M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat. Cet amendement tend à réduire à 1 milliard d’euros le transfert opéré, en 2022, de la branche AT-MP à la branche maladie au titre de la sous-déclaration des accidents du travail et maladies professionnelles.

Comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, les chiffres qui vous sont proposés ne sortent pas de nulle part. Ils sont le fruit de travaux et d’évaluations.

La commission chargée d’évaluer le coût de la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles s’est réunie au premier semestre 2021. Elle s’est appuyée sur des études épidémiologiques récentes, qui estiment l’incidence des pathologies d’origine professionnelle. Composée d’experts scientifiques indépendants et présidée par un magistrat de la Cour des comptes, elle a remis ses travaux à l’été au Parlement.

La réévaluation évoquée ici est donc imputable, non pas à une hausse de la sous-déclaration stricto sensu, mais avant tout à une actualisation des données scientifiques disponibles.

Le montant de 1,1 milliard d’euros, en augmentation de 100 millions d’euros par rapport aux transferts opérés depuis 2015 par la branche AT-MP, apparaît comme cohérent avec la trajectoire d’augmentation définie par le rapport de la commission, dont vous avez pris connaissance. Il reflète le choix arrêté par le Gouvernement d’une convergence progressive vers la borne basse de l’estimation, telle qu’actualisée par la commission.

Pour toutes ces raisons, une réduction du montant du transfert ne nous semble pas opportune. Elle ne reposerait sur aucun fondement scientifique et irait à l’encontre des études aujourd’hui mises à notre disposition.

Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement n° 234.

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Pascale Gruny, rapporteur. Les travaux auxquels vous faites référence, monsieur le secrétaire d’État, reposent sur des évaluations, non des chiffres réels.

Cet été, nous avons adopté un texte concernant la prévention. Il faut donc que les entreprises fassent de la prévention, et ce n’est pas en donnant de l’argent à la branche maladie que l’on va encourager cette évolution !

On demande – mon collègue René-Paul Savary s’est attelé au sujet – à ce que l’on travaille plus longtemps, jusqu’à un âge plus avancé. Notre espoir, c’est que les personnes puissent partir à la retraite en bonne santé. Il serait donc préférable que l’argent pris pour la branche maladie soit consacré à la prévention en entreprise.

Les grandes entreprises n’ont pas de problèmes, elles ont les moyens d’accompagner leurs salariés. Mais les petites entreprises n’en ont pas du tout : ce sont elles qu’il faut aider.

Cet argent est vraiment nécessaire à la branche AT-MP et, de toute façon, ce ne sont pas les 100 millions d’euros que vous reverserez à la branche maladie qui vous permettront d’équilibrer ses comptes !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 234.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 57, modifié.

(Larticle 57 est adopté.)

Article 57
Dossier législatif : projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022
Article additionnel après l'article 57 - Amendement n° 806 rectifié

Après l’article 57

M. le président. L’amendement n° 969 rectifié ter, présenté par Mme Lubin, MM. Jomier et Kanner, Mmes Conconne et Féret, M. Fichet, Mmes Jasmin, Le Houerou, Meunier, Poumirol et Rossignol, M. Antiste, Mmes Blatrix Contat et Bonnefoy, M. Bouad, Mme Briquet, MM. Chantrel, Durain, Gillé, Jacquin et P. Joly, Mme G. Jourda, MM. Leconte, Lurel, Mérillou et Michau, Mme Monier, MM. Montaugé et Pla, Mme Préville, M. Redon-Sarrazy, Mme S. Robert, MM. Sueur, Temal, Tissot, Vaugrenard, Stanzione, Cozic et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 57

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La première phrase du second alinéa de l’article L. 176-2 du code de la sécurité sociale est complétée par les mots : «, ainsi que des pathologies psychiques liées au travail ».

La parole est à Mme Monique Lubin.

Mme Monique Lubin. Nous tirons cet amendement du rapport parlementaire des députés Yves Censi et Gérard Sebaoun relatif au syndrome d’épuisement professionnel, dit burn-out, et datant de 2017.

Nous souhaitons faire évaluer, par la commission instituée à l’article L. 176-2 du code de la sécurité sociale, le coût des pathologies psychiques liées au travail actuellement supporté par l’assurance maladie.

Nous venons d’en parler, chaque année, la branche AT-MP reverse une somme importante d’argent à la branche maladie pour tenir compte de la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles. Nous proposons donc d’inclure les coûts du burn-out dans ce décompte.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Pascale Gruny, rapporteur. En matière de risques psychosociaux, les employeurs ont déjà accompli des efforts. Néanmoins, c’est vrai, le risque évoqué s’aggrave et il est délicat pour les employeurs de trouver, seuls, les bonnes mesures. Il faut donc améliorer l’accompagnement par les médecins du travail et renforcer le réseau de consultations multidisciplinaires spécialisées.

En revanche, il ne paraît pas opportun que la commission chargée d’évaluer le coût de la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles se risque à une évaluation sur ce sujet. Elle ne disposerait d’aucun dénombrement précis et ne serait pas en mesure d’aller au-delà de ce qui peut, actuellement, être reconnu en maladie professionnelle.

Si l’on peut recenser les affections psychiques reconnues par les caisses primaires d’assurance maladie en AT-MP, le nombre des pathologies qui auraient dû être déclarées et auraient pu, dans ce cas, être reconnues est effectivement plus délicat à établir.

La commission chargée d’évaluer le coût de la sous-déclaration avait donc fait le choix, en 2017, de ne pas intégrer les maladies psychiques dans le champ d’évaluation. La première estimation, fournie en 2021, est très imprécise et varie du simple au triple. Comme le reconnaît elle-même la commission, les fragilités méthodologiques d’une telle évaluation, liées au caractère plurifactoriel de ces pathologies, sont inévitables.

Sincèrement, il vaut mieux que les médecins du travail travaillent à essayer d’identifier précisément les personnes concernées par un risque de santé mentale. Une approche globale est vraiment complexe à mettre en œuvre du fait de ce caractère multifactoriel des risques psychosociaux. En outre, faire entrer ces pathologies dans le champ de la sous-déclaration n’apporterait aucune amélioration.

L’avis de la commission est donc défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat. Il est également défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 969 rectifié ter.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 57 - Amendement n° 969 rectifié ter
Dossier législatif : projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022
Article 58

M. le président. L’amendement n° 806 rectifié, présenté par Mmes Cohen, Apourceau-Poly et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Après l’article 57

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport concernant l’application de l’article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999. Il peut évaluer la pertinence des mécanismes de déclaration des accidents et maladies professionnelles, et la difficulté à faire établir le lien entre la pathologie et l’exposition à un danger. Il peut notamment évaluer la pertinence d’étendre les mécanismes de réparation aux personnes qui souffrent de pathologies suite à une infection au Sars Cov-19, vraisemblablement contractée sur le lieu de travail lors de l’épidémie.

La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.

Mme Cathy Apourceau-Poly. La crise sanitaire que nous traversons est loin d’être terminée. Nos soignants ont été et sont encore en première ligne.

Sauf à avoir eu besoin d’une assistance respiratoire, une partie de nos concitoyens ayant été en première ligne et ayant développé des formes graves du covid-19 ne se voient pas accorder la reconnaissance de maladie professionnelle. Ou alors, il leur faut monter tout un dossier et passer devant une commission, afin d’établir le lien de causalité entre leur travail de soignant, caissier, transporteur et leur maladie.

Est-ce là la reconnaissance que la Nation accorde à celles et ceux qui ont tenu la ligne pour que notre pays résiste ?

J’ai l’exemple d’une infirmière atteinte du covid-19 qui, son mari étant pneumologue, a fait le choix d’être soignée à domicile pour ne pas encombrer l’hôpital où ils travaillent tous les deux. Aujourd’hui, elle rencontre quelques difficultés, notamment du fait de séquelles pulmonaires. Toutefois, n’ayant pas été prise en charge à l’hôpital, elle n’a pas bénéficié de la reconnaissance en maladie professionnelle.

Les soignants qui se trouvent dans une telle situation en gardent un sentiment d’amertume profond et le sentiment de ne pas être reconnus, sans compter qu’ils ont perdu, en plus de leur santé, une partie des primes annuelles auxquelles ils ont droit.

Le minimum que nous puissions faire, aujourd’hui, est de prévoir une reconnaissance automatique et systématique du covid-19 comme maladie professionnelle pour celles et ceux qui sont tombés malades pour permettre au pays de tenir.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Pascale Gruny, rapporteur. L’amendement portant sur une demande de rapport, la commission émet un avis défavorable.

De plus, sur le fond, il ne semble pas y avoir de lien entre l’article visé de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, qui concerne le dispositif de retraite anticipée des travailleurs de l’amiante, et une éventuelle réparation des malades de la covid-19.

Il serait peut-être plus facile d’appliquer une reconnaissance systématique de la covid-19 comme maladie professionnelle en milieu hospitalier. Mais ce ne serait pas le cas en entreprise. Vous savez aussi très bien, madame Apourceau-Poly, que pour une partie des cas la maladie a pu être contractée au cours de moments de convivialité, en famille ou entre amis.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat. Il est également défavorable.

M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour explication de vote.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Ce n’est pas une demande de rapport, madame le rapporteur. Nous souhaitons que les soignants ayant contracté le covid-19 bénéficient d’une reconnaissance de maladie professionnelle.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 806 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 57 - Amendement n° 806 rectifié
Dossier législatif : projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022
Après l’article 58

Article 58

Pour l’année 2022, les objectifs de dépenses de la branche Accidents du travail et maladies professionnelles sont fixés :

1° Pour l’ensemble des régimes obligatoires de base de sécurité sociale, à 14,1 milliards d’euros ;

2° Pour le régime général de la sécurité sociale, à 12,7 milliards d’euros.

M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, sur l’article.

Mme Cathy Apourceau-Poly. L’article 58 prévoit les dépenses de la branche accidents du travail et maladies professionnelles.

Nous jugeons nécessaire d’augmenter les crédits de cette branche pour relancer la campagne de prévention contre l’amiante, qui tue entre 2 600 et 6 500 personnes chaque année, selon Santé publique France.

Depuis leur interdiction en 1997, ces fibres toxiques ont fait de nombreuses victimes et leur présence est encore très forte dans nos bâtiments. Le Bureau de recherches géologiques et minières indiquait, en 2017, que l’on se heurte aujourd’hui encore à une très grande méconnaissance des quantités d’amiante toujours en place – 15 à 20 millions de tonnes, selon l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva). En attendant, encore près de 2 millions de travailleurs restent potentiellement exposés, dont la moitié dans le secteur du bâtiment et des travaux publics.

L’amiante n’est peut-être plus à la mode, mais elle est toujours bien présente dans nos murs et responsable, chaque année, de nombreux cancers.

M. le président. Je mets aux voix l’article 58.

(Larticle 58 est adopté.)

Article 58
Dossier législatif : projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022
Article additionnel après l'article 58 - Amendement n° 235

Après l’article 58

Après l’article 58
Dossier législatif : projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022
Article 59

M. le président. L’amendement n° 235, présenté par M. Savary, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :

Après l’article 58

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – Afin d’atteindre l’équilibre financier de l’ensemble des régimes de retraite de base en 2030, une conférence sur l’équilibre et sur le financement des retraites réunissant des représentants des organisations syndicales de salariés et des employeurs, ainsi que des représentants de l’État, est chargée de formuler des propositions en recourant aux paramètres suivants, dans la limite du besoin de financement nécessaire pour rétablir cet équilibre : âge d’ouverture des droits à retraite, conditions d’âge et de durée d’assurance requises pour le bénéfice d’une pension de retraite à taux plein, modalités de décote et de surcote par rapport à ce taux plein, affectation de recettes à l’assurance vieillesse, mobilisation du Fonds de réserve pour les retraites.

II. – Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° L’article L. 161-17-2 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, le mot : « soixante-deux » est remplacé par le mot : « soixante-trois » et, à la fin, l’année : « 1955 » est remplacée par l’année : « 1966 » ;

b) Après les mots : « 1er janvier », la fin du deuxième alinéa est ainsi rédigée : « 1966 et, pour ceux nés entre le 1er juillet 1962 et le 31 décembre 1965, de manière croissante à raison de trois mois par génération. » ;

c) Les 1° et 2° sont supprimés ;

2° L’article L. 161-17-3 est ainsi modifié :

a) Au 2° , l’année : « 1963 » est remplacée par l’année : « 1962 » ;

b) Au 3° , l’année : « 1964 » et l’année : « 1966 » sont remplacées par l’année : « 1963 » ;

c) Au 4° , l’année : « 1967 » et l’année : « 1969 » sont remplacées par l’année : « 1964 » ;

d) Au 5° , l’année : « 1970 » et l’année « 1972 » sont remplacées par l’année : « 1965 » ;

e) Au 6° , l’année : « 1973 » est remplacée par l’année : « 1966 » ;

3° Au 1° de l’article L. 351-8, les mots : « prévu à l’article L. 161-17-2 augmenté de cinq années » sont remplacés par les mots : « de soixante-sept ans ».

III. – Un décret en Conseil d’État fixe les modalités et le calendrier selon lesquels les régimes mentionnés à l’article L. 711-1 du code de la sécurité sociale convergent vers les paramètres définis au II du présent article avant le 1er janvier 2032.

IV. – Les II et III entrent en vigueur à compter du 1er janvier 2023.

La parole est à M. le rapporteur.

M. René-Paul Savary, rapporteur. M. le secrétaire d’État se réjouit à l’avance de ce que nous comptons faire avec cet amendement… (Sourires.)

Nous travaillons depuis des semaines, et des années, sur l’équilibre budgétaire de notre régime de sécurité sociale, qui présente un déficit important de sa branche maladie, mais également de sa branche vieillesse.

Cette question est d’autant plus aiguë que, nous le savons, notre système par répartition peut être mis en cause s’il n’est pas équilibré. Cela revient effectivement à reporter sur les générations futures ce qui doit être financé par les générations actuelles, ce qui porte atteinte à la solidarité générationnelle.

On ne va pas s’étendre ici sur ce déficit. Tout le monde est convaincu qu’il faut faire quelque chose. Eh bien, nous, nous proposons d’agir !

Nous n’inventons rien. Nous proposons l’instauration d’une conférence de financement. Rappelez-vous, mes chers collègues, une telle conférence a déjà été mise sur pied voilà moins d’un an.

Elle présente un avantage, c’est de réunir les partenaires sociaux, et nous faisons confiance aux partenaires sociaux. Quand ils gèrent des régimes de retraite, ils ont plutôt tendance à faire des réserves, ce qui n’est pas le cas de l’État, qui fait plutôt des déficits.

Donc, nous nous fions aux partenaires sociaux pour trouver des solutions permettant d’équilibrer notre système de retraite.

Lorsqu’ils auront établi ces propositions, nous pourrons les examiner au sein du Parlement. Et, s’ils n’y parviennent pas, nous avançons plusieurs pistes.

J’ai entendu le Président de la République dire : il faut réformer le système de retraite, reculer l’âge légal, mais je ne le fais pas. Nous, nous le faisons et cela devrait, au moins, satisfaire les membres de la majorité présidentielle. En effet, un premier élément de cadrage serait le report progressif de l’âge d’ouverture des droits à 64 ans à compter de la génération 1966, et ce afin de ne pas être trop brutal dans les mesures ; nous ne sommes pas les seuls à partager cette proposition de recul à 64 ans.

Par ailleurs, nous proposons une accélération dans la mise en œuvre de la réforme Touraine – elle n’émane pas de nous et nous devrions donc, aussi, trouver une audience sur la partie gauche de notre hémicycle. Alors que cette réforme de 2014 porte la durée d’assurance nécessaire pour l’obtention d’une pension à taux plein à 43 annuités à compter de la génération 1973, nous pourrions, là aussi, prévoir une mise en œuvre dès la génération 1966.

Mme Émilienne Poumirol. La double peine !

M. René-Paul Savary, rapporteur. Mais le respect que nous devons à ceux qui travaillent longtemps et qui attendent l’âge maximum – 67 ans – pour avoir le taux plein nous conduit à maintenir ce seuil. Il y a des limites au dispositif !

M. le président. Il faut conclure, monsieur le rapporteur.

M. René-Paul Savary, rapporteur. Nous prônons également la convergence des régimes spéciaux vers ces paramètres avant 2032.

Mais tout cela reste à fixer, et tel est l’objet de cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat. Monsieur le rapporteur, vous avez cité à dessein et à raison le Président de la République. Je vous en remercie.

Effectivement, dans son allocution aux Français le 9 novembre dernier, ce dernier a évoqué la nécessité d’une réforme des retraites. Notre système doit s’adapter à la hausse de l’espérance de vie, ce qui implique un âge de départ à la retraite plus tardif si l’on veut garantir, à la fois, le haut niveau de protection sociale que nous connaissons aujourd’hui – et auquel nous sommes tous attachés –, le montant des pensions et la pérennité financière du dispositif.

Cela ne doit pas se faire de façon brutale, pour reprendre le terme que vous avez vous-même employé, ni d’ailleurs de façon uniforme, afin de prendre en compte les spécificités des parcours de vie et des aspirations de chacun, dans un esprit de renforcement de la liberté de choix.

Par exemple, celui qui souhaite partir à la retraite progressivement doit plus facilement pouvoir le faire qu’aujourd’hui.

Mme Laurence Cohen. Avec une décote !

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat. C’est d’ailleurs l’esprit de l’article 53, précédemment discuté, qui tend à ouvrir ce dispositif aux salariés en convention de forfait jour.

La question des retraites est donc une question vaste, aux multiples implications. Elle dépasse, me semble-t-il, le cadre que vous posez à travers cet amendement.

Réformer notre système des retraites suppose ainsi de répondre à d’autres enjeux que la seule problématique financière, notamment des enjeux de simplicité, de lisibilité, d’équité entre assurés à travers le rapprochement de règles distinctes selon les différents régimes, en particulier entre les secteurs public et privé.

Il convient aussi qu’une vie de travail offre une pension digne : toute retraite pour une carrière complète devra ainsi être supérieure à 1 000 euros par mois.

Ces axes ont déjà été évoqués par le passé. Ils ont été rappelés par le Président de la République le 9 novembre dernier. Nous pensons qu’ils doivent être abordés dans leur ensemble, et non de manière isolée.

Au-delà du fond, sur lequel nous avons et nous aurons probablement quelques divergences, nous avons donc aussi une divergence sur le moment.

Une telle réforme ne peut en effet être engagée qu’une fois la situation sanitaire totalement sous contrôle. Par ailleurs, elle doit être soumise à un intense débat démocratique, et je crois que celui-ci s’annonce.

Quant à votre proposition de réunir de nouveau une conférence de financement – vous avez évoqué celle qui avait été mise sur pied –, soyez rassuré sur le fait que le Gouvernement est en lien constant avec les partenaires sociaux, auxquels, tout comme vous, nous faisons confiance. (Marques dironie sur les travées du groupe SER.)

C’est le cas pour cette question des retraites, qui a été abordée à la rentrée dernière. À cette occasion, d’ailleurs, les partenaires sociaux ont manifesté leur opposition à la relance du dossier à très court terme.

C’est une raison supplémentaire pour que le Gouvernement émette un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.

Mme Monique Lubin. J’aime beaucoup la façon dont vous amenez le sujet, monsieur le rapporteur… Vous commencez par expliquer que l’on va donner aux partenaires sociaux la possibilité de remplir les missions qui leur sont attribuées et, donc, de mener à bien un travail de propositions. Mais, tout de même, s’ils n’y parviennent pas, on a d’ores et déjà des suggestions à leur faire.

Ces propositions, que ce soit les vôtres, monsieur le rapporteur, ou celles du Gouvernement, nous les connaissons ! Elles s’adressent toutes aux mêmes personnes : les salariés, à qui l’on va demander de faire des efforts supplémentaires. On ne réfléchit pas, on ne regarde pas s’il y a d’autres solutions, on a d’ores et déjà décidé que l’on demanderait aux salariés des efforts supplémentaires.

Or, monsieur le rapporteur, puisque nous avons rédigé ensemble un rapport sur l’emploi des seniors, vous savez très bien – nous savons très bien – qu’à peine un peu plus de la moitié des Français en âge de travailler sont aujourd’hui réellement actifs avant d’atteindre l’âge légal de départ à la retraite, à savoir 62 ans, non pas parce que les autres n’ont pas envie de travailler, mais parce que, pour des raisons que je n’évoquerai pas ici, ils ne peuvent plus travailler !

Va-t-on en finir avec cette hypocrisie qui consiste à demander aux gens de travailler plus alors qu’on sait pertinemment que ce ne sera pas possible pour une grande majorité d’entre eux, ce qui aura pour conséquence unique de créer de la misère ?

Monsieur le secrétaire d’État, l’autre jour, au cours de la séance de questions d’actualité au Gouvernement, j’ai entendu votre collègue Laurent Pietraszewski proférer une énormité, à savoir que le déficit du système de retraite atteindrait 100 milliards d’euros à l’horizon des dix prochaines années ! Et des énormités, j’en ai entendu depuis que le Gouvernement a lancé cette idée de réforme ! Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage…

Le Conseil d’orientation des retraites (COR) ne dit pas que le régime ne sera pas déficitaire ; en revanche, depuis trois ans, il a toujours catégoriquement contesté ce cataclysme annoncé qui sert à justifier une telle réforme.

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Monique Lubin. Nous en reparlerons, je l’espère, à l’occasion d’un prochain débat. Néanmoins, sachez que nous ne laisserons pas maltraiter les salariés de ce pays, qui seront pénalisés par la réforme telle que vous l’envisagez, en particulier ceux qui ont commencé à travailler tôt et exercé les métiers les plus difficiles. Nous ne laisserons pas faire. La réforme Touraine prévoit déjà de nombreuses mesures.

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. Il y a beaucoup de choses à dire…

Cet amendement, en ce qu’il tend à figer plusieurs paramètres, conduit inéluctablement à privilégier le report de l’âge légal de départ à la retraite. À cet égard, je ne reviens pas sur le rapport du COR et les remarques que vient de formuler ma collègue.

Pourquoi privilégier cette solution ? Il est proposé de reporter progressivement l’âge d’ouverture des droits à 64 ans. Or, 64 ans, c’est précisément l’espérance de vie sans incapacité à la naissance.

Il faudrait travailler plus longtemps, alors que l’on sait que le report de l’âge de départ à la retraite accroît massivement le nombre d’AT-MP, leur gravité et la durée de versement d’indemnités journalières.

Améliorer les comptes d’une branche en détériorant ceux de deux autres, voilà une solution illusoire, d’autant qu’un salarié sur deux n’est plus en situation d’emploi au moment de liquider sa retraite. (Mme Pascale Gruny sexclame.)

Selon une étude, la réforme de 2010, qui a fait passer l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans, a conduit à une augmentation comprise entre 20 % et 25 % du nombre d’invalides constaté en 2017. Ainsi, on a enregistré entre 125 000 et 150 000 pensions d’invalidité supplémentaires.

On ne s’attaque pas aux véritables causes de ce manque à gagner. Selon une note de l’Insee, ce sont les coupes dans les emplois publics, principaux contributeurs à la branche vieillesse, qui sont largement responsables du déficit. L’austérité, ça ne marche pas !

Les écologistes ne partagent pas ce diagnostic selon lequel il faudrait travailler davantage. Au contraire, nous pensons que la voie à suivre est celle d’une réduction de la durée du travail.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.

Mme Laurence Cohen. Si le Président de la République a estimé que les conditions n’étaient pas réunies pour lancer le chantier de la réforme des retraites, le Président candidat a quand même défini les contours de cette réforme, qui passe par l’allongement de la durée de cotisation, et donc par la nécessité de travailler plus longtemps pour bénéficier d’une retraite à taux plein.

La commission, à travers son amendement n° 235, utilise exactement les mêmes arguments pour proposer de reporter à 64 ans l’âge de départ à la retraite.

Au Sénat, nous sommes habitués : c’est toujours à l’issue du PLFSS que cet amendement est examiné. Poursuivre dans la même lignée est une preuve de constance, me direz-vous, mes chers collègues…

Avec la même constance – mais à l’exact opposé de ce que nous propose la commission –, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste défend des mesures alternatives progressistes : le droit de prendre sa retraite à 60 ans, après 37,5 années de cotisation, en bénéficiant d’une pension calculée par référence aux six derniers mois dans le public et aux dix dernières années dans le privé, avec un taux de remplacement de 75 %.

Ces mesures permettraient de libérer des emplois pour les jeunes. Dans un pays où explosent les chiffres du chômage, je trouve hallucinant qu’on veuille faire travailler plus longtemps les personnes qui aspirent précisément à travailler moins longtemps. On marche sur la tête !

Je me permets de signaler que, à ce jour, l’espérance de vie en bonne santé est de 69 ans pour les cadres et de 59 ans pour les ouvriers. Il conviendrait tout de même de réfléchir à ces faits objectifs.

Nous proposons ainsi de financer le système de retraite en mettant à contribution les revenus financiers, par la création d’un million d’emplois – pour faire reculer le chômage – et par l’égalité salariale. Ces trois pistes de financement permettraient de dégager 50 milliards d’euros supplémentaires.

Nous voterons donc contre cet amendement.