M. Laurent Duplomb. Voilà la vérité, et c’est justement pour éclipser celle-ci que vous refusez d’avoir le débat au Sénat.

M. Laurent Duplomb. Je ne peux l’accepter. C’est pourquoi je voterai, ainsi que – je vous l’annonce, monsieur le ministre – la totalité du groupe Les Républicains, pour la proposition de résolution invitant le Gouvernement à inscrire ce projet de loi à notre ordre du jour. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, SER et CRCE.)

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, bien sûr, le Sénat doit étudier le projet de loi autorisant la ratification du CETA, qui lui a été transmis le 23 juillet 2019. En plus d’être une nécessité constitutionnelle, c’est indissociable de notre démocratie parlementaire. Dans notre pays, le bicamérisme traduit la chance qui est donnée à l’équilibre, à la précision et à la qualité des débats. C’est notre système ; il doit être respecté.

La discussion de ce projet de loi au Sénat sera un moment décisif pour la France et pour l’Union européenne. L’enjeu est de taille, dans un processus où l’assentiment des vingt-sept pays de l’Union européenne est nécessaire pour l’application complète de l’accord. Rappelons-nous le veto de la Wallonie, en 2016, et le vote, l’été dernier, du parlement chypriote…

C’est également un moment décisif pour notre partenaire canadien. La conclusion d’un accord de commerce avec cet allié historique fut le fruit d’un projet dessiné ensemble et négocié pendant sept années.

Nous partageons l’objectif de cette proposition de résolution, en ce que celle-ci vise à demander que le Sénat puisse étudier ce texte. Ce que nous partageons moins, en revanche, ce sont les arguments qui nous poussent à la même conclusion.

Sur la forme, le retard pris dans le processus de ratification en France est dû à différentes situations, qui ne sont pas toutes le fait du Gouvernement.

Mme Colette Mélot. La principale, qui marque malheureusement toujours notre quotidien, est la pandémie mondiale de covid-19.

M. Rachid Temal. La pandémie a bon dos !

M. Laurent Duplomb. Il y a trois ans, il n’y avait pas de covid !

Mme Colette Mélot. Cette crise a bouleversé le calendrier parlementaire et les priorités législatives ; on ne peut pas dire le contraire.

Mme Colette Mélot. Sur le fond, nous sommes en présence d’un accord dit « de nouvelle génération ». L’une des particularités de cet accord réside dans sa forme mixte. Ainsi, il se trouve être applicable à 90 %, mais cela concerne uniquement, rappelons-le, les sujets pour lesquels l’Union européenne a la compétence exclusive.

En réaction à l’affirmation que ces négociations seraient antidémocratiques, revenons sur certains faits.

Le mandat de négociation de la Commission européenne a été adopté par les États membres ; certaines de ses parties ont été rendues publiques. L’accord a ensuite été signé en 2016, notamment par le président du Conseil européen, constitué des chefs d’État ou de gouvernement des États membres, qui sont élus. Le chef de l’État français d’alors ne s’y est pas opposé, expliquant que les conditions posées par la France avaient été respectées. Le CETA a ensuite été ratifié par le Parlement européen, élu au suffrage universel direct.

Nous sommes conscients que la stratégie commerciale de l’Union européenne est largement perfectible. Après les négociations compliquées avec le Royaume-Uni, la Commission européenne propose de revoir cette stratégie. Des axes cruciaux ont ainsi été dégagés. Deux d’entre eux ont particulièrement retenu notre attention : la lutte contre la concurrence déloyale et le respect des accords de Paris sur le climat au sein des futurs accords internationaux. Nous ne pouvons que souscrire à ces deux demandes émanant des Européens eux-mêmes. Les valeurs et les intérêts des peuples européens doivent être préservés et défendus.

Des craintes concernant le CETA s’expriment. Il faudra des clarifications et des assurances. Surtout, nous devrons rester vigilants par rapport à la mise en œuvre de cet accord et ne pas faiblir. Nos règles sont différentes dans certains secteurs, notamment en matière alimentaire et agricole. L’harmonisation des normes n’est pas prévue pour tirer ces normes vers le bas, et elle ne doit pas le faire.

Il est crucial que les règles européennes soient protégées, tout comme nos consommateurs. Pour l’heure, le rapport de 2018 de l’inspection générale des finances, cité dans l’exposé des motifs de cette proposition de résolution, révèle que la viande bovine canadienne, ne respectant pas les normes, n’est presque pas exportée vers l’Union européenne ; les quotas ne sont quasiment pas déployés. En revanche, l’Union enregistre une hausse des exportations de nombreux produits, comme le fromage, dont la France est l’un des principaux producteurs. D’après Eurostat, le volume d’exportation de l’Union européenne vers le Canada a fait un bond de 7 %.

Le risque réel, que nous ne pouvons pas ignorer, repose sur le règlement des différends entre autorités publiques et investisseurs. La Commission européenne a travaillé sur ce mécanisme, afin de réduire la possibilité de problèmes à l’avenir. La Cour de justice de l’Union européenne qualifie cet outil, dans son avis du 30 avril 2019, de « compatible avec le droit de l’Union européenne ». Néanmoins, nous devons rester vigilants ; il serait inadmissible qu’une multinationale s’attaque aux règles européennes ou à celles d’un État membre, simplement parce que ces règles entraveraient son commerce.

Enfin – j’en terminerai par là –, le 25 mars dernier, le comité conjoint de l’accord commercial entre l’Union européenne et le Canada a rendu des conclusions sur le volet économique du CETA. Celui-ci aurait des effets positifs dans la pandémie que nous traversons.

Ainsi, pour le moment, il semble que l’accord apporte plus de points positifs à l’Union européenne qu’au Canada, mais son application n’en est qu’à son début.

Nous entendons les craintes et nous en partageons certaines. C’est pourquoi le groupe Les Indépendants se tient prêt à avoir, au moment voulu, un débat constructif et pertinent sur le projet de loi autorisant la ratification du CETA. Toutefois, avant cela, nos forces devraient peut-être se concentrer sur la gestion de la pandémie et sur la préparation de notre sortie de crise. Pour toutes ces raisons, nous nous abstiendrons.

M. Laurent Duplomb. Ça, c’est du courage !

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie nos collègues du groupe CRCE d’avoir inscrit la présente proposition de résolution à l’ordre du jour de notre assemblée. Leur texte est limpide ; la présentation qu’en a faite notre collègue Fabien Gay l’est tout autant.

J’imagine, monsieur le ministre, que le banc des ministres ne doit pas être – une fois n’est pas coutume – très confortable. Il faut dire que votre position est indéfendable.

Voilà quatre ans que le Parlement européen a validé le CETA. Voilà bientôt deux ans que l’Assemblée nationale a adopté le texte, et nous attendons toujours que vous daigniez soumettre au Sénat le projet de loi autorisant la ratification de cet accord.

Pour imposer un rythme de navette effréné à l’examen de textes électoralistes saccageant la République et instaurant un État policier, il y a du monde ; pour organiser des débats en application de l’article 50-1 de la Constitution et nous consulter sur des mesures déjà actées par le Président de la République, il y a encore du monde ; mais, pour soumettre un accord international à la ratification, de valeur constitutionnelle, de la chambre haute, là, il n’y a plus personne !

M. Patrick Kanner. Absolument !

M. Guillaume Gontard. Le Gouvernement ne cesse de nous assurer du respect qu’il a pour notre chambre – le Premier ministre l’a fait, hier encore, à cette tribune –, mais, comme le disait le poète Pierre Reverdy, « il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour ». Refuser de soumettre la ratification du CETA à l’autorisation du Sénat est une nouvelle occasion manquée de témoigner de son respect à la représentation nationale. De même, l’absence, à ce banc, du ministre de l’Europe et des affaires étrangères cet après-midi, loin de témoigner de l’amour, démontre son indifférence, voire un certain mépris à notre endroit.

De quoi le Gouvernement a-t-il peur ? Que le Sénat rejette le CETA ? De remettre dans l’actualité un sujet totalement anachronique, un accord du XXe siècle, un traité du monde d’avant le covid, un symbole de la mondialisation qui paupérise les peuples et détruit l’environnement ? Ou bien les deux à la fois ?

Nous pouvons comprendre cette peur. Alors que la crise a mis à nu des failles béantes de la mondialisation, alors qu’elle a mis en lumière notre besoin criant de résilience et de souveraineté, le CETA ressemble plus que jamais au sparadrap du capitaine Haddock…

Nos agriculteurs ne s’en sortent plus. Lactalis veut supprimer, sur ses bouteilles, l’indication de provenance du lait ; le pauvre ministre de l’agriculture en perd ses bras, et vous voulez continuer à l’affliger ? Le Canada autorise les farines animales et certains OGM ; la concurrence internationale tire les prix vers le bas et réduit, comme une peau de chagrin, le revenu des agriculteurs ; nos normes sociales et environnementales sont piétinées au profit des multinationales, dont les pouvoirs sont élargis au point d’empêcher les États de légiférer pour protéger les peuples et la planète.

Donner encore davantage de pouvoir aux intérêts privés au détriment de l’intérêt général, est-ce vraiment là votre vision du monde, monsieur le ministre ?

Alors que l’Assemblée nationale examine le projet de loi Climat, qui demeure très en deçà des engagements de la France en matière de réduction des gaz à effet de serre, vous faites un énième pied de nez à la Convention citoyenne pour le climat, avec un énième joker. Il ne reste décidément pas grand-chose des 149 propositions de cette convention…

On est ainsi passé du « sans filtre » à un filtre jauni, encrassé de renoncements, tout cela pour préserver un traité incompatible avec l’accord de Paris, alors que, dans le même temps, le Président de la République refuse de signer, et c’est heureux, un traité de libre-échange avec le Mercosur, au motif que le Brésil ne respecte pas l’accord de Paris. Décidément, le « en même temps » fait des nœuds au cerveau, même aux intelligences supérieures.

Cet aveuglement vous empêche de concentrer vos efforts pour corriger les fragilités du pays : relocaliser la production économique, notamment agricole ; protéger notre économie, tout particulièrement nos agriculteurs, de la concurrence déloyale du marché ; renforcer la puissance publique face aux intérêts privés prédateurs ; engager la transition écologique, notamment agroécologique ; protéger les emplois ainsi que les salaires et instaurer un revenu paysan digne de ce nom ; et développer une économie de circuits courts et de vente directe, loin des multinationales agronomiques, qui exploitent les agriculteurs et sont les principales responsables de la plus grave et de la plus morbide épidémie qui touche la planète : l’obésité.

S’il était un exemple de l’hypocrisie totale de votre politique faussement écologique, le voilà sous nos yeux. Le « greenwashing » a de beaux jours devant lui…

Au moins, en matière de démocratie, les choses sont claires. Emmanuel Macron pense que la France a besoin d’un monarque, et son mépris du Parlement, de la Convention citoyenne pour le climat, des syndicats agricoles, des ONG et du peuple ne surprend personne. Ce qui est nouveau, c’est que cette soif de pouvoir absolu ne parvient même pas à respecter le cadre et l’usage quasi monarchique de la Constitution de la Ve République. Comment voulez-vous que les Français vous fassent à nouveau confiance en 2022 ?

Le groupe écologiste votera, naturellement et des deux mains, en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE. – M. Henri Cabanel applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux tout d’abord indiquer que la demande formulée par le groupe CRCE est légitime, même si je sens que, derrière cela, se cache un autre débat, qui porte non pas sur la procédure de ratification mais sur le texte même du CETA.

M. Patrick Kanner. Il y a une logique !

M. Richard Yung. Il y a peut-être une logique, mais nous débattons aujourd’hui d’une proposition de résolution demandant l’inscription du texte à l’ordre du jour, nous ne nous discutons pas du contenu même du CETA,…

M. Laurent Duplomb. C’est une mise en bouche !

M. Richard Yung. … même s’il faudra dire un certain nombre de choses à son sujet. Cela s’appelle « avancer masqué », comme disait Descartes.

Cela fait quatre ans et demi que l’accord a été signé avec le Canada. Ce traité a été approuvé par le Parlement européen en 2017 et ratifié par le Sénat canadien la même année. Par ailleurs, vous l’avez rappelé à juste titre, l’Assemblée nationale en a autorisé la ratification, il y a deux ans.

M. Rachid Temal. Ils ont de la chance !

M. Richard Yung. Je veux rappeler que le cas du CETA n’est pas isolé. Ainsi, jusqu’à il y a deux heures, l’accord de partenariat stratégique avec le Japon n’avait pas été inscrit à l’ordre du jour des assemblées pendant trois ans et demi. De même, l’accord entre la France et l’Australie, qui a été signé voilà quatre ans, n’est toujours pas ratifié. En réalité, la liste de textes qui ne sont pas inscrits à l’ordre du jour est longue.

M. Patrick Kanner. Nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes !

M. Richard Yung. Au reste, la France n’est pas le seul État membre qui ne se soit pas prononcé sur le CETA. M. Temal nous a dressé la liste des pays qui l’avaient ratifié. Je l’en remercie, mais, si onze États l’ont ratifié, cela signifie que seize ne l’ont pas fait ! L’Allemagne n’a même pas commencé la procédure de ratification.

M. Patrick Kanner. Vive les mauvais élèves !

M. Richard Yung. Sur le fond, le Sénat dispose de nombreux éléments d’informations pour se prononcer de façon éclairée.

M. Richard Yung. L’étude d’impact qui a été annexée au projet de loi de ratification est très complète. Elle fait référence au rapport de la commission Schubert, relatif à l’impact du CETA sur l’environnement, le climat et la santé, ainsi qu’au rapport d’étude du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii) sur les aspects macroéconomiques.

Parmi les autres documents, on peut citer la décision du Conseil constitutionnel déclarant le CETA conforme à la Constitution et la décision de la Cour de justice de l’Union européenne, que notre collègue Colette Mélot a citée.

Dans la lettre qu’elle a adressée aux sénateurs le 5 mars 2020, l’ambassadrice du Canada en France revient sur les dispositions de l’accord et rappelle que « les agriculteurs canadiens doivent se conformer aux normes du marché importateur, en l’occurrence celui de l’Union européenne ». Cependant, le flux d’importation de viande bovine entre le Canada et l’Union européenne est très faible. Ce n’est pas un cas de force majeure.

M. Yves Bouloux. Heureusement !

M. Richard Yung. Le Canada a ouvert ses marchés publics dans les secteurs où l’expertise française est reconnue. Les effets positifs de la mise en œuvre du CETA militent en faveur de la poursuite du processus de ratification.

L’excédent commercial européen s’est accru : il s’est élevé à 17,6 milliards d’euros en 2019, contre 15,7 milliards d’euros en 2018. L’excédent commercial de la France est quant à lui passé de 26 millions d’euros en 2017 à 650 millions d’euros en 2019. Autrement dit, il a été multiplié par trente ! Le CETA a donc des effets absolument indiscutables.

M. Pierre Laurent. Alors, soumettez-le à ratification !

M. Richard Yung. En dépit de ces bons résultats, il est nécessaire de résoudre les problèmes d’exécution et d’interprétation de l’accord. Parmi les problèmes qui demeurent figurent les modalités d’octroi des contingents d’accès au marché canadien des fromages, lequel est important pour la France, l’accès au marché des vins et spiritueux au Canada, lui aussi important pour la France, et la protection effective des indications géographiques de tous nos produits.

Il est par ailleurs nécessaire de poursuivre l’évaluation du CETA au regard de l’accord de Paris. Le Président de la République s’est engagé : il a déclaré n’avoir « aucun tabou » et être prêt à abandonner le CETA « si l’évaluation montre qu’il n’est pas conforme à la trajectoire de l’accord de Paris ».

Pour toutes ces raisons, mon groupe s’abstiendra sur la proposition de résolution.

M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel.

M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je le dis sans détour, le débat d’aujourd’hui n’aurait jamais dû exister. Nous aurions dû depuis longtemps, dans cet hémicycle, dire oui ou non au CETA, comme cela est prévu depuis 2016 : le CETA étant « mixte », il requiert l’unanimité et doit par conséquent être ratifié par le Parlement de chacun des États membres de l’Union européenne. Or il n’y a eu qu’un seul vote, à l’Assemblée nationale, en juillet 2019 : on y a recensé 266 voix pour, 213 voix contre et 74 abstentions.

Pendant ce temps, depuis septembre 2017, un CETA provisoire a été mis en place, le Canada ayant posé l’exigence que l’on n’attende pas la validation par les parlements nationaux. Or le provisoire n’est pas censé durer des années ! De qui se moque-t-on ? La situation revient à nier le Sénat, à nier le bicamérisme, à nier notre démocratie, alors que M. le Premier ministre nous a assurés, dans la déclaration qu’il a prononcée à cette tribune hier, qu’il faisait le contraire.

Pourquoi la Haute Assemblée est-elle ainsi privée de vote ? Qu’est-ce qui bloque ?

À cet égard, je remercie très sincèrement notre collègue Fabien Gay de placer cette situation grotesque sous les projecteurs. Sa proposition de résolution « invite » – le mot est faible, puisque cela est obligatoire – le Gouvernement à envisager la poursuite de la procédure de ratification du CETA.

Nous devons exiger le vote du Sénat. En effet, les conclusions nuancées de la commission Schubert, mise en place en 2017 pour évaluer les enjeux environnementaux et sanitaires du CETA, avaient conduit le Gouvernement à élaborer, la même année, un plan d’action pour sa mise en œuvre. Celui-ci contenait des engagements ambitieux sur le rôle du Parlement. C’est sans doute oublié !

Les enjeux ne sont pas anodins. Le CETA, document de plus de 2 000 pages, comprend des mesures d’accès réciproque des parties à leurs marchés. Au-delà de la baisse ou de la levée des droits de douane, il est question de la réduction des obstacles non tarifaires, de l’assouplissement de l’accès aux marchés publics ou encore d’harmonisation des règles en matière de propriété intellectuelle.

Depuis 2017, les accords de libre-échange dits « de nouvelle génération » ne se limitent pas à des dispositions de nature commerciale relevant exclusivement de la compétence de l’Union européenne. Ces accords intègrent également de nombreuses clauses portant notamment sur l’investissement, la coopération réglementaire ou le développement durable, certaines de ces clauses relevant de la compétence des États membres.

Autre problème soulevé par cette absence de ratification : l’accord de partenariat stratégique (APS) n’est lui non plus toujours pas promulgué par le Canada, bien qu’il ait été approuvé en 2017 par le Parlement européen, en même temps que le CETA. Le gouvernement canadien attend la fin du processus de ratification des États membres de l’Union européenne. On parle peu de cet accord, qui n’a pas cristallisé l’opposition en 2016. Pourtant, il est majeur, car il rassemble le volet politique. Il aborde les valeurs partagées, par exemple les questions de développement durable, la bonne gouvernance fiscale et le rôle de l’OMC.

La proposition de résolution de notre collègue Fabien Gay que nous examinons aujourd’hui est primordiale : elle vise à demander l’inscription à l’ordre du jour du Sénat du projet de loi de ratification du CETA. Nous le savons, une partie de notre assemblée va s’y opposer. Même mes collègues socialistes, qui, lors d’un débat dans cet hémicycle, avaient soutenu cet accord, signé par l’ancien Président de la République François Hollande, ont changé d’avis. Tant mieux ! Il en va de même, d’ailleurs, de la majorité des députés européens Les Républicains et UDI, qui ont voté en faveur de cet accord au Parlement européen.

La proposition de résolution souligne également que l’accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne affecte de manière notable la politique agricole. En outre, la question environnementale n’est pas suffisamment prise en compte. La Convention citoyenne pour le climat a d’ailleurs demandé au Gouvernement de dénoncer l’application provisoire du texte de libre-échange tant que l’accord de Paris n’y serait pas intégré, alors qu’il figure au sein de l’APS.

Cet accord comporte des incohérences dont il nous faut débattre. Nous devons nous exprimer à ce sujet, poser les questions qui fâchent, comme son impact réel sur notre agriculture. Si les chiffres fournis témoignent d’une hausse des exportations européennes globales vers le Canada et les États-Unis de 15 % en 2018, nous devons objectiver ces données en 2021, plus particulièrement pour l’agriculture, qui paie souvent le prix cher de ces accords internationaux. N’oublions pas, chers collègues, que se dessine le Mercosur, sur le même modèle que le CETA.

La gouvernance de l’Union européenne montre bien ses limites politiques : la Commission décide, les accords sont appliqués et les Parlements des États membres ratifient plus tard… ou pas.

Nos agriculteurs sont toujours sacrifiés sur l’autel d’accords internationaux qui bénéficient, certes, à d’autres secteurs français.

Il est de notre devoir moral d’imposer ce débat au Sénat. Même si le résultat ne correspond pas à la ligne directrice de la Commission européenne, le groupe du RDSE votera pour cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes SER, CRCE, GEST et UC.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent.

M. Pierre Laurent. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 23 juillet 2019, l’Assemblée nationale a examiné en urgence, en fin de session extraordinaire, le projet de loi de ratification du CETA. Deux ans plus tard, quatre ans après sa signature, ce texte n’est toujours pas inscrit à l’ordre du jour du Sénat.

Pourquoi un tel déni ? Comment justifier le silence du Gouvernement qui accompagne cette non-inscription ? Le Gouvernement a-t-il l’intention de contourner définitivement le vote de notre chambre en jouant la carte de l’application provisoire indéfinie, puisque aucun délai légal de ratification ne s’impose à la France ? Ne s’agit-il pas, du même coup, de rendre caduque, à terme, la notion même d’accord « mixte », ce qui permettrait à de futurs accords d’échapper à la ratification parlementaire nationale ?

Après tout, pourquoi s’embarrasser d’un vote du Sénat qui pourrait être défavorable et d’un retour incertain devant l’Assemblée nationale ? C’est le raisonnement que semble faire le Gouvernement. Est-ce acceptable ? À l’évidence, non, et je veux citer les raisons majeures qui appellent cette discussion dans notre assemblée.

La première est l’impératif démocratique, largement souligné par notre collègue Fabien Gay. Les chefs d’État européens et la Commission européenne ont malheureusement pris de fâcheuses habitudes de contournement démocratique des parlements comme des mobilisations citoyennes. Dès lors, comment s’étonner du désaveu populaire ?

La deuxième raison tient évidemment au contenu du CETA. Cet accord est d’une très grande importance. Il s’inscrit dans la lignée d’une libéralisation effrénée des échanges, qui se paie en abaissement des normes, en délocalisations industrielles massives, en dépendance accrue de notre pays dans des secteurs essentiels, comme l’agriculture, mais aussi la pharmacie et le médicament ou le numérique.

Continuer à appliquer des accords comme celui du CETA sans ratification ni évaluation n’est pas responsable.

La révolution écologique, nous le savons, n’est plus une option. Cependant, elle soulève d’énormes défis de transition. La relocalisation de nos productions et un renforcement de nos services publics sont indispensables pour répondre à la crise que nous traversons.

Dans ces conditions, l’évitement de l’exécutif sur ce sujet révèle un embarras manifeste et problématique. D’ailleurs, le Président de la République avait déjà sorti son joker pour évincer la proposition de la Convention citoyenne pour le climat qui s’opposait au CETA…

Il est pourtant devenu évident que la mondialisation financière sans garde-fous, tournée vers la compétitivité à tout prix et bâtie sur le dogme de la concurrence libre et non faussée est, dans bien des domaines, responsable de l’incapacité de nombreux États, dont la France, à faire face aux nouveaux défis d’avenir : la réduction des inégalités, le climat, la pandémie… – il y en a bien d’autres.

Les accords de libre-échange comme le CETA et, demain, le Mercosur nous désarment face aux défis qui s’aiguisent, au lieu de reconstruire les conditions productives, sociales et environnementales pour les relever.

Le CETA ouvre la voie à une nouvelle génération d’accords de libre-échange qui s’étend désormais aux barrières non tarifaires et qui touche tous les domaines : l’environnement, l’agriculture, les protections sociales, les réglementations sanitaires, les investissements, les marchés publics. Il s’agit de tirer toujours vers le bas les normes sociales et environnementales.

La commission Schubert, qui a conduit une analyse indépendante du CETA, a souligné le « manque d’ambition » environnementale du traité. De fait, le CETA continuera d’entraîner une augmentation des émissions liées au fret transatlantique, l’encouragement de la concurrence des pratiques d’agriculture les plus intensives, contraires aux objectifs affichés par l’Europe, la mise en berne des normes protectrices du climat et de l’environnement.

J’ajoute enfin qu’aux dangers déjà évidents s’additionnent désormais ceux que révèle dramatiquement la pandémie.

Nous avons besoin de coopération et non d’exacerbation de la concurrence. Nous avons besoin de reconquérir de la souveraineté, en alliant la protection de normes nationales exigeantes et de coopérations fondées sur la promotion de biens communs, et non de productions rentables à tout prix, quoi qu’il en coûte.

Le débat sur les vaccins et la libération des brevets en est un bel exemple. L’OMC discute d’ailleurs actuellement de nouvelles règles permettant de mieux relever ces défis pour toute la planète et pour toute l’humanité. Est-ce le moment de pousser dans ce sens ou, au contraire, de laisser prospérer les logiques moins-disantes et ultraconcurrentielles d’accords comme le CETA ?

Mes chers collègues, c’est en tout cas le moment, quelles qu’aient été au départ nos positions sur le CETA et quelles qu’elles soient encore aujourd’hui, d’avoir ensemble un débat approfondi, respectant les prérogatives du Parlement. Ensemble, nous pouvons demander au Gouvernement de répondre à cette exigence en votant la proposition de résolution que le groupe CRCE vous soumet aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST et RDSE.)