compte rendu intégral

Présidence de M. Vincent Delahaye

vice-président

Secrétaires :

Mme Corinne Imbert,

Mme Patricia Schillinger.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Mise au point au sujet d’un vote

M. le président. La parole est à M. Pierre Louault.

M. Pierre Louault. Lors du scrutin public n° 177, portant sur les amendements identiques nos 107 rectifié quater, n° 149 et n° 189 rectifié quater à l’article 3 du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, j’ai été déclaré comme votant contre alors que je souhaitais voter pour.

M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

3

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes
Discussion générale (suite)

Lutte contre la maltraitance animale

Discussion en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à renforcer la lutte contre la maltraitance animale (proposition n° 326, texte de la commission n° 845, rapport n° 844).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes
Demande de renvoi à la commission

Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Monsieur le président, monsieur le ministre – cher Julien –, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, quelle société voulons-nous incarner ? C’est à cette question que nous répondons ici. Car la manière dont une société traite ses animaux est le reflet des valeurs qu’elle se donne.

Et, heureusement, ces valeurs changent ; elles vivent, elles évoluent. Aujourd’hui, l’animal sauvage n’est plus seulement une menace ou une proie. C’est un être sensible, qu’il faut protéger et respecter dans son intégrité. Notre rapport aux animaux sauvages a changé, et c’est heureux !

J’en suis convaincue, cette évolution est loin d’être anecdotique. C’est le témoignage d’un profond changement dans les mentalités, qui engage notre humanité et, plus profondément encore, notre dignité. En résumé, c’est la marque d’une société qui progresse, qui refuse de vivre dans le passé au nom de traditions qu’on ne pourrait pas questionner, uniquement parce qu’elles existent.

C’est pour moi une fierté que les moyens d’améliorer le bien-être animal soient discutés ici aujourd’hui. Car la protection des animaux est évidemment un enjeu pour la biodiversité, mais c’est aussi un impératif moral. C’est une priorité du Gouvernement, en particulier pour moi.

C’est aussi une demande forte de la part de nos concitoyens. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En effet, 90 % des Français soutiennent la proposition de loi telle qu’elle a été déposée sur le bureau du Sénat. Les bases d’un large consensus politique sont là. La chose est assez rare en politique pour être soulignée.

Et c’est logique, car nous sommes aujourd’hui mieux informés sur la manière dont les animaux ressentent leur environnement et nos interactions avec eux. Nous ne pouvons plus ni fermer les yeux ni détourner le regard.

Aujourd’hui, j’en suis convaincue, l’heure de la responsabilité a sonné. C’est maintenant qu’il faut agir, au sein de cet hémicycle !

Vous le savez, le Gouvernement a pris ses responsabilités, à l’issue d’un travail de longue haleine, en formulant au mois septembre 2020 des propositions fortes, essentielles et audacieuses.

D’abord, nous avons annoncé la fin progressive de la présence des animaux sauvages dans les cirques itinérants lorsque cette itinérance est incompatible avec le bien-être des animaux.

Bien entendu, il ne s’agit pas de mettre en question l’attention que les circassiens portent à leurs animaux. Il s’agit d’acter collectivement qu’il n’est plus raisonnable de continuer à transporter des éléphants, des otaries ou des fauves de ville en ville.

Aujourd’hui, combien de maires, de toutes tendances politiques, adoptent des arrêtés ou des vœux contre l’installation de ces cirques ? Comprenez-moi bien : de tels arrêtés sont illégaux, et ils ne font que renforcer les difficultés que la crise sanitaire a causées au monde du cirque. Mais c’est le signe d’une demande d’évolution qui parcourt notre société.

Nos décisions ne sonnent pas, tant s’en faut, la fin des cirques. J’ai la conviction profonde qu’en aidant les circassiens à répondre à cette demande de changement, nous leur permettrons de pérenniser leur activité. Demain, les arts du cirque continueront de nous émerveiller et d’attirer tous les publics.

Ensuite, il nous semble essentiel de mettre fin à la présence d’orques et de dauphins dans les delphinariums. Les études le montrent : ces animaux ont conscience de leur captivité, et ils vivent le delphinarium comme une prison. Nous avons donc annoncé la fermeture des deux delphinariums que compte notre pays, ainsi que l’interdiction de tout nouvel établissement.

Enfin, nous défendons la fin des élevages de visons d’Amérique pour leur fourrure en France. Et je suis heureuse de voir que la commission des affaires économiques a maintenu cette disposition, tout comme je suis heureuse de voir que la société dans son ensemble évolue sur le sujet. La décision d’un très grand groupe de luxe français de ne plus recourir du tout à la fourrure est une bonne nouvelle.

Nous avions annoncé aux professionnels une fermeture sous cinq ans, mais le débat parlementaire s’oriente vers une fermeture sous deux ans. Nous appliquerons bien entendu la date inscrite dans la loi, et nous avons d’ailleurs déjà obtenu, par la négociation, et en mettant en œuvre les mesures de soutien appropriées, la fermeture de trois élevages sur les quatre que comptait notre pays.

C’est, je crois, la preuve que nous sommes au rendez-vous quand il s’agit d’appliquer des décisions fortes, en travaillant étroitement avec les professionnels.

À ce stade, en tant que parlementaires, vous avez deux options.

La commission des affaires économiques a choisi de renvoyer au pouvoir réglementaire les décisions d’interdiction, ce qui était déjà possible, tout en en complexifiant les conditions.

Je respecte cette approche, mais ma conviction est que nous devons soit laisser au pouvoir réglementaire suffisamment de latitude pour agir, soit inscrire directement dans la loi ces interdictions, comme l’ont souhaité les auteurs de la proposition de loi.

Pour que le texte fasse concrètement progresser la condition animale dans notre pays, il est nécessaire d’agir vite, et d’agir dès aujourd’hui. Ce n’est plus le temps des demi-mesures ou, pis, des faux-semblants. Nos décisions doivent être fortes, ambitieuses, visionnaires, pour notre bien-être à nous et pour celui des animaux.

Voilà, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, la direction dans laquelle je suis convaincue qu’il faut aller. Au milieu de ce grand tournant que prend notre pays, mon rôle, et celui du Gouvernement, est d’abord d’accompagner les professionnels concernés, d’avancer avec eux, non pas contre eux, de répondre à leurs inquiétudes en prenant le temps de les écouter et de les accompagner. C’est là mon devoir.

Nous avons rencontré cette année, à nouveau, les représentants des établissements concernés. Il s’agit de femmes et d’hommes qui aiment leurs animaux. Pour ces personnes, c’est souvent plus qu’un métier ; c’est un mode de vie. Et je me suis engagée à être à leurs côtés dans ce mouvement, qu’ils ressentent comme un bouleversement.

Former les professionnels à un nouveau métier, aider les entreprises à évoluer vers d’autres activités, trouver un refuge pour les animaux : sachez que, sur tous ces sujets, l’État sera au rendez-vous.

Il n’est jamais facile de prendre de telles décisions. Créer un cadre ambitieux pour le bien-être animal est une réforme qui fera date ; c’est le marqueur d’un changement de société profond. Cette évolution, nos concitoyens l’attendent dès aujourd’hui. Ils la réclament. Ne reculons pas face à cette demande et à ce large consensus populaire.

Le temps que nous prenons, c’est celui de la concertation et de la réflexion. On peut affiner, et évidemment débattre des propositions. C’est le rôle de la représentation nationale, et il me tient à cœur. Mais prendre des demi-mesures là où précisément des décisions fortes sont nécessaires est le meilleur moyen de manquer l’occasion et d’échouer à convertir l’essai.

Aujourd’hui, les Françaises et les Français ont les yeux rivés sur nous pour que nous soyons capables de traduire dans la loi cette prise de conscience collective, avec responsabilité et ambition.

Mesdames, messieurs les sénateurs, Milan Kundera a écrit : « Le véritable test moral de l’humanité, ce sont ses relations avec ceux qui sont à sa merci : les animaux. » Je partage pleinement ce propos.

D’ailleurs, regardons autour de nous. Nos voisins, qu’il s’agisse du Royaume-Uni, de la Suisse ou de l’Italie, ont répondu à cet impératif. Dans ces pays, les règles relatives au bien-être animal sont plus développées que chez nous.

La France ne peut plus rester à la traîne. L’appel auquel vous avez aujourd’hui à répondre est chaque jour plus fort. C’est, je pense, l’appel de notre époque, un appel pour plus de respect et de considération pour la nature qui nous entoure. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de lagriculture et de lalimentation. Monsieur le président, madame la ministre – chère Barbara –, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, alors que la réflexion éthique autour du bien-être animal se construit depuis de nombreuses années, voire des décennies, la lutte contre la maltraitance des animaux de compagnie n’était, quant à elle, pas ou peu abordée dans les débats parlementaires. En tout état de cause, elle ne l’était pas de manière aussi volontariste et pertinente qu’aujourd’hui.

Nous sommes en effet face à un débat de société majeur. Si le bien-être des animaux s’accompagne, la maltraitance, elle, doit être condamnée. C’est bien cela dont nous allons parler aujourd’hui, avec une volonté forte de sensibiliser, d’accompagner et de sanctionner lorsque c’est nécessaire.

La maltraitance des animaux de compagnie est devenue une préoccupation majeure de nos concitoyens et un véritable enjeu de politique publique. Nous sommes en effet très nombreux à être concernés. Plus d’un foyer français sur deux détient un animal de compagnie, et une écrasante majorité de nos concitoyens attendent que nous allions plus loin sur ces questions. Il faut traiter une telle question – c’est aujourd’hui très attendu –, et en dépassant un certain nombre de clivages.

Je me réjouis donc de constater que tous les parlementaires ont su se saisir du sujet et dépasser le registre de l’émotion pour proposer des solutions opérationnelles.

Rappelons-le sans fausse modestie : la présente proposition de loi a été, certes, portée par la majorité présidentielle, mais construite initialement avec tous les groupes politiques.

Vous connaissez dans cet hémicycle notre manière de faire les lois, avec une volonté toujours affichée : celle de la raison et du pragmatisme. Et je sais que votre chambre partage cette ambition de construire des dispositifs utiles et efficaces pour l’avenir.

Nous aurons des discussions pendant cette séance, et certainement quelques désaccords à surmonter. Mais nous souhaitons, j’en suis sûr, avancer ensemble sur le sujet.

J’ai fait de la maltraitance des animaux de compagnie un véritable combat.

La première des maltraitances, c’est d’abord l’abandon. Un animal de compagnie n’est ni un jouet ni un consommable. Face à ce constat, le Gouvernement a la volonté d’agir concrètement. C’est d’ailleurs l’objet du plan d’action contre l’abandon des animaux de compagnie que le Gouvernement a lancé au mois de décembre dernier et qui trouve une résonance forte dans cette proposition de loi. Il s’agit de sensibiliser le grand public, d’accompagner les structures qui recueillent des animaux et de mieux sanctionner lorsque cela est nécessaire.

Cette proposition de loi illustre le triptyque qui doit nous animer, je le crois, toutes et tous, pour mener un tel combat, avec des valeurs partagées : sensibiliser, accompagner et sanctionner.

Le premier objectif est la sensibilisation. Devenir propriétaire d’un animal de compagnie, c’est avant tout en être responsable. Comment accepter que plus de cent mille animaux de compagnie ou équidés – ce chiffre est probablement encore en deçà de la réalité – soient abandonnés chaque année ? Ils sont abandonnés sur la route des vacances, lors d’un déménagement ou dans d’autres endroits.

Je le disais : un animal de compagnie, c’est une responsabilité. C’est bien en faveur de cette prise de conscience individuelle que nous devons collectivement œuvrer. Cette future loi nous y conduira, notamment avec la création d’un certificat d’engagement et de connaissance préalable à l’acquisition d’un animal de compagnie ou d’un équidé.

Si la responsabilité est bien individuelle, la lutte contre la maltraitance animale, notamment l’abandon des animaux de compagnie, est évidemment l’affaire de tous.

C’est également au travers de l’amélioration des contrôles que nous trouverons des solutions efficaces. Nous aurons l’occasion d’y revenir en séance, notamment lors de l’examen du chapitre Ier concernant les ventes sur internet, que nous souhaitons profondément encadrer.

J’aurai l’honneur de vous présenter, au nom du Gouvernement, des amendements auxquels je tiens particulièrement.

Le deuxième objectif est l’accompagnement. Il faut en effet accompagner ceux qui agissent. L’animal abandonné est souvent recueilli par des refuges, des associations, des familles d’accueil, qui font tous un travail formidable. Je tiens à saluer leur engagement au quotidien, souvent assuré par des bénévoles. Je salue également l’engagement de nos élus locaux sur les territoires ou encore les services de fourrière.

Je tiens également à saluer devant vous, et cela a une résonance toute particulière dans cet hémicycle, les professionnels de la santé des animaux que sont les vétérinaires, tous essentiels pour la mise en œuvre des politiques publiques de lutte contre la maltraitance animale. C’est avec eux que nous devons construire l’ensemble des réponses à ces enjeux.

J’ai beaucoup échangé avec tous ces acteurs depuis plus d’un an pour définir des mesures concrètes. C’est dans cette logique opérationnelle que le Gouvernement a réservé une enveloppe de 20 millions d’euros pour l’accompagnement des refuges au soutien des campagnes de stérilisation ou encore au soutien des personnes les plus démunies au travers du dispositif « vétérinaire pour tous », financé là aussi par le plan France Relance.

Le troisième objectif est de sanctionner lorsqu’il y a des comportements non acceptables.

Lutter contre l’abandon des animaux de compagnie, c’est en effet lutter plus efficacement contre des actes parfois odieux, également contre des sévices infligés à ces animaux de compagnie qui nous choquent tous et qui doivent être combattus avec force. Quelles qu’en soient les raisons, ce n’est pas acceptable ! Ce n’est pas la conception que nous avons tous du progrès !

La maltraitance doit être donc plus systématiquement et plus fermement condamnée. Je sais que vos propositions vont nous permettre de poursuivre dans cette voie.

Comme à notre habitude, nous travaillerons selon la même méthode : associer l’ensemble des parties prenantes. C’est dans la concertation que nous trouvons des solutions adaptées au plus grand nombre. L’intelligence collective est, à l’évidence, la plus constructive.

Au-delà du domaine législatif, c’est aussi dans cet esprit de construction et d’amélioration continue qu’au sein du Gouvernement, nous avons souhaité mettre en place un observatoire de la protection animale des carnivores domestiques. Je m’y étais engagé à l’Assemblée nationale. Cet organisme a été installé au mois de mai dernier. Il permettra notamment de disposer de données objectives, et non plus d’estimations, sur l’abandon des animaux de compagnie en France et, surtout, de mener et de suivre une politique ambitieuse en matière de lutte contre les abandons, en lien avec les associations de protection animale.

Je tiens enfin à remercier Mme la rapporteure de la qualité de son rapport et des travaux menés. Nos débats, je le sais, seront riches. Ils nous permettront, je l’espère, de faire de ce texte une véritable loi novatrice. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme Anne Chain-Larché, rapporteure de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, dans Histoires comme ça, Rudyard Kipling raconte l’histoire du « chat qui s’en va tout seul ». Derrière les facéties du félin, rétif à la domestication, on voit progressivement se tisser un lien fait d’intérêts mutuels et, bientôt, d’affection désintéressée. En fait, à travers son histoire, c’est l’histoire du lien homme-animal que Kipling nous décrit.

« Le chat qui s’en va tout seul » : j’aime cette expression. Car l’ambivalence de la condition animale est résumée dans cette formule. Même quand il a un maître, l’animal a toujours cette part de mystère, d’inexplicable, qui fait qu’il ne lui appartiendra jamais tout à fait.

Tout au long de mes travaux préparatoires sur cette proposition de loi, que j’ai entrepris dès le mois de février, j’ai gardé cette expression en tête. Elle m’a rappelé combien il faut aborder la question avec nuance, car l’animal est irréductible à ce que l’on voudrait qu’il soit et à ce que l’on projette en lui. Et je veux dire à quel point, au cours de mes travaux, j’ai voulu prendre la cause animale au sérieux.

On a pu m’objecter qu’il y avait d’autres priorités, que nombre de nos congénères ne vivaient pas eux-mêmes dans une situation très enviable. Ce à quoi je réponds : est-ce une raison valable pour ne pas agir ? Cela fait des années qu’une proposition de loi sur les animaux de compagnie et sauvages n’avait pas été inscrite à l’ordre du jour. Il faut saisir l’occasion de ce texte, qui traduit un désir d’évolutions législatives, après que l’animal a enfin été reconnu comme être sensible voilà cinq ans.

On m’a objecté encore que la proposition de loi touchait un seul élevage de visons en France, quatre orques, cinq montreurs d’ours, vingt et un dauphins, une vingtaine de manèges à poneys, et, au total, pas plus de huit cents animaux sauvages dans les cirques. Ce à quoi je rétorque : et alors ?

À mes yeux, comme le soulignait le vétérinaire centenaire Michel Klein, récemment reçu et honoré par le président du Sénat, c’est aussi notre lien aux animaux qui nous « fait hommes ». La relation entre homme et animal est si ancienne qu’elle fait partie intégrante de notre condition humaine et de nos sociétés.

Comme j’aime à le dire maintenant, la France, c’est 67 millions d’habitants, mais aussi – il ne faut pas l’oublier – 80 millions d’animaux domestiques, entre poissons, oiseaux, chiens, chats ou chevaux…

Un Français sur deux détient un ou plusieurs animaux. Et la façon dont nous abordons ces dispositions, qui, pour certaines, relèvent presque du cas particulier, a des effets en cascade sur la relation homme-animal en général.

Pour autant, il faut se garder de voir dans cette proposition de loi l’alpha et l’oméga de la condition animale. Son périmètre est volontairement assez réduit pour permettre un travail approfondi dans le temps imparti. Il ne traite – et nous avons respecté ce périmètre – ni de chasse ni d’élevage professionnel. Ce n’est pas une loi « générale » sur les animaux, et la Constitution empêche de sortir du cadre du texte déposé sur le bureau de la première assemblée.

Il y aura des déçus, non pas sur les objectifs, mais sur la méthode. Car il y a ceux qui suivent une éthique de la conviction et qui défendent des valeurs indépendamment des conséquences concrètes que leurs décisions peuvent avoir. Et il y a ceux qui défendent une éthique de la responsabilité et qui s’attachent à ce que les conséquences pratiques de leurs actes soient le plus conforme possible à leurs valeurs. Avec la commission des affaires économiques, mon approche sur ce texte s’est située résolument dans une éthique de la responsabilité.

Autrement dit, la commission a estimé qu’il y avait des idées intéressantes dans la loi : faire signer un certificat d’engagement et de connaissance pour toute première acquisition d’un animal, y compris de particulier à particulier, c’est symbolique, mais cela participe d’une bonne information.

Nous nous sommes appuyés sur cette avancée pour voter en commission l’obligation d’attendre sept jours à partir de la signature du certificat avant d’acheter un animal de compagnie. Quand on s’engage pour une vie, on peut bien attendre une semaine. On peut acheter des animaux, mais ce ne sont pas des marchandises comme les autres. Je vous mets au défi de trouver meilleure idée pour lutter contre les achats d’impulsion !

Renforcer les sanctions pénales contre les actes de cruauté commis sur les animaux et contre les 100 000 abandons qui ont lieu chaque année en France était une nécessité symbolique et pratique.

La commission a renforcé les sanctions contre la zoophilie en créant un délit d’atteintes sexuelles sur animaux, car les animaux ne peuvent jamais exprimer leur consentement.

La commission a jugé qu’il y avait aussi de l’affichage, aboutissant à des articles peu opérationnels. Je pense au fait de mettre fin à la pratique des animaux dans les cirques sans s’interroger sur leur devenir et à l’interdiction de la reproduction des cétacés ; pour les vétérinaires, c’est un non-sens qui met en péril leur santé. Sur ces questions, nous préférons le dialogue avec toutes les parties prenantes pour parvenir à une sortie progressive des situations problématiques.

Des questions se posent : quelle alternative ? Va-t-on améliorer le bien-être de ces animaux s’ils sont vendus à l’étranger sans aucune garantie de contrôle ? Nous devons y répondre. C’est le rôle des conseils spécialisés que nous instituons.

J’en viens à l’interdiction de vente de tous les animaux en animalerie, et pas seulement des chiens et des chats, dans une logique de prohibition. Pourtant, c’est le circuit le plus tracé, le plus surveillé et encadré. Il représente une part archiminoritaire des ventes de chiens et de chats, en l’occurrence 20 000 achats par an pour 100 000 abandons. La commission a réautorisé ces ventes à la condition que leur encadrement soit renforcé et que la présence d’animaux soit interdite en vitrine. Elle s’est attaquée aux vrais trafics en renforçant la régulation d’internet et la lutte contre l’introduction illégale sur le territoire de 100 000 chiens et chats par an en renforçant les sanctions contre les fraudeurs.

Je vous proposerai tout à l’heure un amendement important visant à interdire la vente en ligne d’animaux de compagnie ailleurs que sur des sites agréés et responsables. À mon sens, c’est une avancée majeure.

Parfois, la proposition transmise par l’Assemblée nationale traduisait une méconnaissance du terrain.

Je pense d’abord à l’obligation de stérilisation des 10 millions de chats errants par les maires sans aucune compensation par l’État de la somme colossale que cela représente. Vous le comprendrez bien, le Sénat, maison des territoires, ne pouvait pas accepter que l’État se défausse ainsi de ses responsabilités.

Je souhaite également évoquer l’interdiction maladroite de l’activité des associations sans refuge, alors qu’il y en a plus de 3 200 en France et qu’elles réalisent un travail formidable pour pallier le manque de places en refuges. Soucieux de valoriser les bonnes volontés des acteurs de terrain tout en leur donnant un cadre, le Sénat a réautorisé ces associations sans refuge à confier des animaux à des familles d’accueil. Elles pourront récupérer des animaux de fourrière et présenter des animaux en animalerie pour les faire adopter.

Pour résumer, j’approuve un grand nombre des articles du texte, mais je considère que certains d’entre eux relèvent de l’affichage politique. Je préfère valoriser des solutions opérationnelles, pratiques, scientifiques, et élaborées en lien avec les professionnels, les associations et les vétérinaires pour améliorer les conditions de vie de nos animaux.

Dans la préparation de l’examen de ce texte, j’ai conduit plus de 50 auditions et effectué de nombreux déplacements, qui m’ont amenée à rencontrer des élus locaux, des inspecteurs vétérinaires, des associations et des professionnels formidables et passionnés. Je tiens d’ailleurs à les remercier chaleureusement de leur disponibilité et de la richesse de leurs témoignages.

Les professionnels ont bien compris que la bonne application des lois votées était la condition sine qua non pour que leur activité prospère. Charge à l’État d’en renforcer les moyens.

L’appel à davantage de sensibilisation, de formation, de recherche sur les animaux est unanime. Nous avons voulu nous en faire l’écho en commission en instaurant, par exemple, une sensibilisation à l’éthique animale pour tous les élèves de France, de l’école primaire au lycée. À l’avenir, il faudra encourager ces vocations et valoriser ces compétences, en développant, par exemple, des formations en faune sauvage captive, aujourd’hui quasi inexistantes, dans les cursus vétérinaires.

Améliorons encore nos pratiques, renforçons la qualité du lien entre animaux et humains, au lieu d’ériger des barrières qui nourriront à terme l’indifférence. Les animaux sont un enrichissement considérable et un réconfort pour nos vies humaines. Ils permettent un éveil qui réconcilie l’homme et la vie sauvage. Il faut des espèces protégées. Mais on ne peut pas sanctuariser la vie de l’ensemble des animaux au risque, sinon, de les sortir de nos vies.

Si nous n’y veillons pas, c’est le conte de Kipling qui deviendra réalité. Il en ira de tous les animaux comme de ce « chat qui va tout seul ». On pourra alors dire d’eux, à regret : « Il est le chat qui s’en va tout seul et tous lieux se valent pour lui. Alors, il s’en va par les chemins mouillés du bois sauvage, sous les arbres ou sur les toits, et tout seul. » (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE. – Mme Cécile Cukierman applaudit également.)

Demande de renvoi à la commission

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes
Discussion générale

M. le président. Je suis saisi, par M. Ravier, d’une motion n° 222.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 5 du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la maltraitance animale. (n° 845, 2020-2021)

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Stéphane Ravier, pour la motion.