M. Jean-Pierre Sueur. L’Académie laisse la liberté d’utiliser cette orthographe !

M. Pierre Ouzoulias. Néanmoins, ces franchises linguistiques doivent s’exercer dans le respect de l’esprit de la langue et de ses usages afin qu’elle demeurât…

M. Antoine Lefèvre. Oh ! Il fallait le placer !

M. Pierre Ouzoulias. … intelligible et maîtrisable par le plus grand nombre.

S’agissant de l’utilisation typographique du point médian, il nous faut écouter un autre Conseil de la langue française, celui de la communauté francophone de Belgique, qui recommande un « emploi parcimonieux de ces formules » afin de ne pas trop entraver la lecture et l’écriture.

Sans dénier tout intérêt à ce débat, nous eussions préféré qu’il portât plus largement sur le recul de l’emploi du français dans de nombreux domaines de nos activités. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.) Je pense notamment à celui de la recherche, pour lequel les organismes nationaux obligent autoritairement leurs agents à publier dans un volapük vaguement dérivé de l’anglais. Pour la défense et illustration du français, il serait nécessaire, madame la secrétaire d’État, que votre gouvernement appliquât la loi dite Toubon du 4 août 1994.

M. Max Brisson. C’est vrai !

M. Pierre Ouzoulias. Enfin, protéger et promouvoir avec intelligence le français impose de ne point figer son usage par des règles désuètes qui en réserveraient la pratique à une petite caste de scribes.

Sur ce point, je conclus par cette citation d’Ernest Renan dont l’intelligence des relations d’une langue avec la Nation demeure d’une grande actualité : « Les langues sont des formations historiques, qui indiquent peu de choses sur le sang de ceux qui les parlent. » Il ajoute qu’une considération exagérée donnée à la langue a ses dangers : « On se renferme dans une culture déterminée, tenue pour nationale ; on se limite, on se claquemure. On quitte le grand air qu’on respire dans le vaste champ de l’humanité pour s’enfermer dans des conventicules de compatriotes. » (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER, ainsi que sur des travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme Annick Billon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Annick Billon. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues sénatrices et sénateurs, depuis les années 1960 et particulièrement depuis le début des années 2000, nos sociétés connaissent une évolution de la place des femmes en ce qui concerne leurs carrières professionnelles, les métiers et les fonctions auxquels elles accèdent sans que l’appellation correspondant à leur activité et à leur rôle réponde pleinement à cette situation nouvelle.

L’égalité entre les hommes et les femmes ainsi que la reconnaissance du rôle de ces dernières dans la société est un combat juste, qui me tient particulièrement à cœur en tant que présidente de la délégation aux droits des femmes.

L’écriture inclusive, dont nous débattons aujourd’hui, se présente comme un des outils permettant d’offrir une meilleure visibilité aux femmes. Par l’écriture inclusive, on entend un ensemble de pratiques et d’annotations qui vise à donner une représentation égale des femmes et des hommes dans la langue écrite. Mais devons-nous penser qu’une modification des règles grammaticales de la langue française écrite sera un moyen de parvenir à une égalité entre les femmes et les hommes ? Je ne le crois pas.

Au-delà de l’objectif qu’elle poursuit, l’écriture inclusive pose plusieurs problèmes. Le premier est une réelle difficulté d’apprentissage : l’écriture inclusive rompt avec les règles de prononciation et de ponctuation, ainsi qu’avec les règles morphologiques que les jeunes élèves sont en train d’acquérir. De nombreuses associations de parents d’élèves ainsi qu’une large partie du corps enseignant se sont montrées hostiles à son application dans l’enseignement. Le ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, s’est d’ailleurs prononcé contre cette pratique dans l’éducation nationale en octobre 2017. Simultanément, l’Académie française alertait sur le risque d’aboutir à « une langue désunie, disparate dans son expression, créant une confusion qui confine à l’illisibilité ».

L’écriture inclusive pose ensuite un problème majeur pour les personnes souffrant de handicap, comme cela a déjà été souligné. Je pense, par exemple, aux personnes malvoyantes et aux élèves dyslexiques ou dyspraxiques.

Pour les personnes malvoyantes, le problème est insoluble : tous les systèmes d’écriture connus ont vocation à être oralisés. Or il est impossible de lire l’écriture inclusive : « cher.e.s » ne se prononce pas. Le décalage graphie-phonie ne repose plus sur des conventions d’écriture, mais sur des règles morales que les programmes de synthèse vocale ne peuvent traiter et qui rendent les textes inaccessibles aux malvoyants.

Mme Laurence Rossignol. Y a-t-il des études le montrant ?

Mme Annick Billon. L’écriture inclusive devient donc, de fait, excluante pour une partie de la population. Elle se transforme en pratique complexe et élitiste.

Offrir une meilleure visibilité aux femmes dans nos sociétés est un but à poursuivre avec force et détermination, mais il ne me semble pas que l’écriture inclusive soit le meilleur moyen d’y parvenir. Je ne crois pas qu’une mutation d’ordre syntaxique puisse permettre d’accélérer une mutation sociale. C’est le sort fait aux femmes et l’usage de la langue qui doivent évoluer et non la langue elle-même.

Puisqu’il est question d’égalité au travers de ce débat, permettez-moi un hors sujet : ayons une pensée pour Chahinez Boutaa et les trente-huit victimes de féminicides depuis le début de l’année. Ces crimes inqualifiables démontrent notre incapacité à protéger ces femmes. C’est le triste constat d’une société inégalitaire au sein de laquelle, en termes de violences subies, le féminin l’emporte sur le masculin. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Marie-Pierre Monier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, « ce qui n’est pas nommé n’existe pas », écrivait le poète turc Ilhan Berk.

C’est incontestable : la langue que nous écrivons, que nous parlons, joue un rôle essentiel dans notre représentation du monde. Au cours des derniers siècles, elle a éludé, invisibilisé les femmes. Leur redonner leur juste place et ainsi ouvrir le champ des possibles, c’est tout le projet de l’écriture inclusive, que je préfère pour ma part qualifier d’écriture « égalitaire », et qui englobe en réalité un éventail de techniques.

Je nous invite, pour avoir un débat constructif, à la regarder telle qu’elle est, loin de toute caricature : accord de proximité, féminisation des noms de métiers, titres et fonctions, mots dits « épicènes », formes féminines et masculines pour parler d’un public mixte – abrégées ou non par le recours au point médian… Autant d’outils dont peuvent se saisir celles et ceux qui souhaitent encourager dans la langue une égalité de représentation entre les femmes et les hommes.

Parmi ces techniques, c’est le point médian, dernier symbole d’une logique typographique visant à faire ressortir les formes féminines, qui polarise le plus les critiques. Ce point médian suscite des troubles, des inquiétudes, quant à son maniement et à sa lisibilité, y compris au sein de mon groupe. Ces doutes, je les entends d’autant plus qu’ils peuvent être alimentés par de mauvais usages. Toutefois, lorsqu’on pratique bien l’écriture inclusive, on choisit ses formulations avec un souci permanent de lisibilité. Elle doit être pensée comme un outil pédagogique qui s’adresse à tout le monde.

Il est intéressant de constater que certains arguments qui lui sont opposés étaient déjà invoqués contre la féminisation des noms de métiers et fonctions. Je pense à l’argument subjectif de l’esthétisme, qui semble méconnaître la part que joue l’habitude dans notre appréhension des mots. Des termes comme « autrice » ou « poétesse » étaient encore d’usage jusqu’au XVIIe siècle : pourquoi ne pas se les réapproprier ? Je pense également à l’argument de la neutralité du masculin, qui repose sur l’idée qu’il y aurait une dualité : d’un côté, un masculin neutre générique ; de l’autre, un masculin spécifique désignant l’homme. Or les psycholinguistes qui se sont penchés sur cette question soulignent que le masculin dit « générique » s’efface toujours devant le masculin « spécifique » – lorsqu’on prononce le mot « sénateur », on se représente en premier lieu un homme.

La féminisation des noms de métiers et fonctions a longtemps été vivement décriée ; elle rencontre d’ailleurs toujours des résistances sur certaines travées de notre hémicycle. Appelée des vœux d’Édouard Philippe dans sa circulaire aux administrations de novembre 2017, elle apparaît désormais comme largement consensuelle, ce dont témoigne l’évolution récente de la position de l’Académie française sur le sujet. Cela sera peut-être l’avenir d’autres techniques d’écriture égalitaire – l’histoire en jugera.

Je souhaiterais préciser qu’il n’a jamais été question, ni pour moi ni pour la plupart de celles et ceux qui la défendent, d’obliger de recourir à l’écriture inclusive. Il ne s’agit pas de l’imposer, mais simplement de garantir la liberté de s’en emparer. A contrario, celles et ceux qui souhaitent l’interdire s’inscrivent dans une démarche coercitive rigide, se heurtant parfois à la réalité des usages. (Mmes Laurence Cohen et Michelle Meunier applaudissent.)

Mme Michelle Meunier. Tout à fait !

Mme Marie-Pierre Monier. Je conclurai par une citation d’Éliane Viennot, professeuse émérite de littérature, dont la réflexion sur ces sujets est bien connue : « Réfléchir aux meilleures pratiques de l’écriture inclusive et aux moyens de la diffuser, mesurer sérieusement ses effets psychosociaux et son impact sur les inégalités, n’est-ce pas un programme plus utile que de la peindre, encore et encore, en péril mortel ? La langue est le ciment de notre culture. Réjouissons-nous de la voir pensée, discutée, négociée. » (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, « la langue française est une femme. Et cette femme est si belle, si fière, si modeste, si hardie, touchante, voluptueuse, chaste, noble, familière, folle, sage, qu’on l’aime de toute son âme, et qu’on n’est jamais tenté de lui être infidèle », écrivait Anatole France.

Existe-t-il une langue, mes chers collègues, qui incarne mieux le respect de la féminité, le romantisme et la poésie que le français ? Cette langue magnifique, aussi présente dans la littérature que dans la diplomatie, est l’une des racines les plus profondes de notre civilisation et de notre culture. Être Français, c’est d’abord parler français, comme nous le rappelle l’article 2 de notre Constitution. C’est notamment ce qui faisait dire à Albert Camus : « Ma patrie, c’est la langue française. »

Aujourd’hui, fini les grands esprits et place aux idéologues et à la déconstruction de ce que nous sommes. Emmanuel Macron veut déconstruire notre histoire ; dans le même élan, on cherche à déconstruire la langue qui fait notre socle commun, qui protège le cœur de notre nation et relie, à travers la francophonie, ceux qui l’aiment et ceux qui s’y retrouvent.

Mme de La Fayette, la comtesse de Ségur et George Sand n’étaient pas au courant qu’elles utilisaient une langue sexiste. De cette idiotie est née – et maintenant prospère – l’écriture inclusive, qui n’est rien d’autre qu’une écriture de l’exclusion. En prétendant combattre les inégalités, cette nouvelle dérive met la langue française en grand péril et crée de nouvelles disparités : par la succession des points et des ruptures de mots, les malvoyants, les dyslexiques et les étudiants étrangers sont les premières victimes de ces saccades qui sont autant de saccages.

L’abolition du genre, l’obsession sexiste et l’apparition du neutre sont les fossoyeurs du français, alors que le niveau en orthographe des écoliers est déjà affligeant. Interdire l’écriture dite « épicène », que je qualifierai d’obscène,…

M. Jean-Pierre Sueur. C’est totalement ridicule !

M. Stéphane Ravier. … dans les écoles est donc une évidence absolue. Elle doit également être bannie des universités et de toutes les institutions publiques.

Ces militants « linguicides » sont les mêmes qui refusent de commémorer le bicentenaire de la mort de l’empereur Napoléon Ier, les mêmes qui travestissent la réalité de notre histoire pour imposer aux Français le poison de la repentance perpétuelle, les mêmes qui veulent faire table rase du passé, de notre identité pour nous priver du futur commun. Tous sont porteurs de la même motivation, du même virus mortel : la haine de la France. Leur volonté de la combattre, de l’abattre, passe aussi par la destruction de sa langue, étape décisive pour nous plonger dans le chaos culturel et identitaire.

Certains d’entre vous connaissent peut-être LAlbatros de Charles Baudelaire,…

Mme Laurence Rossignol. Un grand féministe !

M. Stéphane Ravier. … dont voilà un passage façon écriture inclusive :

Le.a poète.sse est semblable au.à la prince.sse des nuées

Qui hante la tempête et se rit de l’archer.ère ;

Exilé.e sur le sol au milieu des huées,

Ses ailes de géant.e l’empêchent de marcher.

Inutile de torturer davantage cette œuvre, ces quelques mots ainsi défigurés suffisent à démontrer toute l’absurdité et le danger que représente l’écriture inclusive pour la beauté et la compréhension de dame ou damoiselle langue française.

M. Jean-Pierre Sueur. Albert Camus n’aurait pas applaudi. Le citer est une imposture !

M. Julien Bargeton. Posture et imposture…

Mme le président. La parole est à Mme Micheline Jacques. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Micheline Jacques. Madame le président, madame la secrétaire d’État, chers collègues, les difficultés supplémentaires introduites par l’écriture inclusive dans l’apprentissage et l’appropriation de la langue française, à l’écrit comme à l’oral, auraient dû, à elles seules, clore le débat. En effet, pour les personnes « dys » – dyslexiques, dyspraxiques, dysorthographiques – et pour les non-voyants et les malvoyants, elle est sans aucune ambiguïté facteur d’exclusion.

La place des femmes dans la société constitue certes un défi éducatif, mais qui ne saurait occulter l’autre défi majeur que représente l’apprentissage de la lecture chez les jeunes enfants. Ce n’est pas faire injure aux immenses, mais inégales, capacités d’apprentissage des enfants que de reconnaître que la déconnexion entre la logique de la langue écrite et celle de l’oral rendra son appropriation moins fluide.

De ce point de vue, et forte de mon expérience d’enseignante, je dois dire d’emblée que j’approuve la ferme position du ministre de l’éducation en faveur de l’interdiction de l’écriture inclusive dans l’enseignement.

De fait, si une langue a vocation à évoluer avec la société, sa structure ne devrait ni se déconstruire ni se dénaturer pour s’enrichir. Par surcroît, jusqu’ici, la langue française a plutôt suivi un mouvement naturel, et inclusif, de simplification. Sa complexification conduira, au contraire, à renforcer le caractère élitaire de sa maîtrise.

Les femmes étant majoritaires au sein des populations illettrées, l’accès à la lecture et à l’écriture leur serait rendu encore plus difficile par un procédé qui ambitionne paradoxalement de les rendre plus visibles.

En outre, le recours au point médian vient détourner l’usage de ce signe de ponctuation qui indique la fin d’une phrase selon la règle « une phrase commence par une majuscule et se termine par un point » et qui sert la compréhension des textes. En détournant la ponctuation, l’écriture inclusive ne féminise pas seulement les mots, elle modifie les structures grammaticales et orthographiques de l’écriture.

J’observe d’ailleurs que l’effet dominateur des hommes sur les femmes, lequel résulterait de la règle selon laquelle « le masculin l’emporte sur le féminin », ne sera pas entièrement gommé : à bien y regarder, avec l’écriture inclusive, la féminisation procède généralement de l’adjonction du point médian et du « e » après un mot dans sa forme masculine. On pourrait dès lors en déduire la règle selon laquelle « le féminin vient après le masculin », ce qui nous fait revenir au point de départ !

Pourquoi, dès lors, ne pas faire évoluer la formulation de la règle ? Si l’on veut transformer les mentalités avec l’écriture, ce même objectif peut être atteint par l’enseignement de la distinction entre le genre des mots et le sexe des personnes, moins complexe et permettant d’éviter l’assignation au sexe de la personne.

De fait, un autre grand risque de l’écriture inclusive est à mon sens celui de l’essentialisation des femmes. Dans cette logique, la facteure, l’autrice, les défenseures, les actrices sont distinguées d’abord en tant que femmes, ce qui conduirait à terme au même effet pour les hommes. Mais à l’heure où notre époque refuse les déterminismes de genre, afin de permettre aux transgenres ou encore aux personnes qui ne souhaitent pas être déterminées de trouver pleinement leur place, il me semble qu’une reconfiguration de l’écriture à partir d’un axe binaire masculin/féminin irait à rebours de la société. Visuellement, le point n’inclut pas, mais établit une séparation entre la forme masculine et la marque du féminin.

De nombreux linguistes ont démontré le caractère en réalité « excluant » de ce mode d’écriture, qui déplace un sujet sociétal sur le terrain de la grammaire. Trente-deux d’entre eux ont ainsi publié une tribune collective pointant « outre les défauts fonctionnels » de l’écriture inclusive, l’absence de lien linguistique exclusif entre la féminisation des mots et la féminisation de la société et confirmant, en tout état de cause, l’effet d’éviction pour les personnes présentant des difficultés d’apprentissage.

Dans son ouvrage Le Sexe et la langue, l’un des signataires, Jean Szlamowicz, rappelle que l’expression « écriture inclusive » n’est pas née d’une évolution spontanée de la langue. Il s’agit d’un nom de domaine déposé en 2016 par une agence de communication, qui conduit à établir une distinction entre genre des mots et sexe des personnes.

Ce sont donc toutes ces raisons qui conduisent à considérer que l’écriture inclusive exclut plus qu’elle n’inclut. Dans cette optique, notre attention doit être concentrée sur les enfants. Nous devons nous garder de leur ajouter une contrainte supplémentaire, alors que les positions de la France au classement PISA nous éclairent sur les enseignements à conforter.

La féminisation des mots ou l’écriture épicène, qui privilégient les genres neutres, sont des vecteurs de visibilité pour les femmes, laissant à chacun le choix de les utiliser selon son appréhension de la langue. Le français est suffisamment riche pour offrir cette liberté, et l’esthétique particulière de la langue française dans l’imaginaire mérite d’être préservée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Pierre-Antoine Levi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant d’entamer mon propos, je tiens à saluer le travail remarquable de ma collègue Annick Billon en tant que présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité entre les hommes et les femmes.

La reconnaissance des droits des femmes est un sujet universel, qui ne doit pas seulement être porté par les femmes. Ce combat nous concerne tous et doit aussi être mené dans la langue française. Par exemple, les titres et les fonctions se féminisent, car de plus en plus de femmes occupent des postes qui étaient autrefois détenus par les hommes.

La langue n’est pas figée et s’adapte à l’évolution de la société. Cependant, l’évolution de la visibilité des femmes ne doit pas se faire au prix d’une dénaturation de la langue. L’écriture inclusive est à ce titre une aberration.

Les défenseurs de l’écriture inclusive se fondent sur la règle du « masculin l’emporte sur le féminin » pour prouver que les femmes ont été exclues de la langue française. Or il ne s’agit ici que d’un masculin grammatical. Personne ne peut voir dans cette règle la transposition d’une supposée prédominance de l’homme sur la femme, comme ils voudraient nous le faire croire.

Il faut arrêter de voir dans la langue française la retranscription d’une société patriarcale où le mâle dominant l’emporterait sur la femelle dominée.

Mme Laurence Rossignol. Et les féminicides ?

M. Pierre-Antoine Levi. Si nous n’écrivons plus comme au XVIe siècle, à la manière du poète Ronsard, « la rose qui ce matin avait déclose », c’est parce que le peuple, dans sa sagesse, a fait prévaloir le masculin, à la manière d’un genre neutre, car le féminin était trop difficile à prononcer.

L’écriture inclusive constitue une atteinte à la mémoire collective et à la construction de notre langue, qui a été façonnée par le peuple français au fil des siècles.

Ceux qui croient que notre langue est misogyne parce qu’elle serait « genrée » oublient que c’est la marque des langues latines comme l’italien ou l’espagnol. D’ailleurs, les genres ne sont qu’arbitraires : les mots « une girafe », « un zèbre » ou « un éléphant » désignent aussi bien le mâle que la femelle.

Si le français exclut le féminin, comment expliquer que notre langue ait féminisé les piliers de notre société : la liberté, la démocratie, la République, la fraternité ? Il y en aurait tant d’autres à citer ! Les hommes devraient-ils à leur tour s’émouvoir et se sentir exclus lorsque les mots qui les caractérisent ont un genre féminin ? Un homme peut très bien être « une sentinelle », « une sage-femme » ou « une nouvelle recrue ». Cette écriture inclusive n’est pas seulement illisible et imprononçable ; elle est aussi un « péril mortel » aux yeux de l’Académie française. Dans la mesure où le parler sera différent de l’écrit, il n’y aura plus d’unité, car l’écriture ne retranscrira plus le langage.

Cette déconstruction par pure idéologie entraîne également de nombreuses difficultés pour l’apprentissage. Quand on sait que 25 % des élèves qui arrivent en sixième ont des difficultés pour lire et écrire, on se demande pourquoi il faudrait ajouter de la complexité à l’une des langues les plus difficiles au monde.

Ainsi, la députée Clémentine Autain écrivait le 29 mai 2018 sur Twitter : « Nous refusons que les droits de nos enfants, étudiant.e.s, élèves, soient à ce point bafoué.e.s. » « Bafoué » se rapporte ici à « droits » : c’est donc une erreur que de l’écrire au féminin. Si même les chantres de l’écriture inclusive se mettent à faire des fautes, comment voulez-vous que nos enfants s’y retrouvent ? (M. Stéphane Piednoir sesclaffe.)

Pensons également à nos amis francophones ! Si les pays du Maghreb, d’Afrique ou le Canada rejetaient l’écriture inclusive, il y aurait alors une rupture de la francophonie. Notre langue s’en trouverait désunie et de moins en moins parlée dans le monde.

Il y a donc une différence fondamentale entre une évolution imposée par l’idéologie politique et une évolution naturelle tenant compte des mutations de la société. En 2021, près de 150 mots sont entrés dans le dictionnaire, comme « black bloc », « dégagisme » ou « féminicide ». Greta Thunberg a même fait son entrée dans la catégorie des noms propres !

Ces mêmes idéologues nous expliquent depuis des années que le sexe ne doit pas être assimilé à l’identité de genre. Et voilà que, à propos de l’écriture, ils considèrent que le genre grammatical est le reflet de leur vision de la société, où la femme serait dominée par l’homme.

Pour terminer, je reprendrai un extrait de la tribune écrite par trente-deux linguistes dans le journal Marianne en septembre 2020 : « En introduisant la spécification du sexe, on consacre une dissociation, ce qui est le contraire de l’inclusion. En prétendant annuler l’opposition de genre, on ne fait que la systématiser. »

L’écriture supposément « inclusive » entraîne, en réalité, une exclusion réciproque entre les hommes et les femmes. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe INDEP.)

Mme le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol. (Mme Marie-Pierre Monier applaudit.)

Mme Laurence Rossignol. Madame le président, madame le secrétaire d’État, chers collègues sénateurs…

Une telle introduction a dû vous faire dresser l’oreille. Vous vous êtes dit que la manière dont je m’adressais à notre assemblée en cet instant ne correspondait pas à la réalité de sa composition. Dans cette assemblée, en effet, il y a Mmes les sénatrices, Mme la présidente, Mme la secrétaire d’État et MM. les sénateurs. Or, il y a une quinzaine d’années, c’est ainsi que nous nous exprimions dans cette maison. Celles et ceux qui choquaient étaient celles et ceux qui féminisaient nos fonctions. Je fais ce rappel pour apaiser mes collègues.

Aujourd’hui, tout le monde trouve cette féminisation normale. Pourtant, au moment où cette évolution a eu lieu, elle a rencontré d’énormes résistances. Voilà seulement trois ans, à l’Assemblée nationale, un député a été sanctionné parce qu’il s’obstinait à dire « madame le président » à la femme qui présidait la séance. La langue évolue, parce que la société évolue.

En disant « mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs », je m’exprime en langage inclusif.

M. Stéphane Piednoir. Ce n’est pas pareil !

Mme Laurence Rossignol. Le langage inclusif, c’est beaucoup de choses. C’est d’abord la féminisation des noms de métiers, de fonctions et de personnes. L’écriture inclusive ne concerne jamais ni les choses ni les concepts. Par exemple, on ne dit pas la balai, au prétexte que ce sont toujours les femmes qui le manient ! (Rires sur les travées du groupe SER.) On n’utilise donc le langage inclusif que pour désigner les hommes, les femmes et les fonctions.

Le langage inclusif consiste aussi à rechercher les mots qui n’excluent pas les femmes. Le meilleur exemple est celui de l’expression « droits de l’homme ». On me dit que le masculin est générique avant d’être masculin et, donc, tout le monde devrait être bien content ! Or les femmes ne se reconnaissent pas quand on parle de « droits de l’homme ».

Je pourrais éventuellement suivre ceux qui me disent que les droits de l’homme concernent aussi les femmes. Ce serait vrai si les droits de l’homme avaient concerné les femmes. Or, dans la mesure où ils n’étaient pas les mêmes pour les hommes et pour les femmes, j’en déduis que ce n’est pas totalement un hasard si on préfère parler de droits de l’homme, lesquels excluaient effectivement les femmes, qui n’avaient pas les mêmes droits.