M. le président. Avant de donner la parole à M. Guillaume Chevrollier, je tiens à mon tour à saluer la présence dans nos tribunes de Mme Marie-Pierre Rixain, présidente de la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale.

Vous avez la parole, mon cher collègue. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’aimerais tout d’abord saluer le travail de la commission des affaires sociales et celui de Laurence Garnier, rapporteure de cette proposition de loi qui vise à accélérer l’égalité économique et professionnelle entre les femmes et les hommes.

Je veux également saluer l’action de la délégation aux droits des femmes du Sénat, qui alimente abondamment nos réflexions sur ces sujets si importants.

L’égalité entre les femmes et les hommes était censée être une grande cause du quinquennat, madame la ministre, et non pas seulement de ses derniers mois… Mais cette proposition de loi a le mérite de nous faire réfléchir sur l’amélioration de la place des femmes dans l’entreprise. Son périmètre est par nature limité ; pourtant, elle touche un sujet qui aurait mérité qu’on s’y attarde longuement : comment bâtir une économie qui prenne en compte les différences entre les femmes et les hommes ?

Il existe en effet une différenciation fondamentale, la maternité, laquelle impacte forcément, de manière concrète, la vie des femmes. Abolir cette différence n’a pas de sens ; il faut l’accepter et réfléchir en profondeur pour bâtir une économie soucieuse de cette différence : je pense en particulier à l’impact du congé parental sur la carrière professionnelle de la mère de famille.

Au XXIe siècle, il est regrettable de devoir légiférer, d’imposer des quotas et des mesures coercitives pour que cette égalité soit effective. Mais il est vrai que, s’agissant de la vie politique, l’instauration de quotas a donné des résultats et a permis sa féminisation.

Je suis pour la méritocratie : ne devrait-on pas choisir un employé selon ses compétences personnelles, selon ses mérites, plutôt que selon son sexe ou son origine ethnique ? Aucune femme n’a envie d’être nommée à un poste uniquement parce qu’elle est une femme : la compétence opérationnelle doit primer.

Nous ne pouvons douter des progrès réalisés en matière d’égalité. La délégation sénatoriale aux droits des femmes a d’ailleurs publié un rapport dressant le bilan de dix ans d’application de la loi Copé-Zimmermann, lequel constate une évolution positive depuis la mise en œuvre de ce texte. Ainsi, la France se situe au premier rang mondial en termes de féminisation des conseils d’administration des grandes entreprises, avec une proportion de 46 % de femmes en 2021.

La délégation a aussi souligné que la parité restait limitée dans les conseils d’administration des plus petites capitalisations boursières et, plus globalement, des PME. Il n’y a donc pas eu de ruissellement des instances de gouvernance vers les instances dirigeantes des entreprises, ce qui plaide pour une extension de la logique des quotas.

J’ajoute que, à poste équivalent, les femmes gagnent en moyenne 10 % de moins que les hommes.

Ces inégalités ne sont pas acceptables. Améliorer la place des femmes dans la société et dans les entreprises en favorisant leur progression et notamment leur accès à des postes à hautes responsabilités est donc une nécessité.

En outre, l’égalité femmes-hommes est une source de performances et de succès pour nos entreprises.

Cette proposition de loi permet donc d’avancer ; j’en partage bien évidemment les intentions générales. J’attire cependant l’attention sur le fait que les formalités obligatoires supplémentaires qu’elle crée pour nos entreprises inquiètent ces dernières, en tout cas certaines d’entre elles qui font d’ailleurs un certain nombre d’efforts pour maîtriser le fonctionnement de l’index Egapro introduit récemment, en 2018. Certaines entreprises sont aussi préoccupées par le cumul des sanctions. Il est donc important de trouver des solutions équilibrées, mais notre rapporteure a œuvré en ce sens.

Traiter de l’égalité par le biais de quotas est donc une réponse partielle à un problème complexe qui trouve ses origines dans la culture, dans l’orientation à l’école, dans la formation, dans la gestion des talents et dans l’évolution des carrières. Je pense aussi à la nécessité de renforcer la mixité dans les sciences, les technologies et l’ingénierie, domaines où l’on sait qu’il y a pénurie de femmes alors que les besoins de recrutement sont extrêmement importants.

Cette proposition de loi est une avancée de plus, mais il y a encore beaucoup de travail à faire pour tendre vers l’égalité professionnelle dans notre pays. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dix ans après la loi Copé-Zimmermann, le temps était venu d’une évaluation et d’une loi ambitieuse pour un beau combat : celui de l’égalité économique et professionnelle entre les femmes et les hommes. Ce texte n’y suffira pas, mais il comporte des avancées.

Selon l’Insee, le revenu salarial net des femmes représente 71 % de celui des hommes et les mêmes inégalités se retrouvent, très aggravées, pour les retraites et le patrimoine.

Dans les entreprises, la présence des femmes diminue au fur et à mesure qu’on s’élève dans la hiérarchie et les inégalités salariales se creusent au long du parcours professionnel.

Si la France se situe aujourd’hui à la première place en Europe en matière de féminisation des conseils d’administration des grandes entreprises cotées, dépassant même le quota obligatoire, l’effet d’entraînement attendu au niveau des instances de direction des entreprises, lieux des décisions stratégiques et opérationnelles non couverts par ces obligations, s’est avéré plus que faible : les femmes représentent moins d’un cinquième des membres des comités exécutifs. Pas plus d’effet de ruissellement ici qu’en matière de richesses…

C’est le principal apport de cette proposition de loi que d’introduire au niveau des instances dirigeantes des comités de direction et des comités exécutifs, des seuils minimaux assurant à terme une répartition relativement équilibrée de chaque sexe.

Les articles relatifs à l’index de l’égalité professionnelle – extension de son champ, publicité des indicateurs, des mesures de correction et des objectifs de progression – vont dans le bon sens, mais cet outil n’est vraiment qu’une première étape que, faute de nouvelles perspectives, des entreprises risquent de considérer comme une fin en soi. Pourtant, des scores suffisants au regard des exigences légales peuvent masquer la persistance d’inégalités non questionnées, notamment dans le champ de la formation continue et des promotions, inégalités dues en partie aux biais et aux stéréotypes de genre.

Cela entretient la faible mixité de certains postes, fonctions et emplois, facteur d’inégalités structurelles dont ne rend pas compte le seul principe « à travail égal, salaire égal » – ce principe n’est d’ailleurs pas respecté, puisque l’écart est de 10 %.

S’agissant de la mesure de priorisation des places en crèche pour les familles monoparentales – de fait, des femmes –, nous y sommes favorables. Mais il faut bien dire que nous gérons seulement la pénurie alors que manquent des solutions de garde pour tous les enfants. Cela appellerait la mise en place d’un service public de la petite enfance, levier majeur pour l’égalité.

Concernant l’obligation de verser les salaires et les prestations individuelles sur des comptes dont la personne est titulaire ou cotitulaire, nous demanderons, au nom du principe de précaution, de ne pas interdire la désignation d’un tiers par mandat écrit. En effet, l’autonomie financière doit aussi être pensée avec et pour les femmes en situation de pauvreté ou de grande pauvreté. Évitons qu’une mesure positive ne devienne un obstacle de plus dans leur quotidien quand le droit à un compte bancaire est encore loin d’être effectif dans notre pays.

Ces mesures sont précieuses dans la lutte contre la violence économique au sein des couples ; rappelons combien le refus du Gouvernement d’individualiser l’allocation aux adultes handicapés (AAH) met à mal cet enjeu d’égalité !

Alors que, le temps d’une crise sanitaire, la situation des femmes a reculé et qu’ont été effacés les progrès réalisés depuis plusieurs années en France – et depuis plusieurs décennies dans le monde –, nous refusons le report de l’application des quotas ou de la publication des écarts de représentation sur le site du ministère du travail.

Enfin, refusons les échappatoires telles que les amendements tendant à lisser les seuils, et traçons une trajectoire déterminée !

Nous avons donc déposé des amendements visant à revenir sur ces mesures dilatoires comme à réaffirmer l’action dès le secondaire contre les stéréotypes de genre, qui conditionnent beaucoup d’avancées.

En revanche, nous approuvons le choix de la négociation collective pour favoriser, si possible, le télétravail des femmes enceintes douze semaines avant leur congé maternité. En effet, seul ce niveau de discussion permet d’aborder toutes les situations, notamment celles des femmes occupant des postes ne pouvant être exercés en télétravail, qui sont souvent les plus pénibles, et de s’assurer des conditions du volontariat. Le télétravail ne doit en aucun cas se substituer à l’adaptation du poste de travail par l’employeur ou à un arrêt maladie, en attendant des réformes plus ambitieuses des congés paternité et maternité. Dans ces domaines, nous croyons à la négociation collective.

Enfin, nous proposons d’aller plus loin et défendrons à cette fin des amendements tendant à sensibiliser à une répartition égale des tâches domestiques et familiales. Nous proposons également que le seuil d’application des quotas pour les instances dirigeantes soit fixé dès à présent à 250 salariés, de manière à l’aligner sur celui des conseils d’administration et de surveillance. Le temps n’a pas manqué aux entreprises pour procéder à ce ruissellement !

Aussi, le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires sera particulièrement attentif à ce que la portée de ce texte déjà insuffisamment ambitieux soit renforcée ; il votera en faveur des avancées contenues dans cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Madame la ministre, vous avez qualifié ce texte de « moment historique pour l’émancipation économique et professionnelle des femmes ».

Faut-il rappeler ici, monsieur le président, mes chers collègues, que l’égalité professionnelle est inscrite dans la loi du 13 juillet 1983, la loi Roudy ? Depuis lors, de nombreuses lois ont été votées pour garantir l’égalité des droits, dans l’entreprise, entre les femmes et les hommes. Et pourtant, rien n’a changé, ou si peu, pour la plupart d’entre elles.

La loi Copé-Zimmermann de 2011 a imposé aux entreprises de plus de 500 salariés une représentation de 40 % de femmes dans les conseils d’administration, alors qu’elles comptaient jusqu’alors pour moins de 10 %.

Dix ans après, on estime à 44,6 % la proportion d’administratrices dans les grandes entreprises.

Certes, c’est un progrès indéniable, mais ces chiffres masquent mal la réalité du quotidien de la grande majorité des femmes de notre pays.

Ainsi, l’égalité économique et professionnelle visée par la proposition de loi ne concerne qu’une minorité de femmes, celles qui exercent leur activité dans les grandes entreprises. Or 67 % des femmes travaillent dans les secteurs de l’administration publique, de l’enseignement, de la santé et de l’action sociale.

Je rappelle que 97 % des aides à domicile sont des femmes, pour lesquelles rien n’est prévu dans ce texte. Certes, le projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoit l’instauration d’un tarif plancher à 22 euros, mais c’est largement insuffisant pour augmenter le salaire de ces femmes et cela ne résout pas la question de l’amplitude horaire très large et morcelée de leur travail pour des salaires de misère.

Cela ne prend pas plus en compte la pénibilité de leur métier.

Comment ne pas parler non plus des accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) et des auxiliaires de vie scolaire (AVS), qui manifestaient la semaine dernière pour demander la reconnaissance de leur travail et un statut ?

Ce texte fait totalement l’impasse sur la précarité du travail féminin, la sous-valorisation de ces métiers, ou encore l’absence de formation pour des centaines de milliers de femmes, pourtant en première ligne contre la pandémie de covid-19, qui vivent avec moins de 700 euros par mois.

Vous allez me dire que ce n’est pas l’objet de cette proposition de loi ; mais alors, pourquoi lui avoir donné un tel titre ? Les mots ont un sens ! Une fois encore, ces femmes sont les grandes oubliées, les invisibles de la société.

Une proposition de loi qui ne cible qu’une minorité de femmes, cadres dans des entreprises de l’assurance ou de la finance, semble bien éloignée, madame la ministre, du moment historique pour l’égalité entre les femmes et les hommes que vous voulez y voir.

D’autant que, selon un rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE) d’avril dernier, en un an de crise sanitaire, on a perdu près de trente ans d’avancées dans le domaine de la lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes.

Ainsi, en 2021, les femmes subissent encore des rémunérations inférieures aux hommes – à poste et qualification égaux – pouvant aller jusqu’à 24 %.

Les femmes demeurent davantage touchées que les hommes par la précarité, le temps partiel et le chômage, leurs carrières sont davantage plafonnées, elles accèdent moins souvent aux postes de responsabilités.

Elles sont également plus discriminées en raison de leur genre et s’occupent davantage que les hommes des tâches domestiques et de l’éducation des enfants.

Quant au Gouvernement, qui prétend vouloir avancer sur les questions d’égalité dans l’entreprise, il vient de démanteler les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), qui permettaient de mettre en œuvre les mesures en faveur de l’égalité.

De même, et nous y reviendrons dans nos amendements, si la création d’un index de l’égalité est une bonne mesure, force est de constater que sa conception même en fait presque un gadget.

L’égalité professionnelle et économique va bien au-delà de cet index ; il y a urgence à adopter des mesures pour lutter contre la précarité et le temps partiel, à créer une place d’accueil pour tous les enfants de moins de trois ans et à revaloriser les métiers à prédominance féminine.

Hier, la délégation aux droits des femmes du Sénat récompensait par un prix un certain nombre de personnalités ayant fait progresser les droits des femmes. Parmi les lauréates, il y avait Marie-Jo Zimmermann ; tout en se réjouissant du rapport Rixain, elle a déclaré que la proposition de loi que nous examinons n’aurait aucune raison d’être si la loi qu’elle avait portée il y a dix ans était appliquée.

Terrible constat, alors qu’une seule femme dirige un groupe du CAC 40 et que, depuis le 1er octobre, une seule femme est P-DG ; il n’y a que dix femmes à la tête de l’une des 120 sociétés cotées au SBF 120 !

Alors que les femmes représentent 33,72 % des cadres de ces mêmes entreprises, 22,37 % seulement sont membres de leur comité exécutif.

Cette proposition de loi, à défaut de grands progrès, apporte de petites améliorations pour renforcer la parité dans l’exercice du pouvoir. Je regrette que la rapporteure Laurence Garnier l’ait affaiblie en supprimant un certain nombre de dispositions introduites par l’Assemblée nationale.

De même, je regrette que la question de l’impact des violences domestiques sur les salariés n’ait pas été considérée comme entrant dans le périmètre de cette proposition de loi.

Bref, le chemin vers l’égalité semble encore loin et nous avons le sentiment que ce texte passe à côté du cœur des inégalités entre les femmes et les hommes dans les entreprises. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et RDSE. – Mme Annick Billon applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Henno. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE.)

M. Olivier Henno. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, lorsque mon groupe m’a proposé d’intervenir sur ce texte, je me suis posé la question suivante : est-ce la place d’un homme de plus de cinquante ans de débattre d’une proposition de loi sur l’égalité économique et professionnelle ? J’aurais pu d’ailleurs utiliser un autre terme, mais je m’en suis privé… (Sourires.)

Ma réponse est « oui », doublement « oui » : l’égalité entre les femmes et les hommes est un fait de société qui nous concerne toutes et tous, même si je dois confesser que, pour moi, cette question relève plus de la conversion que de la conviction spontanée – je suis plutôt saint Paul que saint Pierre en la matière… (Nouveaux sourires.)

C’est sans doute pour cette raison que, dans une volonté de travailler sur moi-même, j’ai récemment lu plusieurs ouvrages sur ce sujet. Je voudrais en citer un aujourd’hui, à savoir le livre passionnant de Frédéric Dabi, La fracture. Comment la jeunesse daujourdhui fait sécession : ses valeurs, ses choix, ses révoltes, ses espoirs…, qui traite de l’évolution de l’opinion des jeunes depuis les années 1960. Parmi les chiffres marquants qui ont retenu mon attention, il y a celui-ci : 72 % – oui, 72 % ! – des 18-30 ans estiment qu’il est plus facile d’être un homme qu’une femme.

Ce chiffre m’a particulièrement interpellé, mais ce n’est pas tout : alors que M. Dabi était interviewé au cours de la matinale d’une grande radio du service public, une jeune femme a appelé la station et, quand les journalistes l’ont interrogée sur l’opinion qu’elle avait de la politique et de nos institutions, en lui demandant pourquoi elle ne croyait plus dans notre modèle politique et démocratique, voici ce qu’elle a répondu : « Quand j’étais petite, on m’a dit que les femmes étaient moins payées que les hommes ; je pensais que, quand je serais grande, ce problème serait réglé, parce que c’est un problème qui me paraît facile à résoudre. Et là, maintenant que je suis grande, je me rends compte que ce problème n’est toujours pas réglé. » Oups !

Alors, bien sûr, c’est simplement dit et la réalité est souvent plus complexe. Mais cela ne change pas le problème de fond. Dans ce même livre, Frédéric Dabi confirme un sentiment personnel que j’éprouve depuis longtemps : les jeunes ne sont pas dans la logique du « tous pourris » ou dans une logique générationnelle, comme on peut l’entendre ici et là ; ils sont plutôt dans une logique de défiance par rapport à l’impuissance publique. Ils veulent des résultats et j’ai pour espoir qu’avec ce texte, même si beaucoup de choses restent à faire, nous pourrons commencer à apporter des résultats en la matière.

Je souhaite saluer l’esprit du présent texte ; la loi Copé-Zimmermann a plus de dix ans aujourd’hui et il est essentiel de proposer une nouvelle loi en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes.

Je suis heureux aussi que, sur ces questions, nous puissions trouver un consensus entre les différents groupes de notre assemblée, car l’égalité entre les sexes est un enjeu majeur.

Aujourd’hui, cela devient même, me semble-t-il, un enjeu de civilisation et notre capacité à résoudre ces injustices sera déterminante dans le regard que porteront les futures générations sur notre action.

Concernant le fond, je souhaite d’abord évoquer devant vous deux dispositions majeures de ce texte qui me tiennent particulièrement à cœur ; deux autres sujets m’ont également interpellé et inviteront des remarques de ma part.

La première disposition que je soutiens pleinement est celle qui vise à encourager l’entrepreneuriat féminin. J’ai été particulièrement marqué par un chiffre mentionné dans l’excellent rapport de notre collègue Laurence Garnier : 80 % des fonds investis dans les start-up françaises ont été dirigés vers des équipes intégralement masculines en 2020.

Ce chiffre donne à réfléchir : sommes-nous incapables, en France, d’investir dans nos talents féminins ou, pis encore, sommes-nous incapables de donner aux jeunes femmes de notre pays l’envie de s’engager dans une aventure entrepreneuriale ?

L’égalité entre les hommes et les femmes ne s’inscrit pas uniquement dans le respect des droits ou dans les postes de cadres en entreprise, mais aussi dans le lancement de projets, dans la confiance que nous donnons aux femmes qui créent leur entreprise.

Je salue donc l’article 8, relatif aux objectifs de mixité dans la politique de soutien menée par Bpifrance. J’ai aussi interrogé notre rapporteure à ce sujet, lors de la réunion de la commission des affaires sociales : il est essentiel que, demain, ces mêmes objectifs soient imposés aux banques privées et aux fonds d’investissement.

La seconde disposition que je souhaite saluer est celle qui entend favoriser la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, notamment en ce qui concerne la garde d’enfants et la parentalité. C’est entre trente et quarante ans que se forge une carrière, mais aussi que les femmes ont des enfants. Il faut donc tout faire pour leur permettre de vivre pleinement leur vie personnelle et professionnelle.

À cet égard, je partage les propos de Catherine Guillouard, présidente-directrice générale de la RATP et ancienne responsable des ressources humaines d’Air France, dans une interview sur ce sujet pour lequel elle s’est beaucoup mobilisée : « C’est en train de changer », dit-elle, ajoutant que « les entreprises sont conscientes qu’il faut changer les règles du jeu ». Elle conclut : « Je suis optimiste pour l’avenir. »

Je partage cet optimisme et j’espère que nous y contribuerons par cette proposition de loi.

Les deux remarques que je souhaite vous faire sur ce texte concernent le fond de nos débats, mais il s’agit aussi de réflexions personnelles sur notre société.

Tout d’abord, je relève qu’à l’article 7, article majeur de ce texte, il est proposé d’imposer une représentation équilibrée des femmes et des hommes parmi les cadres dirigeants d’entreprise. C’est un objectif auquel, avec notre groupe, je souscris. Cependant, parmi les moyens pour y parvenir, on trouve à la page 63 du rapport de notre collègue députée Marie-Pierre Rixain une disposition qui m’interpelle : la diffusion par le ministère du travail des scores obtenus par les grandes entreprises, selon la pratique dite du « name and shame ».

Personnellement, je vous le dis, mes chers collègues, je ne soutiens pas ce type de pratique. Bien sûr, je peux en comprendre l’utilité et la capacité d’influence, mais il ne me semble pas que ce soit le rôle de l’État de mettre en avant, sur l’un de ses sites internet, des entreprises pour les faire huer, critiquer ou, pis encore, pourquoi pas, demain, les rendre victimes de violences.

Notre rôle est de les condamner, comme il est proposé dans ce texte avec la pénalité financière prévue de 1 % de la masse salariale, mais non de faire sonner une sorte d’hallali populaire contre telle ou telle entreprise.

Ma seconde alerte porte sur l’article 5. À cet égard, je soutiens pleinement la décision de notre rapporteure Laurence Garnier de supprimer les dispositions relatives à la lutte contre les stéréotypes de genre à l’école. Comme elle l’a indiqué en commission, elles sont superfétatoires, car satisfaites par le droit en vigueur.

Les représentants de l’Union nationale des associations familiales (UNAF), que j’ai rencontrés la semaine dernière, m’ont expliqué que celles-ci déploient déjà sur le territoire des actions destinées à accompagner la parentalité et à promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes. Il n’est donc pas nécessaire d’inscrire dans la loi les dispositions proposées alors que ces associations diffusent déjà une information sur ces stéréotypes.

Pour conclure, mes chers collègues, je souhaite saluer le travail de la présidente de la délégation aux droits des femmes, Annick Billon, ainsi que l’excellent rapport de nos collègues Martine Filleul, Joëlle Garriaud-Maylam et Dominique Vérien. J’ai moi-même déposé quelques amendements sur ce texte pour aller encore plus loin en matière d’égalité. Nous en débattrons.

En tout cas, le groupe Union Centriste votera ce texte tel qu’amendé au cours de nos travaux. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme la rapporteure applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Guylène Pantel.

Mme Guylène Pantel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si du temps a passé depuis la loi Copé-Zimmermann – dix ans, pour être précise –, le constat reste le même : à travail égal et à ancienneté égale, une femme reste toujours moins bien payée qu’un homme.

Qu’est-ce qui explique que, dans le secteur privé, une femme gagne 17 % de moins ? Il y a d’abord – et principalement – une socialisation qui, quoiqu’elle évolue, favorise encore le travail des hommes au détriment de celui des femmes, qui ont de fait des carrières plus hachées et recourent plus largement au temps partiel.

Ensuite, il y a une répartition des métiers qui fait que les femmes font le choix de carrières souvent moins bien rémunérées que celles des hommes.

Enfin, il y a une part qui reste non identifiée, qui est celle de la discrimination à proprement parler, parfois inconsciente, mais bien réelle pour les femmes qui la subissent.

S’il y a eu de récentes évolutions – je pense notamment à l’allongement du congé paternité –, certains freins persistent, notamment en matière de responsabilités.

C’est vrai aussi bien en entreprise qu’en politique : si la parité au sein des assemblées délibérantes et des exécutifs est actée, seulement 11 % des présidents d’exécutif sont des femmes.

Pour en venir à cette proposition de loi, si le travail de la commission est venu clarifier le texte sur certains points, celui-ci n’apporte pas de révolution majeure : nous sommes loin de la grande cause du quinquennat !

Au titre des déceptions, on note surtout la consécration de droits non opposables, comme cela a déjà été dit. Je pense notamment à l’article 4 sur l’accès des familles monoparentales aux modes de garde collectifs, qui ne crée pas d’obligation, malgré le manque de places dans de nombreuses villes.

Ce n’est pas un service public, me direz-vous, mais au vu de l’ampleur des places manquantes, il faudra un jour s’interroger sur la manière dont les pouvoirs publics peuvent investir ce sujet.

Au titre des dispositions ne créant pas d’obligations, nous avions une véritable interrogation sur les douze semaines de télétravail pour les femmes enceintes, prévues initialement à l’article 3 bis.

Si le dispositif pouvait être intéressant pour les femmes concernées, il comportait plusieurs risques : d’abord, celui qu’il soit très fortement proposé – pour ne pas dire imposé – à une femme et qu’il vienne remplacer le congé maternité. Ensuite, il créait une inégalité dans la mesure où toutes les femmes ne disposent pas d’emploi leur permettant de télétravailler.

Concernant l’article 1er relatif au versement des salaires et des prestations sociales de manière individualisée, nous y sommes favorables, mais nous regrettons que la majorité de l’Assemblée nationale se contredise, à en juger par son vote sur la déconjugalisation de l’AAH.

Finalement, les véritables avancées proposées à ce texte se trouvent à l’article 7, qui prévoit d’étendre l’objectif de représentation équilibrée aux instances dirigeantes d’une entreprise.

Nommer et blâmer les entreprises qui ne respecteraient pas cet impératif de 30 %, puis de 40 %, de femmes dans les instances dirigeantes est, selon nous, une nécessité. Pendant trop longtemps, nous en sommes restés à l’incitation ; il est désormais nécessaire d’agir plus intensément pour faire bouger les lignes : c’est ce qui nous est proposé à cet article 7.

Nous proposerons aussi, par voie d’amendement, de rétablir la version de l’Assemblée nationale pour que la publication des éventuels écarts se fasse un an après l’entrée en vigueur de cette loi et non pas cinq ans après, comme le propose la commission.

À cet article 7, toujours, nous proposerons également d’instaurer un plancher pour le montant des pénalités prévues en cas de non-respect des obligations de représentation de chaque sexe au sein des postes à fortes responsabilités.

Pour conclure, le groupe du RDSE, dans sa majorité, votera ce texte, conscient qu’il n’apporte pas de grandes révolutions, mais estimant qu’il représente un pas supplémentaire dans la longue marche vers l’égalité entre femmes et hommes en entreprise. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)