M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Hervé Berville, secrétaire dÉtat auprès de la Première ministre, chargé de la mer. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de la possibilité que vous nous avez offerte d’échanger, de discuter et d’avancer sur ce sujet passionnant qu’est celui des abysses et des grands fonds marins. Comme vous l’avez dit, les mers et les océans couvrent 71 % de la surface de la planète et constituent dans leur plus grande partie ce que l’on nomme « les grands fonds », à savoir des eaux d’une profondeur entre 200 et 6 000 mètres qui couvrent 65 % de la surface du globe.

Vous le savez, la France de par son histoire, sa géographie et ses territoires ultramarins est une grande puissance maritime. Le Président de la République et la Première ministre, dans la feuille de route qu’elle m’a confiée, ont pour objectif de tout faire pour protéger nos océans, pour valoriser nos espaces maritimes et pour que la France devienne une puissance maritime du XXIe siècle, capable de porter des actions exemplaires non seulement sur son territoire, mais aussi à l’international.

Car la puissance maritime, mesdames, messieurs les sénateurs, ne se résume pas à la puissance militaire ou économique ; elle implique aussi – je le crois profondément et votre rapport l’a parfaitement montré – une puissance scientifique, de sorte qu’il faut se donner les moyens d’avoir une stratégie pour la recherche marine. En effet, comme vous l’avez parfaitement décrit au cours de vos travaux, la connaissance des grands fonds marins est la condition indispensable pour mesurer tous les effets qu’ils recouvrent, pour les valoriser, pour tenir compte de leur fragilité et in fine pour les protéger.

Nous disposons d’un comité interministériel de la mer, le CIMer, qui en janvier 2021 a défini l’exploration scientifique des grands fonds marins comme sa priorité. Vous l’avez très bien dit, nous ne connaissons qu’une infime partie de ces territoires, qui restent à nos yeux sans doute encore plus étrangers que l’espace.

Il s’agissait donc de poser un premier cadre, grâce au comité interministériel de la mer, qui s’inscrit dans une architecture de gouvernance très claire pour nous, même si je sais qu’elle a pu susciter un certain nombre d’interrogations. Elle s’organise autour de la Première ministre, du secrétaire d’État chargé de la mer et d’une coordination assurée en lien avec le secrétaire général de la mer.

Le même dispositif existe dans d’autres domaines, comme celui de la défense, avec un ministre de la défense et un secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, ou bien celui de l’Europe, avec un ministre délégué auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe et un secrétaire général des affaires européennes. Il permet d’assurer une coordination qui prend en compte l’aspect interministériel des enjeux.

Je souhaite que la priorité définie par le CIMer soit mise en œuvre dans le cadre du parlement de la mer, c’est-à-dire du Conseil national de la mer et des littoraux, instance de concertation principale qui réunit les usagers de la mer, les ONG, les élus de tous les territoires et les services de l’État. C’est en son sein que sera discutée la stratégie nationale pour la mer et le littoral que nous aurons à construire d’ici à 2023. C’est également là que nous défendrons les priorités pour les grands fonds marins, que nous déclinerons les investissements et que nous prendrons en compte les spécificités des territoires.

Pour satisfaire votre deuxième recommandation, monsieur le rapporteur, je nommerai une personne qui s’occupera du pilotage des grands fonds marins et qui fera le lien entre l’aspect financier, défini dans le plan France 2030, et la planification que nous aurons à établir partout dans les territoires.

Grâce à cette gouvernance, je suis convaincu que nous pourrons mieux concerter, décider et financer les priorités sur les grands fonds marins, qui nous permettront de répondre à tous les objectifs que vous avez définis.

Conformément à une autre recommandation de votre rapport, nous augmenterons le soutien à la recherche pour développer nos capacités en la matière, dans le cadre du CNRS, de l’Ifremer et de l’IRD. Nous mobiliserons toutes les forces de la recherche française pour atteindre un double objectif, celui de la préservation des océans et de l’exploration des grands fonds.

Vous l’aurez compris, ce sujet est porté au plus haut niveau par le Président de la République, dans le cadre de France 2030, et par la Première ministre grâce au CIMer et à la coordination qui se fera au niveau de mon secrétariat d’État. Comme plusieurs d’entre vous l’ont dit, nous devons concentrer tous les financements sur l’exploration. Celle-ci servira à la recherche scientifique pour mieux comprendre le fonctionnement des écosystèmes et le rôle des grands fonds marins dans le système océanique et climatique.

Nous investirons par exemple dans un projet de planeurs sous-marins français pour étudier le volcan sous-marin de Mayotte ou encore dans des campagnes en mer conduites grâce à l’utilisation d’un drone, développé par une entreprise française et mis en œuvre par l’Ifremer, au milieu de l’Atlantique.

Nous mènerons en parallèle une action forte à l’international, avec pour objectif de développer une stratégie multilatérale sur les grands fonds marins. La France n’exploite pas dans ses eaux territoriales et nous nous mobilisons pour convaincre les autres pays de s’engager dans cette voie, sous l’égide de l’AIFM, qu’il faudra transformer, notamment en ce qui concerne les financements. Il s’agit de faire en sorte que les pays soient suffisamment nombreux à défendre cette position pour qu’elle l’emporte.

Les sujets de recherche sont nombreux pour la France. Il faudra les traiter en tenant compte des enjeux stratégiques de maîtrise des grands fonds marins, de défense et de surveillance de nos territoires. C’est là toute l’ambition du ministère des armées qui accompagne cette stratégie d’exploration des fonds marins.

Mesdames, messieurs les sénateurs, l’ambition scientifique est bien là et je sais qu’elle est collective et partagée par le Sénat. Je formule le vœu – et je suis convaincu qu’il se concrétisera – que nous pourrons atteindre nos deux objectifs : d’une part, faire de la France un leader dans l’exploration des fonds marins et relever le défi de la connaissance scientifique pour que le dernier espace inexploré de la planète soit mieux connu ; d’autre part, nous doter des moyens pour accroître cette connaissance. Les missions que nous avons lancées permettent aussi de tester le matériel français de manière que notre pays soit toujours à la pointe en matière scientifique.

Permettez-moi de conclure par ces vers de José-Maria de Heredia que je trouve très beaux :

« Ils regardaient monter en un ciel ignoré

« Du fond de l’Océan des étoiles nouvelles. »

Continuons à porter l’ambition maritime de notre pays, et longue vie à la mer et à la France ! (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Michel Canévet, président de la mission d’information.

M. Michel Canévet, président de la mission dinformation « Exploration, protection et exploitation des fonds marins : quelle stratégie pour la France ? ». Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier les différents orateurs des groupes qui ont relayé la vingtaine de recommandations que la mission a élaborées, tout en apportant des éclairages sur certains aspects particuliers.

Je remercie tout particulièrement le rapporteur Teva Rohfritsch pour l’excellent travail accompli. Notre mission d’information a entendu en audition plus de soixante experts. Il en ressort que la dimension politique est essentielle sur le sujet des fonds marins. Nous devons donc continuer d’investir très largement dans ce domaine.

Les connaissances manquent sur les grands fonds, de sorte qu’il faut poursuivre l’exploration. La science pourra ainsi nous informer et nous faire connaître toutes les richesses qu’ils recèlent.

Soyons clairs, il faut des moyens pour soutenir la recherche et pour renouveler la flotte océanique. C’est en partie grâce à elle que l’Ifremer est reconnu sur la scène internationale, en matière de connaissance maritime. L’Institut doit pouvoir se doter des outils qui lui permettront de continuer ses recherches.

J’ai bien noté la préoccupation de Philippe Folliot quant à l’avenir du Nautile, qui est effectivement un outil très important.

La France, c’est une ambition maritime et je suis heureux que Joël Guerriau ait réaffirmé celle, nécessaire, de la Bretagne à cinq départements, comme l’est actuellement la Normandie si je me réfère à Jean-Michel Houllegatte… (Sourires.) Il n’y a pas de raison que la Bretagne fasse moins bien que la Normandie, d’autant qu’elle a entretenu de tout temps un lien historique très fort avec la mer, qu’il faut préserver.

Monsieur le secrétaire d’État, 322 millions d’euros de crédits ont été prévus dans le plan France 2030, qui doivent servir à soutenir un certain nombre d’actions, non pas seulement en subventionnant quelques projets, mais aussi en accentuant la commande publique.

En effet, lorsque nous avons rencontré les industriels, il est apparu que nous devions nous montrer plus actifs dans ce domaine. Nous avons pu observer, notamment en Norvège, que le soutien à la commande publique était opérant, de sorte qu’un certain nombre d’industriels se montraient extrêmement efficaces. Il faut que la France suive ce modèle qui s’affiche désormais de manière bien réelle et non plus sous des dehors de science-fiction. Ainsi, des autorisations ont été délivrées à Nauru Ocean Resources, une filiale du groupe canadien TMC, pour l’exploitation de nodules polymétalliques dans la zone de Clarion-Clipperton.

Par conséquent – vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État –, il faut consolider l’AIFM pour qu’elle veille à rendre efficace l’application du code minier, à renforcer les moyens de contrôle et à modifier son mode de financement.

Enfin, Joël Guerriau l’a rappelé, la guerre des fonds marins s’est particulièrement développée. On l’a constaté en mer Baltique, mais elle peut survenir dans l’Atlantique, en Méditerranée, dans la zone indopacifique ou indianocéanique. Il est donc nécessaire de mettre en place une protection très forte, car les enjeux énergétiques, de télécommunication ou de maintien de la biodiversité sont essentiels dans ces régions. Il importe que nous puissions préparer l’avenir.

Je conclurai en rappelant que le sujet des grands fonds marins est d’une importance absolue dans notre pays, car il y va de notre souveraineté économique, militaire, industrielle et écologique. L’enjeu est immense pour le XXIe siècle, et la France doit s’en emparer.

Je vous remercie tous pour votre participation et vos propositions. (Applaudissements.)

M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Abysses : la dernière frontière ? ».

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Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 5 octobre 2022 :

À quinze heures :

Questions d’actualité au Gouvernement.

À seize heures trente :

Débat d’actualité sur le thème « Atteintes aux droits des femmes et aux droits de l’homme en Iran » ;

Débat sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale ;

Proposition de loi visant à actualiser le régime de réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce, présentée par Mme Nathalie Goulet (texte de la commission n° 902, 2021-2022).

Le soir :

Débat sur les conclusions du rapport « Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique ».

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures vingt-cinq.)

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER