Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, sur l’article.

M. Daniel Chasseing. Alors que nous nous apprêtons à examiner cet article 62, je tiens à féliciter la commission, son président et ses rapporteurs, pour avoir modifié la rédaction issue de l’Assemblée nationale de trois articles très importants : le présent article 62, l’article 19, qui permet le stockage de l’eau par l’action humaine et donc les réserves collinaires, ainsi que l’article 30, par lequel le projet de loi initial supprimait progressivement l’avantage fiscal sur la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE).

La modification de cette dernière disposition par le Sénat me semble judicieuse car, en 2030, il n’existera peut-être encore que des moteurs thermiques pour les poids lourds, malheureusement, alors que la rentabilité des entreprises de transport est très faible et tient souvent à la récupération d’une partie de la TICPE. Ce dispositif est donc très important pour les petites entreprises.

Quant à l’article 62, qui nous occupe à présent, sa rédaction initiale préparait la mise en place d’une taxe sur les engrais azotés minéraux. Je félicite le rapporteur d’avoir fait adopter une rédaction plus juste : la redevance ne sera mise en place en France que si et seulement si une telle décision est prise au niveau européen.

Les agriculteurs subissent déjà une forte concurrence de la part de leurs homologues installés dans les autres pays européens, sur lesquels nombre de normes et de taxes que nous avons mises en place ne pèsent pas. Il serait donc injuste de les pénaliser derechef, alors même que l’ambition d’une réduction des émissions de peroxyde d’azote et d’ammoniac n’a de sens qu’à l’échelle européenne, au minimum.

À notre seul niveau, la réduction serait minime et la seule conséquence serait de pénaliser nos agriculteurs qui – il faut le souligner ! – font déjà beaucoup d’efforts pour limiter l’impact de leur activité sur l’environnement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet, sur l’article.

Mme Nadège Havet. En France, 80 % des émissions d’ammoniac proviennent de l’agriculture. Cette substance est principalement libérée dans les bâtiments d’élevage et de stockage de fumier ou de lisier, ainsi que dans les champs ou les prairies peu après l’épandage.

Dans le cadre de la directive européenne de 2016 concernant la réduction des émissions nationales de certains polluants atmosphériques, la France s’est engagée à réduire ses émissions, par rapport à 2005, de 8 % d’ici à 2025 et de 13 % d’ici à 2030.

Or, entre 2005 et 2016, ces émissions ont augmenté d’environ 6,7 % en raison du déplacement de la demande vers les engrais uréiques, dont le potentiel émissif en ammoniac est plus élevé que celui d’autres produits. C’est pourquoi un arrêté du 10 mai 2017 précisait qu’à partir de la campagne 2019-2020 l’autorisation de ce type d’engrais se ferait sous certaines conditions afin de limiter leur volatilisation.

L’arrêté, signé par la ministre de l’environnement d’alors, prévoyait aussi qu’une étude serait mise en place en vue d’une taxation ou de la modulation de la fiscalité des engrais azotés.

De fait, ce qui était proposé à l’article 62 issu de l’Assemblée nationale n’était autre qu’une traduction bien plus souple, concertée et échelonnée d’un dispositif conforme à nos engagements européens et, surtout, en phase avec l’urgence environnementale.

Certes, le plan « Éco’Azot » adopté en commission va dans le bon sens, mais il est nettement moins ambitieux que l’article voté par une majorité de députés, et en retrait au regard de nos engagements européens et de nos priorités pour le climat. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Jacquin, sur l’article.

M. Olivier Jacquin. Je tenais à intervenir à ce moment précis, monsieur le ministre. Edgard Pisani a été un très grand ministre de l’agriculture et il a eu, d’une certaine manière, la vie plus facile que vous aujourd’hui. L’objectif, alors, était simple : il fallait aboutir à l’autosuffisance alimentaire.

Il existe aujourd’hui – nous l’admettons tous – différentes agricultures pour différents marchés, différents modes de production répondant à différents besoins. Il ne s’agit pas d’opposer ces différents modes – tout le monde en est d’accord –, mais de les mettre chacun à sa place.

En ce sens, je salue l’amendement adopté hier sur l’initiative de Franck Montaugé, qui dit beaucoup de l’esprit de notre groupe et qui visait à valoriser les externalités positives.

Je me permets cependant, alors que nous abordons un nouveau chapitre, de faire référence à l’agriculture biologique, en fort développement.

Quand bien même le budget total de la nouvelle PAC va augmenter en valeur absolue, les subventions risquent fort de diminuer pour l’agriculteur bio et à l’hectare. En cas d’inversion de la tendance du marché, nous ne sommes pas à l’abri de nous retrouver dans la situation de l’agriculture bio autrichienne, qui vend ses produits quasiment au prix de l’agriculture conventionnelle. Cela occasionnerait des dégâts importants.

Déjà, en 2017, vous avez supprimé l’aide au maintien, profitant du cours extrêmement élevé de certains produits agricoles bio. Je m’interroge : le consommateur qui achète des produits bio paie deux fois. Il paie très cher des produits alimentaires – mais il y a des raisons objectives à cela : les coûts de production sont bien souvent plus élevés – et, par ses impôts,…

Mme Sophie Primas. Quand il en paie !

M. Olivier Jacquin. … il paie les externalités négatives de certains autres types d’agriculture dont il ne consomme pas les produits.

J’en appelle à plus de cohérence, à l’application du principe pollueur-payeur et à la prise en compte de toutes les externalités dans l’accompagnement des différentes agricultures.

Mme la présidente. La parole est à Mme Angèle Préville, sur l’article.

Mme Angèle Préville. Je souhaite pointer du doigt une dérive concernant les engrais azotés, qui sont de plus en plus utilisés.

Les émissions de protoxyde d’azote, notamment, sont à 87 % dues à l’agriculture, contre 59 % en 1990. La France est le premier consommateur d’engrais azotés dans l’Union européenne et le quatrième au niveau mondial.

Or ces engrais chimiques sont fabriqués dans des usines polluantes émettrices d’ammoniac. Quand celles-ci se trouvent en France – tel n’est pas le cas pour tous les engrais que nous consommons –, elles ne sont pas réglementées, parce que la présence d’ammoniac dans l’air ne l’est pas. La plupart de ces usines ne sont pas classées Seveso.

Quand ces engrais sont importés, par définition, ils nous placent dans une situation de forte dépendance économique aux importations ; le prix est fluctuant et l’empreinte carbone importante – vous vous en doutez – en raison du transport. Cela pose donc un problème de sécurité alimentaire.

Complétons le panorama : on constate que certaines plantes sont désormais suralimentées en azote et donc rendues plus sensibles aux ravageurs. Quand l’azote n’est pas absorbé par les plantes, il va dans les nappes phréatiques ou dans les cours d’eau et libère des nitrates, qui se retrouvent dans les aliments et favorisent la formation d’algues vertes, comme on le voit sur les côtes bretonnes. Je vous rappelle que la concentration en nitrates est limitée réglementairement à 50 milligrammes par litre pour les eaux superficielles.

Les émissions de protoxyde d’azote se combinent et produisent des particules fines. L’agriculture est responsable de 55 % des émissions de particules fines, qui provoquent – vous le savez – des milliers de morts chaque année. L’effet de serre du protoxyde d’azote est de surcroît 300 fois plus important que celui du dioxyde de carbone.

Quant aux émissions d’ammoniac, dont 94 % proviennent de l’agriculture, l’apport d’engrais représentant 29 % des émissions du secteur, elles provoquent, quant à elles, des pics de pollution.

Le panorama resterait incomplet si je n’ajoutais pas que les rendements, qui ont augmenté grâce au recours à ces engrais azotés, se mettent désormais à plafonner, voire à baisser, alors même que les apports, eux, ne connaissent aucun reflux et que les sols ainsi traités subissent des risques d’érosion, de ruissellement et d’inondation.

Mme la présidente. Ma chère collègue, il faut conclure cet inventaire à la Prévert…

La parole est à M. Laurent Duplomb, sur l’article.

M. Laurent Duplomb. On assiste aujourd’hui à la litanie de toutes les critiques ! Il est temps de redonner un peu de sens à tout cela ; je vais m’y risquer, en essayant de le faire avec objectivité. (M. Jean-Claude Tissot ironise.)

Parlons de l’azote en connaissance de cause : quand je me suis installé comme agriculteur, voilà vingt-cinq ans, l’azote coûtait un franc le kilo. Aujourd’hui, il est à 350 euros la tonne, soit deux fois et demie plus cher. Prétendre que les agriculteurs utilisent beaucoup plus d’azote aujourd’hui et le font n’importe comment, c’est encore une fois faire une critique sans aucun fondement objectif.

Depuis vingt-cinq ans, d’énormes progrès ont été accomplis en matière d’utilisation de l’azote, précisément pour éviter tout ce que vous venez de décrire – le lessivage des sols, en particulier – et l’appliquer au plus près de la plante. On fait aujourd’hui des analyses de reliquats en sortie d’hiver, ce qui signifie qu’on recherche les réserves d’azote qui demeurent dans le sol afin de positionner l’épandage au plus près des besoins de la plante.

Par ailleurs, les émissions se produisent lorsque l’épandage d’azote se fait en contact avec l’atmosphère – c’est vrai surtout pour l’urée. Que fait-on pour y remédier ? On bine en même temps que l’on applique le produit : un appareil pioche la terre et la graine y est incorporée ou est déposée sur le sol ; ainsi évite-t-on au maximum la propulsion dans l’air, donc les émissions.

Toutes les émissions d’azote issues d’autres activités que l’élevage ont, en outre, donné lieu depuis vingt-cinq ans à des subventions et à des investissements colossaux de la part des agriculteurs dans le cadre des programmes de maîtrise des pollutions d’origine agricole (PMPOA) et, en l’espèce, de gestion des effluents d’élevage. Toutes les exploitations de France, ou presque, se sont mises aux normes. Les exceptions concernent certaines petites exploitations que je ne qualifierai pas, car ce serait encore une fois les stigmatiser. Mais, de manière générale, les règles concernant le stockage de ces effluents ont été suivies partout. Je ne comprends donc pas ce débat sur l’azote.

Enfin, je m’étonne, monsieur le ministre, que vous tentiez d’imposer votre texte au Sénat, alors que nous défendons la bonne position : on ne peut pas accepter une taxe franco-française, qui nous garantirait une perte encore accrue de compétitivité. Il faut, au contraire, pousser cette idée au niveau européen afin que tout le monde soit soumis à la même règle et que la France évite de se tirer une balle dans le pied en se pénalisant toute seule.

Telle est la proposition du Sénat. (Mme Sophie Primas et M. René-Paul Savary applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure pour avis.

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques. Puisque mes collègues ont largement développé le fond, je vais revenir sur la forme.

Avec mes collègues rapporteurs Pascal Martin et Christine Lavarde, nous avons croisé les analyses de nos trois commissions et nous sommes parvenus à une conclusion : la méthode proposée pour la réduction des engrais azotés n’est pas optimale.

Si, dans deux ans, la trajectoire des émissions n’était pas tenue, dit en substance le Gouvernement aux agriculteurs, il envisagerait de mettre en place une redevance sur les engrais azotés.

Juridiquement – vous nous l’avez dit –, les effets normatifs induits sont limités ; politiquement, en revanche, le message est négatif : il s’agit d’un ultimatum qui traduit une nouvelle fois une méthode punitive plutôt qu’une méthode d’avenir, incitative et responsabilisante.

Au Sénat, nous œuvrons pour une écologie positive, partagée et fondée sur l’adhésion ; ainsi seulement pourrons-nous atteindre dans la durée les objectifs fixés.

Rappelons que les agriculteurs n’utilisent pas des engrais par plaisir : c’est un poste de charges important, et du travail supplémentaire. Ils sont les premiers à vouloir en réduire l’utilisation.

Privilégiant l’innovation sur l’injonction, l’engagement collectif sur la stigmatisation, nos commissions vous proposent, monsieur le ministre, la mise en place d’un plan d’accompagnement qui permettra d’atteindre les objectifs que vous avez établis en valorisant des solutions techniques qui existent, comme l’enfouissement ou la modification de certaines pratiques culturales.

Tout cela nécessite du conseil, de l’accompagnement et de la recherche ; les agriculteurs n’atteindront pas seuls les objectifs fixés ou, s’ils y arrivent, ce sera au prix de leur compétitivité. Une nouvelle taxe franco-française favoriserait forcément un afflux d’importations ; il faut absolument l’éviter.

Monsieur le ministre, plutôt qu’une nouvelle taxe, que dites-vous d’un plan Éco’Azot partenarial prévoyant des solutions opérationnelles et efficaces pour atteindre nos objectifs climatiques ?

N’envisageons la taxe qu’au niveau européen, afin de ne pas accabler encore les agriculteurs français. Cette position – vous le savez – est juste, pratique, opérationnelle ; elle permettra à la France de tenir ses engagements.

Les agriculteurs comptent sur le réalisme dont vous avez su faire montre par le passé ; ce réalisme saura faire prévaloir une option plus opérationnelle, et donc plus efficace. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre. En intervenant maintenant, je considère que j’aurai défendu l’amendement du Gouvernement.

Sur ce sujet, il nous faut un débat apaisé. Nous devons tous avoir en tête que l’azote est la nourriture de la plante. Si l’on en met dans un champ, c’est parce qu’à défaut la plante n’aurait tout simplement pas de quoi se développer. Un agriculteur cherche à obtenir un résultat très précis : donner à la plante la bonne quantité d’azote – rares sont les plantes obèses, en effet. (Sourires.)

L’objectif n’est donc jamais d’en mettre trop : il est et a toujours été d’en mettre exactement la bonne quantité. À entendre les premières interventions sur l’article, on peut avoir le sentiment que l’azote est assimilé à d’autres produits et que son épandage ne serait dicté que par une recherche de la compétitivité à tout prix.

Tel n’est pas du tout le cas ! Si vous ne mettez pas d’azote, organique ou chimique, dans votre champ, la plante ne poussera pas. C’est ainsi qu’il arrive à certains amateurs, en connaissance de cause, de mettre des engrais dans leurs jardinières.

Ce dont il est question, deuxièmement, ce sont les engagements pris par la France, comme par tous les États membres, à l’échelle européenne. Dans cette affaire, nulle surtransposition au regard des objectifs que nous voulons atteindre n’est en cause : il s’agit bien des objectifs européens.

Le Gouvernement et le Sénat divergent sur les moyens à mettre en œuvre pour atteindre ces objectifs européens, mais je suis en tout cas particulièrement attentif à éviter toute forme de surtransposition. Les objectifs de réduction des émissions d’ammoniac ou de protoxyde d’azote sont des engagements européens auxquels tous les pays européens sont soumis.

J’en viens au troisième élément que je souhaite évoquer : l’amendement du Gouvernement visant à rétablir la disposition votée par l’Assemblée nationale n’a pas pour objet – j’y insiste – de mettre en place une redevance azote.

La rédaction proposée se borne à préciser que la mise en place d’une telle redevance ne pourra être « envisagée » que si, pendant deux années consécutives, on aura constaté que la trajectoire de baisse des émissions n’a pas été respectée et si aucune disposition n’a été prise à l’échelon européen. Dans ce cas, et dans ce cas seulement, le Parlement pourra mettre en place une telle redevance.

Autrement dit, la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale, avant modification par la commission du Sénat, ne dit pas du tout que le Gouvernement a la possibilité de créer une redevance ni qu’il le fera effectivement. Elle indique seulement que, si la trajectoire de baisse n’est pas respectée pendant deux années consécutives, le Parlement pourra se poser la question de mettre en place une telle redevance et, le cas échéant, voter cette disposition. En aucune manière – je le répète – le texte ne prévoit donc la mise en place d’une redevance. (Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour avis, le conteste.)

Enfin, monsieur Jacquin, je souhaite vous répondre, car vous avez tenu des propos que je ne peux pas laisser passer. Vous avez dans la même phrase opposé le bio et le principe pollueur-payeur. Sous-entendu : d’un côté les producteurs bio, de l’autre côté les pollueurs. Arrêtons un peu !

Je crois profondément à la pertinence du bio. Mais que direz-vous à un éleveur de brebis du Quercy, dont l’élevage n’est certes pas bio, mais dont les troupeaux – je le dis au passage – sont les meilleurs amis des pompiers ? Que direz-vous à l’agriculteur qui pratique l’agriculture de conservation, dont les sols captent du CO2, mais qui est obligé de recourir à un désherbant pour ne pas retourner le sol ? Leur direz-vous qu’ils sont des pollueurs ?

M. Julien Denormandie, ministre. Les bras m’en tombent…

Opposer les agricultures de la sorte – d’un côté, c’est blanc ; de l’autre, c’est noir –, c’est être complètement déconnecté de la réalité, et c’est se priver d’immenses opportunités. Comment comptez-vous capter le CO2 dans le sol si vous renoncez à l’agriculture de conservation ? Comment convaincrez-vous les agriculteurs de planter des haies pour faire du biocontrôle si vous leur répétez que leur action est insuffisante parce qu’elle ne colle pas en tout point à l’alpha et à l’oméga de la doctrine à laquelle vous croyez ? Vous n’y arriverez jamais !

Si nous voulons que notre pays recouvre l’autonomie protéique et arrête d’importer la déforestation sud-américaine, dont l’impact environnemental est encore bien supérieur à celui des activités que vous déplorez, il faut convaincre nos producteurs de grandes cultures de se tourner vers les protéines.

Et vous iriez dire à un producteur de protéines végétales ou à un agriculteur qui plante des haies qu’ils sont des pollueurs au motif qu’ils ne sont pas bio ?

M. Guillaume Gontard. N’importe quoi…

M. Julien Denormandie, ministre. Mes amis, on marche sur la tête !

M. Olivier Jacquin. Vous caricaturez !

M. Julien Denormandie, ministre. Non, je ne caricature pas ; c’est strictement ce que vous avez dit. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)

Je vous le dis très sereinement : je suis un fervent défenseur du bio, mais je suis aussi un fervent défenseur de l’agriculteur qui plante des haies, cultive des protéines ou se lance dans l’agriculture de conservation – même s’il utilise un désherbant, il capte du CO2 et, à ce titre, son apport environnemental est absolument considérable.

Arrêtez de les opposer ! (Mêmes mouvements.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Primas, sur l’article.

Mme Sophie Primas. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour ce plaidoyer en faveur de la diversité de nos agricultures. Nous avons l’habitude de plaider cette cause, sans opposer les uns aux autres.

Je ferai trois remarques sur votre intervention, monsieur le ministre.

Tout d’abord, commentant la rédaction proposée par le Gouvernement, vous nous indiquez que la taxe pourra être mise en place par le Parlement au cas où les agriculteurs ne tiendraient pas leurs engagements pendant deux années consécutives.

Une telle disposition n’a rien de normatif, puisque sa mise en œuvre suppose qu’une nouvelle loi soit votée. Pardonnez-moi, mais c’est du bavardage…

M. Laurent Duplomb. Exactement !

Mme Sophie Primas. En revanche, la solution que nous vous proposons – la mise en place d’un plan Éco’Azot concourant à la réduction des émissions par la formation et par l’investissement – est bel et bien normative. Elle me semble préférable : pour le coup, nous sommes, non pas dans le bavardage, mais dans l’action.

Ensuite, la disposition que vous proposez – le Parlement pourra, le cas échéant, mettre en place cette taxe si la trajectoire n’est pas tenue pendant deux années consécutives – s’appliquera y compris aux bons élèves qui réussiront à diminuer leur utilisation d’azote de manière draconienne. Autrement dit, les bons et les mauvais élèves seront indistinctement punis par la taxation. Or, contrairement à vous, nous ne sommes pas des adeptes de la punition collective.

Toute l’Europe, enfin, s’est engagée dans la lutte pour la diminution du recours aux engrais azotés et pour une meilleure utilisation de ces derniers. Si notre contribution à cet effort n’est en rien une surtransposition, il est clair et net que la taxe en est une.

Pour l’ensemble des raisons que je viens d’exposer, nous sommes donc défavorables à la rédaction proposée par le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 1321 rectifié, présenté par MM. Tissot et Bourgi, Mme Préville, MM. Antiste, Pla et Vaugrenard, Mmes G. Jourda et Bonnefoy, M. Michau, Mme de La Gontrie, M. Jomier, Mme Rossignol, M. Féraud et Mmes Meunier et Briquet, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Le paragraphe 4 de la sous-section 3 de la section 3 du chapitre III du titre Ier du livre II du code de l’environnement est complété par un article L. 213-10-8–… ainsi rédigé :

« Art. L. 213-10-8-…. – I. – Les personnes qui acquièrent des engrais minéraux azotés au sens du 1° de l’article L. 255-1 du code rural et de la pêche maritime sont assujetties à une redevance pour pollutions diffuses.

« II. – L’assiette de la redevance est la quantité d’azote contenue dans les produits mentionnés au I.

« III. – Le taux de la redevance est fixé à 0,27 euro par kilogramme d’azote.

« IV. – Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article. »

La parole est à M. Jean-Claude Tissot.

M. Jean-Claude Tissot. Avant de défendre cet amendement, je souhaite répondre à M. le ministre, ainsi qu’à nos collègues de droite. Ce n’est pas parce que nos visions de l’agriculture diffèrent que nous devons nous déchirer et nous stigmatiser les uns les autres.

Ces deux visions sont respectables ; il nous appartient d’en débattre calmement et sereinement. S’il est normal que la majorité s’exprime, permettez-nous, à tout le moins, de dire ce que nous avons à dire au sujet de l’agriculture.

Alors que la Convention citoyenne pour le climat a pointé le poids important des engrais de synthèse dans les émissions de gaz à effet de serre, alors que l’étude d’impact du présent projet de loi reconnaît la taxation des engrais azotés comme une des mesures les plus nécessaires et les plus structurantes en la matière, le texte que nous examinons aujourd’hui est loin d’être à la hauteur des enjeux.

En effet, malgré les recommandations de plusieurs institutions telles que l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ou, à l’échelon français, le Conseil économique, social et environnemental (CESE), il n’existe pas de taxe spécifique sur l’utilisation d’engrais azotés de synthèse.

Nous sommes pourtant le premier pays consommateur d’engrais de synthèse, dont notre collègue Angèle Préville a brillamment démontré l’impact environnemental majeur : émissions de protoxyde d’azote, dégradation de la qualité de l’air, pollution aux nitrates de l’eau, tristement connue sous le nom de pollution aux algues vertes – ce n’est pas un jugement, mais un simple constat –, sans parler des risques et des accidents industriels, dont la fréquence et la dangerosité ont été rappelées dans un récent rapport commandé par votre gouvernement, monsieur le ministre, sur la gestion des risques liés à la présence d’ammonitrates dans les ports maritimes et fluviaux – c’est, là encore, un simple constat.

Dans ce contexte, nous ne nous laissons pas influencer par votre amendement n° 2177, monsieur le ministre, par lequel vous essayez de recentrer le débat sur les émissions d’ammoniac, qui sont – vous le savez – principalement dues à l’élevage – je suis moi-même éleveur – et non aux engrais.

Ainsi le présent amendement tend-il à créer une redevance sur l’azote de synthèse. Je tiens à indiquer clairement, dès la présentation de cet amendement, qu’il ne s’agit pas d’une mesure visant à pénaliser les agriculteurs, mais plutôt d’une incitation à la transition agroécologique.

En effet, les recettes d’une telle redevance devront être entièrement réaffectées aux agriculteurs et agricultrices afin d’accompagner financièrement le développement des substituts aux engrais azotés de synthèse – vous aussi souhaitez un tel développement, monsieur le ministre –, telles que les cultures de légumineuses diversifiées ou la déspécialisation des zones agricoles par le redéploiement des systèmes d’élevage herbagers.

Cette ressource financière pourra en outre faire office de compensation au titre des dépenses importantes engagées par les collectivités dans le traitement des eaux polluées par les engrais azotés – ne disposant que d’un chiffre européen, et non d’un chiffre français, je ne me risquerai pas à donner une estimation du coût de ce traitement.

Les répercussions de l’usage des engrais azotés sur notre environnement, sur notre biodiversité, sur la santé de nos agriculteurs exigent une réponse forte telle que l’instauration de la présente redevance incitative.

La réduction de l’utilisation des engrais azotés s’inscrit pleinement dans la transformation de notre agriculture vers un modèle raisonné et vertueux.

Mme la présidente. L’amendement n° 2035 rectifié bis, présenté par Mme Rossignol, M. Bourgi, Mme M. Filleul, MM. Pla et Tissot, Mme Jasmin, M. Féraud, Mme Van Heghe, M. Marie, Mmes Le Houerou, Poumirol et Meunier, M. Kerrouche, Mme Bonnefoy et M. Cozic, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Le paragraphe 4 de la sous-section 3 de la section 3 du chapitre III du titre Ier du livre II du code de l’environnement est complété par un article L. 213-10-8-… ainsi rédigé :

« Art. L. 213-10-8-…. – I. – Les personnes, à l’exception de celles qui exercent une activité professionnelle relevant du 1° du II de l’article L. 254-1 ou du II de l’article L. 254-6 du code rural et de la pêche maritime, qui acquièrent une matière fertilisante mentionnée au sens du 1° de l’article L. 255-1 du code rural et de la pêche maritime contenant de l’azote sous forme minérale de synthèse sont assujetties à une redevance pour pollutions diffuses.

« II. – L’assiette de la redevance est la masse d’azote sous forme minérale de synthèse contenue dans les produits mentionnés au I.

« III. – Le taux de la redevance est fixé à 27 centimes d’euros par kilogramme d’azote.

« IV. – La redevance sur une matière fertilisante contenant de l’azote sous forme minérale de synthèse mentionnée au 1° de l’article L. 255-1 du code rural et de la pêche maritime est exigible à compter du 1er janvier 2022.

« V. – Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article. »

La parole est à Mme Martine Filleul.