Mme le président. La parole est à M. Thomas Dossus.

M. Thomas Dossus. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, Guillaume Gontard vient de vous présenter le potentiel de la filière française du chanvre du point de vue industriel. Pour ma part, je souhaite me focaliser sur un produit particulier de cette filière : le CBD (cannabidiol).

En préambule, un effort de définition s’impose, tant la confusion peut régner sur ce sujet.

Quand on évoque le chanvre, le CBD ou le THC, on parle de deux espèces de plantes très proches biologiquement. Si le chanvre est un produit issu du traitement de la fibre de ces plantes, le CBD et le THC sont des molécules provenant des fleurs.

Lorsque l’on parle de cannabis récréatif, on parle du THC. Rappelons-le pour éviter tout amalgame : le CBD n’a strictement rien à voir avec le THC. Nous parlons bien de deux molécules différentes, avec des effets différents. Si le THC est considéré, à juste titre, comme un psychotrope, avec tous les risques d’addiction afférents d’un point de vue médical, le CBD n’engendre pas d’addiction et les effets psychotropes sont inexistants. À ce titre, il n’est pas recherché lors des tests de dépistage des stupéfiants par les forces de l’ordre.

Lorsque l’on parle de CBD en tant que produit commercialisé, on parle d’extrait de fleur de chanvre, que certains trouvent apaisant, antistress, présentant un taux de THC inférieur à 0,2 %, très largement au-dessous du seuil à partir duquel se manifestent les effets psychoactifs.

Pourtant, une certaine confusion existe parfois dans les esprits. Lorsque l’on regarde l’évolution de la législation autour du CBD, on constate que cette confusion règne jusqu’au sommet de l’État, et ce dès l’apparition de la filière en France, au grand dam du secteur agricole.

Les premières boutiques de vente de CBD apparaissent dans notre pays en 2018. La police en a fermé de manière régulière, en raison d’une mauvaise interprétation d’un arrêté de 1990, daté et inadapté à ce nouveau marché.

Pour y remédier, en juin 2018, la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives a eu la brillante idée de distinguer le CBD synthétique du CBD récolté naturellement.

Sans même mentionner le côté scientifiquement inepte de cette distinction, celle-ci a mis la France en situation de non-respect du droit européen, non-respect confirmé par la Cour de justice de l’Union européenne en novembre 2020, en raison d’une entrave aux principes d’égalité devant la loi et de libre-échange au sein de l’Union.

Pour y remédier, le Gouvernement a eu une nouvelle idée plus brillante encore, donnant lieu à un arrêté en décembre 2021 : autoriser le CBD en tant que molécule, mais interdire la commercialisation de la fleur de chanvre ainsi que son utilisation en infusion.

Ce nouveau trait – bien français – de génie administratif n’a pas mis longtemps à recevoir le jugement qu’il méritait, à savoir une suspension par le Conseil d’État en janvier 2022. Le jugement au fond est encore attendu.

Ces deux décisions du Gouvernement témoignent bien d’un malaise sur le sujet, d’une confusion, d’une instrumentalisation de la filière CBD à finalité morale et d’une forme de déni de la science. Nous le disons et le répétons : le CBD n’est pas une drogue, même s’il contient des traces infimes de THC.

Il faut d’urgence en finir avec cette confusion entretenue à dessein, car des emplois et des filières agricole, industrielle et commerciale sont en jeu. Le CBD satisfait la demande de 7 millions de consommateurs, au travers de 1 800 boutiques spécialisées, et représente plus de 30 000 emplois si l’on prend en compte la production, la distribution et la commercialisation. Tous ces commerçants vivent une grande insécurité à cause de ces revirements réglementaires et craignent pour leur avenir.

Si, au contraire, on en finissait avec cette confusion permanente et que l’on soutenait réellement la filière, on pourrait créer des dizaines de milliers d’emplois supplémentaires.

Le CBD n’est ni une drogue ni un produit addictif. Il est utilisé dans toutes les tranches de la société, à tous les âges. Les Françaises et les Français aiment ça !

Madame la secrétaire d’État, finissons-en avec la confusion permanente et revenons à la science, laquelle fait bien la distinction entre les molécules du THC et du CBD. Permettons l’essor de toute une filière composée d’emplois locaux et de commerces de proximité. Le pouvoir réglementaire est entre vos mains : utilisez-le à bon escient ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)

Mme le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, lorsqu’on additionne toutes les vertus du chanvre, on ne peut être que conquis.

Aucune autre plante ne semble cumuler autant d’avantages, ne coche autant de cases en ce qui concerne les bénéfices environnementaux et économiques.

Nous sommes tous d’accord pour dire que le chanvre – cela a déjà été avancé par mes collègues – est avant tout une plante consommant peu d’eau. Au sortir d’une année marquée par la sécheresse, alors que la question de la préservation de la ressource en eau est de plus en plus aiguë, cet atout est considérable.

Notre climat est particulièrement propice à son développement ; ce dernier est rapide : entre la graine et la récolte, il ne s’écoule que quatre mois, pour un rendement maximal.

Cette plante n’a pas besoin d’herbicides, de fongicides ou d’insecticides. Là encore, c’est une bonne nouvelle pour la ressource en eau : pour se développer, cette plante n’a pas besoin de polluer les nappes phréatiques avec des traitements ou des intrants chimiques.

Autre atout : cette plante est tout indiquée dans la rotation des cultures. En effet, elle régénère la terre et permet, à la culture suivante, un gain de rendement de 5 % à 10 % pour les céréales.

En outre, le chanvre est un excellent piège à carbone ; on considère qu’un hectare de chanvre absorbe au moins autant de CO2 qu’un hectare de forêt.

Le chanvre a également l’avantage d’intéresser de multiples secteurs, ce qui lui garantit de nombreux débouchés, comme mes collègues l’ont déjà indiqué.

Dans l’alimentaire, les graines de chanvre et l’huile de graines sont des compléments alimentaires reconnus pour l’humain comme pour l’animal.

Dans l’industrie cosmétique, de nombreux produits utilisent de l’huile de graines de chanvre, dont les vertus sont reconnues.

Dans le bâtiment, la laine de chanvre est l’un des isolants naturels les plus efficaces. De même, le béton de chanvre est de plus en plus reconnu pour ses qualités naturelles.

Dans l’industrie automobile, le lin et le chanvre ont de nombreuses propriétés communes ; on les retrouve dans les matériaux composites.

Dans l’industrie textile, les tiges de chanvre, possédant une forte résistance, peuvent être utilisées pour faire des vêtements et des cordages.

Dans mon département, l’Eure, une coopérative du Neubourg vient d’inaugurer une toute nouvelle usine de teillage du lin : la French Filature. C’est une petite révolution dans le milieu textile. En effet, la Normandie, terre de lin, détient la moitié des surfaces de culture en Europe, mais elle n’avait plus aucune filature, le lin étant systématiquement expédié vers l’Asie. Avec cette filature, on peut désormais produire pour l’habillement du lin 100 % tracé made in France. Cette usine représente un investissement de 5 millions d’euros, qui va permettre de produire plus de 250 000 tonnes de fils de lin par an. À l’avenir, cette filature pourrait aussi servir au filage du chanvre.

En Normandie, l’enjeu est réel : 10 500 agriculteurs ont plus de 60 ans et se préparent à partir à la retraite d’ici à 2028. Autrement dit, un agriculteur sur trois va cesser son activité et devra être remplacé.

La culture du chanvre pourrait constituer un marché extrêmement prometteur, ouvrir de nouveaux horizons à nos agriculteurs et, même, motiver les plus jeunes à s’installer ou à reprendre les exploitations familiales.

Tout bien considéré, cette plante a un seul inconvénient, mais pas des moindres : il faut maîtriser et limiter son taux de THC, cette substance psychotrope qui la différencie de la marijuana. En dépit des propriétés formidables de cette plante, de ses nombreuses applications et de toutes ses perspectives prometteuses, il nous faut donc faire preuve de prudence sur les produits de consommation à base de cannabidiol.

En effet, le CBD n’est pas classé comme un stupéfiant, mais il demeure tout de même une substance à effet psychoactif, dont les risques pour la santé des consommateurs n’ont pas encore été complètement évalués. Malgré la pression de tout un secteur et le fait que ce sont les cultivateurs de chanvre de pays étrangers qui profitent à l’heure actuelle de notre marché intérieur, nous devons approfondir nos connaissances scientifiques sur le CBD avant de délimiter un cadre législatif.

Le CBD est autorisé à la commercialisation en France, mais des progrès doivent être faits pour mieux contrôler les produits mis sur le marché. La filière, qui voit dans ce débouché « bien-être » une opportunité de développement, pousse pour établir des normes, pour procéder à des contrôles de teneur, mais aussi pour encadrer les méthodes d’extraction et d’analyse, et fixer des seuils réglementaires transitoires.

Ce sujet est technique, mais il est fondamental et ne supporte pas l’approximation. En effet, lors de l’extraction du CBD de la plante – le chanvre –, il existe un risque, si l’extraction est mal maîtrisée, de concentrer l’extrait en THC. Or le seuil de toxicité aiguë de celui-ci est très bas.

Une réflexion interministérielle en cours vise à délimiter le cadre d’une politique de contrôle pour écarter du marché les produits les plus problématiques ; le ministère de la santé s’interroge sur la toxicité du CBD, le ministère de l’intérieur sur son caractère addictif. La proposition de résolution prévoit des orientations intéressantes sur une telle politique de contrôle ; elles méritent d’être approfondies.

L’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA, ou EFSA, selon l’acronyme anglais) procède actuellement à des évaluations plus précises sur le CBD. Nous gagnerions, sans nul doute, à définir nos politiques publiques sur la base de ces données scientifiques affinées, même si les résultats de ces études ne seront pas connus avant plusieurs mois.

En outre, il faut être attentif à ce que le développement de la filière CBD n’assèche pas mécaniquement, par sa rentabilité, les autres débouchés, porteurs de souveraineté alimentaire ou énergétique.

Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI s’abstiendra sur cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme le président. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz.

M. Gilbert-Luc Devinaz. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, si, depuis la nuit des temps, la culture du chanvre a accompagné l’histoire de l’humanité, cette plante a bien failli disparaître au XXe siècle avec l’arrivée de la pétrochimie. La France est restée le seul pays à maintenir sa production. C’est pourquoi elle est leader sur le marché européen.

La nécessité actuelle de produire sain, sûr, durable et accessible à tous remet cette plante au goût du jour. Elle répond parfaitement aux attentes sociétales et environnementales, ne nécessitant pas de produits phytopharmaceutiques, d’irrigation et d’organismes génétiquement modifiés (OGM). Le chanvre est un réservoir à biodiversité et absorbe autant de CO2 que la forêt. De plus, sur notre territoire, la filière est, de la sélection variétale à la transformation, 100 % française. Ajoutons que les produits qui en sont issus sont compostables ou recyclables en fin de vie.

Toutefois, cette culture entraîne un travail important. Elle nécessite souvent de quatre à sept passages d’outils agricoles et du matériel spécifique très coûteux. La récolte est donc un frein au développement du chanvre auprès des agriculteurs.

Le chanvre est probablement la plante la plus polyvalente connue de l’humanité. Elle n’est malheureusement connue du grand public que par sa fleur !

Dans le secteur du bâtiment, le recours au chanvre y est en expansion depuis plusieurs années du fait de ses qualités en matière de régulation thermique, de résistance au feu ou de légèreté. L’interprofession se fixe comme objectif majeur la construction du village olympique de Paris 2024 avec du chanvre. Le recours à la paille ainsi qu’aux fibres de lin et de chanvre sera notamment accru ; il pourrait alors représenter un débouché important et une vitrine médiatique forte pour la filière.

Avec mes collègues de la délégation sénatoriale aux entreprises, j’ai visité, en mars dernier, l’entreprise de ciment Vicat située à Feyzin, dans la métropole de Lyon, au cœur de la vallée du Rhône. La solution de blocs de chanvre à emboîtement conçue par Vicat a été primée par l’Institut français pour la performance du bâtiment. Cette solution brevetée utilise des granulats de chènevotte et un liant à base de ciment, ce qui lui confère des performances exceptionnelles. Cela représente un débouché important pour ce secteur en total renouvellement.

Plus généralement, la culture du chanvre peut représenter l’un des piliers de notre réindustrialisation écologiquement responsable.

Elle peut être utilisée dans la filière de la construction locale, s’appuyant sur les cultures durables du chanvre et du bois. Elle peut intéresser l’industrie textile locale, étant beaucoup plus économe en eau et en intrants que celle du coton. Elle peut être employée dans le développement des bioplastiques, plus légers et compostables, ou dans la réinvention de la filière papier. Elle peut être exploitée pour le développement de protéines végétales, afin de diversifier notre alimentation. Elle peut servir dans les industries cosmétiques, pharmaceutiques et de bien-être.

Néanmoins, cette filière à usage industriel n’a pas bénéficié du plan de relance ; l’examen de ce texte me donne l’occasion de le souligner. En effet, les projets n’étaient pas prêts. Or l’accompagnement de l’État est nécessaire pour la massification industrielle de la filière. Cette dernière a l’avantage d’être en phase avec les objectifs de neutralité carbone de la France, tout en étant une industrie au savoir-faire local bien implantée territorialement.

Dans le secteur textile, le chanvre est une solution écologique qu’il est urgent de déployer pour transformer le modèle de production. Pour cela, des investissements industriels importants sont nécessaires.

La rémunération des producteurs est également un enjeu majeur pour permettre aux chanvrières de répondre à la demande en hausse face à de tels débouchés, et ne pas freiner leur développement.

En outre, si nous voulons que les qualités du chanvre et le dynamisme de sa filière soient reconnus, il faut accompagner le développement des matériaux biosourcés dans le cadre de la rénovation énergétique des bâtiments. Former, informer, inciter !

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le chanvre doit être au cœur de la relance de notre économie, pour accroître notre souveraineté, renforcer nos territoires et réduire les impacts environnementaux de nos activités. Qu’attendons-nous ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

Mme le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe CRCE votera en faveur de cette proposition de résolution visant au développement économique de la filière du chanvre et à l’amélioration de la réglementation des produits issus de ces plantes.

Tout devrait assurer un développement majeur de la culture et de la transformation du chanvre dans notre pays. Nos collègues l’ont déjà dit : la plante et sa culture sont parfaitement adaptées au climat français, consomment peu d’eau et d’intrants, n’entraînent pas de destruction des sols – bien au contraire – et retiennent efficacement le carbone.

Les usages sont variés, cela a également été dit : tissu, nourriture, bâtiment, substitut naturel au plastique et – bien sûr – vertus thérapeutiques.

Dès lors, pourquoi de telles opportunités ne se concrétisent-elles pas, ou, en tout cas, pas assez ?

La raison est qu’une variété de chanvre, à savoir le cannabis, produisant une fleur aux effets psychotropes, est considérée comme un stupéfiant. Au motif de combattre cette plante et son usage, les réglementations sont restrictives, bien au-delà de ce qui serait nécessaire ; elles sont également instables, freinant le développement de cette filière très utilisée pour la transition écologique.

Pourtant, il existe désormais – nous le savons, mais il faut le rappeler – des variétés avec un très faible taux de THC, sans effets psychotropes et stupéfiants. De surcroît, on sait qu’un autre principe actif, le CBD (cannabidiol), a des propriétés apaisantes, produisant, dans certains cas, un effet sur des douleurs que d’autres formes de produits ne parviennent pas à affaiblir. Il est issu d’une variété unique de cannabis, cannabis sativa L.

On ne sait pour quelle raison, dans le pays de la rationalité, on a instauré une réglementation aussi peu intelligente, et qui n’est cohérente ni avec les exigences de la législation contre les stupéfiants ni avec notre capacité à développer dans tous les domaines l’usage du chanvre, consommation de CBD comprise.

Soyons clairs : nous n’ouvrons pas ici ni ne contournons le débat sur la légalisation du cannabis. Le sujet est tout autre ; il ne faut pas entretenir la confusion. Pourtant, chaque fois que le chanvre est évoqué, j’ai l’impression que nous avons les yeux rivés, avec une sorte d’angoisse, sur le cannabis. Je le répète : il faut avoir une attitude rationnelle et ne pas tout confondre.

Sur la réglementation du CBD, nos collègues ont déjà évoqué les imbroglios, les enjeux, les incompréhensions, comme nous-mêmes l’avons fait maintes fois dans cet hémicycle. À mon sens, en l’état actuel de la situation, il faut nous en tenir à la réglementation européenne. Les autres pays ne sont pas plus insouciants par rapport aux risques de santé ou au problème des stupéfiants.

Il faut nous saisir de cette réglementation, l’adapter, de manière claire, à notre pays et permettre, en particulier, l’usage direct de la fleur et des tisanes à base de cette plante, car ces dernières ne sont pas stupéfiantes.

J’entends nos collègues nous répliquer que l’Europe s’interroge sur la révision de cette législation. Prenons cette dernière telle qu’elle est : nous la ferons évoluer quand l’Europe l’aura fait évoluer ! L’argumentaire prétextant qu’il faut attendre l’Europe avant de faire évoluer une réglementation, nous l’avons entendu au sujet des Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft)… et nous attendons toujours ! Je suggère d’agir dans le cadre de la législation actuelle et de la faire évoluer le moment venu.

Cela suppose de développer, conformément à l’objectif mentionné dans la proposition de résolution, des organes de contrôle. Ils donneraient l’occasion de se pencher sur les tests de dépistage des stupéfiants, certains séparant désormais les agents actifs – cannabis d’un côté, CBD de l’autre – selon les teneurs en THC. Établir une cartographie des plantations de chanvre permettrait, d’une part, de contrôler plus facilement les cultures illégales et, d’autre part, de voir comment la filière évolue pour vérifier si elle est au rendez-vous de son développement.

Je voudrais insister sur un point : la consommation de CBD en France, qui se développe énormément, provient à 90 % de produits de l’étranger. Franchement, c’est aberrant, et d’autant plus aberrant qu’il est répété à longueur de temps qu’il faut regagner notre souveraineté…

Mme le président. Veuillez conclure, chère collègue.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Mes chers collègues, pour les autres usages du chanvre, le consensus me semble assez large et d’aucuns auront peut-être l’occasion de nuancer leur propos. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

Mme le président. La parole est à Mme Daphné Ract-Madoux.

Mme Daphné Ract-Madoux. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les multiples qualités du chanvre semblent, ce matin, faire l’unanimité. Mon propos reprendra peu ou prou ce que vous avez précédemment entendu dans les différentes interventions.

Des tout premiers livres imprimés au XVe siècle aux voiles de bateaux qui ont permis de découvrir l’Amérique, le chanvre a eu, au fil des siècles, le vent en poupe. La culture du chanvre a ainsi, discrètement mais sûrement, accompagné notre histoire. Fleurs, fibres, granulés ou chènevottes, la plante, sous toutes ses formes, est utilisée dans des secteurs aussi nombreux qu’éclectiques : agriculture, pharmacie, BTP, alimentation, cosmétiques, textile et, même, oisellerie.

De 2900 avant notre ère à la fin des années 1930, la culture millénaire du chanvre est un impondérable des sociétés humaines. Le chanvre est même qualifié de produit de première nécessité, au même titre que le pain, jusqu’au XIXe siècle !

Pourtant, peu avant la moitié du XXsiècle, cet âge d’or se termine : la filière dépérit progressivement, souffrant de la concurrence des plastiques et de l’amalgame fait avec la production du cannabis, avant de connaître un nouveau souffle dans les années 1990.

Mes collègues du groupe Union Centriste et moi-même souhaitons d’ores et déjà être clairs : nous voterons aujourd’hui cette proposition de résolution afin de promouvoir la filière économique du chanvre. THC, cannabis, substances psychotropes, là n’est pas le sujet.

Oui, la culture du chanvre, sous ses différentes formes, est une filière économique d’avenir pour notre pays. Leader européen en la matière, la France peut voir plus grand. La filière doit, à ce titre, être pleinement soutenue dans le cadre du plan France 2030.

Oui, nous pouvons nous appuyer sur le chanvre pour contribuer, dès maintenant, à bâtir notre transition écologique. Préservant la qualité de nos sols, faiblement vorace en eau et requérant peu ou pas de produits phytosanitaires, le chanvre présente des qualités écologiques évidentes, que nous ne pouvons ignorer.

Oui, la culture du chanvre peut être un atout pour notre agriculture en offrant une diversification des activités et des revenus complémentaires.

Non, le chanvre n’est pas portion congrue dans l’équation économique actuelle. En 2020, cette culture comptait près de 1 414 producteurs et représentait environ 30 000 emplois directs et indirects.

Dans mon département, l’Essonne, la culture du chanvre passe par l’entreprise Gâtichanvre, laquelle travaille avec près de cent agriculteurs partenaires pour produire 1 000 hectares de chanvre, dont la moitié en bio. Cette société réalise la première transformation de la plante : le défibrage de la paille. Cela permet, par la suite, la production de papier, d’isolants, de routes ou encore de biocomposites. Preuve de la variété des productions de la filière, l’entreprise produit également de la chènevotte, qui alimente les marchés du paillis, de la litière, mais également le bâtiment pour des enduits, bétons et blocs de chanvre. Je tiens à saluer le travail d’excellence fait par l’ensemble des acteurs du groupe, en Gâtinais et, dorénavant, dans les départements limitrophes.

À l’aune des atouts de cette filière méconnue, je souhaite féliciter nos collègues du groupe écologiste pour la qualité de leur travail sur cette proposition de résolution. Loin des clichés éculés et d’un inventaire à la Prévert dépourvus d’intérêt, c’est un texte de qualité, qui permet d’alerter les pouvoirs publics sur les changements nécessaires pour développer sereinement la filière.

Cependant, nous devons rester vigilants et nous assurer que nous posons les bases d’une filière souveraine et écoresponsable, en construisant des écosystèmes économiques locaux et des débouchés industriels en France.

Chers collègues, c’est pour cela que, avec ma collègue Annick Billon et le groupe Union Centriste, je voterai ce texte afin de développer, dès demain, avec exigence et ambition, la filière chanvre. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)

Mme le président. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Henri Cabanel. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il a fallu attendre un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, en 2020, pour que la France autorise enfin les extraits de chanvre et le CBD en tant que molécule. Néanmoins, il nous faudra encore compter sur le Conseil d’État pour que la commercialisation de la fleur de chanvre soit possible.

Les auteurs de la proposition de résolution l’ont souligné, ce dont je tiens à les remercier : les revirements insécurisent la filière, laquelle représente déjà 30 000 emplois directs et indirects. Si ces aléas juridiques ne cessent pas, la France prendra un retard considérable dans le développement de la culture du chanvre, alors même que notre pays en est le premier exploitant d’Europe grâce à des conditions climatiques favorables.

Bien entendu, nous savons qu’en toile de fond il y a l’image du chanvre et de ses usages psychotropes. En effet, les enjeux sanitaires n’échappent à personne.

Mon groupe soutient toutes les politiques de lutte contre les addictions aux stupéfiants. La consommation régulière de cannabis met en péril la santé physique et psychique de nombreux jeunes ; il est important de le souligner. Toutefois, ne nous trompons pas de débat, car la légalisation du cannabis en est un autre.

Par conséquent, je le rappelle clairement : ce qui nous intéresse, au travers de ce texte, c’est l’avenir des produits CBD dépourvus d’actif psychotrope ou contenant moins de 0,3 % de THC. Il s’agit d’apprécier le large potentiel de développement du chanvre au regard de ses atouts sur le marché : textile, construction, papier ; il ne faut pas non plus oublier ses vertus cosmétiques et pharmaceutiques.

Face à cela, comme nous y invitent les auteurs de la proposition de résolution, l’agriculture française pourrait profiter d’une filière plus dynamique encore, à condition que le Gouvernement prenne une position claire et éclairée.

Mes collègues ont parfaitement présenté les qualités du chanvre : économe en eau, adapté pour la rotation des cultures, et offrant une qualité de drainage. Son exploitation peut donc s’inscrire dans une démarche durable et bénéficier de labels, comme cela est proposé.

En outre, le développement du chanvre peut être, dans certains territoires ruraux, un pilier de la reconquête industrielle.

Le RDSE souhaite toutefois poser quelques conditions.

La première est que son exploitation ne concurrence pas d’autres cultures essentielles à l’objectif de souveraineté alimentaire, que nous sommes nombreux à défendre sur ces travées. Sa bonne rotation avec d’autres cultures apporte une première garantie.

La seconde condition est que sa production et sa commercialisation répondent à des critères de sécurité et de contrôle.

L’interprofession se dit prête à un contrôle renforcé des parcelles de chanvre et à leur déclaration pour la traçabilité des fleurs. Je retiens également les propositions, présentes dans le texte, relatives à la conduite de tests sur les teneurs en CBD et en THC des produits bruts.

Les flux de marché doivent être surveillés. Pour cela, le développement de la filière doit s’exercer dans un environnement réglementaire sécurisé sur le plan national – comme je l’ai dit – ainsi que sur le plan européen par une uniformisation du taux de THC.

Le fameux arrêt Kanavape impose à chaque pays, au nom de la libre circulation des marchandises, la reconnaissance des teneurs légalement fixées par ses partenaires, ce qui crée des normes différentes d’un pays à l’autre. Cette situation peut compliquer la tâche des services de contrôle, que ce soit la douane ou la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.

Au titre des services que les producteurs de chanvre pourraient rendre, au travers du stockage de carbone ou le développement de matériaux biosourcés, je souhaite que l’amont de la filière soit soutenu comme le sont les autres filières.

Mes chers collègues, la culture du chanvre présente un intérêt certain pour notre économie. Disons-le aussi : ses produits dérivés répondent à une demande sociétale autour du bien-être. Dans ces conditions, la majorité de notre groupe approuve la proposition de résolution et vous demande, madame la secrétaire d’État, de ne pas laisser la filière perdre pied au profit d’autres pays mieux préparés. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, INDEP, UC, SER, CRCE et GEST.)