M. Max Brisson. Réécriture !

Mme Laurence Rossignol. Monsieur Brisson, je ne vous ai pas interrompu ! Pourtant, vous avez dit des choses qui m’ont écorché les oreilles !

Je préfère donc parler des droits humains, qui concernent les hommes et les femmes, sans exclure qui que ce soit.

Sur quoi porte le désaccord ? D’abord, peut-être, sur notre constat de l’effet du masculin générique. Je pense que le masculin générique, et des linguistes le pensent avec moi, excluent les femmes. Il ne permet pas de représenter et de visibiliser les femmes. Nous travaillons les uns et les autres à permettre une meilleure visibilité des femmes dans la langue. Nous avons les mots épicènes, qui ont été évoqués. Nous avons aussi le point médian.

M. Stéphane Piednoir. Quelle horreur !

Mme Laurence Rossignol. J’ai entendu que le point médian était défendu par des féministes radicales et excessives. Je le souligne, les féministes du moment sont toujours radicales et excessives. Les bonnes féministes, celles qui ont eu raison, sont celles d’avant. Pourtant, à leur époque, elles étaient aussi qualifiées de radicales. Ainsi, les féministes radicales d’aujourd’hui seront les féministes dont tout le monde louera l’apport dans une dizaine d’années. Au reste, les féministes ne sont pas celles qui parlent le plus du point médian.

Il existe quatre propositions de loi visant à interdire l’écriture inclusive, nous avons ce débat aujourd’hui, il y a une circulaire du Premier ministre et une déclaration du ministre de l’éducation nationale… Ce n’est pas sérieux ! La bataille contre le point médian est devenue une bataille politique. C’est une bataille de résistance à l’évolution de la société.

Mes chers collègues, je conclurai sur ce point, qui, je le sais, va vous fâcher : il s’agit de la même résistance que celle de 2014 contre le mariage pour tous et la théorie du genre, contre la PMA pour toutes, contre l’allongement des délais d’IVG. Dans la mesure où ces batailles sont derrière nous et qu’elles ont été gagnées par le pays, les mêmes se retrouvent aujourd’hui sous une nouvelle bannière, celle du point médian. Bonne croisade, bonne bataille ! Pendant ce temps, la langue évolue. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Laurence Cohen et M. Thomas Dossus applaudissent également.)

Mme le président. La parole est à Mme Anne Ventalon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Anne Ventalon. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, si les langues ont vocation à permettre aux hommes de communiquer entre eux, il est permis de convenir que le français a poussé assez loin cette logique, jusqu’à l’universel. Après avoir été la langue de la diplomatie européenne, il a été celle de l’olympisme, et la France détient toujours le record du nombre de prix Nobel de littérature. En cela, c’est un bien collectif. Aucune faction ne devrait pouvoir le confisquer pour servir ses intérêts.

Le français est une langue syllabique, qui implique de pouvoir lire à haute voix sa forme écrite. C’est aussi une langue irrégulière, dont l’apprentissage est réputé difficile. Malgré cela, nous observons que certains militants s’activent pour la complexifier en ajoutant un nouveau mode grammatical : l’inclusif. Ils la parasitent de déclinaisons imprononçables et de pronoms fantaisistes, non pas pour la nourrir, puisque, après tout, la langue est un organe vivant, mais pour la refonder et substituer au français un idiome seulement compréhensible d’un groupe de locuteurs, qui, sous le masque de l’égalité, cultive l’entre-soi d’une avant-garde éclairée.

Un tel sabir visant à se démarquer pourrait nous divertir, comme le faisaient les vieux jargons français d’autrefois, tels le javanais, le louchébème ou même le verlan, qui remonte au XIIe siècle. Sauf qu’aujourd’hui les facéties des promoteurs de l’écriture dite inclusive ne nous amusent plus : nous sommes passés de Queneau à Orwell, de l’argot à la novlangue !

Du camp de ses partisans, j’entends monter le contentement de renverser les statues de linguistes distingués disparus il y a trois ou quatre siècles. Ce ne sont pas eux qu’ils touchent. En imposant leurs écrits indéchiffrables, ils sapent en réalité le patient travail de nos instituteurs et de nos professeurs de français, qui s’efforcent de transmettre à leurs élèves, dont le français n’est parfois pas la langue maternelle, l’autonomie dans la lecture et l’écriture, donc dans la vie.

Malgré cela, en fin de troisième, 15 % des collégiens ne maîtrisent pas le français ou le maîtrisent mal. En outre, 27 % des entreprises ou administrations interrogées déplorent régulièrement des problèmes causés par l’incompréhension de la langue écrite. Les orthophonistes nous alertent sur les difficultés bien réelles engendrées par l’inclusif pour la lecture des dyslexiques, sans parler de celles qui sont rencontrées par les malvoyants et les personnes âgées.

Alors, c’est vrai, en français, le genre neutre est porté par le masculin. Cette règle date du XVIIe siècle, époque à laquelle l’Académie a voulu encadrer l’usage d’une langue encore adolescente. Mais est-ce vraiment la grammaire qui a mis les femmes en état de minorité ? Lui faire porter cette responsabilité au nom de la « représentation mentale » induite ne me semble guère étayé. A contrario, le persan, le chinois ou le turc ne distinguent pas les genres : sont-ils pour autant des facteurs de libération pour leurs locutrices ?

Cependant, et par définition, une langue vivante n’est pas inerte. Je me réjouis en cela de la féminisation des métiers et des fonctions qui ont tant tardé à être exercés par des femmes. Mais n’embrigadons pas notre langue ! N’en faisons pas un ferment de division, alors qu’elle doit rester ce terrain d’entente et, donc, de dialogue.

Miner la structure même de la langue, c’est signifier aux individus d’une société qu’ils n’ont plus d’essence commune, qu’ils n’ont plus vocation à s’adresser les uns aux autres, qu’ils n’ont finalement plus rien à faire ensemble. Or, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, aujourd’hui, notre société a davantage besoin de traits d’union que de points médians. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de léducation prioritaire. Madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je suis heureuse, après vous avoir attentivement écoutés, de m’exprimer au nom du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports sur la question de l’écriture inclusive.

Si le sujet est aujourd’hui débattu dans cet hémicycle, c’est bien, et cela a été rappelé à plusieurs reprises, parce que nous ne parlons pas d’un petit sujet, d’une lubie de quelques personnes isolées qui se seraient prises de passion pour un nouveau jeu littéraire. L’écriture inclusive n’a rien à voir avec un exercice de style. Elle est un enjeu de société, un enjeu à la fois éducatif et politique, c’est-à-dire un enjeu qui nous préoccupe tous.

Que l’on ne s’y trompe pas. Je ne parle pas ici de l’évolution nécessaire de la langue et des usages consistant à accorder les métiers et les fonctions selon le genre. Cette évolution est un progrès évident, que nous saluons, salutaire pour les femmes et pour la société dans son ensemble. Je ne parle pas de la féminisation des noms, mais bien de l’écriture dite « inclusive », au sens où l’entend la circulaire du Premier ministre Édouard Philippe du 21 novembre 2017, à savoir en tant que « pratiques rédactionnelles et typographiques visant à substituer à l’emploi du masculin, lorsqu’il est utilisé dans un sens générique, une graphie faisant ressortir l’existence d’une forme féminine ». En clair, nous parlons bien aujourd’hui du point médian et des néologismes dits neutres, comme le pronom non binaire « iel », censé remplacer à la fois le « il » et le « elle ».

Cette écriture dite « inclusive » prend de l’essor et dépasse aujourd’hui très largement la sphère militante ou associative. On la retrouve désormais dans certains journaux, on la voit exploser sur les réseaux sociaux, on ne s’en étonne plus dans la communication des entreprises ni dans les publicités de marques grand public.

Nul n’ignore aussi combien son usage s’est répandu à l’université, dans certains intitulés de cours, de travaux dirigés ou de publications. Certains professeurs, que je crois volontiers peu nombreux, approuvent de telles pratiques et l’encouragent même, au détriment d’élèves ou d’étudiants qui ne voudraient ou, tout du moins, ne sauraient en faire usage.

De même, à l’université, et désormais à l’école, de plus en plus d’élèves l’emploient dans leurs copies, et nos professeurs se trouvent bien en peine de les corriger, souvent désemparés et dépassés par l’ampleur du phénomène. Leur embarras est légitime. Comment, en effet, s’opposer à une écriture qui prétend lutter pour l’égalité entre les femmes et les hommes et manifester la diversité du genre humain ? Pourquoi prendre le risque de se mettre à dos un, sinon plusieurs, élève ou collègue ? Comment ne pas plier face aux pressions, aux intimidations parfois, car elles existent, sommant d’y avoir recours ?

Face à cela, il est une réponse : l’institution. L’institution, c’est-à-dire l’État, doit se prononcer avec clarté et fermeté sur un tel sujet, car elle est la seule à pouvoir fixer la norme à laquelle chacun peut se référer en toutes circonstances.

Quatre ans après la circulaire de 2017 et l’avertissement de l’Académie française, je veux donc le redire avec la force et avec la conviction que seule donne l’évidence : l’écriture inclusive est un danger pour notre école ; elle est un danger pour notre langue ; elle est un danger pour les principes mêmes de notre République ; elle est donc un danger pour notre pays.

Mme Laurence Rossignol. Pas l’écriture inclusive : le point médian !

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat. Je ne vous ai pas interrompue, madame la sénatrice !

Je commencerai par parler de l’école. L’écriture dite « inclusive » vient battre en brèche la mission première de tout système éducatif : apprendre à lire.

Nul ne peut contester les difficultés de lecture qu’entraîne déjà pour l’adulte une telle graphie. L’écriture inclusive nous fait buter sur les mots, nous contraint au bégaiement. Elle rend la marche d’un texte chaotique, elle disloque les mots en les fendant en deux. L’écriture inclusive nous contraint à la myopie : on ne voit plus que le mot écrit, on ne voit pas plus loin que le mot, on oublie le sens de la phrase, on perd finalement le sens tout court. L’écriture inclusive marque le retour au stade du déchiffrage ; elle est une régression de l’acte de lire.

Mme Laurence Cohen. Oh là là !

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat. Chacun peut donc imaginer combien ces difficultés de lecture sont décuplées chez le jeune enfant qui apprend à lire. Vous le savez sans doute, madame la sénatrice, en classe de CP, les élèves apprennent à associer les lettres, dont la combinaison produit des sons, qui se combinent en mots. Ces mots font ensuite des phrases, dont l’enfant comprend enfin le sens. Il ne faut pas moins que l’association de cinq étapes successives pour apprendre à lire.

Tous les enfants ont besoin de règles claires. Aucun élève n’apprend dans le flou. Pour l’apprentissage de la langue française, les programmes scolaires se réfèrent aux normes orthographiques et grammaticales en usage, et les mêmes règles sont enseignées à tous. La clarté de la norme est la condition indispensable de la transmission.

À l’opposé exact de cela, les militants de l’écriture inclusive font évoluer leurs propres règles syntaxiques au gré des semaines. On ne compte plus les querelles intestines pour décider à quel endroit exactement placer le point médian, quels accords privilégier, jusqu’où aller dans le démembrement de la phrase. L’écriture inclusive a ses radicaux et ses modérés, ses pacifistes et ses jusqu’au-boutistes.

Mme Laurence Cohen. Quelle caricature !

Mme Laurence Rossignol. Indigne d’une ministre !

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat. En vérité, la question est simple : peut-on se payer le luxe, en France, d’aggraver les difficultés de lecture de nos élèves ?

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat. Il suffit de regarder les résultats des évaluations nationales pour se convaincre du contraire.

Moi qui suis, semaine après semaine, au contact des élèves de l’éducation prioritaire,…

Mme Laurence Rossignol. Et nous, non ?

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat. … je vous alerte sur ce point. En dépit d’un progrès indubitable depuis 2018, à l’entrée en sixième, un nombre encore trop important d’élèves présente des difficultés de déchiffrage manifestes, qui sont inquiétantes.

Mme Laurence Cohen. Ce n’est pas l’écriture inclusive la responsable !

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat. De fait, l’écriture inclusive constitue bien un obstacle pour l’acquisition de la langue et de la lecture pour la très grande majorité des enfants, sinon pour tous.

Mme Laurence Rossignol. L’écriture inclusive fait tourner la mayonnaise…

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat. Comme l’a écrit récemment le professeur émérite Bernard Cerquiglini, l’écriture inclusive rompt avec le courant progressiste, qui, depuis le XVIe siècle, milite en faveur d’une lisibilité démocratique de l’écrit. Il est donc tout à fait exact de parler d’écriture excluante.

M. Max Brisson. Très bien !

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat. L’écriture inclusive est excluante au moins à un autre titre : elle est inadaptée aux élèves présentant des troubles d’apprentissage. Je pense en particulier aux enfants atteints de dyslexie, de dyspraxie ou de dysphasie.

Mme Laurence Cohen. N’importe quoi !

M. Joël Guerriau. Si, c’est vrai !

Mme Laurence Cohen. La dyslexie et la dyspraxie, ce n’est pas ça !

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat. Je pense aussi à tous les enfants en situation de handicap, enfants autistes, enfants malvoyants, qui dépendent de logiciels d’aide à la lecture incapables de reconnaître l’écriture inclusive et, donc, de restituer le texte lu.

Aussi, la typographie de l’écriture inclusive – une typographie qui ne se lit pas et ne se dit pas, une typographie instable, qui dépend du bon vouloir créatif de chacun, une typographie incapable de se choisir une règle orthographique plutôt qu’une autre – n’a en vérité aucunement sa place dans notre école.

M. Antoine Lefèvre. Et aucun avenir !

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat. Par conséquent, parce que nous défendons une école véritablement inclusive,…

Mme Laurence Cohen. Ça ne se voit pas !

Mme Laurence Rossignol. Commencez par payer les AESH !

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat. … parce que nous mettons l’intérêt supérieur de l’élève au-dessus de tout, et parce qu’enfin nous croyons, comme l’a écrit Jean Zay…

Mme Laurence Cohen. Encore un exemple masculin !

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat. … en 1936, que « l’école doit rester l’asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas », le ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports vient de publier une circulaire proscrivant son usage dans les enseignements.

M. Joël Guerriau. Très bien !

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat. Elle viendra conforter nos élèves dans leurs apprentissages et conforter nos professeurs dans leur travail.

M. Max Brisson. Très bien !

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat. Mesdames, messieurs les sénateurs,…

Mme Laurence Rossignol. Mesdames, messieurs les sénateurs ?

Mme le président. S’il vous plaît !

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat. … nous pourrions nous en tenir à souligner l’inadéquation fondamentale entre écriture inclusive et apprentissage de la lecture.

Mme Laurence Cohen. Caricature !

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat. Autrement dit, nous pourrions nous en tenir à l’école. L’école est le creuset de la République. L’école a tout à voir avec la République, et ce qui touche aux principes fondamentaux de notre République touche nécessairement à notre école.

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat. Beaucoup a déjà été dit cet après-midi sur les dangers que constitue l’usage de l’écriture inclusive pour notre langue et pour notre pays.

Vous avez ainsi parlé de la francophonie. En effet, comme s’en est inquiétée l’Académie française, je suis convaincue que la généralisation de l’écriture inclusive, qui complexifie abusivement notre grammaire et notre orthographe, qui ne sont déjà pas si simples, marquerait la mort annoncée de la pratique de la langue française dans le monde. Rappelons qu’il n’y a pas d’accord des adjectifs en anglais et quasiment pas d’accord des verbes non plus. Cette simplicité est un avantage compétitif évident pour la diffusion de l’anglais dans le monde. Tout autre est le cas des langues romanes, qui nécessitent connaissance du masculin et du féminin de chaque nom et accord des adjectifs.

Dans cet environnement linguistique déjà complexe, les tenants de l’écriture inclusive, en refusant d’accorder au masculin sa fonction de neutre, font le choix assumé d’accroître considérablement les difficultés préexistantes de notre langue par l’excroissance artificielle des mots.

M. Max Brisson. Absolument !

Mme Laurence Rossignol. C’est tellement réac !

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat. Par conséquent, avec l’expansion de l’écriture inclusive, la langue anglaise, déjà en situation quasiment hégémonique à travers le monde, gagnerait à coup sûr et probablement définitivement sur la langue française. Je parle de l’anglais, mais je pourrais parler de bien d’autres langues. Mesdames, messieurs les sénateurs, l’écriture inclusive, je le crois, signe le déclin du français parlé dans le monde.

Vous avez aussi parlé du lien irréductible qui lie notre pays à sa langue. « L’histoire de France commence avec sa langue », nous dit Michelet. Nous sommes les dépositaires temporaires des mots, des voix, des âmes qui ont sculpté la langue française par le passé. Par nos vies, nous sommes les bâtisseurs de la langue que, à notre tour, nous devons transmettre. Notre langue ne s’est pas faite en un jour.

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat. Elle est le résultat d’une longue histoire, d’une longue tradition faite d’enrichissements progressifs et d’apports successifs.

Mme Laurence Rossignol. On en apprend des trucs…

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat. J’en suis heureuse, madame la sénatrice.

La langue est une chaîne de vie, dont nous ne sommes qu’un maillon.

Cette vérité appelle l’humilité et doit tempérer l’hubris de quelques-uns. Cette vérité doit aussi nous pousser à réfléchir par deux fois avant d’accepter des évolutions moins dictées par l’usage courant que par la nouvelle doxa du temps présent.

Cela a été dit, l’écriture inclusive participe d’une idéologie qui, comme toute idéologie, ne souffre pas la contestation et dont les partisans cherchent au contraire à imposer leurs vues à tous. Cette idéologie oppose les hommes et les femmes, les dominants et les dominés. Elle fait du terrain linguistique un champ de bataille où deux camps combattent face à face.

Sans doute vaudrait-il mieux éviter dans un cours de grammaire de dire que « le masculin l’emporte sur le féminin ». En revanche, on peut tout simplement dire qu’au pluriel le mot s’accorde au masculin, qui, dans la langue française, fait office de neutre.

L’écriture inclusive est donc le refus du neutre, c’est-à-dire de l’universel. L’écriture inclusive, c’est rendre visible le genre et rendre invisible l’universel. Ce mouvement d’inversion de la norme est en contradiction totale avec les principes mêmes de notre République, qui rassemble avant d’exclure, qui unit avant de séparer. Par conséquent, l’écriture inclusive n’est pas seulement illisible, inintelligible, impraticable et préjudiciable aux apprentissages, pas uniquement le choix délibéré d’exclure une partie de nos concitoyens,…

Mme Laurence Cohen. Insupportable !

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat. … elle est une méconnaissance absolue et, je crois, voulue de notre langue et de son histoire, une tentative d’appauvrissement de notre manière de penser et, plus encore, de nous penser.

Mesdames, messieurs les sénateurs, l’école de la République apprend à chaque élève à habiter sa langue, c’est-à-dire à être porté par une littérature qui a toujours célébré cet esprit de liberté et de partage qu’est l’esprit français.

Notre langue est davantage qu’un trésor : elle est notre destinée commune. C’est par la langue que nous devenons nous-mêmes et que nous nous projetons au-delà, vers cet universel qui caractérise le rapport si singulier que les Français entretiennent avec le monde.

Mme Laurence Cohen. Quelle prétention !

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat. Sachons donc la garder belle et l’énoncer clairement sans jamais cesser de l’enrichir. Les générations à venir nous en sont tributaires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP.)

Mme Laurence Rossignol. Les Républicains applaudissent… Ici, c’est la PACA permanente !

Mme le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Écriture inclusive : langue d’exclusion ou exclusion par la langue. »

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Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, en faveur de l'association de Taïwan aux travaux de plusieurs organisations internationales
Discussion générale (suite)

Association de Taïwan aux travaux de plusieurs organisations internationales

Adoption d’une proposition de résolution

Mme le président. L’ordre du jour appelle, à la demande des groupes Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants et Les Indépendants – République et Territoires, l’examen de la proposition de résolution, en application de l’article 34-1 de la Constitution, en faveur de l’association de Taïwan aux travaux de plusieurs organisations internationales, présentée par MM. Alain Richard, Joël Guerriau et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 493).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Alain Richard, auteur de la proposition de résolution.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, en faveur de l'association de Taïwan aux travaux de plusieurs organisations internationales
Discussion générale (fin)

M. Alain Richard, auteur de la proposition de résolution. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite vous présenter brièvement le contexte et l’objet de notre proposition de résolution.

Nous sommes dans une situation marquée par la séparation de Taïwan et de la Chine continentale depuis 1949, à l’issue d’une guerre civile de plus de vingt ans qui s’est conclue par la prise de pouvoir du parti communiste chinois et l’instauration de la République populaire. La France, puis les États-Unis et, à leur suite, la plupart des États de la communauté internationale ont reconnu le régime de Beijing comme le représentant de toute la Chine. La République populaire de Chine a repris en 1971 le siège de cette puissance au Conseil de sécurité de l’ONU.

En conséquence, Taïwan a été ramenée à une entité non étatique, bien que l’île soit en fait dotée de tous les attributs d’un État sur son territoire de 36 000 kilomètres carrés – l’équivalent de la superficie des Pays-Bas – et peuplé de 23 millions d’habitants – une population comparable à celle de l’Australie.

Depuis lors, Taïwan a évolué de son côté en devenant, d’une part, une puissance économique significative qui prend toute sa part dans le décollage de l’Asie de l’Est et, d’autre part, une société de plus en plus libre et ouverte, avec des élections réellement libres et pluralistes, une presse libre, un développement scientifique et culturel débarrassé des censures. Du côté de la Chine continentale, nous savons que l’évolution est différente.

Les autorités de la Chine populaire ont toujours affirmé leur volonté de faire revenir Taïwan dans leur souveraineté. À cette fin, elles ont formulé dès les années 1980 la doctrine « un pays, deux systèmes », qui, on le sait, a été appliquée ensuite à Hong Kong, avec l’évolution ultérieure que nous observons.

À des périodes diverses, ces autorités ont exercé des pressions militaires à proximité de Taïwan, soutenues par des lois prévoyant l’emploi de la force au cas où Taïwan déclarerait formellement son indépendance. Ces pressions militaires se sont renforcées au cours des deux dernières années en cohérence avec la montée très prononcée des capacités de défense de la Chine populaire.

La France conduit toute son action internationale dans le cadre du multilatéralisme organisé et, donc, des institutions internationales où les États prennent ensemble des mesures de régulation ou de promotion destinées à améliorer le sort des citoyens du monde, au sein duquel priment leur sécurité et leur santé. Notre pays souhaite logiquement qu’une entité comme Taïwan, dont la contribution à la vie internationale est importante dans de nombreux domaines, puisse y être entendue.

Dans leurs textes organiques, les organisations que nous mentionnons dans la proposition de résolution autorisent la participation d’entités non étatiques dont l’intervention est utile à leur mission. Il est évident que c’est le cas de Taïwan dans bien des champs d’action, le plus emblématique étant bien sûr celui de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), compte tenu de l’expérience éclatante de l’île en ce qui concerne la gestion de la pandémie mondiale sur son sol. Mais cela est vrai aussi pour Interpol, pour l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) et pour la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques.

Les autorités françaises ont régulièrement réalisé des démarches au sein de ces enceintes internationales pour obtenir qu’elles consentent à la participation de Taïwan, certes avec un statut d’observateur, mais avec un accès aux informations et aux réflexions produisant un effet utile. Notre proposition de résolution se veut donc, monsieur le secrétaire d’État, une approbation et un encouragement adressés à notre exécutif pour qu’il continue ses interventions en partage avec d’autres puissances.

Le point saillant relevé dans notre texte est que les autorités de la République populaire de Chine ont accepté que Taïwan participe aux travaux de l’OMS pendant plusieurs années, estimant que ce concours ne contrevenait pas à leur politique nationale, qui a comme but ultime la réunification.

La position de Beijing a changé en 2016 à la suite de l’élection et de l’entrée en fonction de Mme Tsai Ing-wen. Celle-ci a pourtant bien déclaré qu’elle entendait respecter le statu quo entre les deux rives du détroit, ce qui se confirme dans les faits depuis cinq ans.

Nous sommes donc fondés à estimer respectueusement que la République populaire de Chine pourrait, sans infléchir ses positions de fond, accepter à nouveau une collaboration des représentants de Taipei à l’Assemblée annuelle de l’OMS et, par conséquent, aux outils concrets de coopération en faveur de la santé mondiale qui y sont discutés.

En sollicitant de tous nos collègues un soutien à cette proposition de résolution dont l’inspiration est constructive et conciliatrice, nous entendons – je veux le dire très clairement – respecter la loi internationale…