M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. Philippe Mouiller, rapporteur de la commission des affaires sociales pour lautonomie. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, en cette fin d’année, la jeune branche autonomie achève son tout premier exercice ; cette nouvelle étape de l’histoire de la sécurité sociale est à l’heure d’un premier bilan.

Il est bien mince. Aucune conséquence n’a été tirée de la création d’une nouvelle branche qui comprend, comme l’an dernier, les dépenses de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, la CNSA, et celles de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé, l’AEEH.

Le problème, c’est la méthode : toujours pas de vision à moyen ou long terme de la politique de l’autonomie ! Certes, la loi du 7 août 2020, qui a créé la branche, a aussi prévu de lui transférer en 2024 une part de contribution sociale généralisée (CSG) dérivée de la Cades. Mais, pour l’heure, le déficit atteint 900 millions d’euros.

L’objectif de dépenses de la branche pour 2022 s’élève à 34,2 milliards d’euros, soit 800 millions d’euros de plus que le tendanciel de dépense. Cette somme, non négligeable, finance notamment deux nouveautés, que je salue.

La première nouveauté est l’extension des revalorisations salariales issues du Ségur de la santé aux agents de la fonction publique hospitalière, ainsi qu’aux agents exerçant comme soignants, aides médico-psychologiques, auxiliaires de vie sociale et accompagnants éducatifs et sociaux des établissements financés au moins en partie par l’Ondam. Cela représente un large pan du champ médico-social, mais pas son intégralité.

Ces revalorisations successives, par cercles excentriques, de l’hôpital vers le secteur social sont incompréhensibles pour les personnels sur le terrain, voire pour l’administration elle-même. Encore un problème de méthode.

Elles déstabilisent un secteur aux statuts très hétérogènes du fait de l’aspiration des professionnels par les services concernés par les revalorisations. Nombreuses sont les structures associatives qui sont aujourd’hui menacées de fermeture. Dans le secteur du handicap, l’alerte est extrêmement sérieuse.

Le dispositif le plus ambitieux du texte engage la réforme des structures en prévoyant la fusion des services d’aide et d’accompagnement à domicile (SAAD), des services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) et des services polyvalents d’aide et de soins à domicile (Spasad) dans une entité unique baptisée « services autonomie à domicile », dont le pouvoir réglementaire devrait fixer à 22 euros la valeur du tarif plancher national.

De nouveau, une question de méthode se pose. En effet, il est regrettable que l’ensemble des acteurs du domicile n’aient pas été intégrés à cette réforme et que nous n’ayons pas profité de cette opportunité pour évoquer le mode mandataire, l’emploi direct et les prestataires de santé à domicile.

Une « dotation qualité » de 3 euros financera des services s’engageant par contrat avec les départements à respecter certaines contraintes. C’est une avancée notable vers la rationalisation de l’offre et l’amélioration du financement de ces structures.

Ces mesures, qui vont dans la bonne direction, illustrent les limites d’une méthode consistant à retoucher ce qui peut l’être en loi de financement, faute d’avoir pu transformer en loi la concertation pourtant bien engagée sur le grand âge et l’autonomie : la vision d’ensemble est quasi absente, la concertation préalable avec les professionnels ou les départements faible, mais la complexité s’accroît à chaque dispositif nouveau.

Songez que les concours de la CNSA aux départements transiteront désormais par une dizaine de canaux différents…

À ces dispositifs d’intérêt variable, les députés ont ajouté, sur l’initiative du Gouvernement ou du groupe majoritaire, huit autres articles d’un intérêt, si je puis dire, plus variable encore.

Je ne prendrai pour exemple que l’expérimentation d’une carte professionnelle pour les salariés du domicile, qui serait anodine si le climat n’était pas aussi tendu pour le secteur. La commission vous proposera de la supprimer.

En 2003, la canicule avait donné lieu à la création de la CNSA, de la journée de solidarité et d’un plan pour le grand âge. Derrière ces dispositifs, quelques idées simples : l’engagement d’une réflexion stratégique sur l’autonomie ; une caisse à la gouvernance innovante ; la création de ressources nouvelles ; un début de vision pluriannuelle.

Dix-huit ans plus tard, après un traumatisme social au moins égal en intensité, que propose le Gouvernement ? La transformation, sans conséquences opérationnelles, de la CNSA en caisse de sécurité sociale, d’innombrables missions et groupes de travail dont peu d’enseignements sont tirés et quelques mesures nouvelles que je vous ai présentées.

Ces efforts ne sont pas à la hauteur des attentes de nos concitoyens.

Pour maintenir les questions d’autonomie à l’agenda politique et qu’enfin des décisions de financement soient prises, la commission des affaires sociales vous propose d’institutionnaliser le dialogue entre les différents partenaires, sous la forme d’une conférence annuelle des générations et de l’autonomie, alimentant le travail du Parlement. Puisse-t-elle jouer le rôle qu’a la Conférence nationale du handicap pour faire progresser la prise en charge des plus fragiles. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Christian Klinger, rapporteur pour avis de la commission des finances. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le Gouvernement a présenté le 7 octobre dernier le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022.

Au regard de ses effets sur nos finances publiques, la commission des finances a souhaité se saisir pour avis de ce texte. Cet avis porte principalement sur la trajectoire des comptes sociaux.

Les finances de la sécurité sociale se trouvent aujourd’hui prises entre deux tendances contradictoires : la crise sanitaire a provoqué un effondrement sans précédent des comptes de la sécurité sociale, les mesures de confinement s’étant poursuivies dans la première moitié de l’année.

Dans le même temps, la reprise économique, plus vigoureuse que prévu, vient améliorer les prévisions de recettes et de solde par rapport à celles qui étaient inscrites dans la loi de financement de la sécurité sociale de l’année dernière.

Cette reprise économique, si elle est bien entendu une bonne nouvelle, ne doit pas faire oublier les risques majeurs qui pèsent aujourd’hui sur les comptes sociaux. Je préfère ainsi parler de « convalescence » des comptes sociaux : s’il y a indéniablement une amélioration des indicateurs, les effets de la crise se font encore sentir, et elle continuera à marquer la trajectoire des finances sociales pour de nombreuses années à venir.

En 2022, nous pouvons espérer que l’essentiel de la crise sera derrière nous. Cet optimisme se traduit dans les prévisions pour les comptes sociaux : le déficit du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) devrait être ramené à 21,6 milliards d’euros, ce qui représente une réduction de 37,5 % par rapport à l’exercice précédent.

Ce déficit reste néanmoins vertigineux, et c’est aussi le moment où nous devons nous interroger sur la trajectoire des comptes sociaux et leurs risques de dérives. En effet, il est possible désormais de mieux distinguer entre les augmentations de dépenses, qui visent à répondre immédiatement à la crise, et celles qui ont vocation à s’installer dans la durée. Les premières ne représentent pas une menace pour les comptes sociaux, contrairement aux secondes.

À ce titre, laissez-moi citer un chiffre : il est estimé qu’à l’horizon 2024, le déficit du régime général et du FSV serait supérieur à 10 milliards d’euros.

Ces déficits sont qualifiés par la Cour des comptes, dans son rapport du début d’octobre, de « permanents » ; c’est-à-dire qu’ils ne se résorberont pas, sauf mesures nouvelles ou « miracle » économique.

L’amélioration des indicateurs économiques par rapport à ceux qui sont inscrits dans le PLFSS ne sera pas suffisante pour changer cet état de fait. Il demeurera toujours à partir de 2024 un déficit permanent et élevé. Or plus longtemps on maintiendra ce déficit, plus il sera difficile d’inverser la tendance et plus la perspective d’un retour à l’équilibre des comptes s’éloignera.

Mais tout le problème est là : le projet de loi de financement de la sécurité sociale ne présente aucune mesure structurelle forte à même de rétablir la trajectoire des comptes de la sécurité sociale.

Toutes les mesures de maîtrise des dépenses ne sont pas incompatibles avec la croissance économique ; certaines peuvent au contraire la favoriser. Je pense par exemple à la lutte contre la fraude sociale. La seule mesure présente dans le texte est une simplification marginale du processus de contrôle.

La grande absente du projet de loi reste la réforme des retraites. En effet, quoique la branche vieillesse n’ait été que marginalement affectée par la crise, elle est aujourd’hui celle qui connaît l’évolution, en pourcentage, la plus inquiétante. Le déficit de la branche vieillesse devrait, en 2025, être plus de trois fois supérieur à celui de 2022.

Nous sommes ainsi obligés de poser à nouveau la question de la gestion de la dette sociale.

Le présent projet de loi de financement met en avant des déficits cumulés du régime général et du FSV supérieurs à 92 milliards d’euros pour la période 2020-2023. En outre, un déficit de 10 milliards d’euros est attendu pour l’exercice 2024. Idem pour celui de 2025.

Ces perspectives rendent irréaliste la prévision actuelle d’une extinction de la Cades aux environs de 2033. Il apparaît alors que le poids de la dette sociale est confié aux générations futures, ce que l’on cherchait pourtant à éviter avec la création de cette caisse en 1996.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, la commission des finances a émis un avis défavorable sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, pendant toute la crise sanitaire, dont nous ne sommes toujours pas sortis, notre système social a répondu « présent » pour les Français.

Conformément aux promesses de 1945, il a protégé leurs revenus contre les aléas de l’existence – ceux-ci ont été nombreux au cours des deux dernières années – et a pris soin de leur santé dans un cadre solidaire.

Nous attendons légitimement beaucoup de notre protection sociale, qui fait partie de notre bien commun. Mais le financement de ce bien commun n’a rien du miracle : il repose sur les ménages et les entreprises qui manifestent souvent, désormais, sous des formes diverses, une certaine lassitude à l’égard des prélèvements obligatoires.

La crise sanitaire ne doit pas effacer celle qui l’a précédée, et qui a révélé la gravité des fêlures de notre société : celle des « gilets jaunes ».

Dans ce contexte, le projet de loi de financement de la sécurité sociale est un objet politique majeur. Acquis démocratique, il est le moment par excellence où doivent se confronter les attentes à l’égard du système social et les dispositions à même d’assurer son financement.

Rappelons que l’enjeu est de taille : de l’ordre de 500 milliards d’euros. Il mérite que l’on s’y attarde un instant.

C’est donc le moment de s’interroger sur la part de l’effort que les Français souhaitent consacrer à la santé, aux retraites, à la famille, au vieillissement. Cet effort est légitime ; rappelons que d’autres le sont tout autant : l’éducation et la formation professionnelle, mais aussi la culture ou la défense, pour n’en citer que quelques-uns.

Aucun sujet n’est tabou, bien au contraire, mais les questions doivent être clairement posées.

Or il semble à la commission des affaires sociales que ce projet de loi prend le plus grand soin à les éluder très largement.

Sur la santé, le système public donne l’impression d’être hors de contrôle malgré les efforts budgétaires déployés. Les soignants fuient l’hôpital, certes épuisés par la crise, mais surtout en perte de sens dans des organisations qu’ils ne comprennent plus.

Il est désormais certain que le Ségur de la santé n’y suffira pas, mais quel cap donner à présent au système de santé ?

Sur l’autonomie, les années passent et nous rapprochent de plus en plus d’un véritable mur de financement, que les évolutions démographiques rendent inéluctable. Le diagnostic est clairement posé par les rapports qui s’empilent. Mais faute d’avoir répondu à la question cruciale du financement, la réforme s’est enlisée et le dossier patine. Qui doit assumer le financement de l’autonomie ? Les personnes concernées et, le cas échéant, leur patrimoine ? Les jeunes retraités pour préparer l’avenir ? La société dans son ensemble, mais, dans ce cas, sous quelle forme : l’impôt, l’assurance obligatoire ? Cette question relève-t-elle de l’aide sociale pour les plus pauvres ou d’une assurance généralisée ? Le système actuel proclame la seconde, mais ne finance de facto que la première, et encore partiellement.

Aucune réponse n’ayant été apportée à ces questions, la branche autonomie reste une coquille vide qui ne fait que labelliser des dispositifs existants. Ce ne sont pas les dispositifs proposés par le PLFSS qui suffiront à répondre aux enjeux.

Sur les retraites, faut-il rappeler que les paramètres sont bien identifiés entre le niveau de vie que l’on souhaite garantir aux retraités et les efforts que l’on est prêt à consentir pour y parvenir ? Là encore, notre système doit s’adapter à des évolutions démographiques. La France vieillit : il faut faire en sorte qu’elle puisse en assumer les conséquences pour des générations moins nombreuses et confrontées de surcroît à des conditions économiques difficiles.

La réforme des retraites la plus astucieuse et la plus complexe ne fera pas disparaître ces paramètres qui s’imposent à nous. Comme les années précédentes, la commission invite le Sénat à prendre ses responsabilités, sans tarder davantage et sans bercer les Français de contes qui ne dureront que le temps d’une campagne présidentielle. Ils ne sont pas des enfants et n’ont pas manqué de le faire savoir.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale devrait donc être l’occasion d’aborder ces grands enjeux et de se projeter dans l’avenir.

Au lieu de cela, que nous propose ce texte ? Rien sur l’avenir, en tout cas, puisque la trajectoire pluriannuelle ne porte aucune trace d’action volontariste. Elle ne se fait en quelque sorte que le sismographe des effets de la croissance envisagée sur les comptes sociaux.

Pour les décisions, il est acté qu’il en faudra, mais elles viendront plus tard.

Nous pensons qu’une telle position n’est pas tenable et nous vous proposerons d’en tirer les conséquences.

Pas grand-chose non plus sur la santé : le projet de loi de financement s’est mué cette année en catalogue de mesures éparses qui auraient souvent mieux trouvé leur place ailleurs.

Entre l’encadrement des mesures de contention en psychiatrie, dont on peinera à nous expliquer pourquoi, après deux censures du Conseil constitutionnel, elles n’ont pu faire l’objet d’un texte spécifique, ou les aménagements par petites touches de la répartition des compétences entre les différentes professions de santé, on hésite, malgré le sérieux des sujets, entre l’inventaire à la Prévert et la complainte du progrès !

Pour redonner sa portée au PLFSS, la commission des affaires sociales a pris le parti de le recentrer sur sa vocation première, telle que la Constitution la définit, c’est-à-dire les questions de financement, qui à nos yeux se posent de façon cruciale cette année encore.

Elle vous propose donc de supprimer toute une série de dispositions qui n’ont pas leur place dans ce texte et appelle à une saisine du Conseil constitutionnel sur ce point, afin qu’il structure clairement sa jurisprudence. Elle a de ce fait appliqué avec rigueur, mais discernement me semble-t-il, les irrecevabilités spécifiques qui s’y attachent. L’enjeu est celui de la démocratie : les délais constitutionnels ne doivent pas forcer la main des parlementaires pour examiner à la va-vite diverses mesures d’ordre social qui seraient la « voiture-balai » du quinquennat !

Le PLFSS n’est pas le succédané d’une loi Grand Âge ayant renoncé à ses ambitions ou d’une loi Santé qui en serait dépourvue.

C’est donc dans cet état d’esprit que nous abordons l’examen de ce texte, avec des objectifs clairs : il ne suffit pas de se gargariser de l’excellence de notre modèle social ; encore faut-il lui donner les moyens de se renouveler et de s’adapter afin que nous puissions en faire non pas une parenthèse dans l’histoire, mais bien un legs pour les générations futures. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022
Discussion générale

M. le président. Je suis saisi, par Mmes Cohen, Apourceau-Poly et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° 415.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de financement de la sécurité sociale pour 2022 (n° 118, 2021-2022).

La parole est à Mme Laurence Cohen, pour la motion.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, face à la crise sanitaire qui a ébranlé le pays et mis en tension notre système de santé, et singulièrement les services hospitaliers, le Gouvernement a enfin choisi de ne pas poursuivre les réductions de dépenses pour l’hôpital.

Après quatre ans de coupes claires, soit plus de 4 milliards d’euros depuis 2017, vous maintenez, monsieur le ministre, le même niveau – hors Ségur – que l’année dernière.

Cette pause est la bienvenue, mais va-t-elle suffire à redresser la barre ? Les personnels sont épuisés et leurs conditions de travail ne leur permettent plus d’assurer leur mission dans de bonnes conditions, ce qui ne peut que nuire à la qualité des soins.

Outre la nécessité de dégager des moyens suffisants, il s’agit de les rendre pérennes, ce que vous n’êtes visiblement pas prêts à faire.

L’Ondam, sacro-saint objectif que nous n’avions jamais pu faire évoluer malgré les mobilisations syndicales et politiques, a dépassé fort heureusement la barre des 9 % d’augmentation en 2020, et le pouvoir à l’hôpital a quelque peu échappé aux technocrates pour laisser les équipes s’organiser, s’entraider au mieux des intérêts des patients.

Mais pour 2022, retour à un Ondam inférieur à l’augmentation du coût des dépenses de santé, qui se situe entre 4 % et 5 %. Vous ne tirez donc aucune leçon de ce que nous sommes en train de vivre. Le Gouvernement semble pressé d’en finir avec la crise sanitaire pour reprendre sa politique là où il l’avait laissée, c’est-à-dire en réduisant et en contraignant encore et toujours les budgets.

Ce budget, présenté comme exceptionnel par le Premier ministre, est en réalité une poursuite de l’offensive contre notre système de sécurité sociale. Après avoir décidé en 2020 de faire payer à la sécurité sociale la crise sanitaire et ses conséquences économiques, le Gouvernement poursuit sa logique de fiscalisation de la sécurité sociale. Nous sommes passés en quinze ans d’un financement de l’assurance maladie majoritairement par les cotisations sociales à un financement aux deux tiers par la CSG et les taxes.

En réalité, les assurés sociaux perdent 75 milliards d’euros en exonérations de cotisations sociales et paient 75 milliards d’euros en TVA et en CSG pour compenser les pertes.

Faire les poches des assurés sociaux, des retraités, sans parler de l’obligation d’avoir recours à des mutuelles ou à des assurances pour être mieux remboursé : on est loin du « 100 % sécu », qui a pourtant fait ses preuves pendant la pandémie ! On est loin de la sécurité sociale universelle, contrairement au discours du Gouvernement sur sa « grande sécu ».

Nous refusons cette fiscalisation de la sécurité sociale, qui conduit à une mainmise de l’État – et, surtout, de Bercy – sur elle, qui traque tout ce qui est dépenses sociales.

La sécurité sociale est confrontée à une crise de financement entretenue par les multiples exonérations de cotisations sociales qui viennent assécher ses ressources, d’autant que toutes ne sont pas compensées.

Le Gouvernement reste fixé sur les dépenses, pensant s’en sortir par une reprise de l’activité économique, ce qui est parfaitement illusoire. Les exonérations de cotisations, qui ont doublé depuis 2013, se poursuivent. En conséquence, les recettes de la branche maladie restent inférieures à leur niveau de 2018, alors que cette branche est soumise à une augmentation des dépenses sans précédent avec la pandémie.

Un petit rappel s’impose : l’ensemble des niches sociales s’élève à 90 milliards d’euros.

Ces choix politiques assumés ont de violentes conséquences sur notre système de santé puisqu’en 2022, il manquera 21 milliards d’euros pour financer les dépenses de santé, soit l’équivalent de l’allégement lié au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE).

Le fameux « trou de la sécu », qui est totalement organisé, est utilisé par le Gouvernement pour justifier les régressions sociales. Plutôt que d’assumer le coût de la crise sanitaire en empruntant à un taux négatif, comme l’État le fait actuellement, vous avez préféré laisser l’ardoise à la sécurité sociale pour faire payer la pandémie par les cotisations des assurés sociaux.

Fidèles aux valeurs et aux principes qui ont permis l’édification de la sécurité sociale dans notre pays, nous sommes pour la suppression des exonérations de cotisations sociales et favorables à un retour de l’autonomie du budget de la sécurité sociale vis-à-vis de l’État, ainsi qu’à sa gestion par des administrateurs élus par les salariés et leurs ayants droit.

Ce projet de loi de financement de la sécurité sociale, en prévoyant de faire financer la perte d’autonomie sur le dos des salariés et des retraités, porte atteinte au principe de partage de la valeur créée, qui fonde notre système de protection sociale.

La crise sanitaire sans précédent qui a secoué notre pays, comme l’ensemble du monde, et qui n’est pas terminée, a mis en évidence comme jamais les failles de notre système de santé, creusées par les choix politiques faits depuis vingt ans.

L’hôpital a tenu le coup grâce à l’engagement des personnels, mais à quel prix ? Celui d’un épuisement généralisé et d’une exigence partagée d’un changement de politique à leur égard. Or, après qu’ils ont été envoyés au front sans protection, après qu’ils ont été applaudis le soir à vingt heures, leurs conditions de travail ne cessent de se dégrader.

De plus, on a assisté à une stigmatisation des personnels, accusés de ne pas se faire vacciner suffisamment vite. Une défiance telle s’est propagée que des contrôles de leurs arrêts de travail ont été organisés, et certains personnels ont même perdu leur emploi faute de vaccination.

Je défends, comme l’ensemble de mon groupe, la vaccination, mais il y avait d’autres mesures à prendre que cette entorse sans précédent au code du travail, comme si l’on pouvait se passer d’elles et d’eux pour faire tourner les services, alors que la pénurie de personnel se fait sentir partout.

La colère, l’amertume sont palpables dans tous les services. Selon une étude parue au printemps dernier, si c’était à refaire, trois médecins sur dix choisiraient une autre profession. Toutes les professions médicales et paramédicales sont touchées.

Les contreparties financières à leur engagement dans la crise sanitaire dégagées par le Ségur de la santé sont jugées insuffisantes, car elles représentent en réalité un rattrapage de dix ans de blocage des salaires. Et il a fallu des réajustements, car beaucoup de catégories professionnelles, notamment dans le secteur médico-social, avaient été oubliées et le sont encore aujourd’hui.

Vous nous dites, monsieur le ministre, que si des lits sont fermés – 13 300 depuis 2017, dont 5 700 en pleine crise sanitaire, et je ne fais pas référence à l’alerte récente du professeur Delfraissy –, c’est par manque de personnel. Mais seulement 15 000 recrutements sont prévus par le Ségur de la santé, soit en réalité 7 500 selon Bercy, ce qui fait à peine six postes par hôpital, quand les postes vacants représentent près de 20 % des effectifs.

Pourtant, en un an, le nombre de départs d’infirmières et d’infirmiers exerçant dans le public a bondi de 43 %. Frédéric Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France (FHF), vient d’estimer les besoins de recrutements à 125 000 personnes : 25 000 infirmières et aides-soignantes, ainsi que 100 000 personnes dans les Ehpad. Ces chiffres sont proches des revendications syndicales, avec une exigence de 100 000 emplois par an sur trois ans pour les Ehpad et de 100 000 emplois pour les aides à domicile.

Face aux difficultés de recrutement dans les professions paramédicales et médicales, le Gouvernement fait comme si la crise sanitaire était l’unique cause de l’épuisement des professionnels de santé. Mais c’est oublier que si les moyens financiers avaient été débloqués en 2019 lors du plan Ma santé 2022 pour augmenter la capacité de formation des médecins et autres spécialités de santé, nous aurions pu, d’ici cinq ans, inverser la courbe de réduction du nombre des médecins généralistes pour 1 000 habitants. Ce n’est pourtant pas une crise de vocations, puisque, du côté des jeunes, l’élan pour les métiers de soins est toujours présent. Nous sommes certes passés d’un numerus clausus national à un numerus clausus fixé selon les capacités d’accueil des universités, mais les chiffres restent très bas compte tenu du manque de moyens de ces dernières.

Selon le sociologue de la santé Frédéric Pierru, les rémunérations ne figurent pas en tête des facteurs de satisfaction au travail : les soignants privilégient le soutien des collègues, des supérieurs, la reconnaissance du travail effectué et, bien entendu, les conditions de travail, qui déterminent la qualité de l’ambiance au sein des équipes.

Rien n’est prévu dans ce PLFSS 2022 pour répondre à ces justes revendications. L’adaptation de la société au vieillissement, la nécessité de recouvrer notre souveraineté sanitaire avec une production de médicaments et de produits de santé en France, comme nous vous y invitons à travers notre proposition de loi portant création d’un pôle public du médicament et des produits médicaux, la mise en œuvre d’une démocratie sanitaire qui accorde enfin une place aux personnels, aux usagers et aux élus locaux, une psychiatrie digne du XXIsiècle : voilà des sujets urgents à traiter.

Ce PLFSS est un empilement d’articles qui ne font ni sens ni cohérence. Le monde a changé, l’hôpital public doit redevenir la place forte d’un nouveau modèle de santé. Il est essentiel, par exemple, de créer toutes les conditions d’une coopération entre médecine de ville et médecine hospitalière, à l’heure où les déserts médicaux étendent leur spectre sur l’ensemble du territoire.

Il est plus que jamais indispensable d’avoir une vision à long terme. Or cette vision à long terme, cette impulsion, c’est à l’État de la donner. Hélas ! monsieur le ministre, c’est tout le contraire que vous faites. Vous lancez des appels à projets auprès des ARS et vous attendez leur retour pour faire vos choix. Mais ce n’est pas ce qu’on attend d’une politique de santé nationale ! Sans vision globale, c’est la déliquescence généralisée. (M. le ministre sexclame.)

Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe CRCE a décidé de déposer cette motion tendant à opposer la question préalable. Et j’espère qu’elle sera votée ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)