Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. La commission s’en remettra a priori à la sagesse du Sénat sur cet amendement. L’essentiel est en effet que l’avant-projet de loi soit transmis en même temps que le projet de loi. Ce qui nous importe est que nous puissions avoir l’information en direct, le plus rapidement possible. Or c’est ce que prévoit, si j’ai bien compris, le texte adopté par l’Assemblée nationale.

Si vous nous garantissez, monsieur le secrétaire d’État, que le nouveau système de saisine mis en place par les députés ne dégradera pas le calendrier à l’avenir, nous émettrons un avis de sagesse positive.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat. Je vous confirme que le calendrier budgétaire ne sera pas dégradé, bien au contraire : nous économiserons même plusieurs jours et il sera possible d’étudier le texte plus sereinement qu’aujourd’hui. Le dispositif prévu par la commission pourrait, quant à lui, avoir des effets contraires à l’objectif partagé par nous tous.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 1.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 2, présenté par M. Vanlerenberghe, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 7

Insérer deux alinéas ainsi rédigés :

…° Au III de l’article L. 162-12-22, à la première phrase de l’avant-dernier alinéa de l’article L. 162-16-1 et au premier alinéa de l’article L. 225-1-4, la référence : « I » est remplacée par la référence : « II » ;

…° À la première phrase du II de l’article L. 162-14-1-1, la première occurrence de la référence : « I » est remplacée par la référence : « II ».

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat. Favorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 2.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.

(Larticle 1er est adopté.)

Article 2

(Non modifié)

L’article 1er entre en vigueur le 1er septembre 2022. – (Adopté.)

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi relative aux lois de financement de la sécurité sociale.

(La proposition de loi est adoptée.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures vingt, est reprise à dix-sept heures vingt-cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

4

Confiance dans l’institution judiciaire

Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi et d’un projet de loi organique dans les textes de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi et du projet de loi organique, adoptés par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour la confiance dans l’institution judiciaire (projets nos 630 et 631, textes de la commission nos 835 et 836, rapport n° 834).

Il a été décidé que ces deux textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.

Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le garde des sceaux.

 
 
 

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, le constat qui m’amène ici est simple et je ne doute pas que vous le partagerez : notre justice fait l’objet d’une défiance grandissante dont les causes sont en réalité multiples. Le projet de loi que je vous présente aujourd’hui vise précisément à inverser cette tendance qui altère notre démocratie et notre pacte social.

Ce texte est d’abord le fruit de mon expérience d’avocat, qui m’a permis d’observer ce que notre justice faisait de meilleur, mais également de pire. Il est également le fruit du travail des commissions que j’ai installées dès mon arrivée à la chancellerie, mais également des commissions des lois des deux assemblées qui, monsieur le président Buffet, travaillent depuis de nombreuses années sur ces questions éminemment complexes.

Les causes de la défiance – nous les connaissons – sont nombreuses : la justice est considérée à tort comme un monde à part, éloigné de la vie réelle de nos concitoyens. Mais, à raison, les Français ne la comprennent plus, ne comprennent plus son langage, la trouvent tantôt trop sévère, tantôt trop laxiste et trop lente.

Dans les jours qui viennent, nos débats devront répondre à certaines des attentes légitimes de nos concitoyens pour rendre la justice plus transparente, plus proche d’eux et plus protectrice de leurs droits en tant que justiciables.

Je mentionnerai, un bref instant, pour la mémoire de tous, l’effort sans précédent en termes de moyens qui est engagé depuis 2017, et plus particulièrement depuis 2020. En cinq ans, le budget de la justice aura augmenté de près de 33 %. Certes, nous partions de loin – un ancien garde des sceaux avait même évoqué la « clochardisation » de la justice –, mais qui pourrait nier l’implacable détermination du Président de la République, du Premier ministre et de ce gouvernement pour faire ce qui n’avait jamais été fait auparavant, à savoir donner à la justice de notre pays les moyens qu’elle mérite ?

Parce que la défiance prospère souvent sur la méconnaissance, j’ai l’ambition de faire en sorte que tous nos concitoyens puissent mieux comprendre la justice du quotidien, celle qui est rendue dans les cours et les tribunaux de France en leur nom.

Si les médias peuvent rendre compte des procès, ils ne peuvent pas filmer les audiences du quotidien. C’est tout l’objet de l’article 1er de ce projet de loi, qui apporte un changement d’importance.

Je vous le dis d’emblée, je ne souhaite pas faire de la justice spectacle. C’est même tout le contraire : je veux que ces audiences filmées aient une vocation pédagogique, que notre justice soit enfin expliquée pour être mieux comprise.

Le texte prévoit toutes les garanties pour assurer que la présence des caméras dans les prétoires ne porte pas atteinte aux droits des parties, tant lors de l’enregistrement que lors de la diffusion. Sans être exhaustif, je pense par exemple à l’autorisation d’enregistrement qui sera donnée par une autorité juridictionnelle et dans un motif d’intérêt public.

D’autres garanties figurent encore dans la loi pour assurer la sérénité des débats, la présomption d’innocence, la sécurité des personnes, le droit à l’oubli, le respect de la vie privée, ou encore l’intérêt supérieur des mineurs ou des majeurs protégés. De même, la diffusion de l’audience ne pourra se faire qu’après une décision définitive.

J’estime par ailleurs, depuis mes années d’avocature, que le lien de confiance qui est à reconstruire entre la justice et nos concitoyens repose aussi sur une meilleure connaissance mutuelle des professions du droit. C’est pourquoi j’ai souhaité expérimenter la participation d’un avocat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles en tant qu’assesseur au sein des cours d’assises et des cours criminelles départementales. Aussi, je regrette que votre commission des lois ait supprimé ces dispositions novatrices.

Dans le même esprit, j’ai souhaité que des magistrats président les commissions disciplinaires des avocats.

Il est pour moi évident que la restauration de la confiance ne peut s’envisager sans le renforcement des droits auxquels les justiciables peuvent prétendre.

À cette fin, j’ai souhaité que la durée des enquêtes préliminaires soit mieux encadrée et, donc, limitée dans le temps : les enquêtes de droit commun seront limitées à deux ans, avec la possibilité de les prolonger d’une année supplémentaire.

Cette disposition restaure pleinement le rôle du ministère public en lui permettant non seulement de diriger les investigations, mais également de contrôler le rythme des enquêtes et, donc, de les traiter plus rapidement.

Le texte prévoit également un délai d’enquête dérogatoire porté à cinq années, et initialement réservé à la criminalité organisée et au terrorisme. Il me semble nécessaire de le circonscrire aux infractions les plus complexes au risque de faire de l’exception la règle et, donc, une réforme pour rien !

Je suis donc défavorable à l’extension des dérogations voulue par votre commission, car elle viderait littéralement de leurs effets ces nouvelles dispositions.

Toutefois, comme je l’avais déjà indiqué devant votre commission, et conformément à l’analyse du procureur national financier, je suis favorable, en matière économique et financière, à l’introduction d’une dérogation au régime d’enquête de droit commun, en la réservant aux seuls faits de corruption d’agents publics étrangers.

Je me félicite enfin que la commission ait préservé les mesures novatrices qui permettront l’accès à la procédure à la personne mise en cause par un acte d’enquête ou par les médias.

J’en viens maintenant à évoquer l’une des garanties les plus absolues du droit des justiciables, celle de la confidentialité de leurs échanges avec leur avocat. Je défends avec vigueur, dans ce projet de loi, le renforcement du secret professionnel des avocats, qui a trop longtemps été foulé aux pieds.

Ce texte prévoit donc d’encadrer plus strictement les actes d’enquête comme les perquisitions, les écoutes téléphoniques ou l’exploitation des factures détaillées susceptibles de porter atteinte à cette confidentialité.

J’ai entendu, comme vous, les craintes concernant l’efficacité des enquêtes, qui se trouverait soudainement mise à mal par le renforcement du secret professionnel des avocats. Dissipons ici les fausses querelles et les mauvaises caricatures !

Il est vrai qu’une enquête est toujours plus facile à conduire sans garanties pour les justiciables ou leurs avocats, mais nous sommes dans un État de droit où les pouvoirs de coercition et de perquisition ouverts aux uns doivent être contrebalancés par les droits consentis aux autres.

J’ajoute d’ailleurs que le problème n’est pas forcément bien posé : l’efficacité d’une enquête réside d’abord – nous y travaillons avec le ministre de l’intérieur – dans le nombre et la formation des enquêteurs spécialisés, notamment dans le domaine complexe de la délinquance économique et financière.

Certains arguments que nous avons pu entendre à l’encontre du renforcement du secret professionnel témoignent d’une méfiance déplacée à l’encontre des avocats, alors qu’il s’agit – mais ai-je besoin d’en convaincre le Sénat ? – d’une profession fondamentale pour l’exercice des libertés et des droits démocratiques, et non d’un adjuvant de la délinquance. Si certains avocats commettent des infractions, la protection du secret professionnel ne trouve pas à s’appliquer.

Enfin, il est faux, voire fantaisiste, de prétendre qu’il suffirait de mettre un avocat en copie de messages électroniques et de documents internes à une société pour les soustraire de ce seul fait aux perquisitions des enquêteurs. Ce n’est ni l’objet ni l’effet induit par le texte adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale ! En cohérence, le Gouvernement émettra donc un avis de sagesse sur les amendements visant à rétablir cette disposition pour permettre, dans le cadre de la navette parlementaire, de trouver le meilleur des compromis.

Parce qu’une justice qui inspire confiance est aussi une justice rapide, qui ne correctionnalise pas les affaires de viol, je crois qu’il est absolument indispensable de maintenir dans le texte la généralisation des cours criminelles départementales.

Je connais bien sûr les réticences initiales du Sénat sur ce point…

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. … et je les ai partagées. Je vous remercie, madame la sénatrice, de me rappeler ce que j’allais dire et d’anticiper mes propos…

Cependant, cette expérimentation a fait l’objet d’une évaluation dans le cadre d’au moins deux rapports différents, dont l’un est un rapport parlementaire transpartisan, qui aboutissent tous à la même conclusion : les cours criminelles départementales doivent être généralisées.

Enfin, les débats à venir vont nous permettre de travailler ensemble au remplacement du rappel à la loi. Cette alternative aux poursuites était devenue incompréhensible pour nos concitoyens, ainsi que pour les forces de l’ordre qui la mettaient en œuvre. Pis, elle portait gravement atteinte à l’autorité de l’État.

C’est pourquoi je vous proposerai la création d’un « avertissement pénal probatoire », élaboré en concertation avec les magistrats de terrain, la conférence nationale des procureurs de la République, afin d’apporter une réponse pénale plus lisible et plus efficace.

Pour faire simple, lorsqu’un justiciable se verra remettre cet avertissement pénal probatoire, on lui rappellera ses obligations légales sans le poursuivre. En revanche, si dans l’année qui suit, il commet une nouvelle infraction, on ressortira son dossier et on le poursuivra au titre de la nouvelle infraction – cela va de soi –, mais aussi de l’ancienne.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Comme aujourd’hui !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Afin d’éviter les écueils précédents, cette mesure ne pourra être prononcée que si la personne a reconnu sa culpabilité et n’a pas déjà été condamnée. Elle ne pourra pas non plus s’appliquer aux cas de violences et de délits commis contre une personne dépositaire de l’autorité publique ou investie d’un mandat électif public. Enfin, la solennité de cette nouvelle réponse pénale sera renforcée, car seul un procureur ou son délégué pourra la prononcer.

Je précise que, afin de préparer le transfert de charges entre services enquêteurs et autorités judiciaires, cette nouvelle disposition n’entrera en vigueur que progressivement.

Avoir confiance en la justice, c’est aussi comprendre le sens de la peine et surtout la manière dont elle est exécutée.

Pour cela, il est devenu indispensable de refondre entièrement le dispositif des réductions de peine, pour le rendre d’abord plus compréhensible, mais surtout plus juste.

Il convenait d’abord d’en abroger le caractère automatique. Je souhaite que, désormais, les réductions de peine soient graduées au mérite et que la personne détenue sache enfin clairement ce qui est attendu d’elle en termes de conduite et d’efforts de réinsertion. En effet, c’est bien sur ces deux aspects que l’autorité judiciaire se prononcera pour envisager ces réductions, notamment à partir de l’avis des personnels pénitentiaires.

Mais mieux prévenir de nouveaux passages à l’acte passe également par la réduction des sorties « sèches ». C’est dans cette optique que sera créée une libération sous contrainte, avec un accompagnement à trois mois de la fin de la peine. Il ne s’agit évidemment pas d’une mesure de faveur, mais bien du prolongement de l’exécution de la peine prononcée, sous d’autres modalités, afin de favoriser, dans l’intérêt de la société, la réinsertion du condamné.

C’est dans cette même logique de renforcement de la réinsertion que je soutiens la création d’un contrat de travail pour le détenu. En se rapprochant du droit commun, ce contrat permettra de mieux préparer les personnes détenues, souvent dépourvues de toute expérience professionnelle, à retrouver une place dans la société. Il permettra également de revaloriser l’image du travail pénitentiaire à l’extérieur et d’attirer les entreprises qui veulent s’inscrire dans une démarche de responsabilité sociétale.

Je précise, parce que je connais vos inquiétudes, madame, monsieur les rapporteurs, que je peux d’ores et déjà prendre l’engagement devant vous que les coûts liés à ces nouveaux droits seront pris en charge par l’État et qu’ils ne seront pas supportés par les entreprises qui feront le choix louable d’intervenir en prison.

Enfin, le lien de confiance que nous souhaitons retisser entre nos concitoyens et leur justice ne peut être conçu sans une discipline renforcée et rénovée des professions du droit, et sans replacer l’usager au centre du dispositif. Ce dernier sera désormais assuré que chacune de ses réclamations sera traitée avec célérité et impartialité.

Je me félicite que cette réforme importante et largement consensuelle ait pu se construire avec les professions, mais aussi que votre commission l’ait sensiblement enrichie.

Toujours pour répondre aux attentes des usagers, le texte comporte des dispositions modernisant les conditions de fonctionnement de la justice. En particulier, il prévoit toute une série de mesures pour encourager le recours aux modes amiables de règlement des différends, qui permettent aux parties, quand cela est possible, de trouver rapidement un accord sans l’intervention du juge.

Dans ce même esprit favorisant le développement et l’amélioration de la médiation, votre commission a rendu possible le versement direct au médiateur de la provision fixée par le juge pour la médiation. Je ne peux que m’en réjouir.

Afin de satisfaire les besoins concrets exprimés par les justiciables, je vous proposerai également de faciliter le recours à la visioconférence, à la demande des parties, pour tenir des audiences en matière civile et commerciale.

Comme je m’y étais solennellement engagé devant l’Assemblée nationale, je vous proposerai d’enrichir ce texte d’un nouvel article visant à créer un conseil de l’accès au droit sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie, où l’absence d’une telle structure n’est plus tolérable. Il s’agit, dans la droite ligne de la justice de proximité que je défends, de permettre le développement du réseau d’accès au droit avec l’appui des juridictions, professions du droit, provinces, maires, autorités coutumières et monde associatif.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi que je vous présente aujourd’hui permettra, j’en suis convaincu, de changer le regard de nos compatriotes sur l’institution judiciaire.

Bien sûr, un projet de loi ne résoudra jamais à lui tout seul, d’un seul coup, le problème de la défiance des Français envers leur justice, mais ses dispositions portent toutes en elles de quoi susciter un choc de confiance qu’il nous appartiendra de prolonger lors des États généraux qui s’ouvriront prochainement. Sans tabou ni censure, nous continuerons à y travailler avec passion. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP. – M. le rapporteur applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, ce projet de loi, sixième réforme de la justice depuis le début du quinquennat, annonce clairement son ambition : redonner confiance dans la justice.

Ambition d’autant plus forte que plus d’un Français sur deux – très exactement 53 % – ne croit pas en la capacité de la justice à répondre à ses attentes : une justice de qualité, simple dans son fonctionnement, rapide dans ses décisions et effective dans l’exécution de ses jugements.

Cette inquiétude, le Sénat la partage ! C’est pourquoi nous avons formulé de nombreuses propositions pour le redressement de la justice, clé de la confiance de nos concitoyens dans l’institution judiciaire.

Cette ambition, nous continuons à l’alimenter par nos propositions issues de l’Agora de la justice, qui s’est tenue hier et qui a permis des échanges éclairants.

C’est dans ce même état d’esprit que mon collègue rapporteur Philippe Bonnecarrère et moi-même avons mené nos travaux sur ce texte qui affiche une ambition volontaire, mais qui est malheureusement avant tout un catalogue de mesures souvent très techniques et de portée inégale.

En effet, monsieur le garde des sceaux, la confiance ne se décrète pas : elle s’acquiert !

Et pour ce faire, il convient d’en assurer les conditions, grâce à un travail parlementaire serein et non par une rafale de textes et d’annonces présidentielles qui brouillent le travail législatif.

Pourtant, à peine ce projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire était-il adopté par l’Assemblée nationale, que le Président de la République annonçait des États généraux de la justice ! À peine ce texte était-il adopté en commission au Sénat, que le même Président concluait le Beauvau de la sécurité en annonçant une réforme globale de la procédure pénale !

Mieux faire connaître le fonctionnement de la justice grâce à l’enregistrement et à la diffusion des audiences contribuera certes à restaurer cette confiance, à condition que certaines ambiguïtés soient levées. Les émissions souhaitées, sortes de Jour du Seigneur de la justice, ne doivent être ni un outil de communication gouvernemental ni un moyen de faire du sensationnel. Aussi, afin d’éviter les dérives et d’assurer la transparence recherchée, nous avons précisé que leur objectif doit être « pédagogique, informatif, scientifique et culturel », et que la participation des parties au procès ainsi diffusé ne saurait être rémunérée.

Pour rétablir cette confiance, il semble avant tout urgent d’apaiser le monde judiciaire : magistrats, avocats, policiers, greffiers et officiers publics, tous ceux qui, par leur engagement quotidien, font vivre la justice, mais qui sont trop souvent la cible d’attaques infondées.

Nous nous félicitons, monsieur le garde des sceaux, que l’augmentation, ces deux dernières années, des crédits de votre ministère ait permis de renforcer les moyens humains tant attendus. Mais c’était sans compter l’accumulation de réformes législatives qui se sont avérées difficilement assimilables dans des délais rapprochés et qui déstabilisent l’institution judiciaire.

La généralisation des cours criminelles départementales nous semble tout aussi précipitée. Lancée en 2019, l’expérimentation doit se prolonger jusqu’en mai 2022 et se conclure par la remise d’un rapport au Parlement. Si les premiers retours semblent positifs, force est de constater qu’ils ne portent que sur un nombre restreint d’affaires, perturbées par la crise sanitaire et la grève des avocats. Faute de recul suffisant, nous avons décidé de prolonger cette expérimentation jusqu’au mois de mai 2023.

Toujours dans un souci d’apaisement et de clarification du rôle de chacun, la commission a supprimé la présence des avocats honoraires dans les cours d’assises et les cours criminelles départementales.

La lutte contre le sentiment d’impunité passe par une meilleure exécution des peines, notamment des plus courtes d’entre elles, et par les moyens alloués à la prévention de la récidive. Simone Veil affirmait ainsi : « La prison n’est pas une fin, elle doit servir à élever intellectuellement les détenus, et pas seulement à les punir. » Dans cet esprit, l’augmentation proposée du travail en détention doit favoriser la réinsertion. De fait, le constat de la diminution de moitié en vingt ans du nombre de détenus travaillant est incontestable : aujourd’hui, seuls 29 % des détenus travaillent.

Le contrat d’emploi pénitentiaire, qui n’est pas un contrat de travail, mais se rapproche du droit du travail, constitue ainsi une avancée sociale en créant un lien direct entre le détenu et son employeur. Cependant, nous serons vigilants à ce que des règles trop contraignantes et un coût du travail augmenté ne découragent pas les opérateurs économiques et à ce que ce coût soit réellement supporté par l’État.

Enfin, dévoilé tardivement, l’avertissement pénal probatoire, annoncé après la suppression du rappel à la loi, offrira une alternative nécessaire aux poursuites, ciblée sur les infractions les moins graves émanant de primodélinquants.

Victor Hugo affirmait : « Faire justice est bien, rendre justice est mieux. » C’est en nous appuyant sur les professionnels de la justice que nous reconstituerons collectivement le lien entre les Français et l’institution judiciaire, base de notre État de droit. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Mme Maryse Carrère applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le Sénat aborde la discussion de ce texte de manière constructive.

Je voudrais ordonner cette très rapide introduction, dont vous comprendrez qu’elle ne me permet pas réellement d’aborder le fond du sujet, autour de deux thèmes : d’abord, je pointerai qu’il s’agit d’un texte de paradoxes ; ensuite, j’exposerai une alternance légitime de points d’accord entre la commission des lois et le Gouvernement. On pourra se rendre compte, au fur et à mesure de l’examen du texte, que ces points d’accord sont plus nombreux qu’on ne le pense ; quant aux quelques points de désaccord, ils ont l’avantage d’être connus, assumés et argumentés de part et d’autre, ce qui devrait permettre, monsieur le garde des sceaux, une décision mûrie dans un bicamérisme de bon aloi.

Un texte de paradoxes, disais-je.

Son premier paradoxe est dans son titre : « la confiance ». Le texte qui nous est proposé est-il de nature à redonner confiance dans l’institution judiciaire ?

M. Philippe Bas. Non ! (Rires sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. Nous entendons là une réponse claire et nette ! Vous le savez, mes chers collègues, nos concitoyens doutent tant de la justice civile, essentiellement du fait des problèmes de délais, que de la justice pénale, avec le fameux débat sur son laxisme réel ou supposé. Or ces deux éléments – délais et laxisme – ne sont pas abordés dans le texte qui nous est présenté.

Je tiens à préciser que M. le garde des sceaux nous a montré tout à l’heure qu’il était tout de même conscient de cette défiance exprimée vis-à-vis de la justice ; chacun d’entre nous, à sa manière, va essayer d’y apporter sa réponse.

Le deuxième paradoxe de ce texte est celui de l’inflation législative. Nous avons récemment découvert un nouveau programme politique : la décroissance. Or vous avez indiqué, monsieur le garde des sceaux, que vous étiez un décroissant législatif. Bigre !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Oui !

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. Pourtant, nous en sommes, mes chers collègues, à plus d’un texte pénal par an. Et alors que nous débattons dans cet hémicycle du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, l’Assemblée nationale vient d’examiner un autre texte, sur la responsabilité pénale et la sécurité intérieure, tandis que nos magistrats se préparent à en appliquer dans quelques jours un troisième, issu d’une ordonnance ! Examinons encore tous les textes récemment adoptés – je pense en particulier à la loi confortant les principes de la République et à la loi Climat et résilience –, on conviendra qu’ils ont été particulièrement généreux en infractions nouvelles !

Un autre paradoxe porte sur les moyens. Vous avez insisté, monsieur le garde des sceaux, sur les crédits que vous avez obtenus en 2021 et que vous espérez obtenir en 2022 : ils sont pour vous une réussite évidente. Or voilà que, au moment où la justice pourrait se dire qu’elle est en train de refaire surface, pour les uns, ou d’entamer sa remontée, pour les autres, vous proposez de nouveaux objectifs, de nouvelles procédures, de nouvelles dépenses !

Voilà, vraiment, ce qui provoque notre étonnement, ce que je qualifie de paradoxe : il va y avoir de nouveaux délais à surveiller, de nouvelles procédures à mener, qui vont nécessiter plus de juges d’instruction et de juges de l’application des peines, il va y avoir des ordonnances supplémentaires à motiver, des complexités de procédure supplémentaires, voire de nouvelles dépenses de fonctionnement pures et dures, comme celles que vous venez d’annoncer, il y a quelques minutes, quant à la prise en charge des cotisations sociales des employeurs dans le cadre du nouveau régime de travail des détenus !

Je ne développerai que très rapidement le second thème de mon intervention, pour évoquer les trois grands désaccords qui se sont fait jour entre la commission et le Gouvernement, du moins pour les secteurs du texte qui me concernent.

Le premier désaccord porte sur les réalités de la situation de l’enquête judiciaire dans notre pays, ce qui nous empêche de vous suivre totalement, monsieur le garde des sceaux, sur la réduction des délais d’enquête ; un problème subsiste par ailleurs dans le domaine de la délinquance économique et financière.

Le deuxième désaccord porte sur la priorité de réponse démocratique, et donc sur l’équilibre à trouver entre les droits de la défense, qui justifient le secret professionnel des avocats, et l’activité dans le champ du conseil, qui ne relève pas aujourd’hui de ce secret professionnel : où placer le point d’équilibre ?

Le troisième désaccord, enfin, concerne l’avocat honoraire. Vous voulez qu’il intervienne partout, monsieur le garde des sceaux : dans les cours d’assises, dans les cours criminelles, dans les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) ; vous voulez encore lui faire présider les compositions pénales !

Nous avons du mal à comprendre cette passion, qui nous paraît – je vais tenter une interprétation – résulter du sentiment de la nécessité d’empêcher un certain « entre soi » des magistrats : il faudrait qu’il y ait une participation des uns et des autres à l’œuvre de justice, ce que je peux comprendre. D’une certaine manière, vous exprimez là la recherche d’un paradis perdu, celui des avocats et des magistrats qui vivaient imbriqués dans le même palais de justice, alors que les choses sont un peu différentes aujourd’hui.

Cela me conduit à vous répondre en conclusion de mon propos, monsieur le garde des sceaux, que nous aborderons comme vous ce débat sans tabou ni censure ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)