M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Dominique Vérien. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voilà donc à la fin de l’examen de ces textes, qui visent à réformer le lien entre les Français et l’une des institutions régaliennes qui est au cœur de notre pacte social : la justice.

L’intention est louable, au regard des chiffres qui montrent, année après année, un décrochage entre les Français et leur justice. Leur constat est dur, sans appel, voire excessif, si bien que la justice et les magistrats font parfois figure de coupables parfaits, jugés trop rapidement responsables de maux de notre société qui dépassent bien souvent le champ de leur action.

L’initiative est donc à saluer, surtout de la part de notre institution. Le Sénat s’est longtemps engagé, au travers de ses nombreux travaux, en faveur d’une réforme en profondeur de la justice. Cependant, soyons francs : il est fort probable que ces mesures, aussi diverses que de portée inégale, ne suffisent pas à rétablir ce lien qui s’est dégradé depuis des années.

Ne boudons pas pour autant notre plaisir : cette CMP est conclusive et c’est toujours une bonne chose que de parvenir à un texte de compromis laissant toute leur place aux propositions sénatoriales.

Le texte final, amendé par le travail important de nos rapporteurs, que je tiens à saluer, permet d’étendre le secret professionnel des avocats tout en préservant les possibilités d’enquête en matière de fraude fiscale, de corruption ou de blanchiment.

Les propositions du Sénat relatives à la durée des enquêtes préliminaires n’ont pas été retenues. Nous le regrettons, car les enquêtes en matière de délinquance économique sont longues et complexes. Pour autant, limiter la durée des procédures plus générales est effectivement nécessaire, tant est attendue une accélération des procédures.

Attention cependant, car qui dit procédure plus rapide dit forcément enquête plus rapide. Pour tenir cette nouvelle cadence, il est donc indispensable que les moyens en enquêteurs, c’est-à-dire en officiers de police judiciaire (OPJ), et donc ceux de la police et du ministère de l’intérieur, suivent. À défaut, nous risquons d’assister à un raccourcissement des durées en raison de l’augmentation des classements sans suite, ce qui serait totalement inacceptable. L’alternative serait d’ouvrir très vite une instruction et de faire porter les délais sur la justice, faute de pouvoir traiter les dossiers au sein de la police. Ce sera au futur garde des sceaux de veiller à ce que cela ne se produise pas.

En ce qui concerne la généralisation des cours criminelles, c’est la version du Sénat qui a été retenue. L’expérimentation ira jusqu’à son terme, en 2023. À titre personnel, je le regrette dans la mesure où ces cours permettent de juger les viols pour ce qu’ils sont – des crimes – et d’éviter le risque d’une requalification en délit, véritable double peine pour les victimes. (M. le garde des sceaux approuve.)

En ce qui concerne le délit de prise illégale d’intérêts, l’ajout du Sénat a été retenu. Il faudra désormais que, dans la prise de décision, l’objectivité, l’impartialité ou l’indépendance de l’élu aient été manifestement affectées pour prouver le délit. Il s’agit d’une demande de longue date de nos élus locaux. Il était temps de les entendre, tant la rédaction actuelle occasionnait des situations franchement ubuesques. Les élus locaux en ont ici la preuve : le Sénat est bien leur chambre.

En définitive, ce texte nous semble trop modeste face à l’ampleur de la tâche et n’est que le prélude – du moins je le souhaite – d’un prochain projet de loi issu des États généraux de la justice.

Le lancement de ces États généraux est intervenu en octobre dernier, alors que nos travaux sur ce texte étaient déjà bien avancés, ce qui montre bien qu’il est nécessaire de compléter celui-ci.

Néanmoins, le groupe Union Centriste votera ce texte.

M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de l’examen du texte au mois de septembre dernier, la position de notre groupe demeurait réservée, connaissant même certaines évolutions guidées par nos débats.

Les sénateurs du groupe du RDSE avaient fini par voter en majorité contre le texte tel que rédigé par le Sénat, ou s’étaient abstenus.

Deux éléments avaient principalement guidé notre choix et continuent de le faire.

En premier lieu, nous continuons de penser que le dispositif adopté en matière de diffusion des audiences manque encore de précautions. Chacun en convient, l’exercice de la justice n’est pas voué au divertissement. La justice n’a pas vocation à disposer de producteurs chargés de monter les images, de veiller à la mise en scène ou encore au respect du script.

Qu’importent les objectifs, le bureau du juge, non plus que la salle d’audience, n’est pas un décor de cinéma. Les enjeux sont cruciaux pour les hommes et les femmes qui s’y retrouvent. Si la diffusion des procès peut être une bonne chose, il est absolument nécessaire d’avancer prudemment.

L’expérimentation nous avait semblé constituer une voie souhaitable car modérée ; nous l’avions demandée par voie d’amendement et nous déplorons, une fois encore, que cette solution n’ait pas été retenue. Certes, la rédaction retenue par la CMP intègre les garanties apportées par le Sénat. Il demeure que nous aurions pu les approfondir encore davantage.

En second lieu, nos débats avaient conduit à l’adoption de certains amendements clivants, qui avaient continué de nous faire douter.

Si notre assemblée a fait preuve de sagesse en rejetant le dispositif abrogeant la disposition du code pénal permettant l’aménagement des courtes peines de prison, un autre fut adopté avant lui, visant à réduire l’usage des travaux d’intérêt général.

L’ajout de cette disposition, en plus de ne pas nous convaincre, tendait à dénaturer le texte. Aussi, je veux dire la satisfaction que nous éprouvons à ne pas la retrouver dans le texte élaboré par la CMP.

Dans l’ensemble, les arbitrages effectués ne nous posent pas de difficulté. Je pense notamment à la généralisation des cours criminelles départementales au 1er janvier 2023.

Espérons que ce texte participe à dissiper ce sentiment d’inefficacité et d’impuissance de la justice, de plus en plus fréquent chez nos concitoyens.

Comme l’a souligné le Président de la République dans son discours du 18 octobre dernier en ouverture des États généraux de la justice, le sujet est vaste et « beaucoup de sujets sont encore à moderniser, clarifier, réouvrir ».

Ce projet de loi ne réglera pas tout, au point qu’il devrait être adopté alors même que le chantier de la justice est déjà relancé. Je l’avais souligné lors de l’examen précédent des textes, l’agencement du calendrier nous semble poser question.

Je conclurai en évoquant un point spécifique : l’article 3 du projet de loi relatif au secret professionnel des avocats, sur lequel nous avons été fortement sollicités. Si nous entendons les inquiétudes des avocats, nous comprenons aussi les impératifs ayant pu justifier l’insertion de ce dispositif, auquel nous sommes favorables. Surtout, nous avons eu le loisir d’observer que des discussions ont encore eu lieu sur le sujet, même après la réunion de la CMP, jusqu’à donner lieu à l’examen d’un nouvel amendement.

Bien entendu, rien n’empêche cette procédure, mais elle soulève tout de même une question plus globale quant à nos méthodes de travail. Pourquoi nous imposer de travailler dans des conditions d’urgence permanente, en recourant presque systématiquement à la procédure accélérée et donc sans deuxième lecture ?

Faut-il rappeler l’utilité de la procédure ordinaire – hélas devenue exceptionnelle –, qui permet à chacun d’exprimer sereinement ses positions, de manifester ses points d’intérêt, en vue de l’adoption d’un texte qui ne soit pas une expression balbutiante de l’intérêt général ?

Vous l’aurez donc compris, si notre groupe se montre dans sa majorité favorable au texte, certains éléments susciteront, de notre part, une vigilance particulière.

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, selon un sondage de l’IFOP (Institut français d’opinion publique) publié en 2019, 62 % des Français considèrent que la justice fonctionne mal.

Dans le cas d’une éventuelle confrontation personnelle avec la justice, seuls 44 % d’entre eux aborderaient cette situation avec confiance. En cause, une méconnaissance de notre système judiciaire, une réticence envers les acteurs du droit et une justice jugée ou trop laxiste ou trop lente.

La commission mixte paritaire a donc fini par trouver un accord sur les dispositions restant en discussion du projet de loi.

Cela dit, je regrette que ce texte n’ait pas davantage approfondi les questions relatives à la justice du quotidien. Il aurait été préférable de nous attarder sur cette dernière, en adoptant des mesures renforçant la politique d’accès au droit, simplifiant les démarches pour tous les justiciables, intensifiant la politique d’aide aux victimes, etc.

L’efficacité de la justice passe, vous le savez, par une organisation interne des juridictions, qui soit modernisée et harmonisée.

Je suis d’accord avec l’amendement du Gouvernement tendant à modifier l’article 3 portant sur le secret professionnel de l’avocat dans le cadre de la lutte contre la délinquance économique et financière.

À mon sens, le secret professionnel de l’avocat doit être absolu. Il est la garantie d’un État de droit juste. Si nous commençons à transgresser ne serait-ce qu’un peu les droits de la défense, que restera-t-il de notre démocratie ?

Ce projet de loi ne doit laisser place à aucune ambiguïté. Il s’agit de renforcer la confiance des Français dans notre justice. Nous devons être à la hauteur de cette mission.

Je voterai contre ce texte.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le ministre, si nous pouvons partager en grande partie vos propos sur la question du secret professionnel des avocats, les conditions dans lesquelles se déroule cette discussion du texte du projet de loi élaboré par la CMP sont à la fois nouvelles et problématiques.

En temps normal, une CMP réunit des membres du Parlement, sénateurs et députés, qui travaillent à l’établissement d’un texte commun, lequel est ensuite proposé à l’adoption des deux assemblées. Le Gouvernement dépose traditionnellement des amendements très techniques visant à corriger de petites erreurs.

Finalement, on remplace cette CMP par autre chose. Nous sommes ici dans une espèce de trilogue, dans un mécanisme où le Gouvernement intervient et où, pour que ne pas réduire à néant le travail réalisé jusqu’ici et éviter de procéder à une deuxième lecture, il faut désormais que les rapporteurs des deux chambres acceptent au préalable, monsieur le garde des sceaux, vos propositions de modifications.

Cela change fondamentalement la donne. En effet, nous avons désormais une corde de rappel, autrement dit la possibilité, pour les uns et les autres, après un accord en CMP, de faire évoluer les équilibres de ce qui avait jusqu’à présent constitué une procédure parlementaire particulièrement bien huilée.

Ce que nous vivons aujourd’hui est, je le redis, assez nouveau. Permettez-moi, monsieur le président de la commission des lois, d’exprimer mon inquiétude à cet égard. La nature des CMP pourrait s’en trouver modifiée, de même que la nature de ce que nous pourrions faire après les CMP et avant la lecture de leurs conclusions devant le Parlement, dans un système qui manquerait alors de transparence.

Monsieur le ministre, en tant que sénateur des Français de l’étranger, j’effectue des déplacements fréquents et j’évoque souvent les attentes et les griefs à l’égard de leur justice qu’ont les personnes vivant dans d’autres pays.

Je dois dire que, quoi qu’on en pense, notre justice, en France, est un service public ; elle a le sens de l’intérêt général, de son indépendance et de sa probité. C’est pourquoi, en cet instant, avant d’aller plus loin, je voudrais rendre hommage à l’ensemble des acteurs du service public de la justice.

Il faut le rappeler, le problème de confiance vient d’ailleurs. Il vient d’abord du fait que la justice française est l’une des plus mal dotées dans l’Union européenne : elle se classe vingt-quatrième sur vingt-sept en termes de moyens. Ses tribunaux sont engorgés, les spécialisations sont négligées, certaines affaires de délinquance accusent des délais allant jusqu’à deux ans entre la première instance et l’appel, et parfois plus de quatre ans en matière criminelle. Comment espérer alors, compte tenu de ce type de délais, une réponse pénale adaptée et répondant aux besoins de la société ?

Le contrôle des détentions et l’application des peines se font aussi avec des contraintes fortes en matière de moyens.

Le titre du projet de loi que nous examinons, « Confiance dans l’institution judiciaire », semble quelque peu ambitieux et clinquant eu égard aux mesures finalement assez hétéroclites qu’il contient.

Le quinquennat a vu se succéder chronologiquement une loi de programmation de la justice, un projet de loi de confiance dans l’institution judiciaire et, maintenant, les États généraux de la justice. On a l’impression que les choses ont été faites à l’envers ! Il est difficile de vous en tenir totalement rigueur, mais telles sont nos institutions et nous devons constater, à l’heure du bilan du quinquennat, la manière dont se font les choses et leur chronologie.

Les Français expriment aujourd’hui, pour 53 % d’entre eux, de la défiance envers la justice. Chaque année, deux millions d’affaires civiles sont jugées : divorces, questions familiales, contentieux, etc. C’est sur cette justice du quotidien que reposent d’abord la perception de la justice et la confiance à son égard.

Pour bon nombre de justiciables, les 800 000 affaires pénales, bien que très importantes également, sont beaucoup moins sensibles.

Malgré tout, ce projet de loi ne traite pas du tout des affaires civiles.

Qu’en retenir alors ?

Filmer les audiences du quotidien, pourquoi pas, mais il convient d’éviter la justice spectacle. Conjuguée à la généralisation des cours criminelles départementales, cette mesure accroît le risque de transformer le citoyen d’acteur de la justice en téléspectateur.

Il faudrait plutôt, dès l’école, renforcer la pédagogie sur les principes généraux du droit, qui sont très différents de l’« instinct de justice ». La judiciarisation de plus en plus prégnante de notre société exige que ces principes généraux et la hiérarchie des normes soient bien compris de nos concitoyens.

L’encadrement des enquêtes préliminaires sera utile, même s’il pose quelques difficultés en matière d’enquêtes financières et internationales.

Le contrat de travail pour les détenus constitue également une avancée, tandis que la substitution au rappel à la loi d’un avertissement pénal probatoire sous le contrôle et avec intervention du procureur sera utile.

Nous voterons néanmoins contre ce texte. Parce qu’il n’est pas à la hauteur des ambitions ; parce que nous refusons cette évolution du citoyen acteur de la justice au citoyen spectateur de la justice ; parce que notre groupe a déposé trente-deux amendements en première lecture et qu’un seul d’entre eux a été accepté ; parce qu’il s’inscrit dans un contexte de multiplication du recours aux ordonnances ; et parce que la réforme de la réduction des peines entraîne un risque d’engorgement des prisons, au moment où les nouvelles incarcérations sont au nombre de mille par mois, un chiffre réellement problématique au regard, en particulier, des conditions indignes de détention que nous connaissons.

M. le président. Veuillez conclure.

M. Jean-Yves Leconte. Enfin, s’il s’agit de la confiance dans la justice et de son indépendance, monsieur le ministre, il est temps de réformer la composition du Conseil supérieur de la magistrature. (Marques d’impatience sur plusieurs travées.)

M. le président. Il faut conclure !

M. Jean-Yves Leconte. Il n’est pas acceptable que des dispositions législatives d’application immédiate ne soient pas mises en œuvre…

M. le président. Concluez !

M. Jean-Yves Leconte. … parce que nous attendons des circulaires de la Chancellerie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, les deux textes qui nous sont soumis aujourd’hui sont l’aboutissement de plusieurs mois de travaux, de réflexion, de concertations et de débats sur l’indispensable sujet de la confiance et du crédit portés, dans notre société, à l’institution judiciaire.

Notre groupe avait salué la convergence qui se dessinait, dès la première lecture, entre le Sénat et l’Assemblée nationale sur la majorité des dispositions. Cette dynamique s’est confirmée en commission mixte paritaire, dont nous saluons l’accord.

Vous l’avez dit, monsieur le garde des sceaux, ce projet de loi comporte des avancées. Il permet d’agir concrètement sur les ressorts d’une défiance procédant parfois de mécanismes ne fonctionnant pas, ou plus, assez bien. C’est un texte de confiance – et de sens – pour notre justice et pour ses justiciables.

Je me limiterai à évoquer trois axes qui illustrent, me semble-t-il, ce renforcement du sens de la justice, qui est en quelque sorte imbriqué dans la confiance portée par les dispositions que nous examinons ce matin.

J’entends d’abord le sens comme la compréhension, par le citoyen, du fonctionnement de l’institution. Je pense bien sûr aux nouvelles possibilités d’enregistrement et de diffusion des audiences à des fins pédagogiques, dont les garanties ont été confortées par nos rapporteurs.

C’est ensuite le sens de la réponse judiciaire, de la peine. Y concourront les dispositifs tels que le rétablissement de la minorité de faveur aux assises ou le remplacement du rappel à la loi par un avertissement pénal probatoire, plus solennel et dissuasif. C’est aussi le sens de l’application de la peine, par le nouveau mécanisme de réduction de peine, fondé sur l’effort, ainsi que par la lutte contre les sorties sèches et la création du contrat d’emploi pénitentiaire, qui favorisera l’insertion professionnelle des personnes détenues. Je le rappelle, au travers de ce deuxième axe c’est la préservation de la sécurité de notre société qui est en jeu.

Enfin, le sens de la justice pour chaque justiciable, ce sont les droits de la défense. Le texte réprime plus sévèrement les violations du secret de l’enquête ou de l’instruction. Il renforce le principe du contradictoire et limite la durée des enquêtes préliminaires, avec un allongement possible – soutenu également par notre groupe – pour des cas d’entraide internationale, afin de ne pas nuire, notamment, à la lutte contre la corruption internationale.

Cette question des dérogations nous amène à évoquer le sujet du secret de l’avocat.

Dans le texte initial que vous portiez, monsieur le garde des sceaux, il était question du secret de la défense.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Exclusivement !

M. Thani Mohamed Soilihi. Soumission des perquisitions au cabinet et au domicile de l’avocat à la décision du JLD, conditionnement de ces perquisitions à des éléments préalables sérieux, application du même régime strict aux communications de fadettes et aux écoutes, protection des correspondances de l’avocat saisies dans un autre lieu que son cabinet : autant d’avancées, dans cet article 3, espérées, attendues, depuis plusieurs années.

Du secret de la défense, l’examen à l’Assemblée nationale a fait basculer le débat du côté du secret du conseil. Sur ce point aussi, il faut le dire clairement, le texte issu de la commission mixte paritaire et, d’une manière plus évidente encore, celui issu de l’adoption de l’amendement du Gouvernement portent une avancée majeure.

Aujourd’hui, le secret du conseil n’est pas protégé dans le cadre de la procédure pénale. Demain, cela a été rappelé, il sera consacré dans le code de procédure pénale. Dans le cadre d’une perquisition, le secret du conseil sera inopposable dans une seule hypothèse : lorsque la procédure porte sur des faits de fraude fiscale, de financement du terrorisme ou de corruption, ou de blanchiment de ces délits, dans des conditions qui ont été précédemment évoquées.

Renoncer à cet équilibre constitutionnel au bénéfice d’une protection sans conciliation aurait fragilisé juridiquement le dispositif et mené à des espoirs déçus.

À l’inverse, renoncer à l’article 3 aurait conduit à en rester à un statu quo non satisfaisant en matière de secret du conseil, d’une part, tout en se privant, d’autre part, par ricochet, d’avancées majeures et plutôt consensuelles pour les droits de la défense de nos concitoyens.

Pour ces raisons, et pour l’ensemble des apports précédemment évoqués, le groupe RDPI votera, avec enthousiasme et conviction, en faveur de ces textes.

M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour Les Indépendants – République et Territoires.

M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, voilà maintenant plusieurs années que les textes de programmation et de réforme se succèdent. Des États généraux sont en cours jusqu’au début du mois prochain : la justice est malade et le Gouvernement se démène pour y remédier.

La situation est grave, en effet, car des enquêtes d’opinion indiquent que la moitié de nos compatriotes n’ont pas confiance en elle. Or la justice est au cœur du contrat social. Si sa légitimité est remise en question, c’est l’ensemble de l’édifice républicain qui est menacé.

Nous l’avons dit et nous aurons l’occasion de le répéter, et certains l’ont relevé également : ce dont la justice a besoin, c’est d’abord de moyens financiers. Reconnaissons au Gouvernement le mérite d’avoir consenti un effort budgétaire inédit sur le budget de la justice cette année. Cet effort devrait être maintenu pour l’année prochaine, il faut s’en réjouir.

Au-delà des moyens, les Français ont besoin de connaître davantage le fonctionnement de leur justice, afin de mieux la comprendre. Le projet de loi s’y emploie, en ouvrant la voie à la diffusion audiovisuelle des procès. Les audiences sont déjà publiques, mais leur diffusion renforcera significativement l’information de nos concitoyens sur la façon dont la justice est rendue dans notre pays.

Ces enregistrements ne concerneront ni l’ensemble des audiences ni l’ensemble des procédures. La justice exige parfois le secret. Ce qui est vrai pour les audiences l’est aussi pour l’enquête et l’instruction.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. C’est sûr !

M. Emmanuel Capus. Nous nous félicitons du renforcement des sanctions contre la violation de ces secrets, dans une société qui, parfois, pousse à l’excès le culte de la transparence.

Cette violation du secret aboutit trop souvent à livrer en pâture la réputation de femmes et d’hommes à la vindicte des médias ou de la rue, lesquels ne sauraient avoir la légitimité pour rendre justice.

Si le respect de ces secrets est essentiel à la justice, le respect de celui de l’avocat ne l’est pas moins. Nous avons assisté ici à de curieuses et inquiétantes discussions sur son périmètre. Je fais partie de ceux qui ne comprennent pas, monsieur le garde des sceaux.

Les députés souhaitaient réaffirmer que ce secret devait couvrir l’ensemble des activités de l’avocat. Cela ne signifiait pas pour autant qu’il devait être absolu. Il ne l’a d’ailleurs jamais été.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Voilà !

M. Emmanuel Capus. Il est possible, en l’état actuel du droit, de perquisitionner le cabinet d’un avocat en respectant une procédure équilibrée.

Les services d’enquêtes financières ont cependant souhaité faire brèche à ce secret. Ils ont trouvé de puissants relais qui ont satisfait leur demande, mais à quel prix ?

C’est l’ensemble des droits de la défense, et donc des libertés publiques, qui sont affaiblis lorsque l’on porte atteinte à l’une de ses composantes.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Pas du tout !

M. Emmanuel Capus. Vous le savez mieux que quiconque : la séparation entre le conseil et la défense est extrêmement ténue, surtout en matière fiscale.

Si le secret est écarté pour certaines activités ou certains soupçons, comment pourrait-il se justifier pour les autres ?

La liste des infractions rendant le secret professionnel inopposable aux services d’enquête s’allongera. Elle s’est d’ailleurs déjà allongée entre le texte de la commission du Sénat et celui de la CMP, puisque vous y avez introduit le terrorisme.

Pour reprendre vos mots, monsieur le garde des sceaux, aucun Français ne comprendrait que demain on maintienne le secret pour le trafic de stupéfiants, pour la traite humaine, pour l’écocide.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Quels conseils en matière de stupéfiants ?

M. Emmanuel Capus. Il n’y a pas de limite. C’est un engrenage dès lors que la protection des intérêts légitimes de l’État est placée au-dessus des libertés publiques.

Il est, à mon sens, injustifié de considérer que l’avocat et le secret auquel il doit être astreint puissent faire obstacle à la justice. Bien au contraire – et je le dis sous la statue de Malesherbes –, ils en sont la condition nécessaire.

De quelle justice est-il question dès lors que les services d’enquête peuvent venir consulter les dossiers des avocats ? Ces dispositions nous paraissent donc inquiétantes dans un État démocratique.

Pour le reste, les textes comportent d’autres dispositions qui nous paraissent aller dans le bon sens. Cela a été rappelé, des avancées ont été faites s’agissant des avocats, de la suppression des réductions de peine automatiques ou encore de la limitation de la durée des enquêtes préliminaires.

En conclusion, ces projets de loi comportent de nombreuses avancées pour notre justice, mais également une mesure qui nous paraît particulièrement dangereuse pour celle-ci.

Dans ces conditions, les membres du groupe Les Indépendants voteront selon leur conviction : vous aurez compris que, très majoritairement, elle se traduira par une abstention.

M. le président. La parole est à Mme Nadine Bellurot, pour le groupe Les Républicains.

Mme Nadine Bellurot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe Les Républicains se réjouit du caractère conclusif de la commission mixte paritaire.

Députés et sénateurs sont en effet tombés d’accord sur le fond de ce texte, qui offrira demain – nous l’espérons – un ensemble de mesures de nature, comme son nom l’indique, à redonner confiance dans l’institution judiciaire.

Nous sommes d’accord, monsieur le garde des sceaux : en effet, il n’y a pas de baguette magique.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Hélas !

Mme Nadine Bellurot. Avec humilité, nous pouvons dire que l’ambition est forte, mais que la tâche est rude.

Comme l’a dit récemment le président du tribunal de Paris, « la perte de confiance dans une justice efficace entraîne une perte de confiance dans l’État ».

L’Assemblée nationale a fait le choix de maintenir la quasi-totalité des dispositions insérées par le Sénat dans le texte issu de la commission mixte paritaire, moyennant quelques compromis. Il y a donc tout lieu de s’en féliciter.

Sans revenir dans le détail des dispositions du texte qui n’ont pas fait l’objet de divergences majeures, comme l’enregistrement et la diffusion des audiences, le conditionnement des réductions de peine à la bonne conduite de la personne détenue ou encore la modernisation du rappel à la loi, j’évoquerai plutôt celles qui ont réclamé des échanges plus approfondis entre nos deux chambres.

S’agissant de l’épineux sujet du secret professionnel des avocats ou secret professionnel de la défense, consacré dans ce texte, le Sénat a largement approuvé l’extension inédite des garanties renforçant la protection de ce secret, tant dans l’activité de défense que de conseil, en posant néanmoins une exception pour cette dernière.

Dans le souci d’opérer l’équilibre le plus juste possible entre la prévention des infractions, d’une part, et l’exercice des droits et libertés constitutionnellement garantis, d’autre part, car telle est la mission incombant au législateur, le Sénat a proposé, dès l’examen du texte en commission, de limiter ce secret dans une perspective bien précise : celle de conserver les moyens de lutter contre la délinquance économique et financière dans le respect des engagements internationaux de la France afin d’éviter que ne se mettent en place des stratégies de contournement.

En commission mixte paritaire, avec nos collègues députés, nous sommes parvenus à une nouvelle rédaction qui distingue bien le cas dans lequel un avocat prend activement part à la commission d’un délit de fraude fiscale, corruption ou blanchiment de celui dans lequel il est instrumentalisé pour rédiger des actes juridiques litigieux.

Le Gouvernement a choisi de retoucher à la marge ce dispositif sans revenir sur les équilibres du texte ; nous adopterons donc l’amendement proposé – cette version nous semble satisfaisante.

Par ailleurs, nous nous félicitons du renoncement des députés, que nous appelions de nos vœux tout comme les forces de l’ordre, à prévoir explicitement la présence de l’avocat au cours des perquisitions.

Nous saluons également la limitation de la participation des avocats honoraires au jugement des crimes dans les seules cours criminelles départementales, à l’exclusion des cours d’assises.

Pour ce qui est des cours criminelles départementales, nous nous rallions, non sans remords, à la proposition visant à les généraliser au 1er janvier 2023, en espérant que le bilan de leur évaluation qui sera fait d’ici là sera aussi encourageant que nous l’assure le garde des sceaux.

Le groupe Les Républicains tient cependant à exprimer deux regrets.

Le premier concerne la suppression de l’article 9 bis A, introduit sur l’initiative du président Bruno Retailleau, qui entendait supprimer la possibilité de prononcer une peine de travail d’intérêt général en cas de condamnation pour des délits de violence. Nous aurons sûrement l’occasion d’en reparler.

Le second est relatif à l’attribution de la compétence des actions engagées à l’encontre des entreprises qui méconnaissent leurs obligations au titre du devoir de vigilance au tribunal judiciaire de Paris plutôt qu’au tribunal de commerce de Paris. Cette dernière juridiction, dotée d’une chambre internationale dont l’expertise est reconnue, aurait été, à notre sens, la juridiction la plus compétente pour appréhender ce contentieux.

Pour finir, je tiens à saluer la qualité du travail mené par nos rapporteurs, Agnès Canayer et Philippe Bonnecarrère.

Je ne doute pas qu’une grande majorité de notre groupe se prononcera en faveur de ce texte tel qu’issu des travaux de la commission mixte paritaire.