M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, en 1991, la chute de l’URSS et du rideau de fer annonçait pour beaucoup la fin de l’Histoire et le triomphe à venir d’un modèle universel de démocratie libérale.

Malheureusement, trente ans plus tard, comme si la guerre de Yougoslavie n’avait pas suffi, le nationalisme fait son retour tragique aux portes de l’Union européenne en charriant son lot de désespoir et de désolations.

L’invasion injustifiée et inqualifiable de l’Ukraine par l’armée russe sonne bien comme un tragique retour en arrière.

De 2014 à 2022, d’une conférence de Munich à l’autre, la séquence diplomatique, beaucoup plus longue en réalité que ce qu’en a perçu l’opinion publique, a laissé la place aux armes. La guerre est au cœur de l’Europe et menace l’ordre international établi depuis la Seconde Guerre mondiale, fondé sur le respect du droit international et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Au nom du RDSE, je tenais à exprimer notre solidarité sans réserve à l’égard du peuple ukrainien, qui se bat pour sauver la souveraineté de son pays et sa liberté. Je salue son courage, ainsi que celui du président Zelensky, demeuré au cœur de la capitale assiégée et présent aux côtés de ses soldats et de la population. J’ai également une pensée pour les Ukrainiens de France, qui s’inquiètent pour leurs proches.

Enfin, mon groupe souhaite que l’Union européenne accueille dans les meilleures conditions les réfugiés qui affluent. Il va de soi que c’est un devoir moral, mais aussi une nécessité politique pour montrer que notre vision de ce qu’est une société est à l’opposé du projet mortifère qui se déploie en Ukraine.

Je pense également au peuple russe, qui va payer le prix de l’isolement politique et économique. Il faut rappeler que beaucoup de Russes, soit par peur, soit par résignation, soit par un patriotisme mal alimenté, ne font que subir la posture martiale de leurs dirigeants, bien aidés – il faut le souligner – par une propagande intérieure très efficace.

La situation des États baltes, de la Pologne et de la Roumanie, qui sont nos alliés et amis au sein de l’OTAN, doit aussi retenir toute notre attention. Nous savons que le chef de l’État leur a donné tous les gages de notre soutien. Je pense aussi à la situation de la Moldavie, dont une partie du territoire est occupée par l’armée russe, et qui ne doit pas devenir la prochaine visée de l’expansionnisme de Moscou. Je pense également à nos amis suédois et finlandais, nommément menacés par le chef de l’État russe.

Enfin, je n’oublie pas nos concitoyens français, qui, après deux ans de guerre contre un virus, aspiraient au retour à une vie normale. Ils observent avec incrédulité et angoisse la guerre qui se déroule à quelques heures d’ici, sans savoir quand et comment elle s’arrêtera.

En attendant, nous devons tenir un langage de vérité. Le Président de la République s’est exprimé en ce sens. Il faut nous préparer à parer à toutes les situations, y compris les pires.

À ce stade, que peut-on promettre ? Entre la politique de prise de sanctions économiques et la riposte armée, il n’est pas aisé de trouver des mesures possibles. Vladimir Poutine le sait bien. Les démocraties ne sont évidemment pas prêtes à s’engager dans un conflit frontal. La dissuasion nucléaire joue pleinement son rôle, mais montre aussi ses limites.

Dans ces conditions, sanctionner l’économie russe et s’attaquer aux oligarques semblent constituer pour le moment le meilleur outil de pression contre le régime russe et son vassal biélorusse, même si, encore une fois, la population sera la première à en souffrir.

Cependant, à court terme, cette stratégie sera coûteuse pour les Ukrainiens, qui vont devoir résister en espérant tenir. Le soutien matériel et humanitaire doit être amplifié autant que possible. La France s’en honore, comme tous ses partenaires.

La décision historique de l’Union européenne d’envoyer du matériel militaire létal permettra peut-être, à plus long terme, de catalyser la formation d’une Europe enfin souveraine sur le plan stratégique et militaire. La décision de l’Allemagne de se réarmer montre aussi que, paradoxalement, la décision d’envahir l’Ukraine coûtera à la Russie, sur le long terme, la formation d’un bloc ouest européen plus uni et plus puissant.

Cette situation aura, bien sûr, un coût pour les pays européens ainsi que pour d’autres, matérialisé tout d’abord par la hausse des prix de l’énergie et de nombreuses matières premières. Cependant, le renoncement est très vite apparu inenvisageable.

Le groupe du RDSE soutient donc sans réserve la politique de sanctions décidée conjointement par les États-Unis, l’Union européenne et de nombreux autres pays du monde. Les premiers effets peuvent déjà être mesurés. Cependant, il est évidemment trop tôt pour en tirer des conclusions, car le géant russe peut aussi se tourner vers son partenaire chinois – bien qu’il n’existe pas d’amis en géopolitique, mais seulement des intérêts convergents.

L’activité diplomatique doit, bien entendu, se poursuivre. Le maintien d’un dialogue, certes exigeant, reste la clef de la résolution du conflit. Ce dialogue, même biaisé, existe bien : entre les belligérants, mais aussi entre l’Union européenne et le dirigeant russe, hier encore par la voix du Président de la République. Toutes les initiatives en ce sens doivent être encouragées et soutenues. Néanmoins, à ce jour, les conditions d’un règlement du conflit posées par le président russe demeurent inacceptables.

Au sein de la communauté internationale, il faut continuer à isoler Moscou. La Chine et la Turquie ont émis des signes de retenue qui doivent être préservés.

Je rappellerai ainsi un principe formulé par le général et théoricien militaire prussien Clausewitz : « La guerre n’est pas seulement un acte politique, mais un véritable instrument de la politique, une poursuite de relations politiques, une réalisation de celles-ci par d’autres moyens. » Vladimir Poutine sait parfaitement entremêler diplomatie et actes de guerre. Après tout, le conflit d’aujourd’hui n’est que la continuation de ce qui se passe au Donbass et en Crimée depuis au moins 2014.

Bien sûr, il est toujours facile de réécrire l’Histoire. Oui, peut-être, une fois le mur tombé, aurait-il fallu créer une véritable organisation de la sécurité en Europe qui n’aurait pas constitué un épouvantail pour le Kremlin. Mais n’inversons pas les responsabilités !

Oui, notre main a sans doute tremblé un peu lorsque les troupes russes sont entrées en Transnistrie en 1992, en Géorgie en 2008 ou ont annexé la Crimée en 2014.

Oui, il est possible que nous ayons sous-estimé le rêve poutinien d’une grande Russie, alors même que plusieurs indices étaient présents, encore récemment au travers de l’allégeance du président biélorusse Loukachenko.

Quelle que soit l’Histoire, le temps n’est plus au regret, d’autant qu’il est difficile de savoir a posteriori ce qui aurait pu arrêter le dirigeant russe dans sa volonté d’expansion et d’hégémonie. Le discours du 21 février dernier n’était ainsi qu’une réécriture fallacieuse de l’histoire de l’Ukraine, servant à justifier l’invasion.

Mes chers collègues, pour conclure, dans ce climat empreint d’une extrême gravité, je souhaiterais malgré tout souligner un point positif. Il s’agit de la remarquable unité que l’Union européenne a manifestée dans cette épreuve (M. le Premier ministre manifeste son approbation.).

Après la solidarité sanitaire et la solidarité budgétaire, la solidarité est au rendez-vous pour assurer notre sécurité collective. Espérons que, conjuguée à l’appui de nos nombreux alliés, cette unité pourra contribuer à sauver la paix, la liberté et l’indépendance de l’Ukraine. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes SER, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, l’invasion de l’Ukraine pourrait bien être le premier clou sur le cercueil de la dictature de Poutine, comme l’invasion de l’Afghanistan fut le premier clou sur le cercueil de l’Union soviétique.

Poutine est fou comme le sang est rouge. Ce n’est pas une insulte, c’est un diagnostic. Le discours sépulcral du 21 septembre ne laisse aucun doute : c’est un paranoïaque doublé d’un mythomane. Plus il élimine toute contradiction, plus il échappe à la réalité, au profit de son idée fixe et funeste : se venger de la chute de l’URSS.

Comme beaucoup de dictateurs, ce Caligula botté souffre d’une autre infirmité. Ceux qui ont découvert stupéfaits la taille grotesque de la table où il recevait notre Président ont cru à une manœuvre pour l’humilier. Les réunions ubuesques qu’il tient avec ses ministres, éloignés de lui de vingt mètres, révèlent la vérité : le covid-19 le terrorise. Néron se faisait raser par ses filles de peur d’être égorgé, Staline faisait goûter ses aliments, lui, chef de la deuxième force nucléaire au monde, qui se fait filmer dans de fausses chasses à l’ours, pétoche devant le virus comme un matamore fuyant devant une souris. (Sourires et applaudissements sur de nombreuses travées.)

En face de lui, un homme, debout : Zelensky. Lorsqu’on ignore la réalité, elle se venge. Poutine voulait diviser l’Europe, il la cimente. Il voulait ridiculiser l’OTAN, il la retrempe. Il voulait humilier les États-Unis, il ressuscite Biden après Kaboul.

Il voulait rallier à lui les régimes autoritaires ; la Chine s’inquiète, la Turquie montre les dents, et le Kazakhstan refuse l’envoi de ses soldats. Il pensait prendre l’Ukraine en trois jours, il est embourbé pour longtemps.

Confiné dans son bunker, il n’a pas vu le monde changer. Il se croit encore au temps où ses complices du KGB et du politburo mataient par des chars la Hongrie ou la Tchécoslovaquie, et où lui-même rasait Grozny à l’abri des caméras. Il n’a pas compris que les images des smartphones faisaient le tour du monde en une seconde et qu’en 2022 personne, pas même les Russes, n’était prêt à accepter les bombardements de Kiev et les morts.

S’il en est arrivé là, c’est en partie à cause de nos propres lâchetés. L’invasion de la Géorgie, l’annexion de la Crimée, le Donbass, la Transnistrie, les crimes contre l’humanité commis en Tchétchénie ou en Syrie, les centaines d’assassinats et les milliers d’emprisonnements en Russie même : tout cela, nous l’avons laissé faire. Quelques discours ont été prononcés à l’ONU sur les droits de l’homme et le droit international, et puis, circulez, il n’y a rien à voir !

Ce n’est pas seulement par lâcheté que nous n’avons rien fait. C’est parce que les démocraties ont en leur sein une cinquième colonne, le plus souvent soudoyée par le Kremlin, qui reprend mot à mot sur les réseaux antisociaux, au moyen de milliers de faux comptes, de trolls et de bots pilotés depuis Moscou, sur les radios et télévisions de RT, Sputnik et, hélas !, d’autres encore, la propagande de Poutine : l’Ukraine n’existe pas, elle est dans la sphère russe, ses dirigeants sont des nazis.

Vladimir Zemmour, Joseph Vissarionovitch Mélenchon et Anastasia Le Pen sont depuis longtemps les généraux en chef de cette cinquième colonne. (Sourires et applaudissements sur de nombreuses travées.)

Mais leurs dernières déclarations atteignent des sommets. Mélenchon a ainsi déclaré le 18 janvier dernier : « Qui ne ferait pas la même chose avec un voisin pareil, un pays lié à une puissance qui les menace continuellement ? » Le Pen a dit pour sa part : « Mon point de vue sur l’Ukraine coïncide avec celui de la Russie. » Quant à Zemmour, il a affirmé : « Il faut arrêter de faire de Poutine l’agresseur, c’est Poutine l’agressé. Poutine est l’allié qui serait le plus fiable. »

Depuis que tout le monde a compris leurs mensonges, ils ont réinventé le « oui mais ». Ils condamnent, car ne pas le faire serait un suicide électoral, mais ils ne changent pas d’avis. Tout est de la faute de l’Occident, il ne faut surtout pas de sanctions et faire attention à la troisième guerre mondiale.

Mélenchon continuait ses bobards jeudi dernier : « Je n’ai jamais soutenu Vladimir Poutine, jamais. » Le pire, c’est Zemmour, le trois fois condamné pour racisme, qui crache sur les résistants ukrainiens et sur les réfugiés, et qui donne des leçons de patriotisme, lui qui, après s’être soustrait au service militaire, n’a pas hésité à se rendre samedi sur le plateau des Glières. Ses propos souillent les tombes des maquisards. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI.)

Ces paillassons de Poutine, après en avoir été les caniches, sont candidats à la Présidence de la République. Ils ont condamné le dictateur du bout des lèvres, mais leurs trolls inondent les réseaux de messages à sa gloire et leurs députés européens ont refusé de voter l’aide à l’Ukraine.

Pendant des années, nous avons tenté de faire comprendre qui était Poutine. Nous étions trop peu nombreux face aux idiots utiles de l’Europe. L’Allemagne s’est mise dans les griffes de l’ours et de son gaz après avoir commis l’incroyable erreur de céder aux Verts sur le nucléaire. En France, le fond de l’air, fait d’un gaullisme du pauvre qui n’a rien à voir avec le gaullisme et d’un antiaméricanisme héritier de la vieille droite anti-anglo-saxonne et de la vieille gauche anticapitaliste, conduit certains à prêcher l’équidistance entre l’Amérique et la Russie – et, demain, entre l’Amérique et la Chine –, sans comprendre qu’il y a d’un côté le camp de la démocratie et de l’autre celui des dictatures. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

Trop peu nombreux, nous étions par là même trop faibles.

Le 24 février 2022 restera dans l’Histoire comme le jour prodigieux du grand basculement. Le plus grand succès de Poutine, c’est de nous avoir ouvert les yeux. Nous nous sommes réveillés bien tard, mais nous nous sommes réveillés !

Pour la première fois, nos sanctions sont plus que des coups de griffe. Elles comprennent le blocage des réserves de la banque centrale, la déconnexion du système Swift, l’arrêt de Nord Stream 2, la saisie des avoirs des corrompus, la fermeture des espaces aériens, le bonheur de la livraison d’armes aux Ukrainiens par l’Allemagne elle-même – mouton devenu, non pas tigre, mais au moins lionceau – et, enfin, la chasse aux agents de désinformation.

Voilà cinq ans que je demande la fermeture de RT, de Sputnik et de leurs satellites, cinq ans que l’on me répond que ce serait bafouer la liberté d’expression. On vient enfin de comprendre que les organes de propagande du FSB n’ont rien à voir avec la liberté d’expression. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme Mélanie Vogel et M. Daniel Salmon applaudissent également.)

Mesdames, messieurs les dirigeants européens, permettez-moi d’ajouter à mes félicitations pour ces sanctions une supplique : qu’elles soient précises, sans exception, efficaces, non contournables et prolongées, et surtout qu’elles soient rapides et accrues car les résistants ukrainiens, aussi héroïques soient-ils, ne tiendront pas longtemps par leurs seuls moyens. Je demande enfin qu’elles soient accompagnées du message clair selon lequel l’assassinat de Zelensky entraînerait une riposte bien plus massive encore.

Quant à la cinquième colonne, elle va se déchaîner dans toute l’Europe pour relayer les menaces du tyran et expliquer que, comme vous êtes responsables de la guerre en Ukraine, vous serez responsables, demain, de la troisième guerre mondiale dont Poutine brandit la menace.

Pour l’heure, autre miracle : personne n’y croit. Comment penser qu’un hypocondriaque qui s’ausculte toute la journée soit prêt à mourir sous les frappes ou à finir ses jours dans un abri antiatomique, comme Caïn dans son souterrain ?

Lorsque nous aurons pris ces sanctions et que nous nous serons préparés à un long conflit – car cette guerre sera longue –, il nous faudra relever un autre défi, plus redoutable encore : celui du rétablissement de la puissance de l’Europe. « L’Europe ne se fera qu’au bord du tombeau », disait Nietzsche. Ces propos étaient prophétiques, car l’Europe est née des charniers de la Seconde Guerre mondiale et n’a progressé qu’en surmontant ses crises.

Celle du covid-19 a permis un pas de géant par la mutualisation des dettes du plan de relance. L’invasion sanglante de l’Ukraine a fait comprendre à tous, à commencer par les Allemands, ce que le Président de la République ne cesse d’expliquer depuis le début de son mandat : l’Europe ne sera jamais une puissance si ses États ne se réarment pas et si une défense commune ne voit pas le jour. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI.) Jamais Poutine n’aurait pu nous faire un meilleur cadeau.

Pour l’heure, nous allons participer à cette guerre au moyen des mesures déjà prises, de notre unité avec nos alliés européens et américains, et de notre fermeté face au tyran qui s’est lancé dans une aventure sans issue.

Toutefois, ce n’est pas nous qui allons la gagner. Les seuls qui peuvent la gagner, ce sont deux peuples. Il s’agit tout d’abord du peuple russe qui, pour la première fois, malgré une répression impitoyable et une propagande effrénée, est en train de comprendre que Poutine le conduit vers le gouffre. Le sursaut viendra-t-il de la rue, ou de quelques Brutus qui comprendront l’urgence d’agir avant qu’il ne soit trop tard ? Je ne sais. Cependant, le dénouement pourrait bien surprendre.

Ceux qui vont gagner cette guerre, ceux qui sont déjà en train de la gagner quel qu’en soit le coût, ceux qui nous donnent une grandiose leçon de courage, guidés par un président devenu en quelques jours un héros de la trempe d’un de Gaulle ou d’un Churchill, Volodymyr Zelensky, ceux qui vont gagner cette guerre, donc, ce sont surtout les membres du peuple ukrainien soudés contre Poutine et prêts au sacrifice pour défendre sa liberté – et la nôtre –, sa démocratie et les valeurs européennes qu’il partage. Puissions-nous les admirer, les acclamer, les soutenir et nous montrer dignes d’eux ! (Mmes et MM. les sénateurs des groupes INDEP et RDPI se lèvent et applaudissent vivement. – Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.

M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, depuis six jours, nous vivons dans un état de sidération. La guerre est de retour en Europe, à l’initiative d’une grande puissance nucléaire qui déploie toutes ses capacités militaires contre un pays souverain.

Nos pensées vont naturellement vers les Ukrainiennes et les Ukrainiens qui ont déjà perdu des proches, perdu des enfants, qui vivent en ce moment même la peur au ventre sous les bombes, sous les balles, au son des canons et des sirènes, ou qui ont tout abandonné derrière eux pour préserver leur vie et celle de leurs enfants.

Ils et elles sont aujourd’hui les victimes d’une guerre d’agression indéfendable, d’une violation caractérisée du droit international et d’un déploiement de violence commis par l’une des plus grandes armées au monde, sous la coupe d’un dictateur impérialiste et révisionniste qui refuse la simple existence de leur nation.

Nous avons une conscience aiguë de l’extraordinaire courage dont ils font preuve pour défendre leur État, leur nation, leur liberté comme la nôtre, et pour défendre la démocratie. Le président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky, au courage et au sang-froid extraordinaires, et dont le monde entier connaît désormais le nom et le visage, vient nous rappeler une nouvelle fois que, bien plus que l’inverse, c’est l’Histoire qui fait les grands hommes.

N’ayons pas peur des mots : le peuple ukrainien est aujourd’hui notre avant-garde sur le front oriental du combat pour la démocratie et la liberté. Cette sombre perspective a permis une prise de conscience généralisée de l’intérêt commun qui lie les démocraties et de la nécessité absolue, pour l’Europe, de devenir un acteur géopolitique.

Nous saluons les décisions historiques des derniers jours. Le mot n’est pas galvaudé. Nous saluons l’action de la France et de l’Union européenne sous présidence française. Nous nous félicitons de l’extraordinaire unanimité des Vingt-Sept. Sans le vouloir, Vladimir Poutine a ouvert la mer en deux et le chemin vers une Europe de la défense que les écologistes ont toujours défendue.

Vladimir Poutine, qui depuis tant d’années joue de nos divisions, n’avait sans doute pas anticipé cet élan d’unité. Il s’était préparé à des sanctions économiques, mais vraisemblablement pas à des sanctions de cette ampleur.

Ces sanctions n’épargneront pas le peuple russe, qui dans sa majorité n’a pas choisi cette guerre et qui est pétrifié par cette mise au ban des nations. Nous lui témoignons notre amitié et notre respect pour la mobilisation courageuse dont il fait preuve malgré les interdictions de manifester.

Vladimir Poutine n’avait pas non plus anticipé la résistance militaire et l’héroïsme des Ukrainiennes et des Ukrainiens, qui ont empêché une prise rapide du pays. Si Kiev devait tomber entre les mains de Poutine, il ne pourrait maintenir son contrôle sur une population éprise de liberté. On n’occupe pas un pays contre son peuple.

Nous n’en sommes cependant pas là encore.

L’urgence est de venir en aide à la résistance ukrainienne. Nous approuvons le soutien financier, opérationnel, humanitaire et les livraisons d’armes que la France, l’Europe et nos partenaires transatlantiques lui apportent, tout comme nous approuvons toutes les sanctions financières décidées contre la Russie et ses oligarques. À ce sujet, nous demandons au Gouvernement de faire preuve de la plus grande vigilance concernant l’accroissement supplémentaire des prix de l’énergie qui découlera de cette situation. La puissance publique doit protéger davantage nos concitoyens les plus modestes face à cette flambée.

L’urgence est aussi de venir en aide aux réfugiés qui fuient l’Ukraine par millions. À ce titre, nous saluons la volonté de la présidence française de proposer jeudi prochain au Conseil de l’Union européenne l’activation de la directive relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées. La puissance publique doit faciliter le transit de celles et ceux qui veulent rejoindre l’ouest de l’Europe.

Alors que l’Union africaine s’inquiète de la situation des ressortissants africains, dont certains seraient bloqués à la frontière par les autorités polonaises, et alors qu’un discours nauséabond s’installe doucement, visant à qualifier les réfugiés selon la couleur de leur peau ou leur religion, je veux rappeler ici avec force qu’il n’y a pas de bon ou de mauvais réfugié. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.) Toute personne, quelle que soit sa nationalité, a le droit de quitter un pays en guerre, et nous avons le devoir de l’accueillir.

Aussi, nous demandons à la présidence française de faire preuve de la plus grande vigilance sur la situation aux frontières orientales de l’Union européenne et d’obtenir des garanties des pays concernés.

Monsieur le Premier ministre, nous saluons – une fois n’est pas coutume – la démarche de transparence et de concertation que vous entreprenez malgré la complexité de la situation, et que nous espérons durable.

Cette crise conforte notre rapport au monde et à l’Europe, et notre attachement à la liberté et à la démocratie.

Le chemin de la paix est, hélas !, encore long, mais il passera inévitablement par une Europe unie, plus intégrée, capable de créer par la voie diplomatique les conditions d’un avenir pacifique et la sauvegarde de l’intégrité de la nation ukrainienne. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER. – M. Jean-Michel Arnaud applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réunion administrative des sénateurs n’appartenant à aucun groupe.

M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, comme tout le monde ici, je suis très inquiet face à la guerre qui se déclenche en Ukraine. Je suis bien évidemment partisan d’un cessez-le-feu et d’un rétablissement de la paix.

Ce point est très important car je crois, très honnêtement, que M. Poutine a été au-delà du raisonnable dans cette affaire. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. Loïc Hervé. Comme c’est bien dit !

M. Jean Louis Masson. Je voudrais dire cependant que ce n’est pas en jetant de l’huile sur le feu que l’on arrive à régler les problèmes. (Exclamations sur de nombreuses travées.)

J’ai entendu un certain nombre de discours. Certains voulaient en rajouter…. Nous avons assisté à un concours de virulence ! D’autres néanmoins se sont montrés plus raisonnables. Ainsi, alors que je n’ai presque jamais voté dans le même sens que notre collègue Pierre Laurent, je dois dire que sa modération au cours du présent débat mérite d’être prise en compte. (Exclamations amusées sur diverses travées.)

M. Loïc Hervé. On aura tout vu !

M. Jean Louis Masson. À force d’en rajouter, nous ne savons pas où cela peut nous mener ! Des négociations, des discussions dans lesquelles chacun essaie de tenir compte des problèmes de son interlocuteur, constituent des solutions qui mériteraient d’être mises en œuvre.

Par ailleurs, plusieurs personnes ont dit que la démocratie se définissait comme le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Eh bien, moi, je suis d’accord ! (Mêmes mouvements.) Les Ukrainiens doivent pouvoir disposer d’eux-mêmes. Toutefois, il faut reconnaître qu’un référendum a eu lieu en Crimée, par exemple, par lequel les habitants se sont prononcés…

M. Jean-Yves Leconte. Sous la menace des baïonnettes ! C’est inacceptable !

M. Jean Louis Masson. On nous parle des démocraties en Europe. L’Arménie fait partie de l’Europe. Or qu’avons-nous fait quand le turc Erdogan est allé financer et organiser la guerre dans le Haut-Karabagh ? Les habitants du Haut-Karabagh n’ont-ils pas le droit, eux aussi, de se prononcer pour décider de leur destin ? Qu’avons-nous fait ? Nous avons fait le mort !

Je ne crois pas qu’il y ait de bons dictateurs et de mauvais dictateurs. Il n’y a que de mauvais dictateurs ! (Exclamations.)

L’OTAN et l’Union européenne ont été absolument nulles lors des évènements qui ont eu lieu en Arménie. Et actuellement, la France est très fière de vendre des avions, des canons à l’Arabie saoudite…

M. le président. Il faut conclure.

M. Jean Louis Masson. Les dictateurs de l’Arabie saoudite veulent en finir avec tous les Houthis, alors qu’ils se trouvent dans leur territoire : cela est absolument honteux ! (Marques dimpatience sur diverses travées.) Chacun doit assumer ses responsabilités !

M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Nadia Sollogoub. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, les couleurs de l’Ukraine sont le bleu d’un ciel d’azur sur l’or des champs d’une terre fertile. Nous pourrons désormais y ajouter la trace indélébile du sang versé par un peuple héroïque qui tente, heure par heure, de résister à l’invasion de l’armée russe.

Je vous parle ce soir avant tout en tant que citoyenne, une citoyenne française fière d’appartenir au continent européen. Je vous parle également en tant que présidente du groupe d’amitié France-Ukraine.

En temps normal, l’amitié entre deux pays doit être le terreau de relations culturelles, économiques, commerciales et bilatérales qui croissent et prospèrent. En temps de guerre, l’amitié entre deux pays, ce sont les angoisses, les nuits blanches, les colonnes de réfugiés, les nouvelles auxquelles on ne peut pas croire, le décompte des victimes et la douleur de l’impuissance.

Alors que d’immenses convois militaires convergent vers Kiev et que les missiles pleuvent sans cesse, l’urgence est d’obtenir une trêve, et une évacuation humanitaire.

Les civils, femmes et enfants essentiellement, tentent de fuir, malgré la dangerosité du voyage. Les routes sont exposées aux frappes aériennes, constatées à neuf kilomètres de la frontière polonaise, nous a-t-on dit hier au Quai d’Orsay.

Il y aurait eu ces jours derniers jusqu’à quatre-vingts heures d’attente pour entrer en Pologne, et plus de trente heures pour la Moldavie. Alors que 650 000 civils ont déjà quitté l’Ukraine, ils pourraient être bientôt plus de six millions.

Monsieur le Premier ministre, en plus de prendre en charge ces réfugiés qui arrivent de façon massive, pouvons-nous leur faciliter l’accès aux postes-frontières et, sans porter atteinte à la souveraineté des pays d’accueil, les aider sur un plan logistique à rétablir un flux susceptible d’éviter tout simplement une catastrophe humanitaire sur les routes ?

Les inquiétudes se portent aussi sur le ravitaillement. Bientôt, la capitale sera assiégée. Doit-on craindre un nouveau Sarajevo ?

Hommes, femmes et enfants se retrouvent piégés, parmi lesquels un peu plus de 1 000 Français. Les cellules de crise réalisent un extraordinaire travail de contact individuel, de localisation, de recensement et de soutien, mais elles n’ont pas de solution à proposer, l’évacuation aérienne étant pour l’instant, hélas !, une hypothèse à écarter.

Monsieur le Premier ministre, nous savons plus que jamais que les pires menaces prospèrent dans l’ombre.

À cet égard, je souhaite exprimer une inquiétude particulière concernant la sécurité des installations nucléaires en Ukraine, M. l’ambassadeur d’Ukraine en France m’ayant alertée sur l’incapacité du pays à garantir le fonctionnement du site de Tchernobyl, tombé entre les mains des Russes. L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) appelle à la plus grande prudence sur ce sujet, mais ne peut pas exclure la possibilité qu’une augmentation de l’ambiance radiologique ait pu être constatée. Il s’agit donc d’un point de vigilance.

Danger à Kharkiv, danger à Kiev, danger sur les routes de l’exode, danger sur les sites sensibles : l’Ukraine n’est que danger et douleur. L’Ukraine n’est que courage. Face à l’ennemi, la pression massive d’une Europe unie et déterminée doit être absolue. Nous croyons en l’efficacité de cette stratégie, après avoir tant cru aux canaux diplomatiques qui, malgré tout, restent et doivent rester ouverts.

Nous mesurerons dans les jours qui viennent l’impact de la rupture des échanges avec la Russie et, dans le même temps, les limites de nos fragilités et dépendances économiques et énergétiques.

À court terme, il nous faudra nous adapter à des pénuries de matières premières, à un prix du carburant prohibitif, à des hausses de prix probablement difficilement supportables et à des pertes de marchés. La paix est à ce prix.

Le groupe Union Centriste mesure tous ces enjeux et soutient fermement la politique nationale et européenne.

Dans mes veines coule autant de sang russe que de sang ukrainien. Nous sommes nombreux dans ce cas. J’espère encore qu’un être humain ne puisse pas tuer son propre frère.

Au péril de leur vie, près de 500 chercheurs et journalistes russes ont publié une tribune dans laquelle ils expriment leur protestation et exigent la paix. « Cette guerre est injuste et absurde », disent-ils, « la guerre avec l’Ukraine est un pas vers le néant ».

Il faut que Poutine, l’homme sans vérité, l’homme sans humanité, soit désormais un homme sans peuple et sans allié. Il faut qu’il soit seul, de plus en plus seul, et que ce soit son énorme et fatale fragilité. Le fil de l’histoire du peuple russe reprendra son cours. Faisons bien la différence entre le président Poutine et la nation russe qu’il tente de museler !

Nous sommes à l’heure des décisions collectives, qui doivent être à la mesure de l’immense leçon de courage que nous donne chaque Ukrainien, et en premier lieu le président Zelensky.

« L’Ukraine se bat avec la certitude qu’elle défend le monde entier », nous a dit M. l’ambassadeur Vadym Omelchenko. Répondons-lui ici, dans ce même hémicycle, qu’il n’est pas seul, que l’Ukraine n’est pas seule, que le peuple ukrainien n’est pas seul. Slavia Ukraini, gloire à l’Ukraine ! (Applaudissements.)