M. le président. Eh bien, ce sera votre conclusion, mon cher collègue !

M. Jean-Pierre Sueur. Il recommande d’œuvrer contre…

M. le président. Mon cher collègue, le temps est contraint pour tout le monde.

La parole est à Mme Cécile Cukierman. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le service public de la justice a besoin de soutien et de considération.

Monsieur le garde des sceaux, vous nous présentez une augmentation de son budget de près de 8 %, en vous félicitant d’un triplé historique. Pour autant, pour nous, comme pour de nombreux acteurs du monde judiciaire, ces efforts budgétaires demeurent insuffisants pour combler les difficultés structurelles de la justice, car nous partons de trop loin. L’institution judiciaire est dans un état plus que dégradé, et les crises internes qu’elle subit exigent que nous agissions en responsabilité.

Nous dénonçons à cet égard un budget qui reste parmi les moins élevés en Europe, alors que la souffrance des acteurs de la justice ne saurait être minimisée. Nous soutenons ceux d’entre eux qui dénoncent l’accent mis sur le rendement, au détriment d’une justice humaine. Le temps de l’écoute et de l’étude n’est malheureusement pas celui de la justice française.

Nos magistrats ne sont pas en cause dans ce constat : cette situation est le fruit de vingt années d’abandon humain et budgétaire de la justice par les ministères successifs. Malgré les efforts fournis cette année, la justice continuera à se rendre au rabais.

À titre d’exemple, la France compte 11 juges professionnels pour 100 000 habitants, contre 22 en moyenne en Europe. Cet écart se manifeste également à propos des effectifs d’autres personnels indispensables. Ainsi, les greffiers et les assistants spécialisés sont également moins nombreux en France que dans d’autres pays.

Nous le martelons depuis des années : il faut donner des moyens aux juridictions et suspendre les réformes. Leur mise en œuvre à un rythme accéléré, sans augmentation parallèle des crédits et sans outils informatiques adaptés, provoque l’épuisement du système judiciaire.

Par ailleurs, nous constatons que l’administration pénitentiaire se voit accorder une hausse de crédits de 268 millions d’euros pour 2023. Ses moyens restent toutefois nettement insuffisants au vu de la menace grandissante qui pèse sur son personnel.

Les difficultés de cette administration restent prégnantes : les heures supplémentaires sont trop nombreuses et le rythme de travail est harassant. Face à cela, vous concentrez les moyens sur l’extension du parc carcéral, une mesure qui, de surcroît, ne permettra pas de résoudre le problème de la surpopulation.

À ce propos, rappelons que les taux d’incarcération et de surpopulation carcérale en France sont parmi les plus élevés d’Europe. Les conditions de détention indignes dans les prisons françaises sont régulièrement dénoncées depuis de nombreuses années, et la loi du 8 avril 2021 tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention n’y répond pas entièrement.

Enfin, nous insistons pour que soient octroyés à la justice des mineurs des moyens humains et matériels significatifs, afin que la détection des violences et la protection des enfants ne soient pas illusoires. À nos yeux, la prévention est le moyen le plus efficace d’assurer la protection judiciaire de la jeunesse.

Vous l’aurez compris, nous ne voterons pas les crédits de la mission « Justice » en l’état, car ils ne correspondent pas à nos exigences et aux besoins de nos concitoyens en la matière, non plus qu’à ceux des personnels de la justice.

M. le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Arnaud de Belenet. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le budget qui nous est présenté aujourd’hui est ambitieux et s’inscrit dans une dynamique pluriannuelle. Les crédits alloués à la justice judiciaire, par exemple, sont en hausse pour la troisième année consécutive.

Monsieur le garde des sceaux, vous démontrez ainsi par les chiffres l’engagement du Gouvernement en faveur du monde judiciaire, lequel en a vraiment besoin. Les États généraux de la justice ont toutefois confirmé un diagnostic maintes fois répété : notre justice va mal. Elle est lente, parce qu’elle est débordée, et ses personnels sont souvent en souffrance et démotivés.

Parmi les annonces récentes, l’augmentation de traitement substantielle dont vont bénéficier les magistrats en 2023 est naturellement une très bonne chose. Elle leur permettra d’être rétribués, à l’instar de leurs homologues des juridictions administratives, à la hauteur de leur investissement professionnel et des lourdes responsabilités qu’ils assument. Elle contribuera également, peut-être, à renforcer leur motivation.

Soyons clairs : de la motivation, il en faut pour les personnels de votre ministère ! Il en faut aux surveillants pénitentiaires, qui souffrent d’un déficit d’image ; il en faut aux greffiers, ainsi qu’aux magistrats traitant de la justice pénale. J’entendais encore cette semaine, à l’occasion d’un rassemblement devant le tribunal judiciaire de Paris, le témoignage d’un magistrat décrivant une audience de comparution immédiate qui s’est terminée à cinq heures du matin !

Il en faut aussi, même si l’on en parle beaucoup moins, aux praticiens de la justice civile. Cette justice du quotidien est rarement mise sur le devant de la scène médiatique ou politique ; elle est pourtant bien souvent la seule justice à laquelle seront confrontés nos concitoyens au cours de leur vie. Elle est couramment passée sous le boisseau, mais sa situation est également alarmante.

Les magistrats souffrent face à une charge de travail considérable, qui conduit certains d’entre eux à évoquer une perte de sens de leur travail. Nos concitoyens subissent aussi cette situation, en raison de la lenteur du processus judiciaire, laquelle a d’ailleurs déjà provoqué des condamnations de la France. Nous savons pourtant tous ici que, en vertu du paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue […] dans un délai raisonnable, par un tribunal ».

Lors d’un récent déplacement au Québec, vous avez réaffirmé, monsieur le ministre, votre volonté de développer largement le règlement des litiges à l’amiable. On ne peut que s’en féliciter, tant l’expérience montre qu’une telle procédure est de nature à améliorer la compréhension par nos concitoyens des décisions rendues, mais aussi à accélérer la conclusion de nombreux litiges ; il s’agit, en somme, d’une justice plus rapide et mieux comprise.

Pour développer la médiation et la conciliation, il faut d’abord que les magistrats et les avocats se forment et qu’ils soient plus sensibilisés sur le sujet. Il faut sans doute progresser en ce sens.

Nous aurons l’occasion d’aborder de nouveau ces sujets dans le cadre du projet de loi de programmation qui est encore en préparation et qui prendra la suite de la loi portée par votre prédécesseur pour la période 2018-2022.

Ce texte nous permettra, au-delà de la discussion budgétaire pour l’année 2023, d’aborder la question des investissements à long terme de votre ministère, notamment en matière immobilière.

Comme vous l’avez rappelé lors de votre audition devant notre commission, il faut prévoir et préparer l’accueil des recrutements que vous avez annoncés. Cela passe par des investissements massifs dans l’immobilier de nos juridictions, qui en ont cruellement besoin.

Il convient de mieux accueillir les justiciables, bien sûr, mais aussi d’améliorer les conditions de travail des agents actuels et des renforts humains qui les rejoindront au cours des cinq années à venir. En la matière, la marge de progression est importante.

On peut regretter, au-delà de l’état général de certains bâtiments, le manque d’autonomie dans la gestion du quotidien des tribunaux. Remplacer une ampoule, effectuer des travaux d’entretien ou des réparations basiques : autant de tâches pour lesquelles chaque chef de juridiction devrait être capable d’agir rapidement et de manière autonome, avec des moyens dédiés suffisants, sans devoir entrer dans un processus administratif lourd et inutile.

Je ne développerai pas, en outre, la question de l’introduction des chiens en support des victimes au pénal – notamment des victimes mineures, qu’ils contribuent à apaiser –, qui pose de nouveaux problèmes logistiques et de personnel.

Ce souhait d’autonomie concerne également les fournitures : la fameuse pénurie de ramettes de papier est encore le quotidien de nos juridictions.

M. Michel Canévet. C’est du concret !

M. Arnaud de Belenet. Et je ne parlerai même pas des logiciels, qui ont déjà été évoqués par Dominique Vérien.

Enfin, l’article 44 ter rattaché à cette mission prolonge jusqu’au 31 décembre 2027 la possibilité de déroger au principe d’encellulement individuel des personnes détenues en maison d’arrêt.

Avec un taux d’encellulement individuel de seulement 20,1 %, il était, certes, illusoire de penser que nous serions capables de respecter ce principe au 31 décembre 2022. Pour autant, nous ne cessons de prolonger ce moratoire depuis la loi pénitentiaire de 2009, alors même que ce droit à l’encellulement individuel était déjà affirmé dans la loi de 1875 sur le régime des prisons départementales…

Dès lors, continuer à brandir cet objectif a-t-il encore un sens ? Sur le plan des principes ou des objectifs à atteindre, probablement ; en matière juridique, ce type de moratoire me semble vain. Je forme le vœu que le vote de ce énième prolongement permette, notamment à la faveur de votre programme de création de 15 000 places de prison, de faire évoluer la situation un peu plus vite.

Monsieur le garde des sceaux, nous saluons les arbitrages budgétaires que vous avez réussi à obtenir dans le cadre de la mission « Justice » du PLF pour 2023.

Le groupe Union Centriste apportera donc son soutien à ses crédits, et nous attendons avec impatience et vigilance votre projet de loi de programmation, en espérant que celui-ci permettra d’inscrire dans la durée le rattrapage du retard accumulé ces dernières décennies.

Gardons à l’esprit que la France consacre aujourd’hui 72,50 euros par habitant à son système judiciaire, soit près de deux fois moins que l’Allemagne, et qu’elle est le seul des grands pays européens à dédier moins de 0,3 % de son PIB à la justice. Ici comme ailleurs, la paix sociale vaut davantage que cela. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa. (M. Patrick Kanner applaudit.)

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord évoquer la mémoire de Charlotte, l’histoire tragique d’une jeune magistrate de 29 ans qui s’est donné la mort le 23 août 2021 à Béthune.

Envoyée de tribunal en tribunal, elle comblait les effectifs manquants des juridictions du Nord. À ces conditions de travail difficiles s’ajoutaient des injonctions à aller toujours plus vite, symptôme d’une justice malade qui préfère un jugement rapide et dégradé à un jugement de qualité.

À la suite de son suicide, une pétition réunissant 3 000 magistrats et plus de 100 greffiers a vu le jour pour condamner une justice qui n’écoute pas et qui chronomètre tout.

Parlons de la magistrate Marie Truchet, qui s’est écroulée en pleine audience de comparution immédiate, le 18 octobre dernier, au tribunal de Nanterre, pour ne plus jamais se relever.

Il ne s’agit pas là de faits anecdotiques, mais de vies humaines, sacrifiées sur l’autel d’une justice à bout de souffle. Les États généraux ont d’ailleurs confirmé l’état de délabrement avancé de notre système judiciaire, qui ne parvient plus à exercer ses missions dans des conditions satisfaisantes.

La grève qui a rassemblé cette semaine greffiers et magistrats autour de ces questions constitue une illustration supplémentaire du ras-le-bol qui règne au sein du corps judiciaire.

Dans son rapport, le comité des États généraux met également l’accent sur l’importance de la réinsertion en prison.

Nous relevons une augmentation significative des crédits alloués à l’insertion professionnelle des détenus, dont 2,8 millions d’euros pour le renforcement du statut de détenu travailleur et 2 millions d’euros consacrés à la diversification des actions de réinsertion.

J’aurais aimé que l’on s’indigne autant de l’état de nos prisons que d’une séance de karting à la maison d’arrêt de Fresnes… Mes nombreuses visites en prison me permettent d’attester que les prisons françaises ne répondent pas à l’exigence de dignité à laquelle tout être humain peut prétendre. Nous ne soignerons pas le fléau de la surpopulation carcérale par l’élargissement du parc immobilier. La solution est ailleurs ; elle réside dans l’aménagement des courtes peines.

Monsieur le garde des sceaux, on ne peut nier tous les efforts financiers entrepris ces trois dernières années pour redresser le budget de la justice. Pour autant, 9,6 milliards d’euros suffiront-ils pour faire oublier trop d’années de négligence ?

Au vu de ces efforts, je voterai toutefois ces crédits, même si notre justice a besoin d’une réforme structurelle de fond, à tous les niveaux. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Artano. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Stéphane Artano. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, voilà maintenant trois ans que la justice de notre pays rattrape progressivement son retard budgétaire. Nous partions de très loin.

Les derniers rapports d’évaluation de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (Cepej) montraient que la dépense par habitant pour la justice judiciaire était en France inférieure à la moyenne européenne. Les récents exercices budgétaires devraient renverser cette tendance ; nous devons nous en réjouir et poursuivre nos efforts.

Dans l’ensemble, nous saluons les principales dispositions de ce budget : financement des revalorisations indemnitaires des magistrats et des greffiers ; mise en œuvre des recrutements nécessaires ; nouvelle hausse des crédits budgétaires portée par l’augmentation des frais de justice et par l’immobilier judiciaire ; développement des aménagements de peines et des mesures alternatives à l’incarcération. Tout cela nous semble aller dans la bonne direction.

Pour 2023, les crédits de la mission « Justice » connaissent une augmentation inscrite dans la continuité des deux exercices budgétaires précédents, et la dynamique observée en matière d’emplois doit être soulignée.

J’y insiste, tant les maux de la justice dans notre société se résument souvent à des questions de temps. D’un côté, le temps d’attente d’un jugement est trop long pour le justiciable, dont l’impatience se justifie ; de l’autre, le temps disponible pour les juridictions est trop limité, ce qui entrave leur capacité à rendre des décisions suffisamment motivées et comprises par nos concitoyens.

Aussi, toutes ces annonces budgétaires vont dans le bon sens, mais il reste du chemin à parcourir pour que notre justice retrouve légitimement sa place dans l’esprit de nos concitoyens et que ceux-ci reprennent confiance dans l’institution judiciaire.

Tout le monde pense spontanément à la justice pénale, mais d’autres services sont également sinistrés. J’ai en particulier à l’esprit la protection judiciaire de la jeunesse. De nombreux établissements qui en relèvent sont saturés en raison d’un manque de personnel et font face à des difficultés de recrutement, comme l’a souligné notre collègue Maryse Carrère, dans son rapport.

Éducateurs, chefs de service ou psychologues ne sont pas assez nombreux, parce que les postes manquent, mais aussi parce que ceux qui existent restent vacants, en raison d’une faible attractivité et d’une rotation élevée dans les services. La hausse des crédits est ici salutaire, mais elle ne suffira pas à désengorger ces structures.

Ajoutons à ce constat que la Cour européenne des droits de l’homme ne manque pas de condamner régulièrement la France en raison de la durée excessive de ses procédures.

Évidemment, personne dans cet hémicycle n’envisagerait de céder au désir archaïque d’une justice expéditive et hasardeuse. Il demeure néanmoins que des réformes procédurales adoptant des perspectives de simplification et d’allégement sont proposées périodiquement. Elles concernent la collégialité, dont l’usage est de plus en plus rare dans les juridictions, voire, plus radicalement, l’exclusion du recours au juge.

Le Sénat avait fait montre de sa prudence, et notre groupe avait dit ses inquiétudes, lors de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, au sujet de la généralisation de l’amende forfaitaire délictuelle.

Notre justice étant trop lente, chacun s’accorde à le constater, il faut trouver des solutions, mais celles-ci ne sauraient pour autant nous conduire à renoncer à notre procédure pénale ; sa complexité permet de garantir que les décisions qui en émanent sont équilibrées et répondent aux vertus de prudence, de tempérance, de justice et de force auxquelles notre République aspire. Aussi, à des procédures simplifiées, nous préférons un renforcement des moyens, humains comme matériels, et des formations.

Les magistrats, greffiers et avocats expriment régulièrement leur mal-être, par des grèves ou via des tribunes de presse ; ils nous font part de leur surcharge de travail, de leur découragement et de leur épuisement. Je suis certain, toutefois, qu’aucun d’entre eux ne voudrait renoncer aux principes fondamentaux de notre justice. Nous devons donc continuer à former et à recruter, sans jamais dévoyer notre droit processuel.

Pour ce faire, il faut des moyens. Ce budget en comporte, nous le saluons, mais l’effort n’est pas encore achevé. Le projet de loi de programmation qui est annoncé devra s’inscrire dans cette dynamique.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, tout en restant vigilant, le groupe du RDSE votera en faveur des crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François-Noël Buffet. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des finances, mesdames, messieurs les rapporteurs, cette intervention contiendra peu de chiffres, car j’entends laisser aux rapporteurs l’évocation des sujets financiers, pour tenir au nom de mon groupe un propos plus général.

La situation de notre justice est discutée au Sénat depuis longtemps. Un rapport de la commission des lois de 2017 avait fait date, en établissant un constat et en énonçant un principe, qui donnait son titre à ce travail : Cinq ans pour sauver la justice !

Il préconisait, à l’époque, une remise à niveau des moyens humains et matériels des services judiciaires et pénitentiaires, se traduisant par un projet de loi de programmation pour la justice, élaboré dans une grande concertation et fondé sur une étude d’impact approfondie, soumise au Parlement.

Ce document était clair. Malheureusement, il faut reconnaître que votre prédécesseur en a peu tenu compte. Vous n’y êtes pour rien, mais nous n’avons pas rencontré beaucoup d’écho, en particulier à l’occasion de la préparation de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

C’est dommage, parce que la situation s’est aggravée en 2021. L’Agora de la justice, que le président Larcher a organisée en septembre de cette année, avait débouché sur seize propositions, préconisant, notamment, la mise à niveau des effectifs dans les juridictions.

Il était question de combler en priorité les vacances de postes de greffiers ; de réévaluer les besoins des magistrats professionnels au regard des réformes intervenues ; d’augmenter le nombre d’officiers de police judiciaire ; de rendre plus attractives leurs fonctions et de renforcer leur formation continue ; de procéder à l’évaluation réaliste de toute évolution législative et réglementaire en matière de justice et d’en dresser un bilan rigoureux.

Nous nous trouvions déjà alors dans une période postérieure à la pandémie de covid-19, laquelle avait révélé des carences importantes dans le fonctionnement du dispositif.

Au moment où se tenait cette Agora, un sondage montrait que 53 % de nos concitoyens ne faisaient pas confiance à notre justice, trop lente à leurs yeux. En conséquence, en cas de litige, ils ne la saisissaient qu’en tout dernier recours.

Ces constats ont donné naissance, dans un contexte particulier, aux États généraux de la justice, après une pétition signée par 3 000 magistrats – ils seraient en réalité 7 000 ! – et une sollicitation forte du Gouvernement.

Le rapport issu de ces travaux a été rendu au mois de juillet dernier ; il a malheureusement confirmé les constats qui avaient déjà été faits en 2017. Reprenant les principes dont nous nous étions alors saisis, il a affirmé que, si une remise à niveau des moyens humains et matériels était nécessaire, il fallait surtout envisager une réforme systémique de la justice.

L’un des axes particuliers qui ressortent de ces travaux est la simplification de la procédure pénale. N’oublions pas, toutefois, que, si celle-ci est extrêmement importante, car elle touche à nos libertés, la procédure civile est plus encore en souffrance. Or elle est la justice du quotidien, la justice de celles et ceux qui n’iront pas en prison, mais qui ont besoin de récupérer un loyer ou une propriété, de discuter d’un conflit de voisinage, voire d’une dette. Elle est absolument essentielle.

Monsieur le garde des sceaux, en toute honnêteté, il faut saluer ce budget important, qui marque une troisième hausse consécutive, de 8 %, et qui atteint un peu plus de 9 milliards d’euros, ce qui n’est pas inintéressant. L’augmentation atteint maintenant 40 % depuis 2017, rejoignant ce que nous avions nous-mêmes recommandé. Il faut le dire.

Quelques points posent néanmoins question, moins sur le fond que sur notre capacité à mettre en œuvre votre projet.

Vous prévoyez ainsi la création de 10 000 emplois en plus sur le quinquennat. C’est très bien. Cependant, il conviendra d’assurer les embauches annoncées de 2 500 magistrats supplémentaires sur cinq ans sans sacrifier la qualité du recrutement, à laquelle tout le monde est attaché. La capacité de l’École nationale de la magistrature (ENM) est ce qu’elle est, mais ce n’est pas impossible.

En outre, la formation de 500 auditeurs de justice et de 1 000 greffiers par an nécessitera d’importants aménagements, tant pour les premiers que pour les seconds, mais aussi pour les surveillants pénitentiaires et les assistants qui complètent l’équipe entourant les magistrats.

Un orateur déplorait précédemment l’embauche de contractuels. Ces derniers ont pourtant été très utiles. Les magistrats que nous rencontrons dans les juridictions le confirment tous, et ils demandent d’ailleurs que ces emplois soient reconduits.

Prenons garde à ce que nous disons, mes chers collègues : la magistrature a besoin de confiance, de propos rassurants et de moyens pour continuer son travail.

Nous aurons peut-être quelques difficultés à recruter des surveillants pénitentiaires, mais il faudra bien trouver le moyen de rendre cette profession attractive et de fidéliser ses agents.

Vous avez revalorisé les rémunérations à hauteur de 117 millions d’euros, non pas pour chacun des magistrats – ils auraient sans doute apprécié (Sourires.) –, mais pour l’ensemble d’entre eux, de 50 millions d’euros pour les fonctionnaires et de 10 millions d’euros pour les greffiers.

Comme l’a rappelé le rapporteur pour avis Alain Marc, nous sommes attachés à la construction des 15 000 places de prison promises il y a des années. Combien de fois avons-nous déploré, à cette tribune ou dans d’autres cénacles, que ces places de prison ne soient toujours pas construites, et insisté sur la nécessité de les bâtir ?

Ces places de prison sont indispensables, d’une part, pour progresser, autant que faire se peut, vers l’encellulement individuel et, d’autre part, pour mener une politique pénale qui soit complète, c’est-à-dire qui repose non pas seulement sur l’incarcération pure et dure, mais aussi sur d’autres mesures de privation de liberté. Des lieux de semi-liberté sont nécessaires pour assurer cette complémentarité. Nous y serons attentifs, monsieur le garde des sceaux.

Au total, ce rattrapage était absolument nécessaire.

J’en viens au point, qu’il serait sans doute exagéré de qualifier de passionnel, mais que la commission des lois considère du moins comme important, du numérique. D’aucuns diront qu’il s’agit d’un marronnier, mais il faut bien reconnaître que cela reste un point faible. En 2018, Mme Belloubet avait déclaré que le numérique était « le cœur du réacteur ». Nous en étions d’accord !

Vous avez consacré des moyens financiers importants à ce chantier dans les trois derniers budgets, mais la question aujourd’hui n’est pas tant celle des moyens que celle de la mise en œuvre, monsieur le garde des sceaux. Cette remise à niveau doit être menée rapidement, afin de répondre aux attentes des magistrats, des greffiers et, en réalité, de tous les personnels de justice.

Je ne dis pas que nous en sommes au stade de la préhistoire (Sourires.), mais alors que d’autres ont réussi cette réforme, le ministère régalien de première importance qui est le vôtre a tout de même un terrible retard à rattraper.

Il est nécessaire de refonder la maîtrise d’ouvrage des applications et indispensable de renforcer la place du numérique au secrétariat général et dans les autres directions du ministère. Il convient, en somme, que notre justice soit équipée efficacement pour remplir ses missions.

Nous avons ce matin évoqué la mission « Sécurité », singulièrement la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur et les nouveaux moyens alloués, à hauteur de 15 milliards d’euros, au renforcement de nos services de police judiciaire et de sécurité publique.

Si cette réforme aboutit, nous disposerons de services de police performants et productifs. Il en résultera pour la justice une charge de travail supplémentaire qu’il lui faudra absorber.

L’attelage ne peut fonctionner que s’il est complet. Il faudra donc y veiller, pour ne pas nous retrouver dans une situation ubuesque où les magistrats peineraient à traiter de trop nombreuses arrestations et procédures. Le remède serait pire que le mal, mes chers collègues, et nous savons combien la situation peut s’enflammer rapidement.

Enfin, monsieur le garde des sceaux, il importe que ces efforts budgétaires soient non pas conjoncturels – je ne le crois pas –, mais structurels. Il convient en effet de doter notre justice de moyens pérennes et suffisants pour mener les autres réformes qu’il faudra engager. Je pense notamment au projet de loi, dont nous ne doutons pas qu’il viendra, relatif à la simplification de la procédure pénale, à l’évolution du droit civil et à l’adaptation de notre système judiciaire, qui est au service de l’ensemble de nos concitoyens.

Le groupe Les Républicains que je représente aujourd’hui suivra les avis favorables de nos rapporteurs sur l’ensemble de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Alain Marc.

M. Alain Marc. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, cette année encore, nous nous réjouissons de voir le budget de la justice progresser de 8 %.

Après avoir été délaissée pendant des années, notre justice en avait bien besoin, au point que les conditions d’exercice des professionnels du droit sont devenues insoutenables. Au point, aussi, que nos concitoyens ont perdu confiance en elle : en juillet dernier, 70 % des Français considéraient que la justice fonctionnait mal.

Lorsque l’on sait le rôle essentiel que cette institution joue dans notre société, aussi bien pour la cohésion nationale que pour la vie de notre démocratie, nous ne pouvions que nous en inquiéter. Il était urgent d’inverser la tendance. Le budget de la justice progresse ainsi de 26 % entre 2020 et 2023.

Comme la commission, nous notons la place prépondérante de l’administration pénitentiaire dans ce budget. La construction de places de prison est une nécessité pour assurer le respect de notre politique pénale. Elle s’impose aussi pour éliminer la surpopulation carcérale et permettre à notre pays de respecter ses engagements en matière de droits humains.

Les juridictions judiciaires ont également un impérieux besoin de crédits. Les magistrats sont débordés, et ils sont depuis longtemps en nombre insuffisant. Dans ces conditions, il est difficile de juger les affaires dans un délai raisonnable.

Le projet de budget pour 2023 prévoit un renforcement significatif des effectifs, que nous saluons, par la création de 1 220 postes nets, dont 200 postes de magistrats.

Autre mesure très attendue de ce projet de budget, les magistrats judiciaires vont bénéficier d’une revalorisation indemnitaire de 1 000 euros brut. Cette revalorisation nous paraît nécessaire pour maintenir l’attractivité de la fonction. Elle contribuera également à mettre fin à une inégalité entre les magistrats judiciaires et les magistrats administratifs ou financiers qui ne se justifiait nullement et à laquelle il est grand temps de mettre un terme.

Le monde judiciaire ne se limite pas aux magistrats, bien que ces derniers en soient la pièce maîtresse. Les greffiers sont également des acteurs très importants. Plusieurs dispositions de ce budget leur sont destinées, puisqu’ils bénéficieront d’une revalorisation indemnitaire et verront leurs effectifs renforcés.

Ce n’est pas à vous, monsieur le garde des sceaux, que nous apprendrons le rôle essentiel des avocats. Auxiliaires de justice, ils assurent la défense de nos concitoyens et se battent pour faire respecter leurs droits et libertés. Cette mission est encore plus nécessaire auprès de ceux de nos concitoyens qui sont les plus démunis.

Le budget de cette année prolonge la dynamique de l’augmentation de la rétribution des avocats d’aide juridictionnelle. Il s’agit ici non pas d’intérêts catégoriels, mais bien de l’accès au droit et au juge. Nous nous félicitons donc de cette augmentation.

Le volet numérique qu’évoquait François-Noël Buffet constitue aussi un chantier important. Comme beaucoup d’autres, le ministère de la justice fait face à des difficultés dans la numérisation de ses activités.

Nous souhaitons tous que l’augmentation du budget de la justice produise ses effets le plus rapidement possible. Les délais de jugement sont encore beaucoup trop longs : plus d’un an pour une affaire civile, deux ans pour un divorce et plus de quatre ans pour une affaire pénale. Nous ne pouvons pas nous en satisfaire. La justice prend du temps, mais tant qu’elle n’est pas passée, l’application du droit est comme suspendue.

Les augmentations de budget comme celles de ces dernières années contribuent à améliorer la justice de notre pays et à renouer la confiance entre les citoyens et leurs institutions – du moins, nous l’espérons.

Nul doute que les défis à venir nécessiteront de persévérer dans cette trajectoire. L’ensemble du groupe Les Indépendants – République et Territoires votera donc en faveur de l’adoption des crédits de cette mission.