M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Anne-Catherine Loisier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, par cette proposition de résolution, nos collègues du groupe CRCE nous invitent à rappeler au Gouvernement qu’il serait temps de mener à son terme la procédure de ratification du CETA. En France, celui-ci a été voté par 266 députés en juillet 2019, mais, depuis, il n’a toujours pas été soumis à l’approbation du Sénat. Nous sommes impatients, monsieur le ministre, d’en connaître les motifs, car nous ne pouvons imaginer que vous vous satisfaisiez de la situation actuelle, avec un traité en vigueur seulement partiellement et pour une durée indéterminée.

Par ses tergiversations, le Gouvernement donne aujourd’hui le sentiment de craindre le Parlement, comme s’il n’était pas prêt à assumer les conséquences de ce traité dans les territoires.

Pour beaucoup de centristes, qui pensent que l’avenir de la France passe par une Europe plus démocratique, plus unie et plus forte, la procédure choisie, qui écarte le référendum et relègue les parlements nationaux à des chambres d’enregistrement, porte déjà en elle-même préjudice à l’ambition européenne. Par son défaut de transparence, elle détériore la confiance des citoyens en leurs institutions.

Au-delà de la légitime demande de démocratie et de respect des procédures de ratification qui vous est faite aujourd’hui, il y a une dimension plus pragmatique et plus politique, qui plaide pour un débat rapide au Sénat et sur laquelle, vous l’avez compris, nous aimerions vous entendre, monsieur le ministre : il s’agit de la pertinence de ce traité dit « de deuxième génération », mais finalement déjà dépassé dans un monde post-covid et d’urgence climatique.

Depuis un an, en effet, nous mesurons chaque jour combien la souveraineté économique, alimentaire, numérique et médicale, l’urgence climatique et le bilan carbone sont devenus de nouvelles priorités. Ces réalités n’avaient pas la même acuité voilà quinze ans, lors des négociations du CETA.

Aujourd’hui, ces défis sont devant nous, et nous sommes en droit de nous interroger : est-il bien cohérent de supprimer des droits de douane, alors que, dans le même temps, nous envisageons d’imposer des taxes carbone aux frontières ? Alors que la France et l’Europe imposent à leur production des écoschémas, des circuits courts de la ferme à la fourchette, un Green Deal, des analyses du cycle de vie, des normes RSE, une lutte contre la déforestation, devons-nous continuer à laisser entrer des produits qui ne répondent pas à ces critères pour respecter les contreparties de traités ?

M. Laurent Duplomb. Très bonne question !

Mme Anne-Catherine Loisier. À l’heure de l’urgence climatique, le commerce international peut-il encore consister à importer ce que nous ne voulons pas pour vendre ce que nous voulons exporter ? Le moment est-il bien choisi pour lever tout obstacle aux investissements étrangers, alors que l’enjeu de souveraineté économique n’a jamais été aussi stratégique ? Faut-il soumettre nos États aux arbitrages de tribunaux spécifiques visant à protéger « les attentes légitimes des investisseurs internationaux », et non les intérêts des citoyens, à l’heure où l’on plaide pour plus de régulation et pour un retour des États, notamment dans les secteurs numérique, alimentaire, de la santé et de l’environnement ?

Toutes ces interrogations pressantes, auxquelles nous n’avons pas encore de réponses, se heurtent non pas au principe des échanges internationaux, mais aux modalités de ce traité. Elles justifient un débat urgent, que vous ne pouvez ni éluder ni repousser. L’avenir d’un projet européen crédible et d’un commerce ouvert ne se fera pas en occultant les questionnements des parlements nationaux ni même en se contentant de regarder dans le rétroviseur les bilans chiffrés de ces trois dernières années.

Ces impératifs nouveaux, qui ont surgi en quelques mois, modifient en profondeur et dans la durée les réalités économiques, commerciales et sociétales à venir. Ils nous obligent à nous adapter, car, nous le savons tous, gouverner, c’est prévoir, d’autant qu’ils s’inscrivent dans l’urgence : l’urgence de neutraliser les changements climatiques, l’urgence de la relance économique et de l’emploi dans les territoires, l’urgence de faire renaître l’espoir chez nos concitoyens.

Par respect pour les peuples et pour le pouvoir de représentation qu’ils ont confié au Parlement, par respect pour l’Europe et pour la procédure de ratification choisie, pour la cohérence des politiques publiques et la résilience de nos économies, le groupe Union Centriste soutiendra cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Didier Marie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Didier Marie. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux à mon tour remercier nos collègues du groupe CRCE de leur initiative. Voilà effectivement vingt et un mois que l’Assemblée nationale a voté, à une courte majorité, la ratification du CETA, accord mixte conclu entre l’Union européenne et le Canada qui nécessite la ratification des États membres. Voilà vingt et un mois que nous attendons que le Gouvernement l’inscrive à l’ordre du jour du Sénat et trois ans et demi que cet accord dit « de nouvelle génération » systémique vit sous sa forme provisoire, créant un précédent fâcheux.

Comme mon collègue Rachid Temal l’a exprimé justement, nous vivons là un déni et une aberration démocratiques. C’est une mauvaise manière faite au Sénat, mais c’est surtout une manière qui renforce encore la défiance de nos concitoyens à l’égard de ces accords commerciaux aujourd’hui dépassés.

Ces accords sont dépassés, parce que le monde a changé. La mondialisation libérale et l’accélération des échanges ont, certes, généré de la croissance et permis de développer de nouveaux secteurs, mais elles se sont aussi malheureusement traduites par un accroissement des inégalités territoriales et sociales ainsi que par la destruction de pans entiers de nos économies, laissant des millions de travailleurs européens sur le carreau, sans parler de l’exploitation des travailleurs de nombreux pays du tiers-monde, sous-traitants des multinationales qui nous offrent des produits à bas prix.

Ces accords sont dépassés, parce que la mutation numérique de nos économies a ouvert de nouveaux espaces de croissance, mais aussi de dérégulation, permettant à des multinationales de dicter leur loi, d’accumuler les profits et d’échapper à l’impôt.

Ces accords sont dépassés par l’accélération du changement climatique, la perte de biodiversité, la dégradation de l’environnement, qui mettent en péril l’avenir de l’humanité et interrogent nos modèles de développement.

Enfin, ces accords sont dépassés par l’essor de la Chine, lequel change fondamentalement l’ordre économique et politique mondial, bouleversant concurrence et gouvernance. À cet égard, l’accord entre la Chine et les quatorze pays de la zone indopacifique conclu en novembre dernier dans la région la plus dynamique du monde illustre le déplacement du centre de gravité dans les rapports de force mondiaux et l’accélération de la régionalisation des marchés.

La pandémie de la covid-19 a mis en lumière ces phénomènes en exacerbant les tensions et a permis une prise de conscience accélérée de leurs conséquences économiques et sociales et de leur incidence en matière de dépendance stratégique.

Face à cette situation, l’Union européenne n’a d’autre choix que de redéfinir ses relations internationales et ses échanges commerciaux, de nous protéger sans nous isoler ni nous replier. Elle doit se servir de sa position d’acteur commercial majeur pour défendre un modèle de développement commercial équitable et durable et ne pas se trouver marginalisée dans la bataille politique, stratégique et commerciale que se livrent les États-Unis et la Chine.

L’Union européenne doit être motrice pour réformer l’Organisation mondiale du commerce, restaurer le multilatéralisme, redéfinir des règles communes et installer de nouvelles instances d’arbitrage. Nous devons porter à l’échelle internationale un niveau d’exigence élevé et promouvoir les normes et standards européens, tout en révisant ceux-ci à la hausse.

Les accords commerciaux bilatéraux ou multilatéraux doivent dorénavant inclure la lutte contre le dérèglement climatique, la défense de nos normes sanitaires et environnementales, le respect des droits de l’homme, la protection des travailleurs et un devoir de vigilance de nos entreprises et de celles des pays tiers, qui devront respecter des exigences sociales élevées.

La Commission européenne a récemment présenté sa feuille de route pour redéfinir sa politique commerciale. Si celle-ci ouvre des perspectives positives, elle ne va pas au bout de la démarche. La redéfinition de la finalité de ces accords ne tire pas toutes les leçons des interrogations et des doutes qui traversent les opinions publiques européennes.

Si, sous l’impulsion de la France, lors du quinquennat précédent, des progrès ont été réalisés sur la transparence des négociations, il faut aller plus loin et permettre un débat démocratique pour s’assurer que la politique commerciale est au service du bien commun.

La Commission évoque la réforme de l’OMC et de plus grandes exigences dans les différents domaines que j’ai cités, mais l’objectif d’une « autonomie stratégique ouverte » laisse perplexe. Elle ne remet pas en cause le dogme libéral au bénéfice du juste échange et ne prévoit pas de stratégie de relocalisation et de rapatriement des chaînes de valeur.

Au-delà, c’est la question de la nature juridique de ces accords qui est posée. Celle de la compétence exclusive de la Commission européenne, celle de la durée des mandats de négociation – vingt ans pour le Mercosur… –, celle, pour les rares accords mixtes, de l’absence de date butoir de ratification sont également posées.

La gestion de la mise en œuvre de ces accords, leur contrôle a posteriori, les engagements contraignants assortis d’éventuelles sanctions et de clauses de revoyure afin d’en assurer le contrôle démocratique se posent tout autant.

Nous avons besoin aujourd’hui d’une pause, d’un moratoire sur les négociations et d’une redéfinition démocratique des critères environnementaux, sociaux, fiscaux et de droits humains, qui doivent être au cœur des échanges. Ces critères doivent être ambitieux et remettre les accords commerciaux au service d’un modèle de développement équitable et durable qui serve d’outil au bénéfice d’une Europe géopolitique.

La France, monsieur le ministre, aura, à ce titre, une responsabilité particulière, puisque la présidence française devra faire aboutir les négociations sur la nouvelle stratégie commerciale entre les États membres. Les conditions seront alors réunies pour clarifier en premier lieu au niveau national les termes du débat autour de la politique commerciale commune.

C’est à l’aune de ces remarques que, le jour venu, si le Gouvernement en décide, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain se prononcera sur le CETA. Nous espérons que cette inscription à l’ordre du jour du Sénat viendra très vite, raison pour laquelle nous voterons la proposition de résolution du groupe CRCE. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. Yves Bouloux.

M. Yves Bouloux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, signé le 30 octobre 2016 par le Canada et l’Union européenne et ses États membres, le CETA a été approuvé par le Parlement européen en février 2017.

Le CETA est un accord commercial bilatéral de libre-échange « de nouvelle génération ». Il ne se contente pas de réduire les seuls droits de douane, mais tente de diminuer toutes les entraves au commerce. Ainsi, outre la baisse des droits de douane, le CETA prévoit la protection des appellations d’origine contrôlée européennes, l’assouplissement de la mobilité professionnelle ou encore l’ouverture des marchés publics canadiens. Le CETA, c’est aussi la modification de quotas, dont l’augmentation des importations de viande canadienne vers l’Europe.

Certaines de ses dispositions relèvent de la compétence exclusive de l’Union européenne et d’autres des États membres, ce qui implique sa ratification par les parlements des vingt-sept États membres. Quatre ans plus tard, seuls treize pays européens l’ont ratifié. Le parlement chypriote s’est opposé à cette ratification l’été dernier, ce qui a justifié l’ouverture de négociations. Refusant d’attendre, le Conseil de l’Union européenne a néanmoins autorisé l’application provisoire des dispositions du CETA relevant de la compétence exclusive de l’Union. Ainsi, 90 % des dispositions de l’accord sont entrées en vigueur le 21 septembre 2017, sans que le Parlement français se soit jamais prononcé.

En France, le processus de ratification n’a été amorcé qu’à l’été 2019, avec le dépôt à l’Assemblée nationale d’un projet de loi de ratification. Le 23 juillet, après plusieurs jours d’âpres débats et l’opposition marquée du monde agricole, ce texte a finalement été adopté à une courte majorité, par 266 voix contre 213. Au moins, il y a eu débat. Tous les groupes ont pu s’exprimer. Depuis, plus rien !

Le débat au Sénat a été annoncé pour octobre puis décembre 2019. Nous l’attendons encore… Avec mes collègues de la commission des affaires économiques, nous étions prêts. Nous avions même désigné notre rapporteur pour avis.

Deux ans après sa ratification par les députés, quatre ans après son entrée en vigueur, le Sénat n’a toujours pas eu à se prononcer. Qu’attend-on ? Le Président de la République a rejeté l’appel de la Convention citoyenne pour le climat à renégocier le CETA. A-t-il peur que nous n’imitions nos collègues chypriotes ?

Le Sénat doit pouvoir débattre et s’exprimer sur cet accord, qui peut interroger en matière de sécurité sanitaire, de qualité des produits importés, mais aussi de préservation du modèle agricole français. Le Sénat doit pouvoir débattre et s’exprimer sur l’opportunité d’un tel accord, dont les négociations ont débuté en 2009, dans une société qui n’avait pas pleinement conscience des enjeux climatiques. Le débat est d’autant plus indispensable qu’un audit de la Commission européenne de mai 2020 a confirmé certaines craintes : traçabilité défaillante du bétail, conflits d’intérêts potentiels des vétérinaires chargés d’évaluer le respect des règles sanitaires…

La proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui invite le Gouvernement à permettre ce débat. Nous partageons ce souhait. Une fois n’est pas coutume, je tiens à féliciter nos collègues du groupe CRCE de leur initiative. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Olivier Cadic. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà maintenant près de deux ans, l’Assemblée nationale ratifiait l’accord économique et commercial global, dit CETA. Cet accord entre l’Union européenne et le Canada organise les aspects tarifaires des échanges de biens et de services, la régulation des investissements et des droits de propriété intellectuelle.

Le groupe CRCE nous propose d’adopter une résolution invitant le Gouvernement à envisager la poursuite du processus parlementaire de ratification du CETA. Nous sommes favorables à cette démarche. Elle offrirait au Sénat l’opportunité d’approuver à son tour cet accord historique de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada.

M. Laurent Duplomb. Peut-être pas !

M. Olivier Cadic. Approuvé par l’Union européenne, le CETA est mis en œuvre depuis plus de quatre ans et présente déjà des résultats très positifs pour la France. Je vais y revenir.

Mes chers collègues, le groupe CRCE pointe ici un défaut démocratique. Mais, en ce qui concerne les droits de l’homme, j’ai déjà pu constater, dans cet hémicycle, que le groupe CRCE était plus Maduro que Trudeau. (Vives exclamations sur les travées du groupe CRCE.)

Mme Cécile Cukierman. Ça vole haut !

M. Olivier Cadic. En économie, c’est pareil. (Mêmes mouvements sur les mêmes travées.) La lecture de l’exposé des motifs de leur proposition de résolution le démontre : le libre-échange, décidément, ça ne passe pas, serait, selon eux, « à l’origine d’une “mondialisation malheureuse” pour les peuples ». Leur document prétend que le CETA répond aux seuls intérêts des multinationales. C’est faux ! Sur les 10 000 entreprises françaises qui exportent, 8 000 sont des PME.

Je ne dispose pas du temps nécessaire…

Mme Cécile Cukierman. Heureusement !

M. Olivier Cadic. … pour pointer toutes les approximations, les exagérations ou les nombreuses élucubrations offensantes sur les réglementations canadiennes dans l’exposé des motifs. Ces propos relèvent du « Canada bashing », et je le regrette.

Si cet accord de libre-échange non ratifié est déjà entré en vigueur provisoirement, c’est parce que plus de 90 % des dispositions relèvent des compétences exclusives de l’Union européenne.

M. Didier Marie. C’est bien le problème !

M. Olivier Cadic. En fait, ce qui irrite profondément le groupe CRCE, comme d’autres, c’est tout simplement que l’Union européenne fonctionne – et cela n’est pas nouveau !

Les faits sont têtus : l’accord de libre-échange conclu entre le Canada et l’Union européenne s’avère déjà très bénéfique pour la France. Nos exportations ont progressé de 24 % dans les trois premières années : 63 % pour les fromages, 96 % pour les produits de boulangerie, 16 % pour les vins et boissons et plus de 30 % pour les cosmétiques, le textile et l’habillement.

M. Rachid Temal. C’est le monde des Bisounours !

M. Olivier Cadic. Grâce au CETA, nos entreprises, multinationales ou TPE-PME, peuvent accéder pleinement aux marchés publics fédéraux canadiens, bien au-delà des règles auparavant en vigueur dans le cadre de l’OMC. On observe déjà de nombreux succès : EDF avec le développement de parcs éoliens en Alberta ou encore Vinci avec la construction d’une usine de traitement des eaux en Colombie-Britannique ou d’une autoroute en Alberta.

Pour Pierre Touzel, conseiller des Français de l’étranger à Vancouver, le CETA est une chance inouïe de mettre l’Europe au centre du jeu dans l’Ouest canadien, qui a un fort tropisme pour l’Asie.

De son côté, Marc Albert Cormier, élu de Toronto, témoigne que nos compatriotes de l’Ontario accèdent désormais à des produits issus de l’agroalimentaire français à des coûts abordables dans les grandes surfaces et magasins spécialisés et que nombre d’entre eux bénéficient également de l’accord dans le cadre de leur emploi.

François Lubrina, élu de Montréal, célèbre des succès remportés dans sa ville par Vinci pour le tunnel Louis-Hyppolyte-La Fontaine ou Alstom avec le contrat du métro léger.

Quand j’écoute nos élus du Canada, je réalise que le CETA s’affirme comme un accélérateur de croissance et de création d’emplois. Il permet aussi d’offrir le mieux-disant au consommateur en termes de normes et de qualité, car le Canadien partage avec l’Européen le souci d’une consommation saine et durable.

Cet accord d’échange n’est pas qu’un simple accord commercial. Il concrétise l’amitié entre l’Europe et le Canada.

Mme Cécile Cukierman. L’amitié entre les peuples, ça ne s’achète pas !

M. Olivier Cadic. Vous l’avez justement dit dans les médias, monsieur le ministre, le CETA est un bon accord.

M. Rachid Temal. Alors, soumettez-nous le texte !

M. Olivier Cadic. Sa ratification serait un signal fort avant que la France n’occupe la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne en janvier 2022. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)

M. Fabien Gay. Quelle belle prise de parole !

M. Laurent Duplomb. Incroyable !

M. Rachid Temal. Tout va bien, madame la marquise !

M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Rapin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l’ont souligné plusieurs orateurs, le CETA est de nature mixte : une large partie de l’accord, sur le volet commercial, relève de la compétence exclusive de l’Union européenne, en application de l’article 3 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, mais une autre partie, relative au volet « investissements », relève des compétences partagées entre l’Union et les États membres. À ce titre, cet accord doit être ratifié par les États membres et, donc, en France par le Parlement. C’est cette compétence exclusive de l’Union sur une partie du CETA qui a permis son entrée en vigueur à titre provisoire, à partir du 21 septembre 2017.

Il n’y a pas d’ambiguïté quant à la portée du processus de ratification de cet accord par les parlements nationaux. Ils ne sont pas saisis d’un morceau de texte, mais bien de l’ensemble. Si le processus de ratification échoue dans l’un des États membres, l’accord ne pourra pas continuer à s’appliquer. Lorsqu’il a autorisé la signature de l’accord, le Conseil a en effet précisé la portée de l’application provisoire et adopté une déclaration, inscrite au procès-verbal, affirmant que, si la ratification de l’accord économique et commercial global avec le Canada « échoue de façon définitive en raison d’une décision prononcée par une Cour constitutionnelle, ou à la suite de l’aboutissement d’un autre processus constitutionnel et d’une notification officielle par le gouvernement de l’État concerné, l’application provisoire devra être et sera dénoncée ». Encore faut-il que les parlements puissent se prononcer. Et c’est là le cœur de notre débat.

Le projet de loi autorisant la ratification de cet accord a été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 3 juillet 2019, le Gouvernement engageant au même moment la procédure accélérée. De fait, la procédure a été rapide à l’Assemblée nationale, puisque le projet de loi y a été adopté le 23 juillet suivant, à une courte majorité. Depuis lors, plus rien ! Le Gouvernement oublie méthodiquement d’inscrire ce projet de loi à l’ordre du jour du Sénat, empêchant ainsi la poursuite du processus de ratification. Monsieur le ministre, seriez-vous gêné ? Et, dans ce cas, pourquoi ?

Les services de la direction générale du Trésor et du Secrétariat général des affaires européennes, que j’ai interrogés récemment, m’ont affirmé que l’application provisoire du CETA est bénéfique pour la France. Douteriez-vous de vos données ou de votre capacité de conviction ? Sinon, pourquoi refuser la reprise du processus de ratification ?

La ratification n’est pas une option, la démocratie n’est jamais une option. Un débat exigeant est toujours plus utile que des tentatives de contournement qui alimentent les suspicions et les rancœurs.

Il ne faut pas se le cacher : oui, le CETA est contesté par certaines filières, notamment la filière bovine, évoquée par mon collègue Laurent Duplomb. Oui, la Commission européenne a pu paraître, par le passé, trop naïve et trop lente lorsqu’il s’agissait de protéger les entreprises européennes face aux pratiques déloyales de certains États.

M. Laurent Duplomb. C’est toujours le cas !

M. Jean-François Rapin. Premier importateur et exportateur mondial, premier partenaire commercial de soixante-quatorze pays dans le monde, l’Union européenne est assurément une puissance commerciale. Pourtant, elle n’en a pas suffisamment tiré les conséquences politiques par le passé. Elle n’a pas suffisamment exploité ses atouts et n’a pas été assez vigilante concernant le respect de la mise en œuvre des accords conclus.

Ces faiblesses semblent en voie d’être corrigées. Le titre de la communication, présentée le 18 février dernier par la Commission européenne, pourrait nous le faire penser : « Une politique commerciale ouverte, durable et ferme. »

Oui, il faut assurer un meilleur suivi de la mise en œuvre des accords et lutter avec fermeté contre les pratiques déloyales. Oui, la politique commerciale de l’Union doit venir en appui de ses intérêts géopolitiques et doit contribuer à l’affirmation de l’autonomie stratégique de l’Union. Ouvert ne veut pas dire naïf.

Je souscris également à l’approche consistant à intégrer davantage la politique commerciale et les politiques intérieures de l’Union, en particulier la politique de la concurrence et la politique industrielle. Je l’ai encore dit la semaine dernière au commissaire Valdis Dombrovskis.

En conclusion de sa communication, la Commission européenne souligne vouloir « favoriser un débat éclairé sur la politique commerciale » en approfondissant les contacts qu’elle entretient avec la société civile et les partenaires sociaux, mais sans mentionner les parlements nationaux.

Monsieur le ministre, le Parlement n’est pas l’adversaire du Gouvernement ni de la Commission sur ces sujets commerciaux. L’adversaire, c’est la méfiance, voire la défiance, qui peut s’installer chez nos concitoyens. Nous pouvons vous aider à la réduire si nous sommes correctement informés et associés. Alors, aidez-nous à le faire et poursuivons le processus de ratification. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, RDSE, SER et CRCE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Franck Riester, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur et de lattractivité. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, Jean-Yves Le Drian est en Inde.

M. Rachid Temal. Attention au covid !

M. Franck Riester, ministre délégué. En tant que ministre du commerce extérieur, ma présence me semble suffisamment légitime pour représenter le Gouvernement et évoquer cette question commerciale importante.

J’ai écouté avec attention chacune de vos interventions. Elles soulèvent des questions importantes sur le CETA, et je vous remercie de me donner l’opportunité d’y répondre. Je suis bien évidemment en permanence à la disposition du Sénat pour discuter, échanger et partager les informations du Gouvernement sur cet accord dans le cadre d’auditions ou de réunions ad hoc – je le fais également lors des réunions du comité de suivi de la politique commerciale, dont font partie les sénateurs Yung, Marie et Cadic. Je suis toujours à l’écoute du Parlement en général et du Sénat en particulier.

J’ai été un peu étonné des prises de position de certains sénateurs socialistes, cet accord ayant été signé en octobre 2016, sous le quinquennat de François Hollande.

M. Rachid Temal. Démagogie !

M. Franck Riester, ministre délégué. De même, l’opposition de fond de certains sénateurs Les Républicains à cet accord me semble en contradiction avec l’ADN économique de cette grande famille politique de la droite républicaine.

Pour autant, je souhaite absolument prendre le temps nécessaire pour vous convaincre de la pertinence de la procédure suivie par le Gouvernement et de l’importance que revêtent les accords commerciaux pour l’économie de notre pays.

Je rappelle que nous avions obtenu, voilà trois ans, une renégociation extrêmement significative avant d’apposer notre signature, sous la précédente mandature. Nous avons encore perfectionné cet accord dès les premiers jours de la présidence d’Emmanuel Macron, en lançant le processus qui a abouti au plan d’action CETA.

Je voudrais tout d’abord revenir sur ce processus de ratification. Comme vous l’avez souligné, le CETA est un accord mixte dont la majorité des dispositions relève de la compétence exclusive de l’Union européenne. Il en comprend d’autres qui relèvent d’une compétence européenne, mais exercée de manière partagée entre l’Union et ses États membres. Certaines dispositions consacrées à la protection des investissements relèvent de cette compétence dite mixte.

C’est donc ce premier volet qui justifie la ratification par les parlements des vingt-sept États membres, dont la France, conformément aux articles 52 et 53 de la Constitution. Comme vous le savez, le projet de loi autorisant le Gouvernement à ratifier l’accord a été approuvé par l’Assemblée nationale le 23 juillet 2019. Le Sénat sera bien évidemment amené à se prononcer sur ce projet de loi.