Article unique
Dossier législatif : proposition de loi tendant à abroger des lois obsolètes pour une meilleure lisibilité du droit
Explications de vote sur l'ensemble (fin)
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Dossier législatif : proposition de loi tendant à abroger des lois obsolètes pour une meilleure lisibilité du droit
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble du texte adopté par la commission, je vais donner la parole, conformément à l’article 47 quinquies de notre règlement, au rapporteur de la commission, pour sept minutes, au Gouvernement, puis à un représentant par groupe, pour cinq minutes.

La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous avons examiné la semaine dernière, selon la procédure de législation en commission, la proposition de loi de Vincent Delahaye, dite Balai II. Ce texte résulte des travaux de la mission de simplification législative, appelée « mission Balai », pour bureau d’annulation des lois anciennes et inutiles. Cette mission tend à identifier, puis à abroger via des propositions de loi les dispositions devenues obsolètes ou inutiles.

Cette proposition de loi vise ainsi à mettre en application les objectifs constitutionnels de clarté, d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi. Elle permet en effet de réduire le stock de normes, d’éviter tout risque de confusion avec des lois ultérieures et d’améliorer la lisibilité de notre droit.

Pour rappel, au mois de décembre 2019, la loi Balai I a permis d’abroger une cinquantaine de lois adoptées entre 1819 et 1940. La rédaction initiale de la proposition de loi Balai II tendait à en abroger 163, adoptées entre 1941 et 1980.

Si l’objet de ce texte était bien de diminuer le stock de lois, la commission des lois a toutefois souhaité garantir une parfaite sécurité juridique. En effet, le droit français ne prévoit pas d’abrogation expresse par le seul écoulement du temps. Ainsi, le juge, l’administration ou les justiciables peuvent mobiliser des textes anciens, parfois antérieurs à la Révolution française, ou s’en prévaloir, sous réserve de leur compatibilité avec le droit postérieur.

Le risque d’une opération balai est donc d’abroger par erreur un texte d’apparence obsolète, qui constituerait toujours, en réalité, la base légale d’un acte ou d’une situation actuels. Ainsi, les conséquences d’une abrogation accidentelle pourraient être particulièrement lourdes et préjudiciables.

C’est la raison pour laquelle nous avons travaillé avec la plus grande rigueur et la plus grande prudence pour examiner les mesures d’abrogation prévues dans ce texte, le doute conduisant toujours à renoncer à l’abrogation d’un texte en cas d’incertitude sur ses conséquences juridiques concrètes.

Nous nous sommes appuyés sur l’avis du Conseil d’État, rendu le 11 février dernier, pour examiner dans le détail les 163 lois proposées à l’abrogation, afin de nous assurer que chaque abrogation ne se heurtait à aucun obstacle juridique et ne soulevait pas d’objection en matière de bonne législation.

In fine, avec l’accord de Vincent Delahaye, la commission des lois a écarté 49 des 163 lois inscrites dans cette proposition de loi. Ces retraits sont fondés sur quatre motifs, qui se sont parfois cumulés.

Le premier motif concerne les lois qui sont toujours utilisées ou qui pourraient l’être.

Il en est ainsi des lois dont l’abrogation pourrait avoir des conséquences dommageables ou risquées, dès lors que leurs dispositions produisent toujours des effets de manière certaine ou sont toujours susceptibles de fournir une base légale à des situations ou à des actes.

C’est le cas de la loi du 27 décembre 1975 portant réforme du régime d’indemnisation des sapeurs-pompiers communaux non professionnels victimes d’un accident ou d’une maladie survenus en service commandé, puisqu’elle constitue encore le fondement légal du versement de la pension de 22 anciens sapeurs-pompiers.

Il en est de même de la loi du 11 juillet 1978 de programme sur les musées, dont l’article 3 prévoit, au bénéfice du Parlement, des pouvoirs de contrôle spécifiques relatifs au musée d’Orsay.

Le deuxième motif de retrait d’une loi de la liste concerne des lois dont l’abrogation nuirait à l’intelligibilité du droit en vigueur.

Certaines lois comportent en effet des articles qui ont introduit ou modifié des dispositions toujours en vigueur au sein d’un code ou d’une autre loi. Quel effet juridique pourrait avoir l’abrogation d’une disposition introductrice ou modificatrice ? Comment cette abrogation pourrait-elle être interprétée par le public ? Il nous a semblé inutile de créer de la confusion là où cette proposition de loi cherche au contraire à introduire de la lisibilité.

Aussi, la commission des lois a décidé de ne pas abroger les lois ayant introduit ou modifié des dispositions toujours en vigueur afin de garantir l’intelligibilité du droit positif.

Le troisième motif a trait au fait que l’abrogation ne doit pas introduire de risque par ricochet.

Des renvois au sein d’autres textes ont pu être établis par le législateur et il est parfois difficile de mesurer la conséquence de l’abrogation d’une disposition à laquelle un autre article fait référence.

Aussi, afin d’évaluer les problèmes de coordination que pourraient induire les abrogations proposées, nos travaux ont porté sur la recherche de ces renvois. Lorsque les renvois détectés se sont révélés caducs ou sans risque, nous avons accepté sans difficulté l’abrogation proposée. À l’inverse, lorsque le problème de coordination soulevé s’est montré complexe ou incertain, il est apparu prudent de maintenir en vigueur la loi en cause.

Enfin, des motifs plus ponctuels ont conduit la commission des lois à ne pas accepter l’abrogation de certaines lois.

Ainsi, certains textes ayant une valeur symbolique ont été conservés. C’est notamment le cas de la loi du 20 mars 1948 permettant aux femmes l’accession à diverses professions d’auxiliaires de justice ou encore de la loi du 3 juillet 1971, qui a permis la libre installation des médecins.

Pour d’autres lois contenant des dispositions qui sont aujourd’hui de niveau organique, il conviendra d’envisager un autre support législatif. C’est le cas pour la loi du 11 avril 1946 ayant pour objet de permettre aux femmes d’accéder à la magistrature.

Enfin, le Conseil d’État a souligné que le législateur national n’était plus compétent pour modifier certaines dispositions applicables outre-mer et qu’il devait en conséquence renoncer à abroger les lois dans lesquelles elles sont inscrites.

Ainsi, la commission des lois a supprimé 49 lois de la liste des abrogations proposées. En revanche, elle a complété l’abrogation de la loi du 30 mai 1972 relative au contentieux des dommages de guerre par celle de la loi du 9 avril 1952 portant modification des articles 48 à 58, 60 et 61 de la loi du 28 octobre 1946 sur les dommages de guerre.

Madame la ministre, je souhaite une nouvelle fois souligner la qualité de notre collaboration avec les agents de vos services et avec ceux de la direction des affaires juridiques de Bercy. Dans un laps de temps très contraint, nos administrateurs respectifs ont réalisé un travail à la fois très vaste et particulièrement méticuleux ; je tiens à les en remercier.

En conclusion de mon propos, je remercie également Vincent Delahaye de son implication au sein de cette mission de simplification législative pour faire la chasse aux fossiles législatifs, mais aussi de la compréhension bienveillante dont il a fait preuve à l’égard de notre méthode de travail prudente, qui permet in fine de conserver 70 % des abrogations initialement prévues. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d’emblée de saluer l’ampleur du travail réalisé par M. Vincent Delahaye, auteur de la proposition de loi tendant à abroger des lois obsolètes pour une meilleure lisibilité du droit, et par votre rapporteure, Mme Catherine Di Folco.

Le texte que nous examinons aujourd’hui dépasse les clivages. Simplifier notre action publique et ainsi simplifier notre droit : voilà un objectif que nous partageons tous et qui doit tous nous mobiliser.

Une première proposition de loi tendant à améliorer la lisibilité du droit par l’abrogation de lois obsolètes promulguées entre 1880 et 1940 a déjà été adoptée avec le soutien du Gouvernement. Ce nouveau texte permet de balayer la période allant de 1940 à 1980.

Le texte qui vous est ici présenté est le résultat d’une collaboration fructueuse entre le Sénat et le Gouvernement. M. Delahaye et Mme la rapporteure ont en effet étroitement associé le Gouvernement et le Conseil d’État à leurs travaux, qui ont conduit à proposer la suppression d’environ 110 lois obsolètes à l’issue de la procédure de législation en commission qui a été suivie la semaine dernière.

Alors que nous disons souvent dans notre pays que nul n’est censé ignorer la loi, le volume des normes en vigueur aujourd’hui est devenu illisible pour la plupart de nos concitoyens, qu’ils soient usagers du service public, entrepreneurs ou simples citoyens. Cette inflation législative résulte d’une tendance à vouloir toujours plus répondre aux enjeux de l’action publique et aux problèmes de société par la norme et par la loi.

Avec cette proposition de loi, mesdames, messieurs les sénateurs, vous contribuez indéniablement à la qualité et à l’applicabilité du droit. Je sais que le Sénat est particulièrement sensible à cette exigence fondamentale.

Vous connaissez l’attachement que je manifestais déjà en tant que députée à la qualité et à la simplicité du droit ; aujourd’hui, en tant que ministre, je continue à exprimer cette préoccupation. En effet, dans ce chantier de simplification normative, le Gouvernement prend lui aussi sa part.

Ainsi, depuis 2017, nous avons imposé que la création d’une norme réglementaire autonome s’accompagne toujours de l’abrogation de deux normes de même niveau. Nous avons en parallèle réduit drastiquement le nombre de circulaires publiées et nouvelles. Le résultat est là : le nombre de pages publiées sur Légifrance n’a jamais été aussi bas depuis 2004. Nous sommes revenus près de vingt ans en arrière !

Les projets de loi que nous présentons portent dans leurs contenus mêmes ce même objectif de simplification. C’est le cas du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dit 4D, que vous examinerez dans les semaines à venir. C’était déjà le cas de la loi pour un État au service d’une société de confiance, dite Essoc, qui a instauré le droit à l’erreur, mais aussi de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite Pacte, et de la loi d’accélération et de simplification de l’action publique, dite ASAP, qui ont supprimé de nombreux comités Théodule, comme on les appelle parfois, et simplifié de nombreuses démarches pour nos concitoyens.

Je profite de cette intervention pour élargir mon propos.

Comme l’a souligné le Président de la République lors de son intervention à l’occasion de la Convention managériale de l’État, le 8 avril dernier, la complexité administrative est source d’injustice et d’inefficacité. C’est l’esprit qui préside à la réforme de la haute fonction publique que j’ai présentée hier en conseil des ministres : nous devons passer d’une culture de production de la norme à une culture du résultat sur le terrain, c’est-à-dire à une culture de l’impact concret de notre administration et de nos réformes, jusqu’au dernier kilomètre, pour chacun de nos concitoyens.

Cette efficacité implique et exige la proximité, l’accessibilité et la bienveillance des services publics, pour que chacun accède à ses droits et que les projets sortent de terre.

J’ai ainsi engagé des chantiers qui sont à mon sens plus porteurs de simplification qu’une loi ou qu’un plan. Nous avons établi un baromètre partagé, transparent et accessible à chacun sur le site du Gouvernement, de manière à connaître, département par département, les résultats de l’action publique. Ainsi, chaque élu, chaque citoyen, toute personne, peut avoir des outils d’évaluation de l’action publique.

Comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, nous menons aussi un acte de déconcentration des moyens budgétaires, des moyens de ressources humaines et des pouvoirs de décision pour renforcer ceux qui sont sur le terrain, les préfets et les sous-préfets.

Nous cherchons à accroître encore les possibilités de différenciation du droit et d’expérimentation. Nous voulons renforcer notre culture du service et du guichet, avec un visage accessible aux usagers.

Enfin, nous sommes en train de relancer fortement le dispositif France Expérimentation, qui permet à tout projet économique ou social innovant de solliciter une dérogation à une règle de droit devenue inadaptée aux enjeux d’aujourd’hui. Le principe est simple : la loi d’hier ne doit pas empêcher le progrès d’aujourd’hui et de demain.

Je tiens enfin à saluer la méthode rigoureuse et l’esprit constructif qui ont guidé ces travaux, en bonne intelligence entre le Gouvernement et le Parlement.

Nous avons ainsi identifié, avec Mme la rapporteure, en commission des lois, dans le cadre de la procédure de législation en commission, plusieurs dispositions sur lesquelles un doute subsistait quant à la nécessité de leur abrogation.

Dans un souci de sécurité juridique, qui ne doit pas nuire à la démarche qui est la vôtre, vous avez donc supprimé plusieurs dispositions d’abrogation des lois, suppressions sur lesquelles j’ai émis un avis favorable.

Au total, vous l’aurez compris, parce que cette proposition de loi se fixe un objectif largement partagé par le Gouvernement, en particulier par mon ministère, je lui donnerai, comme je l’ai fait en commission des lois la semaine dernière, un avis favorable. Ce texte trouve pleinement sa place dans l’action que nous menons résolument pour une plus grande clarté et une plus grande efficacité de l’action publique au service de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Vincent Delahaye. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « vous avez aimé Balai I, vous adorerez Balai II ». (Sourires.) Voilà ce que j’ai dit en sollicitant la cosignature de mes collègues sur cette proposition de loi qui vise à abroger un certain nombre de textes obsolètes et inutilisés.

Je tiens à remercier Valérie Létard, mais aussi l’ensemble des collègues des différents groupes, qui ont accepté en grand nombre de cosigner cette proposition de loi, laquelle me semble faire œuvre utile. Je remercie aussi le président Gérard Larcher, qui a inscrit dans son programme de mandature cette opération balai, qui porte bien son nom… Il est en effet justifié que l’on passe du temps à essayer d’alléger notre droit de textes qui l’encombrent et qui nuisent à sa lisibilité, donc à sa bonne application.

Balai I s’est soldé par la suppression de quarante à cinquante textes, Balai II s’attaque aux textes de 1940 à 1980 et entendait supprimer un peu plus de 160 lois. J’adresse des remerciements à Mme la rapporteure de la commission des lois, à Mme la ministre et au Conseil d’État, ayant eu l’occasion de participer à une session de son assemblée générale. Je me suis rallié à leur préoccupation au nom du principe de précaution, que nous connaissons bien, et du principe de prudence, cher aux experts-comptables. Il est en effet apparu que certains textes pouvaient avoir encore des applications et qu’il était préférable de s’abstenir. Dans le doute, nous nous sommes donc abstenus.

J’ai approuvé cette démarche de retrait de textes dont la suppression aurait pu porter à conséquences. Je citerai l’exemple du comité interprofessionnel du cassis de Dijon. Le Conseil d’État a relevé que, si ce comité interprofessionnel a été dissous en 2017, certaines décisions pourraient néanmoins s’appuyer sur son existence et pâtir de sa suppression.

Nous avons bien fait de nous abstenir, parce que ce travail se veut consensuel ; il s’inscrit non pas dans un débat d’opportunités, mais plutôt dans une démarche de long terme. Les textes qui ont été retirés de cette proposition de loi par voie d’amendements feront l’objet d’une étude approfondie par la commission, par le Gouvernement ou par le Conseil d’État, afin que soient levés les doutes les concernant.

Nous aurons donc l’occasion d’y revenir : sans livrer de scoop, je peux vous indiquer qu’un Balai III est en préparation, qui sera consacré aux collectivités territoriales, concernées par des normes dont le nombre atteint plus de 400 000 aujourd’hui.

À ce titre, je suis heureux d’entendre Mme la ministre nous rappeler sa démarche de simplification des normes et des circulaires visant à diminuer un peu ce qui encombre notre vie démocratique.

Comme candidat sénateur, je m’étais engagé à essayer de faire accepter l’idée qu’à chaque nouvelle loi nous en supprimions deux. Ce serait un bon principe à appliquer, madame la ministre, pour obliger les administrations qui préparent les textes de loi à en supprimer progressivement et à s’attaquer ainsi au stock de textes sans se concentrer uniquement sur le flux, quand bien même celui-ci est important.

Comme le relevait le Conseil d’État en 1991, « qui dit inflation dit dévalorisation : quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu’une oreille distraite ». Il faut se méfier, car trop de textes tuent le texte ! On dit aux citoyens que nul n’est censé ignorer la loi, mais, s’il y a trop de textes, ils finissent par s’y perdre.

Cette démarche de clarté et de lisibilité que nous cherchons à promouvoir est une action de long terme. Nous allons la poursuivre et nous saurons faire preuve de persévérance pour aller plus loin.

Madame la ministre, madame la rapporteure, je vous remercie de votre avis favorable. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, au 25 janvier 2019, le volume du droit français en vigueur s’élevait à 84 619 articles législatifs et 233 048 articles réglementaires.

Alors qu’un célèbre adage énonce que « nul n’est censé ignorer la loi », il semble aujourd’hui difficile, pour nombre d’entre nous, a fortiori pour nos concitoyens, de ne pas pâtir du manque de lisibilité du droit en vigueur.

Année après année, au gré d’une inflation législative constante, dont nous sommes parfois responsables, les productions normatives s’accumulent, quitte à parfois se contredire.

Une telle situation est regrettable ; elle met évidemment le législateur devant ses responsabilités, car, comme le disait Montesquieu en 1748, « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». Il est donc de notre devoir, en tant que parlementaires, d’édicter le droit, mais aussi de rendre la loi intelligible pour chacun de nos concitoyens.

Or la présence dans notre législation de véritables « fossiles juridiques » ne facilite aucunement sa compréhension par les Français. C’est afin de remédier à cette problématique qu’a été créée au mois de janvier 2018 la mission Balai, pour bureau d’annulation des lois anciennes et inutiles – je salue d’ailleurs les auteurs de cet acronyme ! (Sourires.) –, visant à améliorer la lisibilité du droit français en abrogeant les lois devenues obsolètes ou désuètes. Ce chantier, engagé sous la houlette de Vincent Delahaye et Valérie Létard, a abouti à l’adoption par le Sénat de la loi Balai I, au mois de mars 2019.

C’est dans la continuité de ces travaux que nous est aujourd’hui soumise cette nouvelle proposition de loi ayant pour objectif l’abrogation de 115 textes législatifs édictés entre 1940 et 1980.

Les catégories de lois visées rendent explicite la nécessité de cette démarche. Il s’agit, par exemple, de textes s’inscrivant dans le prolongement de la Seconde Guerre mondiale ou dont l’objet était tout simplement devenu obsolète, comme la loi du 30 décembre 1959 relative au passage au nouveau franc dans les départements d’outre-mer. Il peut encore s’agir de lois dont les effets juridiques étaient bornés dans le temps ou des textes législatifs au sein desquels ne subsistent que des dispositions d’abrogation, d’application ou d’entrée en vigueur, ainsi que l’a rappelé le Conseil d’État.

La volonté d’épurer notre droit de tous ses fossiles législatifs revêt un intérêt évident, particulièrement si les lois abrogées étaient susceptibles d’entrer en contradiction avec des législations aujourd’hui en vigueur, créant de fait une insécurité juridique pour les justiciables. C’est d’ailleurs la principale motivation de cette démarche. En ce sens, si, de prime abord, la portée de cette proposition de loi peut sembler cosmétique, elle permet néanmoins une déflation bienvenue de nos normes juridiques.

Il a fallu le travail méticuleux de nos collègues de ce bureau, dont nous partageons les objectifs, et de notre rapporteure Catherine Di Folco pour consolider la sécurité juridique de ce texte, car il ne fallait pas se laisser entraîner dans des abrogations allant au-delà du nécessaire.

Abroger les lois qui n’ont plus qu’un intérêt archéologique ou anecdotique ne peut que contribuer à faciliter l’accessibilité et la compréhension de la législation réellement applicable.

Pour cette raison, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain se prononcera en faveur de l’adoption de cette proposition de loi dont il remercie les auteurs et la rapporteure. J’associe à cette explication de vote Hussein Bourgi, qui a particulièrement suivi ce texte, mais qui est retenu dans son département.

Mme la présidente. La parole est à M. Dany Wattebled, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.

M. Dany Wattebled. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi s’inscrit dans la suite logique de la mission de simplification législative dite Balai, créée par le bureau du Sénat au mois de janvier 2018. Elle marque la deuxième étape d’une opération qui, au nom de la crédibilité du droit et de sa lisibilité, a pour ambition de supprimer des textes adoptés entre 1940 et 1980.

Dans sa version initiale, ce texte proposait l’abrogation de 163 lois. Cette initiative apporte une simplification utile : nous constatons tous une inflation législative et normative.

Évidemment, bien des lois sont rendues nécessaires par la multiplication des sources du droit, tant externes, notamment en raison de la transposition de directives européennes, qu’internes. Cette prolifération normative s’explique également par l’émergence de nouveaux domaines et l’apparition de contraintes nouvelles.

Ainsi, en matière économique, de nombreux aspects du droit font l’objet d’adaptations à un environnement mondialisé. La libéralisation du secteur des transports ou de l’énergie requiert l’instauration de règles spécifiques. Dans le domaine scientifique, le développement des biotechnologies rend nécessaire la révision régulière des lois sur la bioéthique. L’essor des technologies de l’information et de la communication a notamment suscité la mise en place d’un cadre juridique adapté au développement de l’économie numérique et une autre approche de la propriété intellectuelle. La nécessité de la sauvegarde de l’environnement et du développement durable entraîne également l’intervention fréquente du législateur.

Néanmoins, le nombre de lois semble connaître une croissance exponentielle dont les causes sont très souvent liées à notre pratique législative, dénoncée par d’éminents juristes.

N’aurions-nous pas tendance à légiférer pour un oui ou pour un non ? Le professeur de droit Jean Carbonnier disait à ce propos : « À peine apercevons-nous le mal que nous exigeons le remède ; et la loi est, en apparence, le remède instantané. Qu’un scandale éclate, qu’un accident survienne, qu’un inconvénient se découvre : la faute en est aux lacunes de la législation. Il n’y a qu’à faire une loi de plus. Et on la fait. Il faudrait beaucoup de courage à un gouvernement pour refuser cette satisfaction de papier à son opinion publique. »

Pour le constitutionnaliste Guy Carcassonne, « tout sujet d’un “vingt heures” est virtuellement une loi », ajoutant : « Il faut, mais il suffit, que [ce sujet] soit suffisamment excitant, qu’il s’agisse d’exciter la compassion, la passion, ou l’indignation, pour qu’instantanément se mette à l’œuvre un processus, tantôt dans les rangs gouvernementaux, tantôt dans les rangs parlementaires, qui va immanquablement aboutir au dépôt d’un projet ou d’une proposition [de loi]. »

Si l’inflation est législative, elle est également réglementaire. À cet égard, un important travail de toilettage pourrait être entrepris, d’autant plus qu’il existe davantage de textes réglementaires que de textes législatifs. Cela a été rappelé, au 25 janvier 2019, le volume du droit consolidé en vigueur était de près de 85 000 articles législatifs et de 233 000 articles réglementaires.

La multiplication des normes et l’allongement des textes constituent des facteurs d’obscurité, de confusion et de complexité qui nuisent gravement à l’efficacité des politiques publiques, à la sécurité juridique et à l’attractivité économique de notre pays.

Dans De lEsprit des lois, Montesquieu écrivait déjà que « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». Trois siècles plus tard, ce constat n’a rien perdu de sa pertinence. Si nous avons des difficultés à lutter contre l’inflation législative, nous pouvons, pour le moins, abroger ce qui n’a plus lieu d’être.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires soutient donc très fortement cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.

M. Guy Benarroche. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il devient de plus en plus difficile de répéter que nul n’est censé ignorer la loi, quand la frénésie du législateur porte le nombre de normes à des niveaux qui ne permettent raisonnablement à personne de connaître l’ensemble des textes qui nous régissent : pas moins de soixante-quatorze codes et d’innombrables lois et ordonnances.

L’obsolescence programmée, contre laquelle nous avons voté une loi, ne concerne pas nos textes, malheureusement. Pourtant, comme certains produits naissent d’effets de mode exploités à but lucratif, certaines lois peuvent naître d’effets d’affichage exploités à des fins politiques.

Devant ce constat partagé et afin de permettre aux citoyens comme aux juges de mieux s’y retrouver, le bureau du Sénat a mis en place dès 2018 une mission Balai, dont le nom on ne peut plus explicite reflète l’ambition de se débarrasser des lois inutiles, que d’aucuns qualifient de « fossiles législatifs ».

De cette mission est née une première loi d’abrogation qui a porté sur une cinquantaine de textes adoptés entre 1800 et 1940. Le texte que nous nous apprêtons à voter porte sur plus du double de textes : plus d’une centaine de lois sur les 169 qui y étaient initialement inscrites.

Je salue le travail minutieux de notre rapporteure, de la commission et des administrateurs. Certaines lois, d’apparence obsolète, ont été conservées, à l’instar de la loi qui concerne les pensions de certains pompiers volontaires. Il faut saluer la prudence avec laquelle certaines lois ayant depuis été codifiées ont été conservées. En effet, la prudence est de mise lorsque les conséquences de la volonté de clarification du droit sont incertaines.

Cette retenue devrait aussi nous guider dans l’écriture du droit, l’inflation législative étant, hélas, un écueil que le Gouvernement, comme le Parlement, peine parfois à éviter pour des raisons bien trop politiciennes. « Un fait divers, une loi » : nous devons sortir de ce cycle infernal.

Certains ne verront dans ce nettoyage qu’une action cosmétique. Il n’en est rien. Il nous incite, voire nous oblige, à mieux appréhender note rôle de législateur et la retenue dont nous devons faire preuve dans la création normative qui reste notre rôle. Il invite aussi le Gouvernement à continuer, voire à amplifier le processus de codification permettant un accès facilité et lisible au droit applicable par l’ensemble des citoyens, notamment via le site legifrance.gouv.fr, récemment rénové.

Oserais-je dire qu’il oblige le Gouvernement à s’appliquer à lui-même le principe inscrit dans la circulaire du 26 juillet 2017 relative à la maîtrise du flux des textes réglementaires et de leur impact, selon lequel « toute nouvelle norme réglementaire doit être compensée par la suppression ou, en cas d’impossibilité avérée, la simplification d’au moins deux normes existantes » ?

Les attentes des citoyens et des collectivités locales sont réelles et les bafouillages des derniers mois, lors de la crise sanitaire, n’ont fait qu’empirer la perception d’un État kafkaïen qui norme à l’infini, sans cohérence. Nombre de citoyens, entrepreneurs et associations peinent à naviguer entre les injonctions juridiques et à percevoir de manière fiable le cadre juridique qui leur permet d’agir.

Pourtant, M. Dussopt, votre prédécesseur sur ce banc lors de la lecture de la première loi Balai, madame la ministre, a affirmé que « le Gouvernement [avait] décidé d’insérer, dans chaque projet de loi, un volet dédié à la simplification ».

Aussi, notre chambre des territoires, qui attend avec impatience l’examen du projet de loi 4D, pour déconcentration, décentralisation, différenciation, décomplexification, renommé 3DS, pour déconcentration, décentralisation, différenciation, simplification, reste très attentive aux difficultés des maires, qui n’arrivent pas toujours, sans un appui en ingénierie juridique, à naviguer dans les méandres des normes applicables. Parfois, construire un simple jardin d’enfants n’est pas un jeu d’enfant ! (Sourires.)

Enfin, par ces abrogations, nous sécurisons l’ensemble de notre système en facilitant le travail des juges et de tous les professionnels du droit. C’est pourquoi, au-delà des clivages politiques, nous serons sans doute unanimes pour voter la suppression de ces lois obsolètes et redonner tout leur sens, toute leur place, voire toute leur noblesse aux lois utiles.

Aussi, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera ce texte.