Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Louault. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Pierre Louault. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pourquoi une loi sur l’assurance récolte ?

Depuis la nuit des temps, les agriculteurs rencontrent des difficultés. J’ai moi-même été agriculteur pendant quarante-cinq ans. J’ai connu l’année 1976, qui fut catastrophique pour l’ensemble de la profession et pour tout le sud de la France.

Or l’année 2021 a été marquée par la plus grande catastrophe agroclimatique de ce début du XXe siècle, une vague de gel tardif ravageant jusqu’à 100 % des productions de certaines parcelles. Pour le secteur viticole, la baisse de production attendue est de l’ordre de 23 % par rapport à l’année 2020.

Le système actuel d’indemnisation des pertes de récolte est considéré comme dépassé. Il se décline aujourd’hui à travers trois régimes distincts : le Fonds de gestion des calamités agricoles, mis en place en 1964, qui a eu une période de fonctionnement plutôt acceptable ; le régime des catastrophes naturelles, créé en 1982 ; puis, plus récemment, l’assurance multirisque climatique, ou assurance récolte, créée en 2005, mais dont on a mesuré toutes les limites. En effet, les capacités de financement des assurances n’ayant pas été à la hauteur du risque à assurer, ces dernières ont dû capituler devant tant de difficultés.

En tout état de cause, ces outils ne répondent plus aux besoins. C’est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, vous nous présentez ce projet de loi.

Je veux dire à vos détracteurs, sans doute motivés par la période électorale qui s’ouvre devant nous, que si la critique est aisée, l’art est difficile ! Ce texte présente au moins le mérite de dessiner les contours d’une assurance récolte tendant à prendre en compte dans leur globalité les difficultés des agriculteurs.

Le projet de loi vise à mettre en place un nouveau dispositif unique partenarial et universel à « trois étages » : l’aléa exceptionnel, pris en charge par l’État ; l’aléa significatif, pris en charge par l’assurance subventionnée, notamment grâce à l’Europe ; l’aléa courant, pris en charge par l’agriculteur via sa cotisation. Cette assurance doit être non pas obligatoire, mais fortement encouragée. Un certain nombre d’amendements présentés par la commission vont dans ce sens ; j’y suis favorable.

Mon collègue a défendu juste avant moi le recours aux assurances mutualistes. Mais ce sont elles, comme le Crédit Agricole ou Groupama, qui étaient en première ligne dans le dispositif précédent !

Notre travail en commission a permis de donner de la visibilité sur cinq ans en ce qui concerne le taux d’intervention publique. Cinq ans, c’est le temps qu’il faut pour monter en puissance et pour convaincre l’ensemble de la profession de s’assurer.

De plus, le travail de commission a permis de renforcer les missions du Codar, où toutes les filières pourront siéger.

De surcroît, il a permis de garantir que les filières non couvertes par une solution assurantielle ou les cultures expérimentales feront l’objet d’un traitement à part – cela a été évoqué pour un certain nombre de risques – dans la détermination des seuils d’intervention ; la liste des risques non assurables devra être définie clairement.

Enfin, notre travail a permis de valoriser et de prendre en compte les moyens de prévention mis en œuvre par l’exploitant dans le calcul de sa prime d’assurance ; cette dernière doit pouvoir être adaptée en fonction de l’effort de l’agriculteur pour limiter les risques naturels.

Certes, créer une obligation d’assurance paraissait être une réponse efficace ; certains en étaient convaincus. Malheureusement, cette solution nous priverait de l’aide européenne qui se veut incitative. Nous avons donc dû renoncer à cette option et nous avons plutôt pris le parti d’inciter les agriculteurs à s’assurer.

Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue !

M. Pierre Louault. Monsieur le ministre, nous avons confiance en vous, mais qui sera à la tête de votre ministère demain ? Voilà pourquoi il est important de voter les quelques mesures de précaution proposée notre collègue Laurent Duplomb. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel.

M. Henri Cabanel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la nuit du 7 au 8 avril dernier fut noire, comme la gelée qui s’est abattue sur nos cultures…

Nous avons tous vu des paysans en pleurs, car en quelques heures, ils ont tout perdu : leur récolte, évidemment, mais aussi leurs rêves !

Nous le savions, la gestion des risques est primordiale pour l’avenir de notre agriculture. Les prévisions des météorologues sont sans appel : ce qui était exceptionnel hier devient régulier aujourd’hui et sera commun demain.

En 2016, j’avais présenté, avec mon collègue Franck Montaugé, une proposition de loi visant à mettre en place des outils de gestion des risques en agriculture. Par ailleurs, en 2019, au nom du RDSE, Yvon Collin, Nathalie Delattre et moi-même avons présenté une proposition de résolution visant à encourager le développement de l’assurance récolte. Ces deux textes ont été adoptés à l’unanimité.

Monsieur le ministre, si vous avez cité ces travaux réalisés par le Sénat, vous avez omis de rappeler que, dès 2008, le RDSE s’était mobilisé sur le sujet en défendant une proposition de loi tendant à généraliser l’assurance récolte obligatoire, présentée par MM. Yvon Collin et Jean-Michel Baylet. Ce texte a été rejeté par le Sénat le 29 octobre 2008 : cela fait déjà quatorze ans…

Certes, à l’époque, les aléas n’étaient pas aussi récurrents qu’aujourd’hui et les mentalités étaient plus figées ; la filière n’était pas prête. Depuis lors, nous avons tous compris l’importance des enjeux, car il y va de la résilience de notre agriculture et de son avenir.

La gelée noire de 2021 a rappelé l’urgence de réformer. Il est bien sûr malheureux d’avoir attendu un événement climatique pour s’emparer réellement de ce sujet, mais vous l’avez fait, notamment dans le cadre du Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique, et il vaut mieux tard que jamais !

Selon l’assureur Pacifica, près d’un agriculteur sur deux a connu un sinistre climatique au cours des trois dernières années. Le système assurantiel actuel ne permet pas aux agriculteurs de répondre seuls à ce défi.

En réponse à l’aléa climatique, les pouvoirs publics ont mis en place un régime reposant sur deux piliers : un système assurantiel subventionné pour les cultures assurables ; un régime d’indemnisation des calamités agricoles reposant sur la solidarité nationale pour les risques non assurables.

Selon l’étude d’impact préparée par le Gouvernement, environ 18 % de la surface agricole totale en France métropolitaine est couverte par un contrat d’assurance multirisque climatique sur récolte (MRC). Il existe toutefois, cela a été dit, des disparités : 35 % dans les grandes cultures, mais à peine 3 % en arboriculture.

Le coût des primes est l’un des principaux obstacles au développement de l’assurance récolte. On peut également souligner que la culture de la gestion du risque est faible en France, mais les mentalités ont évolué. En 2017, j’avais lancé une enquête auprès des jeunes agriculteurs de mon département, l’Hérault : 92 % d’entre eux étaient favorables à un assouplissement qui inciterait à généraliser les mécanismes assurantiels.

Il existe également une concurrence du régime des calamités agricoles pour l’arboriculture et les prairies.

S’agissant des assureurs, on pourrait espérer un effort de prix, si la demande est accrue. Quant au Fonds national de gestion des risques en agriculture, sa section dédiée à l’indemnisation des calamités agricoles est très sollicitée et de plus en plus abondée par l’État. En 2020, le FNGRA a dépassé 185 millions d’euros au titre de cette indemnisation, soit un montant inédit depuis 2014.

Le texte que nous examinons aujourd’hui est donc d’une importance capitale.

Son article 2 témoigne d’une forte avancée : conformément aux possibilités offertes par le règlement européen Omnibus, il prévoit le passage du taux maximal de subventions publiques des contrats de 65 % à 70 %, mais, pour la moyenne olympique, le règlement reste inchangé depuis 1994, ce qui pose un gros problème – cela a été dit. Il est également prévu un abaissement de 30 % à 20 % du seuil de pertes à partir duquel les contrats deviennent éligibles au mécanisme de subvention.

La commission des affaires économiques a adopté les modifications suivantes, qui sont également des avancées notables : prise en compte, pour le calcul de la prime d’assurance, des mesures de prévention engagées par l’exploitant ; détermination par décret des types de contrats qui peuvent être subventionnés ; enfin, harmonisation du niveau des franchises qui peuvent être subventionnées.

L’amendement du rapporteur, Laurent Duplomb, qui a pour objet que la dotation jeune agriculteur soit minorée si le jeune installé ne souscrit pas un contrat d’assurance multirisque climatique ou s’il n’a pas réalisé un diagnostic de gestion des risques, m’a servi de base pour la rédaction de trois amendements qui visent à généraliser ce système – nous en débattrons.

En tout cas, le groupe RDSE votera bien évidemment ce texte. Aucun agriculteur ne doit revivre, demain, les conséquences de la nuit noire du 7 au 8 avril 2021. Chaque agriculteur doit se consacrer à sa stratégie d’entreprise et à son métier de paysan – je n’oublie pas à cet instant la question majeure de la rémunération –, et vivre ses rêves avec un peu plus de sérénité. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – MM. Jean-Michel Arnaud et Bernard Buis applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Franck Montaugé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu’il aura été long le chemin de la prise de conscience que nos agriculteurs ne pouvaient rester plus longtemps seuls, ou presque seuls, face aux dégâts suscités par le dérèglement climatique !

S’il n’y avait pas eu l’épisode de grand gel du début du printemps 2021, serions-nous là aujourd’hui à nous réjouir – avec beaucoup de prudence tout de même ! – de la discussion de ce texte nécessaire ? Non, certainement, et cela nous renseigne sur le retard qui a été pris dans ce quinquennat finissant pour répondre aux grandes mutations climatiques dont l’agriculture française, dans sa variété, est l’objet.

Pourtant, sur ces bancs, depuis des années, nous dénonçons l’inadaptation du régime des calamités agricoles, la viticulture et les grandes cultures en étant exclues, et le très faible taux global de pénétration des assurances agricoles. Quant au contrat de type MRC, au bout de quinze ans, moins de 18 % des surfaces étaient couvertes – moins de 1 % pour les prairies.

À partir de ce constat d’échec quant à la faible protection du labeur des agriculteurs français, le groupe socialiste prenait en avril 2016 ses responsabilités, en faisant adopter ici même une proposition de résolution visant à mettre en œuvre un outil de stabilisation du revenu agricole dans le cadre de la politique agricole commune post-2020.

Dans le prolongement de cette initiative, avec Henri Cabanel, que je salue, nous faisions voter dans cet hémicycle, en juin 2016 et à l’unanimité, la mise en place d’un fonds de stabilisation des revenus agricoles que l’Assemblée nationale n’a jamais voulu inscrire à son ordre du jour.

En juillet 2019, toujours sur l’initiative du groupe socialiste, une mission d’information formulait des propositions pour réformer le régime général des catastrophes naturelles.

Il s’agissait, notamment, du déplafonnement du rendement de la contribution additionnelle aux primes ou cotisations afférentes à certaines assurances alimentant le FNGRA ; de la réduction des effets de seuil permettant l’entrée dans le régime des calamités agricoles ; de la diminution, comme le permet depuis 2016 le droit européen avec le règlement Omnibus, du seuil de déclenchement à 20 % de pertes et de l’augmentation du taux de subvention publique à la prime d’assurance du contrat socle à 70 % ; enfin, de l’allongement de la durée permettant le calcul de la moyenne olympique pour mieux évaluer la perte de rendement théorique des agriculteurs permettant d’être éligible au régime des calamités agricoles.

Ces principes fondamentaux, nous les appelions de nos vœux, avec pragmatisme et réalisme, depuis 2016. Il ne tenait qu’aux gouvernements successifs de vouloir les mettre en œuvre. Vous les avez intégrés dans votre texte, monsieur le ministre, et c’est une bonne chose. Mais que de temps perdu ! Que de difficultés, ignorées de fait, malgré de nombreuses et belles paroles de considération, justifiées, à l’égard des agriculteurs.

Malgré des réserves à caractère technique, sur lesquelles Denis Bouad reviendra dans quelques instants, le système que vous proposez dans ce texte et que nous voulons améliorer va dans le sens de ce qu’il est indispensable de faire.

Toutefois, le vote de ce texte ne garantira pas à lui seul aux agriculteurs une réponse adaptée à la gestion des risques climatiques. Nous allons voter sur une architecture à trois niveaux et des seuils d’accès et de franchises pour le déclenchement des subventions, mais, en réalité, les ordonnances et les décrets feront la part essentielle du succès ou de l’échec de ce dispositif.

Un point important, si ce n’est critique, restera non résolu : le calcul des moyennes de rendements, contraint par les règles de l’OMC, l’Organisation mondiale du commerce. Et pour ce qui est des moyens financiers, un chèque en blanc sera rempli comme il faut – ou non ! – lors des prochaines lois de finances…

Monsieur le ministre, nous sommes convaincus qu’il faudra encore approfondir le sillon que notre groupe a labouré depuis des années.

Nous répondrons présents pour cela, mais nous prenons aussi rendez-vous pour évaluer les effets réels de ce texte qui est incomplet, à moins que nos travaux d’aujourd’hui ne permettent de le faire progresser significativement, ce que nous souhaitons en toute responsabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Buis.

M. Bernard Buis. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la capacité d’adaptation de l’espèce humaine est unique en son genre. Le problème est que, aujourd’hui, cette nécessité de s’adapter intervient pour faire face à des situations nouvelles créées par l’homme. Le dérèglement climatique, fruit de l’activité humaine, fait partie de ces situations inédites, dont les conséquences sont parfois dramatiques.

Nos agriculteurs sont les premiers à vivre les conséquences de ce dérèglement. Ils doivent par conséquent s’adapter à notre nouveau climat, plus sec, plus chaud et avec de subites variations.

C’est ainsi que certaines cultures sont désormais exploitées avec succès par certains de nos agriculteurs. C’est le cas du sorgho, une plante venue d’Afrique et proche du maïs, qui est particulièrement résistante à la sécheresse et à la chaleur.

A contrario, le changement climatique implique un abandon de certaines récoltes. Le colza par exemple, très présent dans les plaines du bassin parisien ou de la Drôme il y a encore vingt ans, ne séduit plus : en effet, avec l’absence de températures négatives en hiver, les colzas poursuivent leur croissance durant cette période et, si un coup de gel intervient lors de la floraison, les pertes peuvent être importantes.

Le gel d’avril dernier – parlons-en une fois de plus –, nous le gardons tous en tête. La Drôme n’a pas été épargnée, bien au contraire. En quelques heures, dès le début de la nuit du 7 avril, les températures ont chuté brutalement, jusqu’à atteindre –7 ou –8 degrés Celsius aux premières heures de la matinée.

Durant plusieurs heures, les agriculteurs ont cherché à lutter contre ce froid intense et long, en utilisant des bougies chauffantes ou des souffleurs d’air chaud ; certains pratiquaient la technique de l’aspersion par de l’eau. Des agriculteurs, que l’adrénaline a fait tenir après une nuit sans sommeil, ont même fait brûler des bottes de paille ou des tas de bois dans les allées des parcelles, mais en vain. Le gel noir a été le plus fort !

Dans mon département, le montant estimé des pertes était de l’ordre de 200 millions d’euros : 120 millions d’euros pour l’arboriculture et 80 millions d’euros pour la viticulture. Cela faisait de la Drôme le territoire le plus touché par le gel dans la région Auvergne-Rhône-Alpes.

Ce cauchemar, plus personne ne veut le revivre. Pourtant, les excès du climat ne risquent pas de cesser de sitôt. On a parlé du gel, mais on peut également revenir sur les pluies diluviennes qui ravagent chaque automne l’arrière-pays méditerranéen, sur les épisodes de sécheresse intense, ainsi que sur les pics de canicule toujours plus réguliers – on se souvient des 46 degrés Celsius mesurés dans l’Hérault et le Gard en juin 2019.

Devant ces dérèglements répétés, on ne pouvait plus attendre. Trop de pertes, trop de drames humains, trop de désillusions ont été constatés ces dernières années.

Il faut dire que nos agriculteurs ne sont pas suffisamment couverts : moins de 30 % d’entre eux sont assurés contre les aléas climatiques, avec des différences importantes selon les filières – seulement 6 % le sont dans l’arboriculture.

Concrètement, cela signifie que des agriculteurs non assurés peuvent tout perdre dès les premières intempéries d’envergure. Devant ces déséquilibres, dans le cadre du Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique, un important travail a été réalisé pour repenser le système assurantiel.

Un projet systémique a ainsi été développé pour permettre notre adaptation au climat. Fruit des travaux et de l’expertise du député Frédéric Descrozaille, il vise à repenser en profondeur le fonctionnement des couvertures assurantielles privées et publiques qui ont montré leurs limites dans un contexte d’accélération et de renforcement des effets du dérèglement climatique.

Le coup d’accélération voulu par le Président de la République en septembre dernier a permis à la réforme d’être présentée en conseil des ministres trois mois plus tard.

Cette réforme, vous en connaissez les fondements, mes chers collègues. C’est d’abord un système à trois étages fondé sur la solidarité nationale pour les plus lourdes pertes. L’enveloppe consacrée à la lutte contre les aléas climatiques sera portée de 300 millions d’euros à 600 millions d’euros par an en moyenne, grâce aux fonds de l’État et de l’Union européenne.

Ensuite, c’est la mise en place d’un système simplifié et mieux coordonné par la création d’une association d’assurances, ou pool assurantiel, de façon à harmoniser le recours à l’assurance privée et l’accès au nouveau dispositif d’indemnisation publique. Ce pool doit s’organiser de telle sorte qu’il puisse proposer des assurances accessibles au plus grand nombre de nos agriculteurs.

Enfin, on doit aller vite. Il n’est plus question qu’un agriculteur touché par une calamité agricole doive attendre neuf mois pour être remboursé. Nous devons penser en semaines, plutôt qu’en mois !

Voilà, en quelques mots, l’architecture de ce texte soutenu par de nombreuses organisations interprofessionnelles.

Nous comprenons que le rapporteur souhaite accompagner cette réforme et nous l’entendons. Cependant, ses amendements de nature budgétaire flirtent avec l’article 40 de la Constitution et nous semblent peu rigoureux, rigides et contre-productifs : sur la forme, il ne nous paraît pas opportun de passer outre les lois de finances ; sur le fond, on met les agriculteurs au pied du mur par la contrainte.

Nous étions dans la concertation, il ne faudrait pas que nous tombions dans la précipitation, la communication et l’effet d’annonce. (M. le rapporteur sexclame.)

Pour conclure, je souhaite féliciter les ministres de l’agriculture Didier Guillaume, mon prédécesseur dans la Drôme, et Julien Denormandie du travail accompli depuis le début de la législature. Ils ont pansé les plaies de nos exploitants. Ce dernier grand texte agricole du quinquennat vient s’ajouter à un ensemble structurel visant à redonner confiance et considération envers les agriculteurs.

Une agriculture reconsidérée, fière du travail accompli, résiliente, souveraine et durable. Tel est le sens du travail qui a été mené. À nous de maintenir ce cap ! Le texte qui nous est proposé le permettra, et le groupe RDPI y est favorable. (M. Frédéric Marchand applaudit.)

M. Laurent Duplomb, rapporteur de la commission des affaires économiques. Je ne demandais pas plus !

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Segouin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Vincent Segouin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le projet de loi portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture, dont l’objectif est d’assurer une pérennité financière aux agriculteurs face à l’augmentation des risques climatiques.

Le texte viendrait remplacer l’assurance aléas climatiques existante, qui peine à convaincre les agriculteurs. On constate en effet que seul un tiers des céréaliers et des viticulteurs s’assure et que les secteurs de l’arboriculture et des cultures fourragères ne sont pas assurés.

Du côté des assurés, le calcul de la moyenne olympique du rendement est souvent reproché, et le reste à charge de 30 % jugé trop élevé. Du côté des assureurs, le risque n’est pas mutualisé et l’équilibre financier est de plus en plus déficitaire avec les changements climatiques.

Bref, le contrat aléas climatiques est en bout de course. Avec mon collègue Patrice Joly, nous avions indiqué, dans notre rapport sur la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », que la gestion des aléas et des crises devait être revue en profondeur, mais notre appel était resté lettre morte.

Pourtant, ces contrats sont nécessaires, car les pertes de récolte sont la principale cause des difficultés financières des jeunes exploitants et découragent de plus en plus les repreneurs, y compris chez les enfants d’agriculteurs.

Le nouvel outil prévoit de fixer la participation de l’agriculteur, de l’assureur et de l’État pour les personnes assurées et non assurées – c’est une très bonne chose, je tiens à le dire. Cette nouvelle définition de la prise en charge des parties a un intérêt, puisqu’elle élimine l’injustice entre les exploitants souscrivant un contrat d’assurance et ceux qui comptent sur le déblocage des fonds de calamité par l’État.

Cependant, ce texte pose un véritable problème de financement.

Jusqu’à maintenant, les contrats aléas climatiques étaient subventionnés à hauteur de 150 millions d’euros au travers du deuxième pilier de la PAC.

Le programme 149 du budget de l’agriculture abondait en outre le fonds de calamité à hauteur de 210 millions d’euros, avec 150 millions d’euros provenant du budget de l’État et 60 millions d’euros provenant des taxes payées par les agriculteurs sur leur assurance.

Ces 360 millions d’euros budgétisés ont largement été complétés en 2021 par les lois de finances rectificatives qui ont doté le FNGRA de plus de 850 millions d’euros pour couvrir les épisodes de gel et les sécheresses.

Dans votre projet de loi, monsieur le ministre, vous prévoyez une subvention de 180 millions d’euros en provenance de la PAC et un financement par le programme 149 à hauteur 420 millions d’euros, dont 300 millions d’euros de la part de l’État et 120 millions d’euros de la part des agriculteurs, via la hausse des taxes, dont le taux serait porté de 5,5 % à 11 %.

Le cumul de la PAC et du budget de l’État pour la gestion des risques climatiques passerait donc de 360 millions d’euros à 600 millions d’euros.

Monsieur le ministre, votre discours n’est pas clair : vous parlez d’une participation de l’État de 600 millions d’euros, mais elle n’est, en fait, que de 300 millions d’euros. Permettez-moi alors de douter du calcul total des 600 millions d’euros ! Aucun budget ni aucune projection n’a été calculé et fourni.

Actuellement, un tiers des surfaces est assuré ; demain, on ajoutera le double de surface avec l’arboriculture et les cultures fourragères.

Par ailleurs, on limite la participation des assureurs en plafond, mais on augmente la fréquence d’intervention, en diminuant la franchise de 30 % à 20 %. Bilan : les cotisations ne vont pas ou peu diminuer, compte tenu des déficits actuels.

Le budget des subventions est aujourd’hui de 150 millions d’euros pour un sixième des surfaces. Ainsi, 600 millions d’euros ne suffiront pas à couvrir les subventions, si tout le monde s’assure ! À cela, il faut ajouter les sinistres au-delà du seuil d’intervention et ne pas négliger l’augmentation de la fréquence.

En réalité, vous nous proposez de voter un texte pour mettre en place une solution qui ne sera pas pérenne et qui appellera des lois de finances rectificatives pour compenser le manque de budget. C’est une évidence !

Vous nous demandez d’adopter un texte sans en connaître le coût ou les modalités d’application et avec une date d’application qui ne correspond même pas à la mise en place et à la temporalité des cultures.

Vous nous imposez, à l’article 7, la création d’un pool, sans savoir si c’est en accord avec le rapport de l’Autorité de la concurrence.

Encore une fois, nous sommes dans un « quoi qu’il en coûte » généralisé… Nous allons continuer de dégrader le budget et d’avoir recours à la dette. Mais le pire, monsieur le ministre, c’est que je pense que ce texte ne réglera en rien les attentes du monde agricole confronté de manière croissante aux défis climatiques.

À l’heure actuelle, tous les assureurs s’accordent à dire que, d’ici à 2050, un cinquième des récoltes sera perdu à cause des aléas climatiques ; cela aura un impact plus large sur le monde de l’agriculture et constituera un frein considérable à la reprise des exploitations et à notre souveraineté alimentaire.

Depuis des années, le Sénat alerte sur ce sujet et apporte sa contribution. Voilà qu’aujourd’hui vous nous proposez de voter un texte qui vous habiliterait à traiter le sujet par voie d’ordonnance… Chacun appréciera le respect que vous portez au travail du Parlement !

J’approuve le travail du rapporteur, Laurent Duplomb, qui a cherché à limiter le champ de l’habilitation à légiférer par ordonnances, mais je désapprouve le manque de sérieux budgétaire et le recours au déficit, donc à la dette, au détriment des générations futures. L’exercice méritait que l’on trouve un financement équilibré sans recourir à la dette.

Monsieur le ministre, vous comprendrez que, en l’état, je ne voterai pas ce texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-Michel Arnaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec ce texte, il s’agit de s’armer face aux dérèglements climatiques qui mettent à l’épreuve le système de gestion des risques actuellement en vigueur. Il nous faut nous adapter. En l’état, la gestion financière des risques agricoles reste peu organisée et difficilement intelligible pour nos agriculteurs.

Lors du gel de 2021, l’État fut en partie au rendez-vous, monsieur le ministre, en termes de soutien financier. J’avais cosigné une tribune avec Laurent Duplomb sur l’arboriculture pour mettre en lumière les limites de ce soutien et les failles du système actuel, notamment l’inadéquation entre les réalités territoriales et les indemnisations versées.

Avec le texte dont nous débattons aujourd’hui, il s’agit d’abandonner progressivement l’assurance à la culture au profit de l’assurance à l’exploitation. Pour ce faire, les diverses dispositions prévoient l’instauration d’un système à trois étages, pour lequel la gestion des risques agricoles est directement liée à la nature des dégâts, ainsi qu’à leur étendue.

Je ne reviendrai pas une nouvelle fois sur les trois niveaux de prise en charge. Le projet de loi met sur pied un réel dispositif de solidarité nationale, dont les modalités sont harmonisées et dont les tenants permettront de mieux épouser les réalités locales – je m’en félicite.

Néanmoins, je souhaite, monsieur le ministre, attirer votre attention sur quelques points de vigilance.

Tout d’abord, si la commission a sécurisé les différentes mesures, afin qu’elles aient la portée nécessaire pour répondre à l’enjeu, il nous faut laisser à tous les acteurs, notamment les agents généraux d’assurances, acteurs importants dans les territoires, un temps d’adaptation à la nouvelle réglementation – ce temps est nécessaire.

Ensuite, la mise en place d’un pool d’assurances, dont l’adhésion serait obligatoire, va indéniablement avoir des effets sur la concurrence. D’ailleurs, l’Autorité de la concurrence a émis, dans son avis en date du 22 novembre 2021, une réserve quant à la compatibilité de cette mesure avec le droit européen – il y a été fait allusion.

Cette obligation ne doit pas s’accompagner d’une distorsion de concurrence entre les différents acteurs de l’assurance, et il faut faire en sorte que les agriculteurs puissent recourir sereinement à leur compagnie d’assurances comme ils l’entendent. La présence de la Caisse centrale de réassurance au sein de ce pool permettrait d’avoir un tiers de confiance dans la relation entre les assureurs.

Enfin, bien que l’assurance ne soit pas rendue obligatoire pour les exploitants agricoles, la minoration des indemnisations versées au titre de la solidarité nationale pour les non-assurés aura un effet incitatif. Il s’agit en fait d’un pari politique : les agriculteurs devront se saisir des outils de gestion de risques ; nous devrons en ce qui nous concerne en être les promoteurs sur le terrain, à côté des syndicats agricoles et des chambres d’agriculture.

Je tiens également à dire un mot sur les aspects financiers. Une grande partie du dispositif – les fameux 600 millions d’euros prévisionnels – repose largement sur de l’argent d’origine agricole, que ce soit la PAC ou les contributions des agriculteurs. Il ne faudrait pas laisser penser que la solidarité nationale ou les financements européens seraient les seuls à accompagner le dispositif.

Avec vous, monsieur le ministre, nous sommes aux côtés de nos agriculteurs. Nous avons besoin d’eux pour nourrir nos concitoyens avec des produits de qualité ; c’est la fameuse sécurité ou souveraineté alimentaire.

Nous avons aussi besoin des agriculteurs, car ils représentent une activité économique indispensable, incontournable et structurante dans nos zones rurales ; ils sont non délocalisables et essentiels pour nos paysages, qui font la France.

Nous sommes aux côtés de nos agriculteurs pour les sécuriser dans leur exploitation face aux risques climatiques et pour leur donner de la confiance.

Nous espérons que les contrats proposés par les compagnies dans le cadre du nouveau dispositif législatif et réglementaire dont nous débattons aujourd’hui seront supportables par chaque agriculteur en termes de primes. En effet, si pas ou peu d’agriculteurs sont aujourd’hui assurés, c’est parce qu’ils n’ont pas la capacité de payer les primes au vu de leurs revenus modestes ; c’est particulièrement le cas pour les exploitations familiales.

Pour conclure, j’ai encore en tête la détresse des agriculteurs de la vallée de la Durance, dans les Alpes-de-Haute-Provence et les Hautes-Alpes, confrontés à la gelée noire. J’espère, monsieur le ministre, que l’écoute dont vous faites preuve à l’égard de ces agriculteurs – je sais qu’elle est réelle – ne sera pas vaine.

J’espère aussi que, à l’avenir, nous pourrons limiter autant que possible les risques que supportent nos valeureux agriculteurs. Nous avons absolument besoin d’eux ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)