Mme Michelle Gréaume. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le 19 mars 1962 à midi, la guerre d’Algérie a pris fin avec l’entrée en vigueur des accords d’Évian.

À la veille des célébrations du soixantième anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie, le Président de la République a souhaité avancer vers la reconnaissance de la responsabilité de la France dans la colonisation de l’Algérie et dans la guerre qui y mit fin.

Ce projet de loi proclame la reconnaissance de la Nation envers les harkis et les personnels des diverses formations supplétives et assimilés de statut civil de droit local qui ont servi la France en Algérie.

En prenant la décision d’abandonner à leur sort les harkis et leurs familles en Algérie, le gouvernement français de l’époque a trahi la parole donnée, condamnant ces femmes et ces hommes à des représailles sanglantes.

Selon l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre, 80 000 à 90 000 anciens supplétifs, épouses et enfants se sont réfugiés en France à compter du mois de mars 1962.

Ce texte reconnaît officiellement la responsabilité de la Nation pour les conditions dans lesquelles ils ont été accueillis, relégués dans des camps et des hameaux de forestage. Il reconnaît l’inhumanité des conditions de vie auxquelles ils ont été soumis et les atteintes aux libertés individuelles qu’ils ont subies.

Aux privations de liberté et à la précarité des conditions de vie dans les camps et les hameaux de forestage se sont ajoutés les violences, les humiliations et le racisme.

Ce projet de loi, qui prévoit d’accorder une réparation des préjudices subis au titre de l’indignité des conditions d’accueil sur le territoire français, constitue un progrès. Nous restons toutefois au milieu du gué en raison des critères d’indemnisation retenus.

En effet, le processus de réparation se limite aux 42 000 harkis et membres de leurs familles qui sont passés par des structures comme les camps de transit et de reclassement. De fait, il exclut des réparations les personnes et les familles placées dans des cités urbaines et celles qui sont arrivées et ont séjourné sur le territoire français par leurs propres moyens.

Par ailleurs, en limitant la réparation aux harkis ayant vécu dans des structures d’accueil entre le 20 mars 1962 et le 31 décembre 1975, le texte ne tient pas compte des familles qui y sont demeurées pendant de nombreuses années.

Aussi avons-nous déposé un amendement visant à supprimer cette barrière du 31 décembre 1975, afin d’étendre le bénéfice du dispositif à toute personne ayant résidé dans une de ces structures après le 20 mars 1962.

Enfin, le choix de verser une somme forfaitaire en fonction de la seule durée passée dans les camps pose question : il ne tient compte ni des circonstances ni des préjudices personnels endurés, parfois très lourds. Je pense notamment aux conjoints de personnes décédées, pour lesquelles la réparation devrait être plus importante, à rebours des critères envisagés dans l’étude d’impact.

Au total, entre 40 000 et 50 000 harkis et membres de leurs familles sont exclus de toute réparation. Il y a là un véritable problème à l’heure où nous parlons de reconnaissance et de réconciliation, quand bien même ce texte constitue – je le répète – une étape supplémentaire de la reconnaissance que la Nation doit aux harkis et aux oubliés d’Algérie.

Néanmoins, en matière de mémoire, la reconnaissance ne saurait se réduire à la simple repentance et dépasse les dédommagements financiers ; elle exige de travailler sur les questions mémorielles dans un climat d’apaisement, de chaque côté, en Algérie comme en France.

En effet, « si la mémoire divise, l’histoire peut rassembler », comme l’écrit l’historien Pierre Nora. Le rapport de Benjamin Stora préconise par exemple la constitution d’une commission « Mémoires et vérité » chargée d’impulser des initiatives communes entre la France et l’Algérie.

Pour ce faire, la France doit reconnaître sa responsabilité dans le massacre de Sétif, le 8 mai 1945, celle de l’armée française dans l’assassinat de Maurice Audin, en 1957, et celle de l’État dans les assassinats parisiens du 17 octobre 1961.

M. Philippe Tabarot. Et le 5 juillet 1962 ?

Mme Michelle Gréaume. La réconciliation de la France et de l’Algérie a été trop longtemps entravée par l’impossibilité de construire une mémoire commune entre nos deux pays. La France et les pays du Maghreb ont pourtant un rôle irremplaçable à jouer dans l’écriture de l’avenir du bassin méditerranéen.

Pour l’ensemble de ces raisons, les sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain citoyen et écologiste voteront ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – MM. Éric Jeansannetas et Jean-Pierre Sueur, ainsi que Mmes Esther Benbassa et Raymonde Poncet Monge, applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Jocelyne Guidez. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Jocelyne Guidez. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à saluer la qualité du travail de notre collègue rapporteure Marie-Pierre Richer sur un sujet certes passionnant, mais ô combien complexe.

Le présent texte porte reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local ayant transité par un camp ou un hameau de forestage entre 1962 et 1975.

Cette page d’histoire est particulièrement tragique : plusieurs dizaines de milliers de harkis, considérés comme des traîtres, furent sauvagement assassinés sur le sol algérien. Militaires, civils, femmes, enfants ont été les victimes de ces terribles massacres.

Parmi les 82 000 rapatriés d’origine algérienne ayant réussi à gagner la France, 42 000 personnes ont connu des conditions de vie indignes dans des camps de transit et des hameaux de forestage, où les anciens supplétifs étaient engagés pour travailler sur des chantiers d’aménagement de zones forestières.

La souffrance, les atteintes aux libertés individuelles, la précarité, les humiliations, les privations et la déscolarisation des enfants ont marqué la vie de ces structures. Ce projet de loi s’inscrit donc dans une démarche de réparation des préjudices subis par ces personnes du fait de leurs conditions d’accueil sur le territoire français.

Aux yeux des sénateurs du groupe Union Centriste, il est primordial de reconnaître la dette de la Nation à l’égard des harkis et de reconnaître la faute de la France dans la privation de liberté qu’elle leur a fait subir au sein de camps bien particuliers.

Il est essentiel de rendre hommage à l’engagement des harkis durant la guerre d’Algérie. Il est indispensable d’intensifier le soutien que la Nation leur apporte, ainsi qu’à leurs familles, afin d’améliorer leurs conditions de vie.

Le principe d’une responsabilité de l’État envers les harkis a pris corps au fil des dernières décennies. Comme l’a rappelé notre collègue rapporteure, en complément de l’aide sociale de droit commun, des milliers d’anciens harkis et leurs familles ont pu bénéficier d’un grand nombre de mesures d’aide et de reconnaissance : aides sociales à la réinstallation, indemnisation des biens perdus en Algérie, mesures de désendettement, aides au logement, etc.

Par ailleurs, plusieurs mesures financières ont été prises depuis le 1er janvier 2017, par exemple la revalorisation de l’allocation de reconnaissance et de l’allocation viagère prévue en faveur des conjoints survivants de harkis.

Ce texte instaure de nouvelles mesures de reconnaissance et de réparation. Il pose le principe de la responsabilité de la France dans l’indignité des conditions de vie qui ont été réservées à ces personnes sur son territoire.

Le Gouvernement estime le nombre de bénéficiaires potentiels du dispositif à 50 000, pour un coût global de 302 millions d’euros.

L’indemnité de réparation ne serait assujettie ni à l’impôt sur le revenu ni à la contribution sociale sur les revenus d’activité et de remplacement. Les mesures d’aides sociales élargissent les conditions dans lesquelles peut être versée l’allocation viagère.

Je salue la création d’une commission nationale de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis et par les autres personnes rapatriées d’Algérie. Cette commission assurera la mission de recueil et de transmission de la mémoire ; elle aura un rôle décisionnel et de pilotage dans la procédure de demande de réparation.

Aucun mot ne peut décrire le comportement de l’État à l’égard des harkis au lendemain de la guerre d’Algérie. Un sentiment d’abandon pèse toujours sur le cœur des survivants et sur celui de leurs descendants.

Nous considérons que ces mesures ne peuvent en aucun cas constituer un « solde de tout compte » dans la reconnaissance due par la Nation aux harkis, qui ont participé au conflit au service de la France. Nous reconnaissons leurs souffrances et leurs sacrifices et tenons à rendre hommage à leurs familles.

Nous ne saurions pourtant laisser penser que rien n’a jamais été fait : diverses lois et mesures prouvent le contraire. De Jacques Chirac à Emmanuel Macron, la parole présidentielle a exprimé la reconnaissance de la République envers les harkis et autres supplétifs pour leur engagement.

Évidemment, la réalité est loin d’être satisfaisante.

Évidemment, aucune mesure ne suffira jamais pour réparer toutes les violences, la souffrance, les atrocités subies par les harkis et par leurs familles.

Évidemment, aucune indemnité financière ne peut aider à refermer les plaies.

Certaines erreurs n’auraient tout simplement pas dû être commises par la France. Après plus de soixante ans, est-il encore possible de réparer l’irréparable ?

Malgré le retard accumulé, ce texte représente une avancée et s’inscrit dans une trajectoire de réparation des blessures d’un passé toujours proche et vivant.

Nous devons continuer ce combat ; nous ne devons pas oublier ! C’est pourquoi les membres du groupe Union Centriste voteront en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et RDSE. – Mme Colette Mélot applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il a fallu du temps – trop de temps, sans aucun doute – pour que la France reconnaisse l’abandon dans lequel ont été plongés les harkis au lendemain des fameux accords d’Évian.

Parce qu’ils avaient servi la France, ils eurent le choix entre la mort et l’exil. Dans ces conditions, les harkis n’ont pas hésité à passer, quand ils l’ont pu, de l’autre côté de la Méditerranée, où l’horizon leur paraissait plus clair.

Quelle déception ! La terre promise ne s’est pas révélée aussi accueillante qu’elle aurait dû l’être.

Pour une partie d’entre eux, près de 42 000, le passage ou l’installation dans des camps de transit et de reclassement ou des hameaux de forestage a constitué une véritable relégation faite de souffrances et de légitime amertume. Dans ces camps qui, rappelons-le, étaient fermés, précarité, privations, déscolarisation et brimades étaient le lot quotidien des harkis – notre collègue rapporteure l’a très bien souligné.

Il faut le dire : c’est l’indignité légalisée qui figurait au fronton obscur de ces structures, en lieu et place de la fraternité qui aurait dû y être prodiguée.

Notre pays – patrie des droits de l’homme, dit-on souvent – a clairement raté, à cette époque, le rendez-vous de la compassion à l’égard de ceux qui croyaient en elle et qu’elle aurait dû accueillir avec plus de générosité.

À Bias, en Lot-et-Garonne, à Rivesaltes, dans les Pyrénées-Orientales, ou au Larzac, dans l’Aveyron, est-il compréhensible que de jeunes enfants aient longtemps vu la France des barbelés avant de connaître celle des libertés ?

Mes chers collègues, vous le savez : on ne saurait prétendre que le législateur n’a rien fait par la suite pour améliorer leur sort. Entre mesures sociales, indemnisation des biens perdus et aides au logement, de nombreux dispositifs ont pu aider certains d’entre eux à s’en sortir. Mais le compte n’y est pas, ce que le Conseil d’État n’a pas manqué de rappeler en 2018, en condamnant l’État à dédommager un fils de harki ayant séjourné dans l’un de ces camps.

Aussi, l’engagement du Président de la République, prononcé le 20 septembre dernier, permettra d’accorder les réparations qu’exige ce sombre épisode de l’histoire de France.

Naturellement, les élus de mon groupe soutiennent ce projet de loi, lequel institue un mécanisme de réparation financière en faveur des rapatriés ayant transité par un camp ou par un hameau de forestage entre 1962 et 1975.

Nous approuvons également les articles renouvelant ou approfondissant la reconnaissance de la Nation à l’égard des harkis.

Je salue enfin la mesure relative à l’allocation viagère : la suppression de la forclusion permettra à des familles qui ignoraient leurs droits de les exercer.

Toutefois, comme le souligne la commission, « ce texte ne saurait constituer le solde de tout compte ». Une majorité des sénateurs de mon groupe aurait d’ailleurs souhaité étendre le bénéfice du dispositif de réparation à tous les harkis (M. André Guiol acquiesce.), qu’ils aient été logés dans des structures fermées ou ouvertes : ainsi, les familles rassemblées dans des habitations à loyer modéré (HLM), souvent à l’écart, ont souffert de toutes sortes de discriminations. Mon collègue André Guiol a déposé un amendement en ce sens, relayant ainsi le vœu de la communauté des harkis de ne pas être divisée.

Madame la ministre, peut-être aurait-il également fallu profiter de ce texte pour régler la situation des quelque vingt-cinq supplétifs de statut civil de droit commun dont le sort est régulièrement discuté au titre des projets de loi de finances.

En attendant ces améliorations, le RDSE approuvera le projet de loi qui concrétise la demande de pardon formulée par le Président de la République. Nous le devons avant tout aux harkis et à leurs enfants ; nous le devons aussi au pacte républicain, dont il faut rapidement réparer les fêlures afin de laisser place à une seule communauté de destins.

Je conclurai sur une note personnelle. Lors de son service militaire, à Rodez, en Aveyron, mon frère a été chargé avec ses camarades d’accueillir les harkis arrivant en gare de Millau, puis de les conduire en camion au camp du Larzac, où ils devaient rester dans le froid et la solitude. Il a gardé un souvenir poignant de ces pauvres bougres venus d’Algérie, que nous avons si mal accueillis.

Je le répète, les élus de notre groupe voteront ce projet de loi ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, Albert Camus écrivait dans ses Carnets : « Maintenant j’erre parmi des débris, je suis sans loi, écartelé, seul et acceptant de l’être, résigné à ma singularité et à mes infirmités. Et je dois reconstruire une vérité, après avoir vécu toute ma vie dans une sorte de mensonge. »

C’est précisément ce que ressentent les harkis et leurs descendants, témoins et victimes d’une histoire coloniale douloureuse.

Après l’enfer de la guerre d’Algérie, ceux qui ont combattu pour la France ont été abandonnés par elle. Ils ont été livrés à leur sort sur le sol algérien et, à ceux qui ont pu être rapatriés, l’État a infligé une peine terrible : ils ont été entassés comme du bétail dans des camps d’accueil et des hameaux de forestage.

Insalubrité, promiscuité, absence d’eau chaude et d’électricité : ces structures étaient indignes. Les témoignages des harkis et de leurs enfants sont glaçants. De telles conditions de vie ont emporté de graves conséquences sur l’état physique, psychique et psychologique de ces personnes. Les dommages matériels et moraux sont nombreux et irréversibles.

Le temps du silence et de la honte est révolu. Dans son discours du 20 septembre 2021, Emmanuel Macron a déclaré que la République avait contracté à leur égard une dette, qu’il faudrait honorer.

Ce projet de loi est ainsi assujetti à un devoir de réparation au titre de la responsabilité de l’État. Toutefois, il exclut les harkis restés en Algérie, qui ont vécu l’infamie et la persécution et, de ce fait, ne sauraient être oubliés.

En dehors d’une réparation pécuniaire, la reconnaissance solennelle des préjudices subis par les harkis et par leurs descendants est un tournant mémoriel dans l’histoire postcoloniale française. L’État ne peut se contenter de demi-mesures ou d’une loi incomplète. Il ne suffit plus de reconnaître ses torts ou de demander pardon, il est temps d’assumer pleinement ses actes.

Pour ceux qui ont connu le pire de notre administration, pour ceux qui ont été privés de libertés fondamentales, pour ceux qui ont tout perdu pour la France, arrive enfin le temps de la vérité et de la cicatrisation. Ce texte est un premier pas : nous attendons la suite. À ce titre, je regrette que certains de nos amendements n’aient pas été jugés recevables. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Émilienne Poumirol. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Émilienne Poumirol. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer les représentants des associations de harkis présents aujourd’hui en tribune. Devant vous, je veux les remercier des éclairages et des propositions qu’ils ont apportés lors des auditions de la commission. Notre travail a été nourri par ce qui a été leur vie ou celle des leurs.

Je remercie également l’ensemble de mes collègues de leur engagement et de leur participation à un texte aussi important, en particulier Mme la rapporteure.

Nous examinons un projet de loi portant reconnaissance de la Nation envers l’ensemble des supplétifs qui ont servi la France en Algérie et que celle-ci a abandonnés. Ce texte reconnaît également – il faut nous en féliciter ! – la responsabilité de l’État français dans l’indignité des conditions d’accueil et de vie sur son territoire réservées aux anciens supplétifs et à leurs familles, hébergées dans des structures fermées.

Ce projet de loi s’inscrit dans la continuité des discours présidentiels, notamment celui de François Hollande, qui, pour la première fois en 2016, a reconnu explicitement la responsabilité des gouvernements français dans l’abandon des harkis, les massacres de ceux restés en Algérie et les conditions d’accueil inhumaines des familles transférées dans les camps en France.

Les dispositions débattues aujourd’hui sont très attendues par les anciens harkis et leurs familles. Elles marqueront – je l’espère – une étape sur le chemin de l’apaisement des mémoires.

Près de soixante ans après la fin de la guerre d’Algérie, la douleur est toujours vive, les plaies peinent à cicatriser et les mémoires sont encore troublées.

L’histoire des harkis, c’est l’histoire de la France, de notre Nation, qu’il nous faut regarder avec lucidité. C’est l’histoire de ces Français, nés en Algérie, qui ont été recrutés pour appuyer l’armée française durant la guerre d’Algérie. Ils sont encore aujourd’hui appelés des supplétifs, terme les rabaissant au rôle d’auxiliaires, d’hommes de second rang, alors même que leur action fut souvent essentielle au sein des forces armées françaises. Auparavant, beaucoup d’entre eux avaient d’ailleurs servi lors d’autres conflits où la France était engagée.

L’histoire des harkis est aussi celle d’un abandon. À la fin de la guerre, le gouvernement français ordonne à l’armée de désarmer les harkis et de limiter strictement leur rapatriement : il a, de fait, laissé sur place une grande partie d’entre eux. Seuls sont rapatriés les Français d’origine européenne et une partie des anciens supplétifs, dont la sécurité est menacée en Algérie.

Les anciens harkis, considérés comme des traîtres en Algérie, sont victimes d’exactions et de massacres sur le sol algérien.

L’histoire de cet abandon se poursuit sur le sol français : sont frappés ceux qui ont réussi à être rapatriés, souvent grâce à la désobéissance de certains officiers français, hommes d’honneur qui, faisant fi des ordres donnés, ont organisé eux-mêmes le rapatriement de leur harka.

Selon l’Office national des anciens combattants et des victimes de guerre (ONACVG), entre 80 000 et 90 000 anciens supplétifs, épouses et enfants se sont réfugiés ou ont été rapatriés en France.

À leur arrivée, plus de la moitié d’entre eux furent relégués dans des camps et des hameaux de forestage. Ils y vécurent dans des conditions de vie inhumaines, soumis à un régime dérogatoire du droit commun, isolés à plusieurs kilomètres des villages, devant subir un couvre-feu et le contrôle de leurs déplacements. Ils connurent des conditions d’hygiène déplorables et subirent le manque de scolarisation de leurs enfants.

Exilés, marginalisés, oubliés, devenus invisibles, tous les harkis et leurs proches ont souffert de traumatismes durables.

En se bornant à reconnaître le préjudice des personnes passées dans les camps, ce projet de loi est incomplet. En effet, le champ de la reconnaissance n’inclut pas les 40 000 personnes n’ayant pas séjourné dans ces structures, alors que leurs conditions de vie ne se sont pas toujours révélées plus dignes.

De plus, au-delà des sommes allouées, le système de forfait n’est pas à la hauteur des préjudices dont furent victimes les harkis et leurs familles. Il n’est en aucun cas une reconnaissance par la Nation des violences vécues. Un tel forfait, c’est l’acceptation d’un préjudice sans la reconnaissance de la culpabilité.

Tous les anciens harkis et leurs familles méritent que leur histoire et leurs souffrances soient entendues et bénéficient d’une réparation individuelle, fondée sur ce que chacun d’entre eux a réellement subi.

La dernière partie de ce texte porte sur la reconnaissance mémorielle. À ce titre, je salue le travail remarquable déjà effectué par l’ONACVG : cet office organise des expositions, des recueils de témoignages et des interventions à quatre voix dans les établissements scolaires. Mais il faut aller plus loin encore et faire vivre cette mémoire commune, qui participe de notre richesse, celle de la réconciliation nationale et du vivre ensemble.

Ce texte constitue une avancée, mais il ne saurait être un solde de tout compte. Dans cet esprit, nous veillerons à ce qu’il ne reste pas purement déclaratif : nous proposerons un certain nombre de modifications, même si la plupart de nos amendements ont été déclarés irrecevables ou rejetés en commission. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Guy Benarroche applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je ne vous cache pas l’émotion que j’éprouve en prenant la parole, alors que notre Haute Assemblée s’apprête à contribuer à écrire un nouveau chapitre de notre histoire. Ma meilleure amie est fille de harki. Elle est née dans le camp de Rivesaltes, où elle a vécu et où elle a souffert des conditions d’existence. Ses douleurs sont telles que la plaie ne s’est jamais refermée.

Je salue les représentants des harkis présents en tribune.

Les uns et les autres l’ont rappelé : les harkis appartiennent à l’histoire de France, et à mon tour je leur rends hommage.

La signature des accords d’Évian a ouvert cette page dramatique : après avoir servi la France durant la guerre d’Algérie, des hommes – harkis, moghaznis et membres des autres formations supplétives et assimilés de statut civil de droit local – ont été soit délaissés sur leur terre natale, en proie aux exactions et aux massacres, soit rapatriés en métropole, coupés de leurs racines et relégués dans des cités urbaines, des camps ou des hameaux de forestage.

Dans ces camps et ces hameaux de forestage, où certains ont passé des années, ces personnes ont connu l’abandon, l’enfermement et la survie dans des conditions particulièrement précaires et indignes. Leur vie était dominée par le rationnement, la faim, le froid, la promiscuité, la maladie, l’exclusion, les privations de libertés, l’arbitraire et le racisme, au mépris des valeurs qui fondent notre République, au mépris du droit et de toute justice.

Ces souffrances se sont transformées en traumatismes durables, que nous savons difficiles à apaiser complètement, soixante ans plus tard.

C’est pourquoi, le 20 septembre 2021, le Président de la République, Emmanuel Macron, a pris la parole pour demander pardon au nom de la France. Pour réparer cette faute de l’État que fut l’indignité de ces conditions d’accueil et de séjour sur le territoire national, dans ces camps et hameaux de forestage, il a reconnu la nécessité d’inscrire dans le marbre de la loi la responsabilité de l’État d’indemniser et de rendre justice.

Ce nouveau pas franchi est historique.

Par ses articles 1er et 2, le présent texte concrétise cet engagement du Président de la République : il acte la création d’un mécanisme de réparation des préjudices subis par ces personnes, leurs conjoints et leurs enfants dans les structures visées.

Si l’on a retenu tel fait générateur pour déterminer un préjudice spécifique, c’est conformément à la jurisprudence du Conseil d’État. Ainsi ce projet de loi évitera-t-il tout risque d’inconstitutionnalité.

La commission nationale de reconnaissance et de réparation, créée par l’article 3, sera au cœur de ce dispositif. Elle a gagné à l’Assemblée nationale la faculté « de proposer des évolutions de la liste des lieux » dans lesquels il est nécessaire d’avoir séjourné pour bénéficier du mécanisme de réparation. Cette évolution décisive lui confère les moyens d’être une entité active capable de détecter les angles morts et de faire évoluer le mécanisme de réparation.

Sa mission mémorielle est tout aussi déterminante : en recueillant de nouveaux témoignages, elle sera en mesure d’aider à transmettre aux jeunes générations la mémoire la plus précise possible, pour que rien ne soit oublié.

Enfin, c’est un véritable soulagement que l’article 7 vienne supprimer les irritants relatifs à l’allocation viagère, qui empêchaient injustement plusieurs veuves d’y accéder.

Félicitations, madame la rapporteure ! Notre groupe tient à vous remercier de votre travail minutieux et des précisions essentielles que vous avez apportées à ce texte en commission. Je pense notamment à votre amendement tendant à préciser que la responsabilité de l’État concernera des structures « de toute nature » ayant fait subir à leurs résidents des conditions indignes et attentatoires à leurs libertés, ce qui ouvre la voie à l’inclusion de certaines prisons reconverties en lieux d’accueil pour les harkis, pour l’heure encore mal identifiées.

En commission, les élus du groupe RDPI ont eux aussi contribué à améliorer les dispositions relatives à la commission nationale de reconnaissance et de réparation.

Ainsi – le texte le précise désormais sans ambages –, à la demande de la commission, l’ONACVG sollicite systématiquement de tout service de l’État, collectivité publique ou organisme gestionnaire de prestations sociales la communication de tout renseignement utile à l’exercice de ses missions. En outre, on pourra solliciter ces demandes d’informations afin de faire évoluer la liste des structures concernées.

Mes chers collègues, pour poursuivre ces efforts, les membres du groupe RDPI vous proposeront aujourd’hui deux nouveaux amendements.

Le premier tend à préciser les conditions de désignation des membres qui siégeront au sein de la commission en confiant cette prérogative au Premier ministre, sur proposition des autorités compétentes. Notre préoccupation, exprimée sur nombre de nos travées, est de sauvegarder l’indépendance de cette instance.

Le second, que nous défendons avec plusieurs collègues issus des groupes Les Républicains, Union Centriste, RDSE et Les Indépendants – République et Territoires, vise à prévoir spécifiquement un accès prioritaire à la commission pour les anciens combattants harkis, moghaznis et personnels des diverses formations supplétives de statut civil de droit local et assimilés. En l’état actuel du texte, ce n’est pas encore prévu.

Madame la ministre, avant de conclure, je tiens à saluer votre engagement infaillible et inlassable. C’est ainsi à vous que l’on doit le doublement des allocations de reconnaissance et viagère.

Mes chers collègues, à l’issue de ces travaux, j’ai l’espoir que nous saurons avancer ensemble sur le chemin de la réconciliation nationale ; que nous saurons contribuer à maintenir la flamme de l’espoir et de la mémoire à jamais allumée, pour ouvrir la voie vers un avenir meilleur.

Bien entendu, les membres de notre groupe voteront ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – MM. Yves Détraigne et Claude Kern applaudissent également.)