Mme la présidente. La parole est à M. Martin Lévrier.

M. Martin Lévrier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le taux de non-recours aux aides sociales reste important dans notre pays.

En effet, selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, la Drees, il varie entre 32 % et 44 % pour la couverture maladie universelle complémentaire, la CMU-C, et peut s’élever jusqu’à 67 % pour l’aide au paiement de la complémentaire santé. Par ailleurs, on estime qu’entre 7,5 % et 8,2 % des allocataires ne recourent pas à leurs droits pour les aides à la famille.

Complexité des démarches qui décourage les demandeurs, ignorance ou méconnaissances des dispositifs existants ou encore non-recours volontaire et motivé par le refus de la stigmatisation ou la conviction qu’il y a toujours plus malheureux que soi… Les raisons sont multiples.

C’est pour pallier ce phénomène complexe que notre collègue le sénateur Rachid Temal a déposé une proposition de loi visant à lutter contre le non-recours aux prestations sociales dans les secteurs du handicap, de la protection complémentaire de santé ou encore du RSA.

Pour ce faire, il propose dans un article unique la mise en place d’un système par îlots. Le premier serait dédié aux prestations liées à un handicap. Le second engloberait celles qui sont liées à de faibles ressources hors RSA. L’examen automatique aurait lieu au sein de ces îlots.

Le manquement aux obligations ainsi créé serait considéré comme constitutif d’une faute de nature à engager, en cas de préjudice, la responsabilité de l’administration. Ne risquons-nous pas d’aller ainsi vers la déresponsabilisation de l’allocataire ?

En outre, la proposition de loi prévoit la possibilité pour les organismes chargés de l’examen de l’éligibilité aux prestations de saisir à cette fin l’autorité compétente s’ils se trouvent dans l’incapacité de mener à bien l’opération.

Si l’intention de mon collègue est louable, le dispositif proposé se heurte à un certain nombre d’impossibilités matérielles.

Lors de l’examen de notre dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, le sujet avait été abordé. Il était clairement apparu que le montant de certaines allocations était conditionné soit aux ressources, soit à la situation familiale ou encore à la gravité du handicap. Il faudrait systématiquement demander ces données à l’allocataire, parfois inutilement et souvent de façon redondante.

Ainsi, ces démarches supplémentaires risquent de ralentir l’ouverture des droits demandés. C’est aller à rebours de l’objectif de cette proposition de loi, que nous partageons tous.

Par ailleurs, plusieurs dispositifs existent d’ores et déjà face au non-recours.

Je pourrais évoquer, au sein de l’assurance maladie, le plan local d’accompagnement du non-recours, des incompréhensions et des ruptures ou encore la plateforme d’intervention départementale pour l’accès aux soins et à la santé.

Je pense également aux plateformes numériques qui permettent aux Français de s’informer sur les prestations. Rappelons l’existence des simulateurs de droits sur « www.mesdroitssociaux.gouv.fr ». Songeons aussi aux maisons France Service, qui permettent de simplifier la relation des usagers aux services publics. Je rappelle que l’État a pris un engagement financier global de 200 millions d’euros d’ici à 2022 pour assurer leur déploiement et leur fonctionnement.

Enfin, n’oublions pas les rendez-vous des droits des CAF, ces entretiens personnalisés qui permettent d’étudier l’éligibilité des allocataires aux différentes prestations gérées ou non par les caisses d’allocations familiales, ou encore les technologies de la CNAF, qui, depuis 2017, facilitent un repérage du non-recours au sein de ses allocataires, afin de cibler au mieux les démarches proactives vis-à-vis de ceux-ci.

Mes chers collègues, comme je vous l’expliquais précédemment, le dispositif proposé se heurte à un certain nombre d’impossibilités matérielles. En outre, cette proposition de loi peut conduire à une forme de déresponsabilisation de l’allocataire. Enfin, elle ne tient pas tout à fait compte des dispositifs mis en place par le Gouvernement depuis 2018.

Pour ces raisons, notre groupe votera contre ce texte. (M. Joël Guerriau applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, lors de la présentation de la stratégie nationale de prévention de lutte contre la pauvreté, au mois de septembre 2018, le Président de la République déclarait : « On n’a jamais réglé le problème de la pauvreté en s’assurant que des gens n’aient pas recours à un revenu. »

Aujourd’hui encore, un nombre important de personnes éligibles à des aides sociales n’en bénéficient pas. Si l’un des freins est parfois la peur d’être stigmatisé, les principales raisons sont la méconnaissance des dispositifs existants et, surtout, la complexité d’accès aux aides.

Depuis 1945, pour mieux prendre en compte la diversité des risques sociaux et des situations individuelles, de nouvelles prestations ont été créées. Certaines ont été remplacées ou supprimées, d’autres ont fusionné, ce qui rend leur accès encore plus difficile, notamment pour les plus précaires. Les réponses actuelles – je pense notamment aux rendez-vous des droits organisés par les caisses d’allocations familiales – ont montré une réelle efficacité, mais sont encore insuffisantes.

Selon le dernier rapport annuel du Secours catholique et de l’Observatoire des non-recours aux droits et services, l’Odenore, un tiers des personnes accueillies et éligibles au RSA ne le touchent pas, et plus d’un quart des personnes éligibles à des allocations familiales ne les perçoivent pas.

Ces chiffres sont particulièrement inquiétants, d’autant que, avec la crise sanitaire, les plus précaires sont encore plus fragilisés. Alors que le Gouvernement a déployé tout un arsenal d’aides et que les élans de solidarité pour tenter d’atténuer les effets de la pandémie sur les plus vulnérables ont été exceptionnels, le Secours populaire compte 45 % de bénéficiaires en plus, et les Restos du cœur 30 %.

Dans ce contexte, la question du non-recours aux aides sociales est prégnante, et je remercie nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain de nous permettre d’en débattre.

Lutter contre le non-recours constitue un enjeu de justice sociale, dès lors que les personnes les plus vulnérables sont la plupart du temps celles qui méconnaissent le plus leurs droits. C’est surtout un défi pour notre pays de ne laisser personne sur le côté de la route.

Certains pourraient penser que le non-recours nous fait faire des économies. Ces « économies honteuses » dont parle le Secours catholique dans son dernier rapport traduisent en réalité un échec de nos politiques sociales.

Comme le rappelle très justement le rapport d’Eurofound de 2015, si des prestations ont été créées au service d’objectifs stratégiques, comme la réduction de la pauvreté, le fait que ces prestations n’atteignent pas leur cible est un obstacle à la politique menée. Il y a par ailleurs un risque d’accroître à plus long terme le coût social de la lutte contre l’exclusion.

La proposition de loi de nos collègues vise à lutter contre ce fléau, et chacun de nous ne peut qu’y souscrire. Il convient toutefois de s’interroger sur le mécanisme proposé. Vous-même, madame la rapporteure, avez reconnu qu’il n’était pas parfait.

Nous craignons ainsi que le dispositif n’introduise une complexité supplémentaire. Nous regrettons également que certaines dispositions en soient exclues.

Surtout, il nous faut trouver des solutions pertinentes sur le long terme. Je pense notamment au revenu universel d’activité, dont la création a été annoncée par le Président de la République dans le cadre du plan pauvreté, au mois de septembre 2018.

Il s’agirait de fusionner le plus grand nombre possible de prestations pour une meilleure lisibilité et plus d’équité. La réforme devrait par ailleurs s’accompagner d’une simplification des démarches. Le Premier ministre a annoncé la reprise des travaux de concertation, qui, je l’espère, pourront rapidement donner vie à ce nouveau dispositif.

Aussi, et en raison notamment de la complexité du dispositif, le RDSE ne soutiendra pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que nos débats dans cet hémicycle se focalisent trop souvent sur le renforcement des contrôles des bénéficiaires des aides sociales, la proposition de loi du groupe socialiste a le mérite d’engager une réflexion en faveur de l’amélioration de l’accès aux droits.

Comme il est indiqué dans l’exposé des motifs de cette proposition de loi, le non-recours aux droits a de lourdes conséquences dans plusieurs domaines, tels que l’accès aux soins, l’exclusion sociale, l’accès au logement, l’alimentation, la réussite éducative ou encore l’autonomie.

Il est aujourd’hui inconcevable que celles et ceux qui ont droit à ces aides et qui en ont besoin ne puissent pas en bénéficier uniquement parce qu’ils n’ont pas déposé le bon dossier, que les démarches sont trop complexes ou tout simplement qu’ils n’ont pas connaissance des dispositifs Nous dénonçons depuis des années l’absence d’automaticité des droits. Je veux le souligner, le non-recours aux prestations sociales représente un montant plus élevé que la fraude aux aides sociales.

Alors que la crise sanitaire a renforcé les inégalités sociales et a réaffirmé l’urgence de garantir à toutes et tous un salaire ou un minimum décent, la création d’un droit au recours constitue un progrès indéniable.

L’idée selon laquelle l’octroi d’une prestation déclencherait automatiquement l’examen d’éligibilité aux autres prestations avec un fonctionnement par îlots est donc intéressante.

Si le transfert de l’accomplissement des démarches du demandeur à la puissance publique permet de lutter contre le non-recours, il pose la question de la formation des personnels et des moyens humains pour traiter les demandes.

En effet, les politiques d’austérité menées depuis vingt ans par les gouvernements successifs ont réduit le nombre de fonctionnaires et d’agents de la sécurité sociale. Les progrès des échanges d’informations ne permettront pas de faire l’économie d’un plan de recrutement et de formation des personnels.

Par ailleurs, nous craignons que le data mining ne renforce le fichage et le contrôle des bénéficiaires.

Enfin, au prétexte de « décompartimenter » les aides sociales, la proposition de loi reprend à son compte les projets de remplacement de la sécurité sociale par une protection sociale, projets qui renvoient à deux visions opposées du système social.

D’un côté, la sécurité sociale est financée par les cotisations sociales et gérée par les salariés et les employeurs, avec un principe fondateur : « Chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins. »

De l’autre, la protection sociale renvoie à un champ beaucoup plus large, qui inclut les mutuelles, les assurances, les instituts de prévoyance, les régimes complémentaires individuels et collectifs de retraites, chômage et de santé, avec un mode de financement complètement différent.

On se souvient de l’adoption par l’Assemblée nationale en juillet 2018 d’un amendement du député Olivier Véran, qui tendait à introduire la notion de « protection sociale » dans la Constitution.

Plus récemment, et dans la même veine, le député Thomas Mesnier a déposé une proposition de loi organique pour réformer le pilotage financier et la gouvernance de la sécurité sociale.

La majorité sénatoriale n’est pas en reste, puisqu’elle a déposé une proposition de loi organique visant à refondre l’organisation des débats de la sécurité sociale, en incluant l’assurance chômage et les régimes complémentaires de retraites dans la loi de financement de la sécurité sociale.

Nous assistons bel et bien à une tentative de reprise en main par l’État de la sécurité sociale, avec un financement par l’impôt, ainsi qu’à sa dénaturation, en y intégrant les assurances privées.

Notre crainte est que cette proposition de loi ne soit la porte ouverte à une confusion entre les prestations de la sécurité sociale et les aides sociales de l’État.

Alors que les prestations de sécurité sociale sont universelles et redistributives, les aides sociales s’adressent aux plus fragiles et aux plus précaires. Le risque est donc la suppression à terme de l’universalité des prestations sociales.

Nous craignons que l’utilisation sémantique de « protection sociale globale » ne soit une manière d’effacer la sécurité sociale, dans le contexte d’attaques et de démantèlement que je viens de décrire. Pourquoi ne pas avoir plutôt intitulé cette proposition de loi : « Lutte contre le non-recours », afin d’éviter toute confusion et récupération à d’autres fins ?

Néanmoins, les parlementaires du groupe CRCE, soucieuses et soucieux de lutter en faveur d’un meilleur accès aux droits, ne s’opposeront pas à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Henno.

M. Olivier Henno. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sortons à peine de l’une des plus graves crises sanitaires de notre histoire contemporaine. Pendant cette année si particulière, nous avons tous été heurtés dans nos habitudes et nos modes de vie.

Néanmoins, nous avons tenu ensemble, grâce au courage des Français et à l’engagement des soignants et des professions en première ligne. Le courage de ces derniers et la discipline de nos concitoyens ont été exemplaires.

Nous avons aussi tenu ensemble grâce à notre solidarité nationale. L’État et les collectivités ont répondu présent. Je le dis, parce que je pense que notre État-providence et notre solidarité collective sont une chance.

Cependant, plusieurs questions essentielles se posent à nous régulièrement. Jusqu’où doit aller cette solidarité ? Comment permettre à chacun d’accéder à ses droits sociaux ? Quel consensus autour de cette solidarité ?

Tel est l’objet de cette proposition de loi, qui tend à lutter contre le non-recours aux droits sociaux de nos concitoyens en systématisant l’examen de l’éligibilité aux droits. C’est un débat important, qui nous interroge sur les fondements de notre solidarité nationale.

En commission des affaires sociales, j’évoquais les fondateurs du programme du Conseil national de la Résistance. Ils nous inspirent encore aujourd’hui dans nos réflexions. Je ne suis pas sûr du tout qu’ils aient songé à rendre l’accès à notre solidarité nationale automatique.

Le non-recours aux droits et aux prestations sociales est un problème complexe, auquel nous sommes confrontés dans nos responsabilités. Je l’ai été en tant que vice-président du département du Nord chargé de l’insertion. Je connais les difficultés d’accès de nos publics les plus fragiles aux aides sociales, mais aussi l’importance de les accompagner dans une démarche responsable et active.

Les causes de ces difficultés sont nombreuses. La principale est liée à la complexité des démarches, qui décourage, voire effraye les demandeurs. L’ignorance ou la méconnaissance des dispositifs existants jouent également un rôle. Il peut exister enfin – cela a été évoqué – un non-recours volontaire, motivé par le refus de la stigmatisation.

Le non-recours touche davantage les publics les plus fragiles, les parents célibataires ou isolés, les personnes vivant en habitat précaire et nos concitoyens qui n’ont pas d’emploi stable.

Automatiser l’octroi des droits et prestations, comme le propose ce dispositif, aurait des conséquences que nous devons mesurer ensemble.

Tout d’abord, cela revient à remettre en cause l’idée d’une démarche personnelle du bénéficiaire et d’un engagement de sa part dans le processus d’insertion. Or le fait de solliciter une aide participe à l’adhésion du citoyen à notre système de protection sociale. C’est une étape importante.

Aussi, depuis plusieurs années, un travail substantiel est mené par l’État et les collectivités territoriales pour renforcer l’information des publics concernés. Des portails d’information ont été mis en place, mais pas seulement. Il existe également des simulateurs de droits numériques.

Dans le combat contre le non-recours et pour un engagement de nos concitoyens dans cette démarche, l’information et l’accompagnement sont la clé. Ainsi que cela a été rappelé, la CAF a mis en place des rendez-vous des droits, qui permettent aux assurés d’avoir conscience des prestations dont ils peuvent bénéficier.

La dynamique de certaines administrations sur ces sujets doit être saluée. Je pense notamment aux mécanismes qui permettent à chacun de bénéficier de l’ensemble de ses droits sociaux. Si davantage doit être fait pour lutter contre le non-recours, cela doit passer par le renforcement de l’accompagnement individuel autour des démarches des demandeurs.

La présente proposition de loi, comme celle de notre collègue Rémi Cardon sur l’élargissement du RSA aux jeunes âgés de 18 à 25 ans, pose de façon sous-jacente la question du revenu universel d’activité. Les réflexions de Christophe Sirugue sur ce sujet nous obligent à nous interroger. C’est légitime.

La mission d’information sur l’intérêt et les formes possibles de mise en place d’un revenu de base en France, présidée par notre collègue Jean-Marie Vanlerenberghe, permet un débat passionnant, que nous devrons avoir ensemble.

Ce débat devra intégrer toutes les dimensions du RUA : solidarité, évaluation financière – nous sommes des élus et des parlementaires responsables – et valeur travail, qui structure notre société. En attendant, il ne nous semble pas opportun de nous engager dans une démarche complexe, qui interroge notre modèle social sans régler vraiment le problème du non-recours.

M. Rachid Temal. Bref, on remet toujours à plus tard…

M. Olivier Henno. La présente proposition de loi soulève une vraie question, mais la réponse apportée nous paraît insatisfaisante et incomplète. C’est pourquoi notre groupe ne votera pas ce texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Édouard Courtial.

M. Édouard Courtial. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la solidarité nationale est l’application concrète du principe de fraternité inscrit au fronton de nos mairies.

Ainsi, nous ne pouvons que souscrire à l’objectif du texte présenté aujourd’hui : s’assurer que la solidarité nationale atteigne tous ceux qui en ont besoin, afin de faire vivre cette fraternité qui sous-tend le pacte républicain.

Depuis 1945, notre pays s’honore de cette solidarité. La protection sociale a été maintenue et développée par tous les gouvernements successifs, aboutissant à augmenter le panel des bénéficiaires pour s’adapter aux situations financière, familiale et professionnelle de chacun et répondre au plus près aux besoins.

Néanmoins, comme le soulignent les auteurs de la proposition de loi, nous observons un important phénomène de non-recours : certains de nos concitoyens ayant droit à des aides sociales n’en profitent pas. Les raisons sont diverses, mais une majorité de cas trouvent leur origine dans une méconnaissance du système, faute de communication suffisante, dans une appréhension face à la complexité des démarches ou, enfin, dans un accès moindre ou nul aux outils informatiques.

Une telle situation de non-recours aux droits doit être combattue ; je crois que nous nous accordons tous sur ce point. Au demeurant, s’y résoudre et ne rien proposer en retour aggraverait la situation de celles et ceux qui sont déjà fortement fragilisés.

Président du conseil départemental de l’Oise entre 2015 et 2017, j’ai toujours eu à cœur de m’assurer que les aides gérées par cette collectivité soient les plus accessibles possible, tout en rappelant – c’est aussi ma responsabilité – qu’il s’agit non pas d’argent gratuit, mais du fruit du travail des Français. J’ai donc pris part à la réflexion visant à améliorer l’accès au système d’aides sociales, afin de remplir la promesse que la République a faite à ses enfants les plus fragiles.

Dans ce cadre, la mesure proposée s’appuie sur une classification des prestations en deux catégories : les aides liées à un handicap, d’une part, les aides liées à de faibles ressources, d’autre part. À partir de cela, on établit des ponts entre les différentes prestations, afin que l’accès à une prestation sociale déclenche automatiquement l’examen d’éligibilité aux autres.

Cependant, aussi séduisant que ce dispositif peut apparaître, il ne nous satisfait pas complètement. Comme cela a été très bien relevé en commission par notre collègue Philippe Mouiller, une telle mesure exclut certaines prestations, comme l’allocation de solidarité aux personnes âgées ou l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé.

Trois autres limites sont également à signaler.

La première tient à la question, largement sous-estimée, de la mise en œuvre. En effet, les responsabilités qui sont aujourd’hui réparties entre les différents organismes délivrant les différentes prestations deviendraient confuses. Jusqu’où irait la responsabilité de l’organisme se bornant à notifier à une personne son éligibilité à une prestation délivrée par un autre organisme, qui s’appuierait lui-même sur autre chose, puisque tout est automatisé ?

Rendre automatique le système revient à diviser les responsabilités et nécessite un changement en profondeur, que nous ne pouvons pas atteindre aujourd’hui.

La seconde limite concerne le coût financier de cette opération. Si l’accès à une prestation déclenche automatiquement un examen d’éligibilité à d’autres prestations, dépendantes d’autres organismes, alors doit être organisé un très important transfert de données entre les organismes.

De ce côté, tout reste à faire, car, aujourd’hui, les données sont plutôt cloisonnées et ne circulent pas assez. Or leur transfert et leur traitement nécessitent davantage de moyens humains et techniques et donc un budget sûrement bien supérieur à ce que l’État peut aujourd’hui proposer.

Enfin, nous pouvons et nous devons nous interroger sur l’efficacité du dispositif proposé. En effet, si le constat de ce phénomène de non-recours est réel et regrettable, les efforts faits sont eux aussi réels.

Aujourd’hui, d’autres acteurs, associatifs en particulier, participent à la solidarité nationale en étant présents là où l’État ne l’est que peu ou pas du tout. Mme Annie Le Houerou a cité par exemple dans son exposé en commission les rapports du Secours catholique, mais sont actifs également les Restos du cœur, la Croix-Rouge française, la Fondation Abbé-Pierre et d’autres encore.

Ces organismes délivrent des aides sociales de tout type, alimentaire, humanitaire, sanitaire, etc., et méritent d’être encouragés. Or automatiser un dispositif revient à le placer entièrement sous la responsabilité de l’État, et ainsi à enrayer l’action de ces associations, lesquelles, pourtant, se portent volontaires pour supporter les contraintes que la lutte contre le non-recours impose.

Cela manifeste le dernier point qui fonde cette troisième raison : faut-il accroître le poids que représente cette lutte sur les services de l’État si d’autres acteurs sont prêts à se mobiliser et se mobilisent d’ailleurs déjà ?

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, telles sont donc les raisons pour lesquelles ce dispositif ne semble pas convenir et a été repoussé en commission. (M. Rachid Temal sexclame.)

Aussi, malgré notre volonté commune de rendre la solidarité nationale plus efficace et effective, le texte proposé nous semble poser davantage de difficultés qu’il n’offre de solutions ; c’est pourquoi notre groupe ne le votera pas.

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi, présentée par le sénateur Rachid Temal, vise à automatiser par îlots l’examen de l’accès aux droits sociaux tels que le RSA, l’allocation aux adultes handicapés, la prestation de compensation du handicap, l’allocation personnalisée autonomie ou encore la carte « mobilité inclusion ».

L’objectif annoncé est de lutter contre le non-recours aux droits, dont le taux est particulièrement élevé pour certaines prestations, notamment pour le revenu de solidarité active : la moitié des personnes éligibles n’aurait pas recours à ce minimum social. Autre exemple éloquent, plus de la moitié des bénéficiaires potentiels n’utilise pas l’aide au paiement de la complémentaire santé proposée par l’État.

Les raisons du non-recours sont multiples : le manque d’information, la complexité des démarches et la stigmatisation sont les trois principaux freins identifiés par la Direction de la recherche des études de l’évaluation et des statistiques, la Drees.

Aussi, le problème soulevé par cette proposition de loi est loin d’être marginal. De nombreux Français sont concernés et nous partageons pleinement la volonté de l’auteur du texte d’apporter des solutions pragmatiques et pérennes à ce problème.

Comme cela a été indiqué en commission, le texte reprend un amendement examiné dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 et adopté par le Sénat, contre l’avis du Gouvernement, lequel avait jugé que le dispositif se heurtait à un certain nombre d’impossibilités matérielles. Un dispositif similaire avait donc été adopté à l’Assemblée nationale, prévoyant des échanges d’information entre les organismes de sécurité sociale, afin de faciliter l’identification des bénéficiaires potentiels.

La lutte contre le non-recours aux droits s’inscrit pleinement dans la volonté du Gouvernement de mettre en œuvre un versement social unique, dans le cadre du plan de lutte contre la pauvreté.

La première étape de cette réforme est déjà enclenchée, il s’agit de la révision des règles de calcul de certaines prestations nationales pour une meilleure prise en compte de la situation actuelle du bénéficiaire. La deuxième étape, en cours de déploiement, est la simplification des démarches administratives pour favoriser l’accès aux droits sociaux.

L’automatisation de l’examen de l’éligibilité des bénéficiaires est l’une des possibilités qui pourrait être étudiée, mais cette option appelle des réserves importantes.

Il me semble que la démarche volontaire de demande d’accès à un droit est essentielle pour recueillir l’adhésion de la personne éligible au dispositif, qui n’est pas uniquement une aide financière. Dans le cas du RSA, l’accompagnement du bénéficiaire par les services sociaux est une composante indispensable du dispositif.

C’est la raison pour laquelle le groupe Les Indépendants – République et Territoires ne votera pas cette proposition de loi, tout en remerciant son auteur d’en avoir pris l’initiative. (M. Martin Lévrier applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie le groupe socialiste d’avoir mis à l’ordre du jour la recherche d’outils pour lutter contre le non-recours, à la veille de l’application de la contre-réforme de l’assurance chômage, qui va augmenter le nombre des bénéficiaires potentiels du RSA, dans un contexte de crise sociale aiguë. Le texte est donc d’actualité !

Certes, cette proposition ne traite pas du non-recours des personnes n’ayant effectué aucune démarche dans le cadre du périmètre des îlots, mais elle garantit, pour toutes celles qui ont accédé à l’une des prestations retenues, donc en ayant fait la demande, l’instruction systématique de l’éligibilité à un certain nombre d’autres droits existants.

Ce faisant, elle renoue avec le sens et la démarche propre au travail social, qui s’attache à l’étude de la situation globale de la personne, de ses besoins, de ses droits, au-delà de sa demande première, tributaire de sa connaissance de dispositifs éclatés.

La personne informée de son éligibilité à d’autres droits devra toujours en faire la demande, puisque n’est pas remis en cause le principe de quérabilité, pour des raisons de reste à charge et, surtout, de contreparties attachées aux prestations.

La proposition reste centrée sur la levée des principaux freins à l’accès aux droits existants, dans le cadre des règles d’octroi actuelles.

Il ne s’agit donc pas de refonder certains droits sociaux ou d’en modifier les conditionnalités, toujours plus fortes. À nos yeux, pourtant, c’est là que réside une autre partie de la solution, car le système actuel produit du non-recours et de l’exclusion sociale, du fait, notamment, des contreparties exigées.

Le texte entend plutôt s’attaquer à la perte en ligne du recours aux droits, en raison de la complexité des dispositifs aggravée par l’insuffisance des moyens humains d’accompagnement, de plus en plus consacrés à des fonctions de contrôle.

Il s’agit donc de passer du constat récurrent de l’ampleur et des conséquences graves du non-recours aux droits fondamentaux – du revenu de subsistance aux dispositifs santé –, malgré les progrès partiels permis par les rendez-vous des droits, dont le nombre est toutefois très limité, ou les sites internet, à une obligation de moyens cohérents et systématiques.

L’objectif est que les organismes assurent ensemble leur mission première de protection sociale, soit protéger des risques et réduire les inégalités de situation.

L’accès aux droits fondamentaux est de la responsabilité du politique, lequel doit se soumettre en la matière à une obligation de résultat. Cette proposition y contribue, en reprenant la logique d’un amendement votée par le Sénat lors du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021.

Écartons l’objection de l’impact financier d’un meilleur recours aux droits ouverts, sauf à considérer que, dès la conception d’un dispositif, on tablerait, sans la combattre, sur une part de non-recours.

Enfin, soulignons un autre facteur du non-recours dû au ciblage de la protection sociale vers des publics de plus en plus restreints, en raison de logiques d’économies budgétaires. Ce rétrécissement des publics allocataires fait perdre à la protection sociale sa portée universelle et augmente le non-recours par refus de la stigmatisation, d’autant plus que les règles de contrôle portent souvent atteinte à la dignité des personnes.

Quand l’État ne garantit pas l’accès aux droits de deuxième génération, y compris pour les plus vulnérables, alors que le discours sur l’assistanat sature l’espace public et les médias, quand recule la confiance en l’État social, la citoyenneté et l’attachement à notre République sociale sont mis à mal.

Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)