Mme le président. La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Pascal Allizard, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la réunion du Conseil européen des 16 et 17 décembre prochains sera, sauf événement très exceptionnel, la dernière avant le début de la présidence française. À cet égard, nous avons une responsabilité particulière, celle de préparer dans les meilleures conditions possible la mise en œuvre de nos priorités, qui sont nombreuses, au cours du premier semestre de l’année prochaine.

Dans ce contexte, j’aimerais attirer votre attention sur trois enjeux qui seront évoqués lors de cette réunion et dont la commission des affaires étrangères et de la défense assure un suivi particulièrement actif.

En premier lieu, pour ce qui concerne notre dialogue avec le Royaume-Uni, il est temps, monsieur le secrétaire d’État, que les Britanniques tiennent parole et mettent en application les termes de l’accord de commerce et de coopération conclu le 24 décembre 2020. Il s’agit non seulement d’une question de confiance entre nous et le Royaume-Uni, mais également d’une question de crédibilité pour les institutions de l’Union : celles-ci ne sauraient détourner le regard face un partenaire qui ne cesse, depuis plusieurs mois, de remettre en cause verbalement et matériellement les engagements souscrits dans le cadre de cet accord.

En ce qui concerne l’Irlande du Nord, cela fait maintenant plus d’un mois que la Commission a rendu publiques ses propositions d’aménagement quant à l’application du protocole nord-irlandais. J’espère que vous serez en mesure de nous expliquer quel est l’état actuel des négociations et quelle voie de sortie est envisageable, s’agissant d’un partenaire qui n’a pas abandonné sa menace régulièrement réitérée de recourir à l’article 16. Cet article prévoit, je le rappelle, la suspension unilatérale du protocole en cas, notamment, de désaccord avec les autorités européennes sur la question de la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne.

Parallèlement, monsieur le secrétaire d’État, nous attendons de vous des réponses claires et un calendrier précis quant à la mise en œuvre déjà maintes fois repoussée des stipulations de cet accord en matière de pêche.

Nous savons bien que le Président de la République a fixé comme délai limite la date du 10 décembre pour faire aboutir ces négociations, mais, à quarante-huit heures de cette date et après plusieurs mois de négociation, nous espérons que vous serez en mesure de dresser pour nous un état des lieux circonstancié des avancées que vous avez obtenues et des dispositions que le Gouvernement est prêt à prendre dans l’hypothèse où nos pêcheurs continueraient de se voir refuser, sur des fondements arbitraires, leur droit de pêcher dans les eaux britanniques.

En second lieu, pour ce qui concerne la protection de nos frontières extérieures, la commission des affaires étrangères du Sénat a entendu ce matin en audition le directeur exécutif de Frontex, M. Fabrice Leggeri, qui a dressé un tableau éloquent des menaces qui pèsent sur les frontières de l’espace Schengen.

À cet égard, nous attendons des précisions sur la position de la France dans le débat que la Commission et le haut représentant Borrell ont ouvert, le 23 novembre dernier, en présentant une communication sur la réponse à apporter à l’instrumentalisation par des États des mouvements migratoires aux frontières de l’Union.

En particulier, monsieur le secrétaire d’État, si nous ne pouvons que nous réjouir de la stabilisation progressive de la situation à la frontière biélorusse, comment ferons-nous pour empêcher qu’une nouvelle attaque hybride de ce type ne se reproduise à nos portes ? Il est essentiel que vous puissiez nous apporter des précisions sur la position française dans le cadre de la réforme à venir du code frontières Schengen.

En troisième lieu, enfin, alors qu’une nouvelle déclaration conjointe de l’Union européenne et de l’OTAN, l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, est annoncée avant la fin de l’année, nous aimerions vous entendre sur la version initiale de la boussole stratégique présentée aux ministres de la défense et des affaires étrangères des Vingt-Sept, à la fin du mois dernier.

En vue de la présentation d’une nouvelle version de ce document le mois prochain, quels amendements le Gouvernement entend-il y apporter ? Plus précisément, quelle articulation la France propose-t-elle entre la garantie apportée par l’OTAN et l’autonomie stratégique de l’Union, dans un contexte marqué par l’annonce, au début du mois, selon laquelle un accord administratif était en cours de négociation entre l’Agence européenne de défense et le département de la défense des États-Unis, afin de permettre à notre partenaire américain d’être associé à certains des projets financés par des fonds européens ?

À quelques semaines du début de la présidence française du Conseil de l’Union, les enjeux – vous l’avez dit – sont nombreux. Ce dernier sommet de l’année 2021 doit nous permettre de prendre clairement position et nous mettre en situation d’assumer pleinement nos priorités stratégiques pendant nos six mois de présidence. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. André Gattolin et Mme Colette Mélot applaudissent également.)

Mme le président. La parole est à M. le vice-président de la commission des finances. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Dominique de Legge, vice-président de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la réunion du Conseil européen qui se tiendra la semaine prochaine permettra aux chefs d’État et de gouvernement des vingt-sept pays membres de l’Union européenne de faire un point sur la crise sanitaire, notamment sur ses conséquences économiques, ainsi que sur les prix de l’énergie, deux sujets que suit avec attention la commission des finances.

Alors que les promesses d’une reprise économique vigoureuse étaient en passe d’être concrétisées, l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, a entériné un léger recul de sa prévision de croissance pour la zone euro en 2021, qui s’établit désormais à 5,2 %, en raison de la reprise de la pandémie.

À ce stade, monsieur le secrétaire d’État, je vous adresse une première question : pensez-vous parvenir à une stratégie commune sur le plan sanitaire et, le cas échéant, sur quelles bases ?

D’un point de vue économique, le plan de relance européen représente un soutien incontestable. J’ai bien noté que la transition énergétique a été définie comme une orientation forte, conformément au Pacte vert pour l’Europe.

L’on peut s’en réjouir, mais il ne faudrait pas que la réglementation européenne sur la « taxonomie », c’est-à-dire la classification des activités économiques selon leurs effets sur l’environnement définie par le règlement européen adopté en 2020, en vienne à pénaliser la France en classant le nucléaire parmi les activités ne relevant pas de la catégorie dite durable.

M. Gilbert Favreau. Absolument !

M. Dominique de Legge, vice-président de la commission des finances. Les atouts économiques, technologiques et environnementaux dont nous disposons dans ce domaine ne doivent pas être sacrifiés sur l’autel de l’idéologie ou d’un consensus mou.

Pouvez-vous nous rassurer sur ce point ?

La flambée du coût de l’énergie pose le problème du pouvoir d’achat des ménages. Les dispositions prises par le Gouvernement étant conjoncturelles, elles ne sauraient constituer une réponse dans la durée. Ainsi le « bouclier tarifaire » destiné à contenir les prix du gaz et de l’électricité apparaît-il d’ores et déjà insuffisant. Le dispositif prévu pour limiter à 4 % la hausse des prix de l’électricité coûtera beaucoup plus cher que prévu et risque fort de ne pas suffire. Des experts estiment que son coût budgétaire pourrait dépasser 10 milliards d’euros quand le rendement total de la taxe sur l’électricité, qu’il est d’ailleurs prévu de minorer, est inférieur à 8 milliards d’euros !

La hausse sans précédent des prix de l’énergie n’est pas sans lien avec le marché européen de l’énergie, ainsi qu’avec le système d’échange de quotas d’émission de l’Union. En effet, l’augmentation du prix de l’électricité résulte directement de la hausse du prix du gaz, les prix de ces deux énergies étant liés au sein dudit marché européen de l’énergie.

Comme l’a rappelé à plusieurs reprises le rapporteur général de la commission des finances, Jean-François Husson, la menace qui pèse ainsi sur la compétitivité de nos entreprises et sur le pouvoir d’achat des consommateurs est injuste, puisque notre pays bénéficie d’une production électrique très largement décarbonée, à des coûts de production faibles !

Surmontant quelques divergences apparues au sein du Gouvernement, la France a pris l’initiative d’une proposition de réforme d’ampleur du marché européen de l’électricité. Si quelques pays s’y sont ralliés – je pense à l’Espagne, à l’Italie, à la Grèce et à la Roumanie –, cette initiative fait face à une coalition déterminée conduite par l’Allemagne, hostile au nucléaire sous toutes ses formes.

Monsieur le secrétaire d’État, alors que les divergences entre les Vingt-Sept promettent d’être à nouveau très prononcées sur le sujet de la réforme du marché de l’électricité, comment la France entend-elle promouvoir ce projet dans les mois à venir, en particulier dans la perspective de sa prochaine présidence du Conseil ? Quelles sont les chances réelles que cet objectif soit atteint ? En quoi la nouvelle coalition allemande influera-t-elle sur le processus ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Louault et Mme Colette Mélot applaudissent également.)

Mme le président. La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires européennes. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Cadec, vice-président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous prie tout d’abord d’excuser le président de la commission des affaires européennes, Jean-François Rapin qui, en déplacement en Grèce avec le président du Sénat, m’a chargé de le représenter ce soir.

La prochaine réunion du Conseil européen sera la première pour le nouveau chancelier allemand, intronisé aujourd’hui même par le Bundestag.

C’est une bonne nouvelle pour l’Union européenne que l’Allemagne soit parvenue, en moins de deux mois, à se doter d’une coalition et que celle-ci se soit accordée sur un programme dont le contenu converge avec les priorités que nous espérons précisément voir prospérer sous la présidence française du Conseil, à compter du 1er janvier 2022 : « accroître la souveraineté stratégique de l’Union européenne » et mieux défendre les « intérêts européens communs ».

Il y a là un précieux motif d’espoir, vu le contexte par ailleurs assez sombre dans lequel se déroulera la réunion du Conseil européen dans huit jours. De nouveau, le sujet de la pandémie de covid-19 revient à l’ordre du jour et, avec lui, l’impératif d’une coordination des mesures aux frontières intérieures et extérieures de l’Union, après l’activation du frein d’urgence qui a consisté à suspendre les vols en provenance d’Afrique australe.

La question se pose de savoir comment préserver la liberté de circulation, compte tenu de la disparité de la couverture vaccinale entre États membres. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous dire si le Conseil européen abordera l’hypothèse de l’obligation vaccinale, qui émerge dans plusieurs États membres ? La France a certes choisi une autre stratégie, mais cette solution de dernier ressort vous semble-t-elle à envisager ?

Deuxième sujet de préoccupation inscrit à l’ordre du jour de cette réunion du Conseil européen : le prix de l’énergie – il a déjà été évoqué, mais mieux vaut deux fois qu’une. Il est essentiel de trouver le moyen d’améliorer les mécanismes du marché de détail de l’électricité, afin de stabiliser les prix et d’inciter à la consommation d’énergie bas-carbone.

Cette réunion n’y suffira sans doute pas, mais le cas d’Ascoval, qui a failli délocaliser en Allemagne sa production d’acier pour bénéficier d’une électricité moins chère, mais bien plus polluante, montre qu’il y a urgence à relever ce défi.

Ce défi est à la fois économique et climatique, comme l’est le débat autour de la taxonomie européenne des investissements durables dont parlait mon collègue de Legge. Sur l’initiative de la commission des affaires européennes, le Sénat vient d’ailleurs d’adopter une résolution européenne plaidant pour l’inclusion de l’énergie nucléaire dans cette taxonomie, car il s’agit d’une énergie bas-carbone, mais également abondante, peu chère et régulière. L’enjeu est de permettre à l’Union européenne d’atteindre la neutralité carbone en 2050 et de conforter son autonomie stratégique, en réduisant sa dépendance à d’autres énergies, donc aux États qui en sont fournisseurs.

Monsieur le secrétaire d’État, êtes-vous en mesure de nous indiquer quand la Commission prendra l’acte délégué annoncé pour décembre ? Pouvez-vous en particulier nous rassurer sur le traitement qui sera réservé au nucléaire dans cet acte ?

Un troisième sujet figure à l’ordre du jour de cette prochaine réunion du Conseil européen : la sécurité, la défense et les relations extérieures. Le 15 novembre dernier, vous le disiez voilà un instant, le haut représentant Josep Borrell a présenté la boussole stratégique de l’Union européenne. Cette réunion de décembre sera donc l’occasion d’un premier échange permettant d’évaluer dans quelle mesure les États membres partagent la même vision des menaces et la même ambition pour y répondre ensemble.

C’est pourtant sans délai que l’Union doit réagir aux menaces immédiates qui se présentent à ses frontières orientales : d’une part, la pression migratoire entretenue par la Biélorussie ; d’autre part, les troupes que la Russie masse à la frontière ukrainienne. Monsieur le secrétaire d’État, cette réunion sera-t-elle l’occasion pour le Conseil européen de préparer la réponse que l’Union pourrait devoir apporter en cas d’attaque russe dans le Donbass ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Louault applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. Jacques Fernique.

M. Jacques Fernique. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette réunion du Conseil européen s’inscrit dans un contexte chargé.

D’une part, nous sommes à la veille d’un semestre français assez ambivalent, puisqu’il sera à la fois celui de la campagne électorale, ce qui ne saurait échapper à personne, et celui de notre présidence du Conseil de l’Union, dont il serait bon qu’elle soit marquante.

D’autre part, nous subissons toujours les vagues pandémiques ; les variants mettent au jour nos fragilités sanitaires, sociales et économiques. En outre, nous voyons malmenées à nos frontières et sur nos côtes les valeurs qui ont fondé le projet européen.

Sur le front climatique, la COP26, les accords commerciaux, la politique agricole commune (PAC) ou la question de la taxonomie pour une finance durable montrent combien les politiques écologiques sont à la peine face aux dénis, aux atermoiements et aux lobbies à courte vue.

Enfin, ce moment est aussi celui où une nouvelle coalition allemande pose les bases d’une nouvelle donne. N’est-ce pas là une forte raison de plus pour redonner vigueur au projet européen commun ?

Face au covid-19, l’Europe est d’autant plus attendue qu’elle est par nature vouée à la coopération et à la solidarité, en interne, mais aussi au niveau international, où se joue, on le sait, l’essentiel. On pourrait certes se borner à ressasser que l’Europe a su mutualiser sa production et sa distribution vaccinales, qu’elle fournit beaucoup de doses aux pays pauvres et qu’en comparaison avec les autres privilégiés nous ne sommes pas les plus égoïstes, mais ces satisfecit autodécernés, même justifiés, ne changeront pas la donne sanitaire planétaire : seule une infime part des près de 6 milliards de doses injectées dans le monde est allée à des pays à faibles revenus.

Face aux drames humains et aux fabriques à variants, si l’on veut réduire les coûts et porter la production vaccinale à la hauteur des besoins planétaires, la levée des brevets et les transferts de savoir-faire et de technologies sont impératifs. En la matière, l’Europe est – je le répète – d’autant plus attendue qu’elle n’est pas la moins bonne parmi les acteurs décisifs.

Redonner vigueur au projet européen passera également par une réforme profonde de notre politique migratoire, qui met en difficulté, et c’est un euphémisme, tant les pays d’entrée que, surtout, les personnes exilées.

Le tout-sécuritaire et la sous-traitance à des États tiers de la tenue des frontières par les armes défont la dignité humaine et les valeurs qui nous constituent. Sortons de cette logique de protection des frontières qui ne protège pas les droits des personnes, déployons des moyens humanitaires partout où la vie humaine est menacée, ouvrons des voies de migration sûres et légales, instaurons un mécanisme efficace de relocalisation et de solidarité financière entre les États afin de faciliter l’accueil, l’intégration et le traitement de l’asile conformément aux exigences du droit international.

Autre sujet : la directive sur le salaire minimum met en jeu les droits sociaux, et en particulier le droit à un revenu décent. Elle ne sera opérante qu’à la condition d’être un mécanisme efficace pour combattre les inégalités socioéconomiques. Quelque 10 % de ceux qui ont un emploi en Europe sont des travailleurs pauvres. La Commission plaide, comme l’atteste une récente proposition législative, pour un alignement vers le haut des salaires minimums. Sur ce sujet, une position française ferme est nécessaire au Conseil afin de ne pas laisser les tenants du moins-disant social vider le texte de sa substance.

Quelques mots également sur la fameuse taxonomie, dont il a déjà été question ce soir. Les investissements publics et la finance, à condition qu’elle soit durable, sont essentiels pour la transition écologique. À cet égard, l’outil que constitue la taxonomie des activités, en cours de parachèvement par la Commission européenne, doit être rationnel et crédible pour être opérant.

Soyons clairs : la question des déchets radioactifs et des risques majeurs empêche l’activité nucléaire de satisfaire aux critères de la durabilité ; il ne s’agit pas d’idéologie, mais de cohérence ! Et si un « deal » incluant le gaz fossile devait éviter le possible rejet par une majorité qualifiée, il risquerait fort malgré tout de décrédibiliser la taxonomie dans son ensemble et de se solder par l’échec d’une finance durable.

Le prix de l’énergie, enfin, est à l’ordre du jour de cette réunion du Conseil.

Au-delà des importantes questions immédiates ou de court terme, la proposition faite par la Commission européenne d’étendre le marché carbone aux carburants et au chauffage à partir de 2026 est totalement antisociale. Faire peser directement la taxe carbone sur les ménages populaires reviendrait à plomber les chances de la transition écologique. En matière de décarbonation des transports, c’est en faisant bouger les normes et en accompagnant socialement les réformes qu’on avancera plus sûrement. Telle est la voie envisagée dans l’accord de coalition du futur gouvernement allemand ; telle est la trajectoire claire qu’il faut ménager à l’industrie automobile pour éviter le désastre social.

Concluant ce rapide exposé de nos préoccupations et propositions principales à la veille de cette réunion du Conseil européen, j’ajouterai que, pour renforcer la position internationale de l’Europe, il est nécessaire de faire passer le commerce international du libre-échange au juste échange.

La politique commerciale de l’Union comme outil de régulation au service du climat et de la transition écologique, voilà la voie à consolider. Cela passera non pas par de simples déclarations, même si celles-ci peuvent contribuer à ralentir un peu, par exemple, le processus de ratification de l’accord avec le Mercosur, mais par des actes concrets conditionnant l’accès au marché unique européen au respect de règles sociales et environnementales fortes.

Mme le président. La parole est à M. Pierre Laurent.

M. Pierre Laurent. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous débattons ce soir préalablement à la dernière réunion du Conseil européen avant que ne débute la présidence française de l’Union. À cet instant, et alors que l’adoption de la boussole stratégique de l’Union, dont un premier projet vient d’être présenté, sera à l’ordre du jour sous cette présidence, je veux vous dire nos vives inquiétudes quant aux grands enjeux de sécurité humaine auxquelles l’Europe devrait contribuer à répondre.

Je commencerai par évoquer la dramatique situation des migrants. Le naufrage qui vient d’avoir lieu dans la Manche a rappelé quels caractères d’urgence et de violence s’attachaient à cette situation, ce dont témoigne aussi le voyage du pape à Lesbos. Il était question, dans le traité de Rome, d’« abolir les obstacles à la libre circulation des personnes, des services et des capitaux ». Pour ce qui est des capitaux, c’est fait. En ce qui concerne les personnes, en revanche, ce sont les barbelés, les murs et les cimetières marins qui resurgissent !

La politique migratoire de l’Europe est un naufrage, indigne des enjeux de sécurité humaine globale qui sont ceux de notre époque. Ces dernières semaines, l’instrumentalisation inacceptable par la Biélorussie de quelques milliers de migrants est devenue l’arbre qui cache la forêt de cette indignité européenne. Ces migrants seraient donc, selon la terminologie vulgarisée par les dirigeants polonais et européens, une « arme » au service d’une « guerre hybride » visant la déstabilisation de l’Union.

Soyons sérieux : ce chantage, comme ceux de la Turquie, du Maroc, du Royaume-Uni et d’autres, n’a de poids que parce que l’Union européenne referme partout ses portes aux voies légales et sécurisées de migration, poussant à la concentration de migrants aux frontières, livrant ceux-ci aux marchandages des passeurs. Les enjeux humains et politiques ont laissé place à un lexique militaire et sécuritaire qui enfonce l’Europe dans le déni des défis humains du XXIe siècle.

Un rapport de l’institut Jacques-Delors publié voilà quelques jours fustige d’ailleurs « un conflit profond de valeurs qui tend à opposer le besoin de sécurité des citoyens européens aux idéaux sur lesquels se fonde leur appartenance à l’Union européenne. »

La politique d’accueil et le droit d’asile sont maltraités comme jamais par les pays membres de l’Union européenne.

Nous ne traitons sérieusement aucune des causes profondes des migrations forcées : ni les guerres, auxquelles nous participons activement, nous faisant de surcroît les champions des ventes d’armes dans des régions qui sont déjà des poudrières ; ni les dérèglements climatiques – voyez les résultats de la COP de Glasgow – ; ni les écarts grandissants de richesses, dont le Laboratoire des inégalités mondiales vient de dresser un tableau alarmant ; ni les grands trafics criminels.

Nous n’abordons pas plus ambitieusement les enjeux vertueux d’une circulation des personnes, des jeunes, des savoirs, des cultures. Or qu’est-ce qui est le plus digne et le plus fécond pour l’avenir ? Accueillir plusieurs milliers de migrants afghans après le fiasco du départ américain de Kaboul, comme nous venons de le faire et comme nous devons continuer de le faire, ou bloquer ces Afghans aux frontières en les livrant aux passeurs et aux démagogues ?

Oui, les voies sécurisées de migrations sont plus sûres pour tous, pour les migrants comme pour les Européens. Ce n’est pas le déferlement qui nous menace, ce sont l’égoïsme, la peur et le repli.

Tout cela préjuge mal des discussions sur le pacte sur la migration et l’asile et sur la boussole stratégique, qui analyse même désormais les interdépendances comme des sources de conflictualité et de soft power agressif. Ceux-là mêmes qui ont défendu la libéralisation et la globalisation en viennent à crier au loup sur les interdépendances, c’est un comble !

Selon les auteurs de cette boussole stratégique, tout est conflictualité et l’OTAN et sa logique de confrontation permanente semblent constituer un horizon indépassable.

Si elle souhaite préserver sa sécurité et être autonome sur le plan stratégique, l’Europe doit s’émanciper du logiciel atlantiste, qui suscite plus de provocations que d’apaisement, cristallise plus de tensions qu’elle n’en résout.

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que l’Union européenne ait tant de mal à faire face aux récents développements de la pandémie de covid-19, inscrite une nouvelle fois à l’ordre du jour du Conseil européen. Sur ce sujet, monsieur le secrétaire d’État, qu’en est-il des inégalités, au sein même de l’Union européenne, dans les réponses sanitaires et dans l’approvisionnement en vaccins, face à la cinquième vague ? Qu’en est-il de la réponse européenne aux appels renouvelés du président de l’Afrique du Sud, qui appelle à la solidarité sanitaire plutôt qu’à la fermeture des frontières ?

Chacune des vagues – l’actuelle a pour origine un nouveau variant venu d’Afrique australe – nous rappelle notre devoir de solidarité globale. Si 54,6 % de la population mondiale a reçu au moins une dose de vaccin, cela concerne principalement les pays développés, car cette proportion n’est que de 6 % pour les habitants des pays à faibles revenus.

Le report, pour cause de risque sanitaire, de la douzième conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) représente un sursis accordé aux pays les plus riches – au premier rang desquels figurent les pays de l’Union européenne – pour trancher enfin en faveur de la levée des brevets. Cette solution s’impose à un point tel que le Parlement européen a adopté une résolution réclamant la levée temporaire des brevets sur les vaccins le 25 novembre dernier.

La Commission européenne et les États membres récalcitrants campent sur le principe de la licence obligatoire. Or, même avec ce type de licence, le coût d’accès à la production ne pourra pas être supporté par les pays les plus vulnérables, qui ne seront pas en mesure de financer les chaînes de production, la logistique, les rémunérations des travailleurs et les matières premières, en plus de la rémunération des brevets. Pendant ce temps, les laboratoires Pfizer, BioNTech et Moderna annoncent un bénéfice annuel avant impôts de 34 milliards d’euros, correspondant à un profit combiné de 65 000 dollars par minute. Il faut taxer les Big Pharma !

Il est possible de donner immédiatement de nouveaux moyens financiers aux pays du Sud. Je viens de déposer, avec l’appui de plusieurs membres de mon groupe, une proposition de résolution visant à réformer les modes de calcul des quotes-parts de droits de tirage spéciaux (DTS) attribués par le FMI, et à faciliter l’accès de ces pays aux droits de tirage non utilisés par les pays riches. La France pourrait soutenir cette proposition.

Enfin, de manière plus large, en Europe même, les règles et les critères de financement pour la relance d’une nouvelle vision économique doivent être bouleversés. La Banque centrale européenne (BCE) doit libérer les États de la charge des 20 % de titres de dette publique qui sont désormais en sa possession et le pacte de stabilité doit être abandonné au profit d’un pacte de financement social et écologique.

Voilà les combats que la France doit mener pendant sa présidence du Conseil de l’Union européenne ! (Mme Cécile Cukierman applaudit.)