Mme le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Jean-Yves Roux. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, comme chacun d’entre nous, en préparant l’examen de cette proposition de loi, j’ai dû lire les témoignages et les récits sidérants de brutalité de ceux qui ont vécu ces prétendues thérapies de conversion. Il est peu de dire que ces actions sont archaïques et fondées sur des idées rétrogrades.

Si ces pratiques restent, dans notre pays, largement minoritaires et le plus souvent marginales, elles relèvent toutefois d’un degré de violence morale et physique particulièrement élevé, allant même jusqu’à la torture dans certains cas. Il faut donc armer notre législation le plus rapidement possible pour y faire face et donner aux autorités publiques les moyens de lutter contre cet obscurantisme.

En effet, ce qu’il y a de délicat dans cette lutte, c’est que les pratiques peuvent prendre plusieurs formes : thérapies non scientifiques, stages, conférences, entretiens, qui peuvent être accompagnés d’injections de testostérone, de traitements par électrochocs ou encore de diffusions d’images et de vidéos à caractère homosexuel, afin d’en dégoûter les personnes.

Ces actions, en plus des séquelles tant physiques que morales qu’elles laissent aux victimes, sont menées sur la base d’idéologies homophobes, pénalement répréhensibles, contraires à la dignité humaine et à la plus intime des libertés individuelles, la liberté sexuelle.

Le groupe RDSE est sensible à cette question depuis longtemps. Le 1er octobre 2019, notre ancienne collègue Françoise Laborde déposait une proposition de loi visant à engager une campagne de prévention et de lutte contre les thérapies de conversion.

Elle soulignait déjà qu’un vide juridique existait dans notre pays, dans la mesure où les pratiques visant à changer l’orientation sexuelle d’une personne ne sont pas expressément interdites de manière autonome. Elle demandait que la France, à l’instar de nombreux autres pays, qualifie pénalement ces faits et mette en œuvre les moyens nécessaires pour prévenir ces pratiques homophobes par nature.

Voilà quelques mois, notre groupe, par l’intermédiaire de Christian Bilhac, déposait un amendement lors de l’examen de la loi confortant le respect des principes de la République qui visait à créer une infraction autonome réprimant les thérapies de conversion. Cet amendement fut, hélas, déclaré irrecevable au titre de l’article 45 de la Constitution.

Je dois avouer que cette décision m’avait quelque peu surpris à l’époque, car ces pseudo-thérapies s’inscrivent souvent dans des contextes de dérive religieuse, voire sectaire, qui expriment une forme de séparatisme, contre laquelle il faut lutter.

Quoi qu’il en soit, je veux dire toute notre satisfaction de voir ce texte inscrit à notre ordre du jour. Il faut saluer la position de notre commission des lois, notamment sur la question du rôle des parents dans l’accompagnement des enfants. En effet, il s’agit de sujets sensibles, compliqués, qui apparaissent dans des contextes familiaux parfois délicats. Il ne faudrait pas qu’une confusion s’installe entre les actes répressibles, qui font l’objet de ce texte, et la prudence légitime de l’entourage d’un enfant s’interrogeant sur ce que l’on désigne aujourd’hui comme son identité de genre.

Après en avoir débattu en commission, nous allons examiner de nouveau des amendements visant à supprimer du champ du dispositif les cas où l’acte aurait lieu en vue de modifier l’identité de genre d’une personne. Je crois que nous ferions une erreur en adoptant une position restreignant le champ de la nouvelle infraction que crée ce texte.

Le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen suivra la commission des lois et votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Mme le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le 1er mars 2018, le Parlement européen adoptait une résolution exhortant les pays membres de la communauté à interdire les thérapies de conversion censées modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre.

Jusqu’à aujourd’hui, il n’existait en France aucune loi visant à proscrire ce genre de pratiques particulièrement barbares et dont certaines se rapprochent d’actes de torture.

Si le phénomène est peu documenté, les rares témoignages connus sont glaçants : injections de testostérone, électrochocs et autres psychothérapies forcées composent le quotidien des victimes de ce qu’on appelle communément des « thérapies de conversion ».

Je souhaite m’arrêter un instant sur l’utilisation de ce vocabulaire. Ce terme de « thérapie » induit directement que l’homosexualité serait une maladie, tout comme l’appartenance à un genre sortant du cadre binaire. Cette idée conservatrice est encore prégnante dans une partie de notre société, particulièrement au sein de communautés religieuses extrémistes, qui font de cette doctrine passéiste leur fonds de commerce.

Je souhaite adresser un message aux victimes de ces thérapies, ainsi qu’aux personnes tentées de se lancer dans un tel processus : « Vivre libre et en sécurité, c’est votre droit le plus total. Peu importe votre genre ou votre orientation sexuelle. Restez comme vous êtes. Vous n’êtes pas seuls. »

Les associations sont nombreuses à venir en aide aux jeunes qui éprouvent des difficultés à vivre leur orientation sexuelle ou leur genre. L’État doit maintenant octroyer les moyens nécessaires pour permettre à toutes les personnes LGBTQIA+ de vivre librement.

Des accompagnements doivent être proposés dans tous les établissements scolaires, mais aussi hors de leurs murs, aux personnes qui, pour des raisons souvent variées, souffrent de ne pouvoir s’épanouir pleinement du fait de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre.

Ce travail devrait se coupler de campagnes de pédagogie et de sensibilisation aux sexualités et aux droits de toutes les personnes LGBTQIA+ auprès des enfants et des jeunes, notamment par le biais des livres scolaires, mais aussi auprès du grand public, grâce à des documentaires, des émissions de télévision, etc.

Même si le travail à effectuer reste important, c’est avec détermination que je voterai pour l’adoption de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDPI.)

Mme le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il n’y a « rien à guérir » ! Ces quelques mots suffiraient à expliquer le sens et l’objet de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.

Ce texte était très attendu, et nous nous réjouissons qu’il soit enfin inscrit à l’ordre du jour, après quelques tergiversations du Gouvernement, sur lesquelles je reviendrai.

Mon groupe avait déposé en juin dernier une proposition de loi analogue, que nous nous apprêtions à inscrire dans l’ordre du jour qui nous est réservé. Nous sommes donc très heureux, aujourd’hui, de l’examen de ce texte.

Cela a été dit, les thérapies de conversion visent à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne. Cher collègue Philippe Bonnecarrère, je souhaite vous rassurer : si, effectivement, le droit pénal spécial prime sur le droit pénal général, rien n’empêchera demain, après le vote de ce texte, que des infractions voisines des thérapies de conversion soient sanctionnées. Vos craintes en tant que juriste me semblent donc infondées.

Loin d’être un fantasme, ces pratiques existent bel et bien aujourd’hui, en France, comme l’ont démontré les travaux menés par une mission d’information de l’Assemblée nationale en 2019 ou encore l’enquête des journalistes Jean-Loup Adénor et Timothée de Rauglaudre. Elles peuvent prendre diverses formes : accompagnements thérapeutiques ou spirituels, exorcismes, rassemblements de prières, voire traitements par électrochocs ou injection d’hormones.

On le sait, ces pseudo-thérapies produisent des dommages profonds sur la santé physique et mentale des personnes, souvent jeunes, qui les subissent. Elles reposent sur une conception assimilant l’homosexualité et la transidentité à des maladies. Ce n’est pas acceptable, a fortiori au XXIsiècle, dans un pays se targuant d’être la patrie de droits de l’homme et d’avoir abrogé toute sanction pénale de l’homosexualité.

Comme je le disais, ce texte est très attendu. Déjà, en 2015, un rapport du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme appelait à l’interdiction par les États des thérapies de conversion. En mars 2018, le Parlement européen adoptait une motion condamnant ces pratiques et appelant les États membres à légiférer pour les interdire.

Pourtant, en France, bien que l’homosexualité ne soit plus considérée comme une pathologie psychiatrique depuis 1981, il n’existe toujours pas de législation spécifique condamnant ces pratiques d’un autre âge.

On ne peut que déplorer, madame la ministre, les hésitations du Gouvernement, qui, après avoir envisagé d’utiliser la loi sur les séparatismes comme véhicule législatif, a ensuite affirmé, lors d’une réponse à une question au Gouvernement en mai dernier, que le droit existant suffisait et qu’une circulaire serait prise.

J’ai bien entendu vos propos tout à l’heure et je sais ce que vous avez dit à l’Assemblée nationale. Le contexte a changé, tant mieux.

Conscient de l’urgence du sujet, notre groupe avait déposé en juin dernier une proposition de loi similaire et s’apprêtait à l’inscrire dans son espace réservé.

Je veux ici saluer le travail des associations, et en particulier du collectif Rien à guérir, qui porte depuis longtemps la parole des victimes et qui se bat pour que ces pratiques soient officiellement interdites.

Comme elles le soulignent, même si le droit pénal permet de sanctionner certaines pratiques, évoquées par notre collègue Philippe Bonnecarrère, telles que l’abus de faiblesse ou les faits de violences, l’arsenal législatif actuel, notamment en raison de son manque de lisibilité, ne suffit pas à lutter contre ces dérives.

Non seulement de telles pratiques ont cours sur notre territoire depuis plusieurs années, mais les travaux de la mission d’information de l’Assemblée nationale tendent à montrer leur extension récente et leur caractère protéiforme.

Il était temps qu’un texte réponde à la nécessité de faire évoluer notre droit, en créant une infraction spécifique qui permettra d’identifier clairement ces pratiques et de donner une reconnaissance aux victimes.

Je veux saluer le travail très constructif de Mme la rapporteure, qui a utilement complété le texte en prévoyant notamment que, lorsque l’auteur de l’infraction sur un mineur est titulaire de l’autorité parentale, le juge pénal se prononce en cas de condamnation sur le retrait total ou partiel de l’exercice de cette autorité.

Si cette possibilité existe déjà aujourd’hui, l’examen systématique va dans le sens d’une meilleure protection des mineurs victimes.

Nous approuvons également l’ajout de circonstances aggravantes à l’article 3, afin de punir plus sévèrement les infractions commises par des professionnels de santé à l’encontre d’un mineur ou d’une personne vulnérable.

Nous proposerons toutefois des amendements, afin d’améliorer encore cette proposition de loi.

Tout d’abord, il nous semble essentiel de veiller à ce que l’accompagnement des personnes en quête de leur identité ne soit pas affecté par ce texte. Aussi, nous souhaitons exclure expressément de son champ les soins et l’accompagnement relatifs au parcours de transition et au changement de sexe.

Nous défendrons également la proposition du collectif Rien à guérir d’élargir les préjudices nécessaires pour caractériser l’infraction au fait de porter atteinte aux droits et à la dignité de la victime. La rédaction initiale prévoit l’atteinte à la santé mentale ou physique, préjudice qui peut être parfois difficile à démontrer.

Nous considérons que ces pratiques doivent être punies, même lorsque la santé physique ou mentale n’a pas été détériorée.

Nous souhaitons également rétablir l’article 2, qui tendait à faire de ces pratiques des circonstances aggravantes aux violences volontaires. Et parce que la proposition de loi passe sous silence le nécessaire aspect de la prévention, nous souhaitons renforcer le contenu des programmes scolaires sur le respect de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre.

Nous sollicitons également un rapport sur les besoins de la médecine scolaire pour accompagner au mieux les élèves victimes de traitements discriminatoires ou de harcèlement, notamment dans le cadre de la vie scolaire. Sur ce sujet, il nous semble important qu’un travail soit mené, afin de pouvoir quantifier, repérer et prévenir.

Enfin, il nous semble nécessaire d’associer à ce débat les traitements et interventions visant les enfants intersexes. Il s’agit là, en effet, d’interventions invasives portant atteinte, hors nécessité vitale, aux caractéristiques sexuées de mineurs, actes qui peuvent parfois avoir des conséquences difficiles.

Nous espérons que le débat de ce jour permettra de contribuer à faire avancer ce combat pour l’égalité et que nos propositions trouveront ici un accueil favorable.

Toutefois, malgré le caractère largement consensuel de ce texte, certains de nos collègues – Mme Jacqueline Eustache-Brinio s’est exprimée en ce sens – ont fait le choix de se saisir de ce débat à des fins idéologiques pour contester la notion d’identité de genre.

De quoi parlons-nous ? De quelque chose qui relève de l’intime et qu’il n’est pas possible de juger. D’une conviction personnelle de se sentir homme ou femme, parfois ni l’un ni l’autre ou les deux à la fois. Ce sentiment peut être en accord avec la réalité biologique ou non. Qui sommes-nous pour juger d’un ressenti, d’une conviction aussi intime ?

Je veux ici exprimer la volonté de notre groupe d’affirmer le droit de chacun au cheminement personnel vers son identité.

Contrairement à ce que ses détracteurs avancent, la notion d’identité de genre est bel et bien définie. Elle figure déjà dans la loi, notamment à l’article 132-77 du code pénal, qui alourdit la sanction de tout crime ou délit commis en raison de l’identité de genre de la victime.

Par ailleurs, Mme Éliane Assassi l’a rappelé, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 26 janvier 2017, a jugé l’expression suffisamment claire et précise pour respecter le principe de légalité.

Supprimer dans ce texte la notion d’identité de genre reviendrait, comme l’a démontré notre collègue Mélanie Vogel, à exclure du champ de cette proposition de loi les personnes transgenres ou en questionnement sur leur identité de genre, ce qui constituerait une discrimination grave.

Vous l’aurez compris, notre groupe soutiendra cette proposition de loi, si elle n’est pas dénaturée. En effet, il est aujourd’hui nécessaire de reconnaître ces violences, de reconnaître le statut de victimes à ceux qui les ont subies et, enfin, de permettre qu’elles soient sanctionnées. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme le président. La parole est à Mme Céline Boulay-Espéronnier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Céline Boulay-Espéronnier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le 17 mai 1990, l’Organisation mondiale de la santé marquait un virage aussi tardif qu’historique en supprimant l’homosexualité de la liste des pathologies mentales.

Il faudra attendre 1992 pour que la France rejoigne enfin le camp du progrès.

Depuis lors, de nombreux progrès ont été réalisés dans notre pays en faveur des droits des personnes homosexuelles. Pourtant, la recrudescence des violences commises contre les personnes LGBT, constatées par SOS homophobie en 2020, témoigne de la persistance d’un sentiment homophobe au sein de notre société. Qu’il s’agisse d’expressions de rejet, d’insultes ou même d’agressions physiques ou sexuelles, ces exactions sont le plus souvent commises dans l’espace privé, à l’abri des regards.

Véritables actes de torture, les thérapies de conversion figurent au nombre de ces violences. Qu’elles s’inscrivent dans un contexte médical ou au sein d’un mouvement religieux, qu’il s’agisse de médicaments, d’électrochocs, d’un lavage de cerveau ou même de séances d’exorcisme, les traitements pseudoscientifiques visant à réformer l’orientation sexuelle d’un individu sont toujours traumatisants et suscitent une profonde souffrance chez ceux qui les subissent.

C’est pourquoi je salue cette proposition de loi, qui permettra de clarifier définitivement l’interdiction des thérapies de conversion envers les personnes homosexuelles.

Certes, ces pratiques barbares pouvaient déjà être poursuivies au titre des violences volontaires, du délit d’abus de faiblesse, du harcèlement moral ou encore de l’exercice illégal de la médecine. Mais l’absence d’infraction spécifique rendait difficile le recueil de statistiques judiciaires concernant les thérapies de conversion, donc l’évaluation de l’ampleur du phénomène.

De plus, l’autonomisation de la sanction des thérapies de conversion facilitera la prise de conscience des victimes potentielles, en mettant à leur disposition un outil juridique solide sur lequel s’appuyer lors du dépôt de plainte.

Enfin, la reconnaissance explicite de l’interdiction des thérapies de conversion permet à la France de s’inscrire en conformité avec la résolution adoptée par le Parlement européen le 16 janvier 2019 et appelant les États membres de l’Union européenne à les interdire.

Je veux revenir sur la proposition de suppression de la notion d’identité de genre, suggérée, par le biais d’un amendement, par notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio. À l’inverse de la notion d’identité sexuelle, le concept d’identité de genre importé des États-Unis demeure, pour l’heure, une dénomination imprécise, aux contours nébuleux, qui nuit à la clarté du droit.

Plusieurs spécialistes ont tiré la sonnette d’alarme quant au risque induit par l’inclusion de la notion d’identité de genre dans la proposition de loi pour les enfants atteints de dysphorie de genre. Ces derniers risqueraient en effet de se retrouver enfermés dans une démarche transaffirmative de façon très prématurée. À cet égard, je conteste le procès en idéologie qui est fait à notre collègue.

Bien que la détresse suscitée par la discordance entre le sexe constaté à la naissance et le sexe ressenti ne fasse pas l’ombre d’un doute, il paraît essentiel de ménager le plus longtemps possible la possibilité pour l’enfant de se déterminer sexuellement dans un sens ou dans l’autre. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Claude Anglars. Enfin un peu de bon sens !

Mme le président. La parole est à M. Laurent Burgoa. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Burgoa. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’État et son personnel politique ne sont pas là pour dire aux Français qui ils peuvent aimer ou non. À vrai dire, nous sommes surtout là pour permettre à chacun de s’épanouir pleinement, et cela en prenant un soin particulier à protéger les plus vulnérables.

Cette proposition de loi vise à pénaliser les thérapies dites « de conversion ». En effet, leurs organisateurs, estimant que les personnes homosexuelles sont malades, prétendent pouvoir modifier leur orientation sexuelle. Vous vous en doutez, les premières victimes de ces prétendues thérapies sont très souvent de jeunes adolescents dont les parents n’acceptent pas l’orientation. Oui, il nous faut les protéger, car ils sont vulnérables.

Toujours parce que les mineurs sont fragiles, nous devons aussi les protéger de démarches trop hâtives de changement de sexe. En cela, je soutiens les amendements de ma collègue Jacqueline Eustache-Brinio, qui visent à les réserver aux majeurs. Ces démarches sont loin d’être anodines, et nous devons nous assurer qu’elles sont le fruit d’un consentement libre et éclairé du jeune adulte.

Entendons-nous bien, il ne s’agit pas de jeter un regard suspicieux sur une telle démarche. Les bloqueurs de puberté et les traitements hormonaux n’ont absolument rien d’anodin, et le chemin inverse est très lourd.

L’adolescence est par définition cette période de la vie où l’on se cherche et où l’on se perd parfois, mais toujours pour mieux se retrouver. C’est un chemin difficile et je sais qu’il peut être dur à vivre pour certains parents, qui sont témoins de ce mal-être. Mais n’est-ce pas à notre société d’accepter cette période de questionnement plutôt que de vouloir imposer toujours plus vite des choix aussi lourds à de jeunes adolescents ?

L’enfer est pavé de bonnes intentions, et nous devons nous garder de tout raisonnement binaire – c’est le cas de le dire. Laissons à ces enfants le temps de se construire, de se choisir, et luttons ardemment contre toutes les formes de harcèlement au sein de nos écoles, car c’est surtout de cela qu’il s’agit.

Les amendements de ma collègue Jacqueline Eustache-Brinio visent à supprimer, dans le texte, la notion d’« identité de genre vraie ou supposée ». J’en suis convaincu, certains militants professionnels penseront qu’il s’agit de rayer cette notion du débat public. Il n’en est rien, et, d’ailleurs, comment le pourrions-nous ? Il est simplement question de préserver notre droit d’une notion confuse !

Le concept d’identité de genre n’est pas défini. Il est apparu malgré tout dans des listes de discriminations, sans aucune indication sur ce qu’il recouvre, rendant ainsi inopérante l’application des mesures voulues. Il faut comprendre que des notions aussi confuses laissent une interprétation si grande aux juges du fond qu’elles permettent l’arbitraire. Je doute que cela soit l’effet visé…

Cette proposition de loi, amendée par les amendements que je viens d’évoquer, deviendrait pleinement celle de la tolérance, celle qui refuse que l’on somme une personne de changer son orientation sexuelle, mais aussi celle qui refuse que l’on presse un jeune adolescent de changer de sexe.

Je le crois, c’est à notre société d’accepter la différence, les questionnements, les doutes, les interrogations que peut faire naître l’adolescence, et c’est à nous, législateurs, de préserver ce temps si précieux. Je le conçois, certains parents, sûrs de la volonté de leur enfant, trouveront que ce temps offert n’est que souffrance supplémentaire. Mais qu’en serait-il du reste de la vie de cet enfant en cas de changement de sexe précipité ? Cette question doit être posée.

Telle est ma position, et c’est à ces conditions que je voterai en faveur de ce texte. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi interdisant les pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne

Chapitre Ier

Création d’une infraction relative aux pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi interdisant les pratiques visant à modifier l'orientation sexuelle ou l'identité de genre d'une personne
Article 1er

Mme le président. L’amendement n° 1 rectifié sexies, présenté par Mme Eustache-Brinio, MM. Retailleau, Bazin, Cardoux, Bouchet et Burgoa, Mmes Dumont, Thomas, Garnier et Pluchet, MM. Frassa, Meurant et Favreau, Mmes Chauvin, Ventalon et Gosselin, MM. Savin, Pointereau, Babary, E. Blanc et Longuet, Mme V. Boyer, M. C. Vial, Mmes Estrosi Sassone et Lavarde, M. Bascher, Mmes Joseph, Berthet et Puissat, MM. Brisson, Sido, Mouiller, Calvet, Savary et B. Fournier, Mme Di Folco, MM. J.B. Blanc, J.M. Boyer et Cadec, Mme Bourrat et MM. Tabarot, Panunzi et Mandelli, est ainsi libellé :

Supprimer les mots :

ou l’identité de genre

La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Comme je l’ai souligné dans le cadre de la discussion générale, j’ai déposé onze amendements ayant pour objet de supprimer dans ce texte les mots « identité de genre ».

Si la notion d’orientation sexuelle est claire, je persiste à dire, même si c’est un combat d’arrière-garde, que la notion d’identité de genre est source, dans ce texte, d’une confusion juridique. En effet, elle recouvre aujourd’hui des choses qui ne sont pas définies.

D’ailleurs, quand nous nous rendons dans nos départements et nos régions, nous nous apercevons que nos concitoyens sont incapables de dire ce qu’est l’identité de genre. Si l’on excepte certaines minorités et certains milieux intellectuels, nos compatriotes ne se sont pas approprié cette notion. Pour la majorité des Français, elle n’existe pas, et ils ne la comprennent donc pas, j’en suis persuadée.

Sommes-nous contraints de céder à tous les courants, à toutes les pressions et à tous les lobbies qui viennent nous imposer des modèles de société ? Je ne le pense pas !

Comme certains spécialistes, j’estime qu’emmener des jeunes, en particulier des mineurs, vers des notions qui leur échappent peut être dangereux.

C’est la raison pour laquelle j’ai déposé ces amendements, qui visent à supprimer de ce texte la notion d’identité de genre. Je remercie les collègues qui m’ont soutenue en cosignant ces amendements et en défendant cette position au cours de la discussion générale.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Dominique Vérien, rapporteure. Si vous le permettez, madame la présidente, je profiterai de cette intervention pour donner l’avis de la commission sur l’ensemble des amendements portant sur ce sujet. En effet, Mme Jacqueline Eustache-Brinio et plusieurs de nos collègues ont déposé onze amendements visant à supprimer toutes les occurrences des termes « identité de genre » dans la proposition de loi.

Une telle suppression est motivée par le fait que l’identité de genre serait un concept mal défini. Vous l’aurez compris, je ne suis pas favorable à ces amendements, pour trois raisons que j’aimerais vous expliquer, mes chers collègues.

Tout d’abord, la notion d’identité de genre paraît, sur le plan scientifique, plutôt bien définie, depuis au moins soixante-dix ans, puisque la définition du transsexualisme remonte à 1953. Une personne transgenre est une personne qui ne s’identifie pas à son sexe de naissance et qui souhaite en changer grâce à un parcours médical et des procédures administratives destinées à modifier son état civil.

Au cours de mes auditions, j’ai discuté avec des médecins qui accompagnent des personnes transgenres depuis plus de vingt ans. Des protocoles ont été élaborés, et la Haute Autorité de santé a publié dès 2009 un guide sur la prise en charge du transsexualisme en France.

Sur le plan juridique, je vous rappelle, après plusieurs de nos collègues, que le Conseil constitutionnel a considéré dans sa décision du 26 janvier 2017 que les termes « identité de genre » étaient suffisamment clairs et précis pour pouvoir entrer dans le code pénal, sans porter atteinte au principe de légalité des délits et des peines.

Le Conseil constitutionnel notait que, en ayant recours à la notion d’identité de genre, le législateur avait entendu viser le genre auquel s’identifie une personne, qu’il corresponde ou non au sexe indiqué sur les registres de l’état civil ou aux différentes expressions de l’appartenance au sexe masculin ou au sexe féminin.

Compte tenu de cette jurisprudence, l’emploi des termes « identité de genre » dans la proposition de loi ne me semble pas poser de difficulté.

Je rappelle d’ailleurs que cette expression figure – là encore, plusieurs de nos collègues l’ont rappelé – dans le code pénal depuis 2016. On la trouve également depuis 2017 dans le code de procédure pénale et dans le code du travail. Elle est également inscrite dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans le code du sport, dans le code de la sécurité intérieure et dans le code de la santé publique. La proposition de loi ne comporte donc aucune innovation sur le plan sémantique.

Dernier élément, le plus important selon moi : les auditions auxquelles j’ai procédé ont montré que, si l’homosexualité était désormais relativement bien acceptée dans notre société, les personnes transgenres continuent en revanche de se heurter à d’importantes discriminations. Il est donc nécessaire que la loi les protège, et ce serait un mauvais signal que de supprimer les références à l’identité de genre, donc de gommer l’existence de ces personnes transgenres.

La commission a cependant été attentive aux préoccupations exprimées par nos collègues, qui craignent que l’interdiction des thérapies de conversion ne rende impossible une approche prudente et mesurée face aux demandes exprimées par certains adolescents. Un parcours médical visant le changement de sexe est éprouvant ; il doit donc être mûrement réfléchi.

C’est pourquoi nous avons précisé qu’il n’y aurait évidemment pas d’infraction lorsqu’un professionnel de santé ou un parent, par exemple, invite à la prudence et à la réflexion une personne qui s’interroge sur son identité de genre.

Le texte transmis par l’Assemblée nationale était, à mon avis, sans ambiguïté sur ce point, mais nous avons malgré tout voulu ajouter ces dispositions interprétatives pour lever les derniers doutes qui pouvaient subsister.

Par conséquent, j’émets un avis défavorable sur ces onze amendements.