un des pays de l’OCDE où le lien entre la condition sociale de l’élève et sa performance scolaire est le plus fort. En d’autres termes, notre système éducatif est l’un de ceux qui reproduisent le plus les inégalités sociales ; et voilà plus de dix ans que notre pays trône dans les hauteurs de ce classement.

Cette réalité doit alerter celles et ceux qui font de l’école le pilier de l’émancipation des hommes et des femmes : nous devons regarder en face un système en panne. Elle est ressentie par toutes et tous, à commencer par les enseignants.

Le 25 janvier dernier, et durant les dix-sept jours suivants, deux enseignants du collège Lucie-Aubrac de Givors, au sud de Lyon, ont entrepris une grève de la faim pour demander le classement de leur établissement en REP : dix-sept jours pour demander de l’attention ; dix-sept jours pour demander des moyens pour leurs élèves et leur réussite scolaire ! Ce courage doit tous nous faire réagir.

Nous devons envisager différemment la lutte contre les inégalités, car notre politique d’éducation prioritaire fonctionne mal.

Doter en moyens humains et financiers les établissements selon des critères sociaux, alléger les classes pour assurer un meilleur suivi des élèves, renforcer la formation des enseignants : tous ces outils sont cruciaux.

Pourtant, les écarts dans la maîtrise des compétences de base en français en troisième sont actuellement de l’ordre de 35 % entre collèges des réseaux Écoles, collèges et lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite, ou Éclair, et collèges hors éducation prioritaire.

Madame la secrétaire d’État, ce chiffre nous appelle à repenser le système ; et c’est face à ce constat que votre gouvernement engage la refonte de l’éducation prioritaire.

Selon les quelques informations que nous avons obtenues jusqu’à présent, cette réforme se résume ainsi, dans ses grandes lignes : exit les établissements classés en REP – seuls les REP+ devraient être pérennisés ; exit la logique de réseau entre établissements – désormais, la contractualisation sera de mise, avec des moyens en fonction des besoins des établissements, mais selon des critères établis au niveau national.

L’ensemble de ces mesures doit être expérimenté dans trois académies à compter de la rentrée prochaine, en vue d’une généralisation en 2022.

Cette réforme, qui n’est pour l’instant qu’une esquisse, inspire plusieurs craintes.

Tout d’abord, qu’en sera-t-il du financement ? Lors de votre audition au Sénat en décembre dernier, vous avez annoncé que l’expérimentation se ferait à moyens constants, mais avec des moyens supplémentaires alloués.

Outre l’évidente contradiction entre ces deux affirmations, la question financière est au cœur du problème. En effet, si la logique de contractualisation est poussée à son terme, avec la volonté d’inclure de nouveaux établissements, le tout sans augmentation significative des moyens, des transferts financiers auront nécessairement lieu entre les établissements en difficulté. Il y aura forcément des gagnants et des perdants, sans que l’on sache aujourd’hui qui sera précisément concerné, ni si les établissements seront mis en concurrence.

Vient ensuite la question des critères. À cet égard, je relève une autre incohérence : vous voulez, d’une part, établir des critères nationaux objectifs pour ouvrir droit à cette nouvelle politique et, d’autre part, laisser la porte ouverte à la contractualisation, avec tout l’arbitraire qu’elle implique. Un tel choix pourrait créer de fortes disparités entre les territoires et même entraîner une rupture d’égalité.

Je le relève à mon tour : la réforme proposée pose également la question de l’enseignement privé.

Lors d’une conférence de presse, le secrétaire général de l’enseignement catholique s’est réjoui de l’entrée du privé catholique dans la nouvelle politique de l’éducation prioritaire.

Ce qui favorise la réussite d’une communauté éducative, c’est normalement la mixité entre des élèves bons et moins bons, issus de milieux plus ou moins aisés. Or le privé assèche certains territoires en attirant dans ses établissements les bons élèves qui peuvent se le permettre. Son action va à l’encontre des principes mêmes d’une politique éducative soucieuse de réduire les inégalités.

Dès lors, comment concevoir que ces établissements prétendent à des moyens et des fonds normalement dévolus à des structures en difficulté ? Cette décision est extrêmement problématique.

Madame la secrétaire d’État, nous ne réduirons pas les inégalités éducatives, qui sont, je le rappelle, les inégalités de revenu, de salaire et de logement, à périmètre financier constant, avec plus de bénéficiaires et en faisant des cadeaux à l’enseignement privé. Il nous faut, à l’échelle nationale, une grille claire et transparente de répartition des crédits, progressive, sur la base de critères socio-éducatifs et de mixité.

Pour réduire réellement les inégalités, il faudra transférer des fonds depuis les établissements qui réussissent le plus et qui ont le plus de moyens vers ceux qui sont en difficulté.

Au travers du logement social, nous travaillons à la mixité urbaine, en fixant un cadre de répartition afin que les villes les plus aisées prennent leur part. Dans la même logique, il est temps de travailler à la mixité dans nos établissements en fixant un cadre clair reposant sur des critères objectifs. Ce sera non pas un nivellement vers le bas, mais une politique solidaire, s’attaquant aux inégalités dans les deux sens.

« De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins » : en vertu de ce principe, qui est celui de notre sécurité sociale, tout le monde doit contribuer à l’intérêt général ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE.)

Mme le président. La parole est à Mme Sonia de La Provôté. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Sonia de La Provôté. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme l’a déjà souligné Annick Billon, nous ne pouvons que constater les lacunes de l’éducation prioritaire, quarante ans après sa création. La nécessité d’en repenser le système se fait pressante pour mieux répondre aux besoins des élèves et des établissements concernés.

L’expérimentation proposée s’inscrit dans cette logique : améliorer, sans pour autant les déstabiliser, les dispositifs existants, qui ont beaucoup apporté à l’édifice.

Les situations économiques et culturelles, sociales et familiales sont si diverses qu’elles doivent être abordées de façon protéiforme. C’est le seul moyen de s’y adapter et de trouver des solutions. Dès lors, ce projet de réforme, qui vise une approche plus territorialisée et plus large, peut apporter une réponse.

En effet, s’il a permis d’identifier des territoires exigeant des moyens renforcés, le zonage porte en lui-même la difficulté d’un effet frontière.

Au-delà du périmètre défini, l’éducation prioritaire ne serait plus si utile. Or, on le sait, il n’en est rien. La perte du label pour un établissement ou sa fermeture peut faire perdre le statut prioritaire des élèves qui le composaient : c’est absurde !

Qu’importe la structure, ce sont bien les élèves qui ne doivent jamais être perdus de vue ; le véritable enjeu, c’est l’accompagnement individualisé. Ainsi, une approche plus fine, en proximité, est judicieuse afin de n’oublier ni écoles, ni établissements, ni élèves de cet accompagnement renforcé.

Des points de vigilance existent néanmoins, car cet objectif ambitieux est difficile à atteindre à moyens constants.

Le premier écueil a trait à la répartition des moyens dans les contrats locaux. Les caractéristiques des établissements, des élèves, des enseignants et enfin des académies restent pour l’heure des critères théoriques, donc d’un maniement complexe.

Il ne faut pas diluer l’enjeu de lutte contre les inégalités sociales en matière de scolarité en diluant les moyens. Les problématiques des territoires ruraux et celles des quartiers ne sont pas les mêmes. Et s’il serait préjudiciable de les aborder de manière uniforme, la différenciation ne peut être menée qu’à la marge.

Un deuxième point de vigilance porte sur l’évaluation de cette expérimentation : qui l’effectuera, sur la base de quelles observations et quand ? Madame la secrétaire d’État, sur ce dernier point, vous avez indiqué que le bilan serait dressé au bout d’un an et qu’il serait possible d’étendre l’expérimentation à d’autres académies au-delà de ce délai.

Cette voie de l’extension est indispensable, car, si l’expérimentation est prometteuse, il est pertinent de l’adapter à d’autres territoires : cette réforme pourrait offrir une plus grande souplesse organisationnelle sur le terrain et un accompagnement plus large que le système actuel.

En parallèle, comment articuler ces initiatives et le zonage en vigueur, avec ses seuils REP et REP+ ? Les territoires éducatifs ruraux, les TER, que vous avez mis en place, visent à accompagner globalement l’enfant en mobilisant tous les acteurs en milieu rural, à savoir la communauté éducative et les élus locaux.

Cette approche transversale de contractualisation a fait ses preuves pour accompagner l’enfant dans son parcours et renforcer son environnement éducatif. Néanmoins, comment sera-t-il possible d’articuler ces expérimentations avec le maintien du zonage actuel et, ainsi, de faire progresser l’ensemble ?

La question du cas par cas se posera. Elle impliquera des arbitrages si les moyens sont constants, et vous le savez.

Enfin, l’accompagnement individualisé des enfants exige de réfléchir à une organisation complète avec les collectivités territoriales. Ces dernières n’ont pas toutes les mêmes facilités budgétaires : tout dépend de leur taille et de leurs ressources, particulièrement en milieu rural, et la réforme ne peut reposer sur elles seules.

Il a bien fallu trouver des postes pour dédoubler les classes : il faudra que l’État fasse de même pour assurer un accompagnement plus individualisé et plus territorialisé, afin de renforcer l’égalité.

Madame la secrétaire d’État, l’objectif à atteindre prend tout son sens dans l’école de la République : nul ne peut se satisfaire de la situation actuelle. C’est pour cela que nous suivrons avec attention les initiatives en cours de déploiement. Rien ne serait pire qu’un échec de cette réforme, faute de moyens adaptés et de temps. C’est un enjeu que nous faisons nôtre : il est, sans mauvais jeu de mots, prioritaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)