Mme le président. La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ces textes sont un peu particuliers. Ce sont très vraisemblablement les derniers que nous étudions avant la suspension de nos travaux, et ils concernent précisément l’organisation des élections à venir. Toutefois, même s’ils étaient adoptés, ils ne pourraient en aucun cas s’appliquer à ces scrutins.

Leur seul intérêt réside donc dans la réflexion qu’ils suscitent sur l’état de notre démocratie représentative et sur l’éloignement persistant et amplifié de nos concitoyens de tous les processus électoraux.

Alors que la crise internationale et européenne dans laquelle nous sommes entrés après l’agression de l’Ukraine n’incite pas aux grands effets de tribune, il est utile de commencer par rappeler que la démocratie est un joyau, que la paix est un bien commun précieux et que les peuples ont soif de participer au plus près à la vie collective apaisée de leur pays.

Les problématiques d’organisation liées à la pandémie et la baisse constante de participation aux élections, y compris municipales, avaient amené à prendre des mesures modificatives des conditions de vote pour les récentes élections départementales et régionales. Ce texte s’en inspire.

Les taux d’abstention de plus en plus importants traduisent une remise en question de l’utilité du vote. Nous devons les étudier finement.

Le taux d’abstention de la tranche des 18-30 ans figure parmi les plus élevés, ce qui conduit à leur sous-représentation dans les préférences collectives exprimées.

De 25 à 44 ans, un peu plus de 90 % des personnes ayant un diplôme de niveau supérieur au bac sont inscrites sur les listes électorales, soit 30 points de plus que les personnes sans diplôme. Ces inégalités devant le scrutin conduisent à des phénomènes de « mal-représentation ».

Le manque de confiance envers la classe politique est malheureusement établi, mais cela ne veut pas dire pour autant que les Françaises et les Français ne s’intéressent plus à la vie publique. Pétitions, grèves, manifestations, militantisme de terrain montrent qu’il y a implication et que l’on ne peut pas uniquement parler de repli sur la sphère privée ou d’apathie politique.

Notre système électoral est à repenser, pas simplement pour les prochaines échéances ou en raison d’une crise sanitaire. C’est nécessaire, même si ce ne sera pas suffisant.

Abaisser le droit de vote à 16 ans doit faire partie de nos réflexions. La jeunesse s’exprime déjà dans les marches, dans les rassemblements. Le droit de vote permettrait à plus de jeunes de s’engager dans la vie politique, alors qu’ils sont les plus concernés par les décisions ou les non-décisions prises sur l’environnement ou la dette.

En cette période particulièrement difficile pour les jeunes du fait de la crise du covid, qui a conduit à une précarisation extrême et accélérée de certains, leur participation démocratique à la vie politique semble essentielle et doit être encouragée.

J’ai pu noter que cet hémicycle appréciait le fait que les adolescents de plus de 16 ans soient responsables pénalement de leurs actes. Ils peuvent aussi tenir un fusil pour chasser. Ils devraient également être en droit de tenir un bulletin de vote.

Notre groupe s’inquiète comme vous de la désaffection électorale, phénomène constant depuis plusieurs années, mais qui a été exacerbé par le comportement de ce gouvernement face aux demandes de plus de démocratie des Français, face aux espoirs suscités par les annonces d’un Président de la République qui se trouve en difficulté au moment de traduire ses promesses en actes.

Les écologistes sont bien conscients de cette demande de nos concitoyens. Nous avions d’ailleurs fait de nombreuses propositions sur les enjeux démocratiques locaux dans le cadre de la loi 3DS, relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale. Celles-ci étaient équilibrées, mais la majorité du Sénat n’a pas souhaité les voter.

Nous avons un besoin de changement réel : comptabilisation du vote blanc, part de proportionnelle pour les élections législatives – encore une promesse non tenue du candidat Macron de 2017…

J’insisterai enfin sur le retour à une décorrélation des élections présidentielle et législatives, ces dernières étant devenues un simple vote de confirmation.

Cette volonté d’asservir le pouvoir législatif à l’exécutif relève d’une idéologie de l’exercice du pouvoir très solitaire, où le Parlement dans son entièreté apparaît comme une chambre d’enregistrement des décisions de l’exécutif, comme l’a montré la nonchalance de ce gouvernement sur les ratifications d’ordonnances.

Outre la gestion de la crise sanitaire, que dire d’autres décisions majeures pour l’avenir du pays prises sans débat, comme le renouveau nucléaire ?

Sans parler de nos divergences sur le fond, tout le monde peut comprendre qu’une telle décision prise en fin de mandat, pour ne pas dire en début de campagne électorale, qui vient contredire le programme même de l’ancien candidat, encore Président de la République, mais bientôt candidat, ne sert pas la démocratie, et encore moins l’opinion que les Français s’en font.

Oui, il y a une vraie crise démocratique, ancienne, certes, mais exacerbée, je le répète, par la façon dont le Président de la République actuel exerce un pouvoir solitaire. Elle est ancrée dans cette impression renouvelée que les décisions se prennent ailleurs et que chacun des élus, à son niveau, n’arrive plus à influer sur la vie quotidienne des Français. Sans changement profond de notre système démocratique, de nouvelles crises sociales sont à redouter. La méfiance des citoyens à l’égard de la chose publique ne pourra que s’accentuer.

Nous devons prendre en compte à sa juste valeur cette défiance, ce désenchantement. Les mesures techniques que je viens d’évoquer ne suffiront pas, mais elles peuvent contribuer à retourner cette tendance.

Nous voterons contre ces deux textes, qui apportent trop tard des solutions qui nous apparaissent peu efficaces.

Mme le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette séance est bien singulière au vu de l’actualité internationale, qui, d’ailleurs, doit nous rappeler que la démocratie est l’une des armes indispensables pour maintenir la paix dans les différents pays de notre planète.

Séance également bien singulière avec l’organisation de ce débat en salle Médicis, même si nous savons que c’est l’engagement de chaque parlementaire qui fait la force de la loi, plus que son lieu d’examen.

Pour revenir sur les propositions de loi qui nous sont présentées ce matin par le groupe Union Centriste et notre collègue Philippe Bonnecarrère, notre état d’esprit est d’alimenter la réflexion collective, qui prend racine dans un constat partagé : l’abstention devient un mode de scrutin à part entière, une façon de s’exprimer pour nombre de nos concitoyens. C’est un phénomène que chacun d’entre nous, malgré des différences d’appréciation sur nos institutions et les solutions à apporter, entend combattre pour redonner toute sa légitimité aux élus que nous sommes, mais plus fondamentalement à la décision publique prise dans l’intérêt général. L’enjeu est de « faire République » ensemble.

L’auteur de ces propositions de loi, cela a été rappelé, n’entend pas en faire l’alpha et l’oméga de la lutte contre l’abstention. Elles n’ont pas vocation à réformer des dispositions et des organisations institutionnelles qui aujourd’hui font débat, et qui sont plus que des irritants. Pour beaucoup, le quinquennat, l’inversion du calendrier électoral – les élections législatives deviennent presque le troisième tour de l’élection présidentielle – et l’hyperprésidentialisation rendent plus compliquée la lecture du débat démocratique à l’occasion des échéances électorales qui arrivent.

Puisque nous sommes dans une période singulière, j’ajouterai l’attitude du Président de la République sortant, qui n’est toujours pas déclaré candidat alors qu’il dispose de ses parrainages, ainsi qu’en atteste le site du Conseil constitutionnel. Certes, c’est son droit, mais cela pose problème.

Tous ces constats nous poussent à nous interroger sur la manière dont le débat démocratique doit être organisé au plus près de nos concitoyennes et concitoyens. La lutte contre l’abstention, c’est avant tout la capacité d’informer, de donner à voir la différence entre les candidats et leurs programmes, dans la diversité et la nuance. Malheureusement, certains médias, principalement les chaînes d’information en ligne, ont tendance à caricaturer les projets et à n’en retenir qu’un ou deux points. Nous l’avons constaté pour les candidats déclarés qui ont déjà participé à différents débats.

Nous devons ainsi nous interroger sur la place des médias dans les semaines et les mois qui précèdent l’élection, mais aussi sur celle des sondages, qui, aujourd’hui, tendent à structurer l’opinion et, finalement, le vote de nos concitoyens, avant même les propositions des candidats.

Nous n’avons pas d’opposition de principe à l’égard des textes qui nous sont présentés, mais, vous l’aurez compris, mes chers collègues, au-delà du vote final, l’intérêt de cette séance est de pouvoir débattre et faire des propositions qui devront être reprises au lendemain des élections.

Hélas ! nous sommes confrontés de manière récurrente à la difficulté suivante : on parle beaucoup de ce qu’il faudrait réformer avant l’élection, mais, une fois celle-ci passée, on passe à autre chose. Ainsi va la vie politique !

J’y insiste, nous devrons nous soumettre à une exigence collective pour reprendre ces discussions après cette séquence électorale et faciliter l’exercice de la démocratie. Cela passe inévitablement par de vrais débats entre l’ensemble des candidats. C’est la condition pour favoriser l’exercice du droit de vote par les citoyennes et les citoyens.

Nous nous abstiendrons sur ces deux textes.

Mme le président. La parole est à Mme Dominique Vérien.

Mme Dominique Vérien. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la crise sanitaire pèse depuis maintenant deux ans sur bien des aspects de notre vie quotidienne. Notre travail, nos loisirs, nos relations sociales ont été impactés plus ou moins directement, plus ou moins fortement.

Pourtant, nous avons su nous adapter et évoluer au gré des vagues de cette pandémie afin de pouvoir continuer à mener une vie la plus normale possible.

Il existe malheureusement une exception : notre vie politique, qui n’a pas su s’adapter, se doter des outils lui permettant de surmonter cette crise.

Cela aurait pourtant dû être une priorité. Comme nous avons su réinventer la manière de nous déplacer ou de travailler à la faveur de la pandémie, nous aurions dû nous attacher à moderniser et améliorer notre vie publique. En effet, en cette matière, les élus de terrain que nous sommes savent bien que la crise sanitaire vient s’ajouter à une autre crise, plus profonde et plus ancienne. Notre démocratie est malade et les symptômes sont connus de tous : abstention, perte de confiance dans les institutions et les élus. À titre d’exemple, aujourd’hui, c’est le système de parrainages qui est remis en cause.

Au regard de ce constat, pouvons-nous vraiment prendre le risque que la crise sanitaire vienne perturber un grand temps fort de notre Ve République ?

L’élection présidentielle reste à ce jour relativement épargnée par l’abstention, mais qu’en sera-t-il si un pic épidémique se déclenche quelques jours avant le premier tour ?

Une faible participation alimenterait à coup sûr les procès en illégitimité et viendrait une nouvelle fois fragiliser un système déjà contesté. À ceux qui voudraient m’opposer la récente décrue de l’épidémie, j’aimerais leur rappeler que si ce virus nous a appris une chose, c’est que son imprévisibilité force l’humilité. Je m’étonne donc du peu d’initiatives qui ont été prises pour sauvegarder tant la campagne que les opérations électorales.

Il s’agit pourtant de mesures de bon sens, qui, de surcroît, ont déjà été appliquées par le passé. Ayons tous en tête le second tour des élections municipales, comme nous y exhorte Philippe Bonnecarrère. Celles-ci ont été précipitamment reportées dans l’impréparation au mois de juin 2020. Nous devons en tirer les leçons et adapter notre droit électoral pour pouvoir réagir en conséquence.

Tant mieux si la pandémie s’éloigne définitivement, mais il est de notre responsabilité de parer à toute éventualité et, en ce sens, je salue ces propositions de loi de notre collègue du groupe Union Centriste. Je regrette d’ailleurs que le Gouvernement n’ait pas jugé bon d’engager lui-même ces travaux ou, à défaut, la procédure accélérée. Il montre ainsi son souhait d’enterrer nos propositions.

Ces deux textes sont pourtant nécessaires et ils dépassent la simple adaptation de notre droit électoral aux impératifs sanitaires. Les mesures qu’ils contiennent sont aussi à même de concourir à l’amélioration de notre vie démocratique. Ainsi, la reconduction de l’assouplissement des règles relatives à la procuration est utile. Il s’agit non seulement de protéger les plus fragiles, alors que l’évolution de l’épidémie dans les mois à venir est incertaine, mais aussi de prévenir les phénomènes d’abstention que la persistance de l’épidémie pourrait favoriser.

Je suis d’ailleurs convaincue qu’il s’agit d’un axe sur lequel nous devons progresser. Les Français ne comprennent plus la lourdeur de la procédure qui pèse sur l’établissement d’une procuration quand, dans le même temps, l’immense majorité de leurs interactions avec l’administration peut se faire sur un smartphone depuis leur canapé. Il ne s’agit pas ici de désacraliser le vote, qui doit garder une charge symbolique forte, mais nous devons, sans aucun doute, l’adapter à notre époque, surtout quand on sait que 80 % des 18-25 ans se sont abstenus aux dernières élections régionales.

En outre, bien que les réunions politiques ne soient pas soumises aux mesures de jauge ou à la présentation du passe vaccinal, le principe de responsabilité a conduit un certain nombre de candidats à l’élection présidentielle à limiter leurs rassemblements. Pour autant, l’information des électeurs doit être assurée et chaque candidat doit pouvoir avoir l’opportunité d’exposer ses idées et de convaincre les Français. Il est donc essentiel que ces derniers puissent avoir accès aux programmes et positions défendues par les différents candidats afin d’éclairer utilement leur vote le moment venu.

En conséquence, au regard des apports de ces textes à la fois sur la protection de la santé des Français et sur notre vie démocratique, le groupe Union Centriste les votera.

Mme le président. La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, d’ici quelques minutes, nous allons suspendre nos travaux. C’est donc l’occasion d’une rapide rétrospective.

Juin 2020, nous sortons du confinement. La courbe épidémique a chuté et pourrait laisser croire à un virus passager. Nous avions cependant voté un texte pour les scrutins municipaux.

Juin 2021, un nouvel espoir, le vaccin est arrivé et devrait vaincre le virus. Nous avions cependant voté un texte pour les scrutins départementaux et régionaux.

Nous voilà au printemps 2022, où tout semble une nouvelle fois aller mieux, mais, cette fois, il n’y a aucun texte pour les scrutins présidentiel et législatifs !

Le Gouvernement a souvent tenu compte, à l’occasion des échéances électorales précédentes, des va-et-vient du virus, qui invitent à la prudence et à la prévoyance. Pourquoi pas cette fois ?

Il est étonnant que le Gouvernement n’ait pas souhaité prendre cette précaution peu coûteuse, et c’est pourquoi nous saluons l’initiative de notre collègue Philippe Bonnecarrère d’avoir déposé ces deux propositions de loi.

Notre groupe est favorable à l’esprit de ces textes.

Pour entrer dans le détail de leurs dispositions, je rappelle que la commission a apporté un ajustement nécessaire s’agissant de la campagne audiovisuelle.

S’agissant des dispositions relatives aux procurations, nous n’y voyons pas d’objection particulière, même si nous avons toujours un doute sur la mise en pratique concrète de la mesure visant à autoriser le mandant à confier sa procuration à tout électeur, sans exiger que celui-ci soit inscrit sur la liste électorale de la même commune.

Un point nous a en revanche alertés : l’augmentation possible des bureaux de vote sur l’initiative du préfet. Aussi, notre collègue Christian Bilhac a déposé deux amendements pour faire en sorte que les maires soient à l’origine de ces mesures qui les concerneront directement dans l’organisation des scrutins. Ce sont eux qui connaissent le mieux les moyens humains et matériels dont dispose leur commune pour mettre en place un tel dispositif. Il ne paraît pas envisageable que les préfets puissent l’imposer, surtout au regard des expériences passées, qui ont largement révélé les difficultés que posait, notamment aux petites municipalités, et encore plus spécifiquement aux villages ruraux, l’augmentation du nombre de bureaux.

Il n’en demeure pas moins que, derrière ces mesures d’apparence technique, nous touchons à des problèmes bien plus profonds. Si nous souhaitons faciliter l’exercice des droits civiques, c’est aussi indirectement dans l’espoir de répondre à une crise aiguë de la citoyenneté dans notre société.

La participation aux derniers scrutins locaux était très préoccupante. Ces prochains mois diront si cette tendance au désintérêt de nos concitoyens se confirme.

Hélas ! je crains qu’il en soit ainsi, tant que la citoyenneté ne sera pas valorisée dans notre société.

Pour le professeur de droit public Bruno Daugeron, il suffit d’observer où sont les files d’attente. Elles ne sont plus dans les bureaux de vote, mais dans des lieux où l’imaginaire social est motivé et suscité, c’est-à-dire dans les centres commerciaux, les cinémas et les événements festifs en tout genre.

Si les citoyens ne se saisissent plus du vote comme moyen d’expression d’une opinion, sans doute est-ce aussi parce qu’ils ont perdu l’impression que ce vote pouvait influer sur leur mode de vie. La désignation politique désintéresse, et c’est d’autant plus paradoxal que les sujets politiques passionnent.

Face à cet écart, nous devons nous mobiliser et engager une réflexion de fond. Je compte notamment sur les travaux de la mission d’information lancée par Henri Cabanel et notre groupe sur le thème : « Comment redynamiser la culture citoyenne ? »

J’espère que la prochaine campagne électorale sera à la hauteur des enjeux, pour ne pas démobiliser encore un peu plus les électeurs. Ces remarques étant faites, et sous réserve que nos amendements soient adoptés, notre groupe votera sans difficulté ces deux propositions de loi.

Mme le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je commencerai moi aussi en soulignant la solennité du moment, au lendemain du déclenchement de la guerre en Ukraine.

Alors que le Gouvernement décide de lever une grande partie des restrictions sanitaires d’ici au 15 mars, la situation épidémique n’en demeure pas moins fragile. Un variant ou sous-variant peut surgir et de nouveau tout remettre en question. Nous avons raison de préférer la prudence à la fausse certitude. Nous ne voulons pas reproduire ce qui s’est passé lors des élections régionales et départementales : le taux d’abstention a atteint un niveau record de 66,6 % et il est réducteur d’expliquer ces chiffres par le seul désintérêt politique des Français.

Ainsi, grâce à cette proposition de loi organique et cette proposition de loi, nous tentons de réduire l’abstention en assouplissant le régime de la procuration. Désormais, chaque électeur pourra disposer de deux procurations, qui auront pu être établies depuis le domicile du mandant. C’est une adaptation importante qui permettra à chacun, malade ou à l’étranger, d’user de son droit de vote.

Je me réjouis de la disposition de l’article 1er de la proposition de loi organique permettant l’organisation d’au moins un débat entre l’ensemble des candidats avant le premier tour. Certaines personnalités politiques partagent la conviction profonde que leur succès ou leur échec dépend en partie du temps qui leur est accordé dans les médias. Ils n’ont pas tout à fait tort.

C’est d’ailleurs pour cela que nous devons veiller à un respect strict des règles régissant le traitement médiatique de la campagne présidentielle. Nous ne pouvons pas ignorer le rôle fondamental des médias audiovisuels dans la sélection de leurs invités et l’importance du choix d’accorder la parole à tel parti ou telle personnalité politique.

Pour ma part, j’ai donné mon parrainage à Hélène Thouy, candidate activiste du parti animaliste. Considérée comme une « petite candidate », elle ne bénéficie pas du même traitement médiatique que les autres. Elle mérite pourtant toute sa place dans l’espace audiovisuel. La cause animale devrait faire partie du débat présidentiel.

Les médias contribuent à façonner la vie politique de notre pays et concourent grandement au choix final que feront les électeurs. Alors, donnons la possibilité à tous les candidats, petits comme grands, de participer au débat public. C’est une exigence démocratique toujours valable. La situation actuelle démontre, s’il en était besoin, que nous devons sans cesse nous battre pour la liberté et la démocratie.

Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, c’est donc la guerre toujours recommencée !

Nous étions beaucoup, je pense, à imaginer que la chute du mur de Berlin ouvrirait une ère d’extension continue de la démocratie sur notre planète. Malheureusement, tel n’a pas été le cas.

C’est vrai, il y a quelque chose de paradoxal à tenir ce débat en cette période grave, qui nous place dans une situation terrible.

Parler de la démocratie, bien sûr, c’est ce qui nous réunit. Toutefois, je note un autre paradoxe : ce qui sera éventuellement voté aujourd’hui n’aura malheureusement aucun effet, dès lors que, compte tenu de notre calendrier, il n’est pas prévu, à ma connaissance, que l’Assemblée nationale soit saisie de ces textes.

Mon cher collègue Philippe Bonnecarrère, il faut néanmoins saluer le travail que vous avez effectué. L’autre jour, nous parlions des œuvres d’art – d’ailleurs, je ne sais pas de combien de sujets nous avons parlé au cours de cette semaine –, et force est de constater que quelque chose peut être à la fois beau et inutile.

C’est exactement ce qui me vient à l’esprit aujourd’hui. Personne n’a de doute sur le fait qu’aucune des mesures ici discutées n’aura un effet concret sur les élections qui viennent.

Mon cher collègue, il eût été préférable de présenter ces dispositions voilà un an, lorsque nous avons discuté d’un projet de loi organique sur les élections à venir. Compte tenu des délais qui couraient alors jusqu’auxdites élections, vos propositions auraient eu une chance de servir à quelque chose.

Plusieurs points ont été abordés.

Pour ce qui est des diffusions audiovisuelles, la proposition de consacrer quatre heures chaque semaine aux débats est peut-être intéressante. L’idée qu’il y ait un débat entre les candidats relève du bon sens, bien sûr, mais vous n’ignorez pas qu’il y a un dispositif en cours et que ce dispositif prévoit, chacun le sait, une phase préliminaire, une phase intermédiaire, qui va commencer le 7 mars, et une phase terminale, qui sera celle de la campagne officielle. Cela est en marche, d’une certaine manière, et je vois mal comment on pourrait, en cours de partie, changer la règle du jeu. De toute façon, le texte n’a aucune chance d’être définitivement adopté.

Par ailleurs, la question de la double procuration a toujours été pour notre groupe une interrogation. On peut comprendre que cette mesure ait été instaurée pour les élections précédentes, mais nous persistons à penser qu’elle favorise les pressions sur les personnes. Nous avons fait, vous le savez, toute une série de propositions en la matière. Je tiens d’ailleurs à rendre un hommage particulier ce matin à notre collègue Éric Kerrouche, à l’origine de très nombreux travaux, qui se sont traduits dans des propositions de loi, pour justement avancer, ou à tout le moins susciter la réflexion, en particulier sur le vote par correspondance.

Je me souviens des déclarations de Pierre Joxe, vers 1975, mettant en cause des fraudes liées au vote par correspondance. Il est vrai que les choses ont évolué depuis lors et que la proposition de loi présentée par Éric Kerrouche comporte toute une série de mesures de nature à sécuriser le vote par correspondance. Nombre de pays ont d’ailleurs adopté cette modalité de vote sans que cela pose de problème. Certains pays parfaitement démocratiques organisent aussi le vote sur plusieurs jours.

Nous avons fait d’autres propositions. Je pense notamment aux parrainages, qui occupent de plus en plus les médias à mesure que l’on s’approche de la date fatidique. Nous avions suggéré un système mixte, dont il eût fallu discuter il y a un an.

Le dédoublement des bureaux de vote est peut-être une idée intéressante. Mais comment voulez-vous la mettre en œuvre à quelques semaines de l’élection ? Il faut imaginer le travail que cela représenterait, pour les maires et pour les mairies : il faudrait répartir les électeurs d’un bureau de vote entre deux bureaux, refaire l’ensemble des listes, envoyer les documents en conséquence, obtenir l’accord du préfet…

Bref, il y a beaucoup d’idées intéressantes. Vous êtes attaché à ce que la démocratie fonctionne mieux, à ce que notre dispositif électoral soit meilleur, à ce qu’il y ait moins d’abstention. Tout cela est bénéfique.

Éric Kerrouche avait cité Alfred de Musset : « Les plus désespérés sont les chants les plus beaux… » Mais il y a quelque chose d’étrange à discuter de cela ce matin, car si l’intention est louable, sa mise en œuvre n’aura pas lieu.

Nous ne voulons toutefois pas décourager la réflexion de M. Bonnecarrère et de ses collègues : nous nous abstiendrons donc sur ces textes.

Mme le président. La parole est à M. Alain Richard. (M. Julien Bargeton applaudit.)

M. Alain Richard. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, comme d’autres collègues, tout en saluant l’intention et, en quelque sorte, l’inspiration de ces deux textes, je vais expliquer pourquoi nous ne les voterons pas.

Trois sujets sont évoqués. Premièrement, l’intensité de la campagne devant les médias, puisqu’on attend une faible participation aux meetings – même si certains ont rassemblé beaucoup de monde. Deuxièmement, la possibilité de dédoubler les bureaux de vote. Troisièmement, la question de la procuration.

Je crois que nous avons déjà légiféré sur les obligations des médias, et il existe une instance indépendante qui fait son travail de façon tout à fait honorable. Stimuler la présence dans les médias et le pluralisme de l’expression des candidats à cette élection présidentielle me paraît assez superfétatoire : il suffit de parcourir les écrans pour voir que la campagne électorale est déjà intense dans les différents médias. Et je ne vois pas, pour l’instant, de signes flagrants d’atteinte au pluralisme, dans les conditions que fixe la loi que nous avons revue il y a deux ans, sans estimer nécessaire de la modifier.

La modification du périmètre des bureaux de vote semble très difficile à mettre en œuvre. Dans un espace urbain où une collectivité ne dispose que d’un certain nombre de bâtiments publics, il n’est pas forcément évident de dégager la capacité d’accueil nécessaire dans de bonnes conditions de sécurité pour le public, surtout si l’on envisage de doubler le nombre de bureaux. S’ajoute une difficulté pratique : la grande majorité des électeurs ont leurs habitudes et découvriraient assez souvent à la porte de leur bureau de vote qu’ils n’y sont plus inscrits, et qu’ils doivent se déplacer – en principe dans le même quartier, certes.

Quant à la double procuration, nous l’avons votée dans un contexte tout à fait exceptionnel de réticence des électeurs à se déplacer, au printemps de l’année dernière, en prévision des élections départementales et régionales. Cette fois, le contexte ne sera pas le même.

Alors même qu’on ne pouvait recevoir qu’une seule procuration, et obligatoirement d’un électeur de la commune, ce qui était très restrictif, nous avons enregistré plus de 3,5 millions de procurations aux deux tours de l’élection présidentielle de 2017. Il n’y a donc pas eu de déficit de mandataires.

Nous avons auditionné la responsable du répertoire unique à l’Insee, qui est aussi responsable du recensement : elle nous a expliqué que, pour des raisons de fiabilité, la modification des paramètres du répertoire prenait plus d’un an, car elle exige des tests répétés. Malgré cette rigidité, depuis le 1er janvier 2022, il est possible de confier sa procuration à un électeur d’une autre commune, ce qui crée des facilités supplémentaires, notamment dans les zones à faible densité.

Il nous semble donc que le dispositif actuel offre des facilités suffisantes. D’ailleurs, ma position a quelque peu évolué, et je reconnais désormais que la procuration ne correspond pas à l’exercice idéal du droit de vote, dans des conditions de secret et de liberté complètes. Une procuration, c’est un acte de confiance. Si l’on connaît très bien le mandataire, on peut être à peu près assuré que cette confiance est bien placée. Mais une manipulation des procurations au bénéfice de personnes dont on ne connaît pas grand-chose est possible, voire même une industrialisation de telles opérations autour des établissements d’accueil de personnes dépendantes… Donner la possibilité d’une double procuration, c’est aussi ouvrir plus largement la porte à un certain nombre d’opérations qui ne sont pas toujours très honorables.

Bref, sur aucun des trois sujets qu’ils abordent, ces deux textes ne nous semblent apporter d’avantage décisif. C’est pourquoi nous ne les soutiendrons pas. (M. Julien Bargeton applaudit.)