M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel.

Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la question à laquelle nous devons répondre aujourd’hui est assez simple : un grand nombre de sénateurs et de sénatrices de tous les groupes, ou presque, souhaiteraient, comme les députés, travailler sur la question des droits de l’enfant au sein d’une délégation dédiée.

Qui juge utile la création d’une telle instance votera pour cette proposition de loi ; qui pense que cela ne sert à rien votera contre. (Mme Corinne Imbert et M. Bernard Bonne sexclament.)

Je vais tenter de vous expliquer pourquoi l’existence d’une telle délégation serait utile et pourquoi les écologistes voteront – évidemment – ce texte.

La demande de création d’une délégation sénatoriale aux droits de l’enfant est une demande de longue date des associations qui, dans ce pays, travaillent sur la question de l’enfance, et fait l’objet d’un soutien transpartisan au Sénat.

Pourquoi ?

Parce que la situation des droits de l’enfant, en France, n’est pas glorieuse…

Inceste, pédocriminalité, violences, santé physique et mentale, pauvreté, alimentation, sport, handicap et inclusion, éducation, questions pénales : il y a tant de sujets qui doivent être examinés du point de vue spécifique des enfants !

Je voudrais prendre un exemple, celui de l’inceste. Les victimes sont au nombre de 160 000 chaque année, soit en moyenne deux enfants par classe. L’inceste est un phénomène massif auquel, à ce jour, aucune politique publique n’a su répondre. Il faut regarder les choses en face : on ne sait pas gérer, on ne sait pas faire. Le nombre d’incestes, en France, ne diminue pas.

Et si l’on ne sait pas faire, c’est en partie parce qu’on ne part jamais du point de vue des enfants victimes.

On dit, par exemple, qu’il faut que les enfants parlent, mais on ne prend pas en compte le contexte qui fait que les enfants ne parlent pas, le système qu’est l’inceste, ses logiques propres et les logiques qui président à son omerta sociale, ni les conséquences qu’emporte le fait de parler, pour les enfants ou pour les adultes.

Et on insiste sur la réponse pénale.

Le problème, et c’est terrible, c’est que la perspective de la prison n’empêche pas les incestes et que la prison n’empêche pas les récidives – on aimerait tellement que ce soit si simple…

Aussi, faute de partir du point de vue des enfants concernés, on construit des politiques publiques qui gèrent l’existant : des victimes brisées, d’un côté, et des violeurs, de l’autre ; on fait parler les uns et on emprisonne – parfois – les autres. Mais on ne fait pas baisser le nombre d’incestes en France.

Ma conviction est que l’on ne pourra jamais construire une politique publique satisfaisante si l’on ne part pas du point de vue des enfants chaque fois qu’ils sont concernés.

Et c’est précisément ce qu’une délégation permet.

La création d’une délégation parlementaire spécifiquement chargée d’un sujet permet de se concentrer sur un point de vue qui, à défaut, parce qu’il est noyé parmi d’autres, n’est au fond jamais pris en compte.

Une telle instance permet de creuser des sujets spécifiques, via un travail d’information, d’enquête et de recherche, au-delà du travail législatif ; l’activité des délégations déjà existantes en témoigne.

Toutes les raisons semblent donc réunies pour nous prononcer favorablement sur cette proposition de loi. Pourtant, la commission des lois s’y oppose, au motif que le sujet dont il est question est déjà traité ailleurs, notamment par la délégation aux droits des femmes.

Mais, précisément, c’est un problème ! Beaucoup d’enfants ne sont pas de futures femmes et il n’y a pas que les femmes qui ont des enfants… On s’accordera donc à dire qu’il n’y a pas nécessairement un grand lien entre ces deux sujets.

Par ailleurs, nous dit-on, un travail de commission continuera bien sûr d’être effectué sur les sujets de l’enfance par les commissions des affaires sociales, des lois, de la culture, de l’éducation et de la communication. Mais tant que ce travail reste éparpillé ici et là, nous manquons d’un espace politique de travail dont la perspective première soit l’intérêt de l’enfant et dont l’objet soit de réfléchir depuis ce point de vue aux différentes politiques publiques.

Un autre argument nous est opposé : il ne faut pas multiplier les délégations. Admettons… Mais le Sénat n’a-t-il pas créé en 2014 une délégation aux entreprises ? C’est très bien : je n’ai rien contre cette délégation, je suis sûre que le travail qu’elle abat est d’une grande importance. Doit-on comprendre, néanmoins, que ce qui est vrai pour les entreprises – il faut les étudier de manière transversale, en dehors des commissions permanentes, sous peine qu’elles soient l’angle mort des politiques publiques – ne le serait pas pour les enfants ? Cela n’est pas très sérieux… (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – MM. François Patriat et Michel Dagbert applaudissent également.)

Alors que nos collègues de l’Assemblée nationale se sont dotés d’une délégation aux droits des enfants, l’adoption de cette proposition de loi participerait à montrer que la volonté du Sénat n’est pas de perpétuellement s’opposer à toutes les avancées sociales. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER, CRCE, RDPI et INDEP.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)

M. Dominique Théophile. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Xavier Iacovelli prévoit d’inscrire dans la loi la création de délégations parlementaires aux droits de l’enfant à l’Assemblée nationale et au Sénat.

Ses signataires font le constat, largement partagé sur nos travées comme dans la société civile, que de nombreux défis restent à relever pour assurer le respect des droits de l’enfant dans notre pays.

Ce n’est pas la première fois que des initiatives législatives sont prises en ce sens. En 2003, l’Assemblée nationale se saisissait déjà de cette question en adoptant, sans toutefois qu’elle prospère, une proposition de loi de Jacques Barrot et de Dominique Paillé.

Plus récemment, en 2019, une proposition de loi du groupe CRCE était rejetée par le Sénat qui, suivant l’avis de la commission des lois, avait estimé que notre chambre se saisissait déjà pleinement de ces sujets et était en mesure de veiller efficacement au respect des droits de l’enfant.

Si, depuis lors, la position de la commission n’a pas changé, comme l’atteste l’avis défavorable émis par la rapporteure, le contexte politique, lui, n’est plus tout à fait le même.

Je ne reviendrai pas sur les mesures qui ont été prises par l’actuelle majorité, et encore tout récemment par la Première ministre – vous venez de les évoquer, madame la secrétaire d’État.

Je rappellerai seulement, faisant mien l’un des constats d’Unicef France, que la persistance d’inégalités tant sociales que territoriales, dont pâtissent en particulier les quartiers prioritaires de la ville et les territoires d’outre-mer, empêche un trop grand nombre d’enfants d’avoir accès à l’école et aux services de santé ou de protection.

Vous savez, mes chers collègues, mon attachement à ce sujet.

Les arguments qui plaident en faveur de la création de délégations parlementaires aux droits de l’enfant sont nombreux.

Créer une délégation, c’est créer un cadre pour des travaux approfondis et transversaux sur des questions jusqu’alors inexplorées ou abordées de façon parcellaire. Je pense notamment, en l’espèce, à la santé mentale des enfants ou à la pauvreté infantile, sujets sur lesquels il nous faut avancer.

C’est aussi offrir une visibilité supplémentaire aux travaux du Sénat. L’écho médiatique dont ont récemment bénéficié les rapports de la délégation aux droits des femmes est là pour le prouver.

La création d’une délégation aux droits de l’enfant au Sénat faciliterait par ailleurs les échanges avec l’Assemblée nationale et avec le Parlement européen, et permettrait un meilleur suivi de l’application des lois.

Un tel organe alimenterait enfin la réflexion du Gouvernement – dans le respect, bien sûr, de la séparation des pouvoirs –, en vue, notamment, de la transmission du rapport périodique de la France au Comité des droits de l’enfant des Nations unies.

Ce sont ces arguments, et ceux qui ont été avancés par notre collègue Xavier Iacovelli, qui ont présidé à la création, en septembre dernier, d’une délégation aux droits des enfants à l’Assemblée nationale.

Les auteurs de ce texte proposent au Sénat d’imiter l’Assemblée via l’inscription dans la loi de cette initiative parlementaire. Naturellement, le groupe RDPI votera pour. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mmes Cathy Apourceau-Poly, Laurence Cohen, Michelle Meunier, Maryse Carrère et Véronique Guillotin applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Esther Benbassa et M. Xavier Iacovelli applaudissent également.)

Mme Laurence Rossignol. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je vais vous lire quelques phrases ; je ne vous dirai qu’ensuite de quoi elles sont issues : « L’article 43 de la Constitution établit au demeurant la compétence des commissions pour l’examen des projets et propositions de loi. Cependant, la fragmentation des compétences illustre le caractère transversal de la question de l’égalité des droits. Elle peut entraîner un défaut préjudiciable de vision globale et constituer un obstacle […]. L’examen de textes successifs par différentes commissions peut ne pas pleinement permettre d’intégrer l’objectif d’égalité entre les sexes. »

Madame Jourda, l’extrait dont je viens de donner lecture est issu du rapport fait en 1999 par la commission des lois du Sénat sur un texte qui n’était certes pas une décision du bureau, mais bien une proposition de loi tendant à la création de délégations parlementaires aux droits des femmes, laquelle fut adoptée par notre assemblée. Il semble que parfois la commission des lois varie…

Vous avez, madame la rapporteure, égrené les différents travaux législatifs du Sénat qui ont concerné les enfants. En réalité, je n’ai pas compris ce que vous vouliez démontrer : que le Sénat examine les textes relatifs aux enfants déposés sur son bureau ? Mais c’est bien le moins ! Que parfois le Sénat va même jusqu’à proposer des évolutions législatives ? Derechef, c’est bien le moins : c’est notre travail !

Vous avez abondamment cité les rapports de la délégation aux droits des femmes. Je n’en espérais pas tant ! Justement, la délégation aux droits des femmes, à laquelle je participe depuis que je suis sénatrice, aimerait bien ne plus être chargée aussi de la question des enfants ! Voyez-vous, l’égalité entre les femmes et les hommes signifie aussi émanciper les femmes de la charge mentale qui consiste pour elles à s’occuper seules des enfants ; et cela vaut aussi pour les délégations parlementaires. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, GEST et RDPI. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Nous ne voulons plus de ça !

Voilà exactement quatre-vingt-dix-huit ans, la Société des Nations adoptait la Déclaration de Genève sur les droits de l’enfant. J’imagine que, si leurs auteurs assistaient à nos travaux aujourd’hui, ils seraient stupéfaits d’observer que l’idée d’une délégation aux droits de l’enfant, au Sénat, en 2022, rencontre toujours autant d’opposition et d’incompréhension – j’ai presque envie de parler d’ignorance. (Mmes Victoire Jasmin, Michelle Meunier, Émilienne Poumirol et Esther Benbassa applaudissent.)

Votre propos, madame la rapporteure, n’est pas un simple propos de forme. Je ne suis pas une petite poulette de l’année (Sourires.) : voilà longtemps que j’ai compris que les débats de forme cachent des oppositions de fond ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDPI. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. Michel Dagbert. Tout à fait !

Mme Laurence Rossignol. La question n’est pas celle de l’organisation de nos travaux ; elle est de savoir si vous êtes ou non d’accord pour que le sujet des droits de l’enfant soit traité de manière permanente par notre assemblée.

Mon sentiment est que vous ne savez pas ce que c’est que les droits de l’enfant, en réalité : les droits de l’enfant, ce sont avant tout les besoins de l’enfant, dans leurs multiples dimensions, et les politiques publiques qui vont garantir son bon développement, tant sur le plan social que sur le plan individuel, tout en lui permettant de vivre pleinement ce temps privilégié qu’est le temps de l’enfance.

Créer une délégation aux droits de l’enfant, c’est affirmer la cohérence d’une stratégie globale pour l’enfance, une stratégie décloisonnée, dont l’objectif est la mise en œuvre de politiques publiques favorables au développement de l’enfant dans ses cinq dimensions – développement physique, développement affectif, développement intellectuel, développement moteur, développement social – et dans le respect de ses droits. Les droits de l’enfant découlent de ses besoins fondamentaux.

Créer une délégation aux droits de l’enfant, ici, au Sénat, c’est nous doter d’une capacité d’expertise et ainsi nous donner les moyens d’agir au plus près des réalités que vivent les enfants et leurs familles. Et c’est anticiper, pour nous y adapter, les transformations familiales.

Je sais que les transformations familiales ont un peu tendance à électriser cette assemblée et à créer des réactions pour le moins tendues. Pour autant, elles existent, et ce n’est pas ici que l’on décide des transformations familiales : ici, on ne fait que les accompagner et garantir qu’elles respectent le principe d’égalité entre les membres de la famille ainsi que les droits de l’enfant. C’est cela, notre travail : ce n’est pas de nous opposer aux transformations familiales, sociétales, économiques, qui sont à l’œuvre.

Créer une délégation aux droits de l’enfant, c’est aussi décloisonner les politiques publiques. À l’heure actuelle, les politiques de l’enfance sont sectionnées : éducation, politique familiale, sport, santé. Or, justement, compte tenu du caractère multidimensionnel de son développement, les besoins et les droits de l’enfant nécessitent une approche panoramique. Un enfant, c’est la combinaison de différentes sphères de vie.

Je sais que, là encore, je vais choquer : on aimerait tellement que l’enfant ne soit que l’objet de sa famille, que seuls la famille et les parents puissent avoir la main sur le développement d’un enfant. Mais tel n’est pas le cas ! Un enfant est la combinaison de multiples dimensions : relations aux parents, vie à la maison, dans la ville, dans la nature, loisirs, sport, culture, citoyenneté, protection contre les violences sexistes et sexuelles, contre les écrans, contre la pauvreté. C’est tout cela, la politique des droits de l’enfant !

Et c’est tout cela dont nous voulons traiter, nous, sénatrices et sénateurs modernes, accompagnant un mouvement lancé voilà cent ans à la Société des Nations. Nous voulons pouvoir apporter notre capacité d’expertise : nous sommes, nous, parlementaires, le chaînon manquant entre les associations et les politiques publiques.

C’est la première fois que je vous entends, mes chers collègues, dire qu’en fin de compte le Parlement doit se dessaisir d’un sujet ou d’une compétence en le laissant soit à la société civile soit au Gouvernement. Non : nous voulons une délégation aux droits de l’enfant ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, GEST et RDPI. – Mmes Esther Benbassa et Colette Mélot applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, « [l]’enfant a le droit au respect de sa dignité et de son amour-propre […], [a]u respect pour chaque minute qui passe », comme l’écrivait le célèbre pédiatre polonais Janusz Korczak, inspirateur et précurseur de la Convention internationale des droits de l’enfant.

Le groupe CRCE, par son engagement constant en faveur des droits de l’enfant, s’inscrit dans une telle conception. Rappelons qu’en France c’est par la loi du 9 avril 1996 que le Parlement français décide de faire du 20 novembre la Journée nationale des droits de l’enfant, initiative issue d’une proposition de loi des sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen adoptée à l’unanimité le 14 octobre 1995.

Aussi soutenons-nous la proposition de loi de notre collègue Xavier Iacovelli visant à créer une délégation parlementaire aux droits de l’enfant (M. Michel Dagbert applaudit.), en souhaitant très franchement, mes chers collègues, qu’elle ne subisse pas le même sort que celle, identique, de notre groupe, qui fut rejetée ici même le 20 novembre 2019.

Pourquoi examiner à nouveau une telle proposition de loi ? Tout simplement parce que, trente-trois ans après l’adoption de la Convention internationale des droits de l’enfant, ceux-ci ne sont pas toujours respectés en France. Dans notre pays, un enfant sur cinq – soit près de 3 millions d’enfants – vit sous le seuil de pauvreté. En vingt ans, la proportion des enfants de moins de 18 ans vivant sous le seuil de pauvreté est passée de 16 % à 20 %. Des dizaines de milliers d’entre eux vivent et dorment dans la rue.

Nous ne pouvons ignorer non plus les inégalités en matière de santé, de logement, d’accès à l’éducation ou aux loisirs, qui demeurent considérables. Je ne peux ici qu’exprimer mon inquiétude et celle de mon groupe concernant des enfants étrangers, nés en France ou arrivés, seuls ou avec leurs parents, en provenance de l’étranger, qui vivent des situations particulièrement difficiles, contraints à une vie précaire, placés en centre de rétention, expulsés avec leurs parents.

Je tiens d’ailleurs à dénoncer le manque d’action de l’État face à la situation de ces mineurs qui, vivant dans un campement à Ivry-sur-Seine, sont installés depuis quelques jours devant le Conseil d’État. Le fait qu’ils soient étrangers ne peut en aucune façon expliquer ou, pis, justifier cette situation intolérable et profondément inhumaine. Nous ne sommes pas dans la France de Zola ; nous sommes au XXIe siècle, mes chers collègues : réveillons-nous, c’est inhumain !

En matière de justice, on assiste à un durcissement pénal depuis l’entrée en vigueur, le 30 septembre 2021, du nouveau code de la justice pénale des mineurs, qui remet profondément en cause l’ordonnance de 1945 et la primauté des mesures éducatives – un enfant est un enfant.

Pour toutes ces raisons, nous devons agir. Le Parlement doit être à l’initiative d’une veille et d’un contrôle plus assidus en ce qui concerne le respect des droits des enfants.

À l’heure des scandales qui éclatent sur les violences intrafamiliales, les agressions sexuelles, les incestes, nous devons ici, au Sénat, montrer une détermination sans faille afin de créer les conditions d’un travail rigoureux sur les droits des enfants. C’est ce qu’ont fait, fort à propos, nos collègues de l’Assemblée nationale le 13 septembre 2022.

Examiner des propositions de loi ou des projets de loi en bénéficiant du travail spécifique d’une délégation ne peut que constituer un plus. Je le mesure clairement avec la délégation aux droits des femmes, laquelle apporte une plus-value et une expertise, sans empiéter sur le travail des commissions saisies au fond. Le propre d’une délégation n’est-il pas, précisément, de traiter de sujets transversaux ?

Je ne partage donc pas les arguments de Mme la rapporteure sur la rationalisation des structures ou sur le renvoi de la décision au bureau du Sénat. C’est fuir ses responsabilités et c’est donner une image rétrograde de notre assemblée ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et RDPI.)

La France, pays des droits de l’homme, doit se montrer exemplaire en matière d’effectivité des droits des enfants et de leur enrichissement. La protection de l’enfance est un enjeu primordial que nous partageons sur toutes les travées, ainsi qu’avec le Gouvernement. Une délégation aux droits de l’enfant serait un signal fort envoyé aux associations, aux enfants de l’aide sociale à l’enfance (ASE), à toutes les actrices et à tous les acteurs impliqués sur cette question et qui veulent être entendus. Nous voterons donc cette proposition de loi. J’espère que nos collègues hésitants nous suivront ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.

M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, certaines interventions passionnées, voire enflammées, nous font revivre les rédactions de notre enfance sur le thème du cœur et de la raison. Nous venons d’entendre les voix du cœur, mais il existe aussi la voix de la raison. (Protestations sur les travées du groupe SER.)

Mme Laurence Rossignol. Nous ne sommes que des femmes, dominées par l’émotion…

M. Philippe Bonnecarrère. Nous avons bien compris, depuis l’intervention de Mme la rapporteure, que les voix de la raison sont moins appréciées que celles du cœur…

De quoi s’agit-il aujourd’hui ? Bien évidemment, les droits de l’enfant ne font pas débat dans cet hémicycle.

Mme Laurence Rossignol. Il n’y a jamais de débat !

M. Philippe Bonnecarrère. Quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, notre préoccupation unanime est la même à l’égard des droits des enfants. Pour le dire franchement, il n’y aurait pas, d’un côté, les conservateurs et, de l’autre, les modernistes. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Louault applaudit également.)

M. Philippe Bonnecarrère. Reste la question de savoir comment traiter les sujets pour que l’action publique soit la plus efficace possible. Deux options s’offrent à nous en ce qui concerne les travaux parlementaires : soit on les flèche vers une délégation spécifique au-delà des groupes d’études éventuels ; soit l’on considère que l’organisation parlementaire grâce à sa structure et à l’existence de commissions susceptibles de traiter du sujet a déjà son efficacité. Les deux positions peuvent effectivement se valoir.

Mme Vogel a parlé d’éparpillement ; pour ma part, je parlerai plutôt d’émiettement. Afin de ne pas éparpiller, nous disait-elle, le sujet entre les différentes commissions, nous avons besoin d’une délégation. Mais il y a un revers à chaque médaille : en créant une délégation sur tous les sujets transversaux, nous tombons cette fois dans l’émiettement puisque nous émiettons l’action parlementaire entre les différentes structures.

Mes chers collègues, nous pouvons nous parler en vérité : vous savez parfaitement qu’entre les débats dans l’hémicycle et le travail en commission ou en délégation, nous courons tous après notre agenda. Je ne suis donc pas certain que la multiplication des délégations soit une bonne réponse : il y a des limites à l’exercice…

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Supprimons la délégation à la prospective…

M. Philippe Bonnecarrère. Plus particulièrement, j’ai tendance à me méfier – je l’assume complètement – des effets d’affichage.

Mme Cohen a terminé son propos en disant qu’il fallait envoyer des signaux. Cette idée que la vie publique passerait par l’envoi de signaux ou l’organisation de journées mondiales de ceci ou de cela ne me semble pas pertinente !

C’est une logique d’émotion ou de communication. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si nous avons ce débat au moment où il est question d’inscrire toutes les normes juridiques dans notre Constitution. À quel moment est-on dans l’action publique ? À quel moment est-on dans l’affichage ? Faisons attention à ne pas tomber dans l’abus…

C’est la raison pour laquelle la majorité du groupe Union Centriste ne soutiendra pas la création d’une délégation parlementaire aux droits de l’enfant, même si certains parmi nous en approuvent depuis le début l’idée.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. L’émotion sans doute ?…

Mme Laurence Rossignol. Il s’agit peut-être de femmes ?

M. Philippe Bonnecarrère. Les propos de Mme Jourda ou les miens plaidant en faveur d’une méthode de travail efficace et rationnelle ne devraient pas poser trop de difficultés au sein de notre assemblée. Le rapport fait au nom de la commission des lois ne fait-il pas état d’une note du bureau nous demandant, sur la base d’un rapport d’Alain Richard, notre actuel président de séance, d’« éviter la dispersion des sénateurs et donc la multiplication, la polysynodie des structures » ? Quoi qu’il en soit, au-delà des débats au sujet de la polysynodie au début de la Régence de Louis XV, je ne suis pas certain que l’usage d’un tel lexique soit suffisant à répondre à nos préoccupations… (Sourires.)

Plus sérieusement, notre assemblée mène de nombreux travaux et assure un contrôle soutenu sur les sujets les plus variés. Je ne comprends donc pas les critiques émises par plusieurs intervenants. M. Théophile a indiqué il y a quelques minutes que nous devrions avoir un meilleur suivi de l’application des lois dans le domaine des droits des enfants. Vous savez bien, mes chers collègues, qu’il s’agit là d’une de nos préoccupations majeures : cela vaut pour la question des droits des enfants comme pour tous les autres sujets !

Je ne crois pas que notre assemblée ait à rougir de son travail continu – dont la meilleure preuve est la multiplicité des travaux réalisés – ni de sa capacité à assurer la transversalité. Au bout du bout, chacun prendra, bien sûr, ses responsabilités.

Mmes Laurence Cohen et Laurence Rossignol. Votre temps de parole est écoulé !

M. Philippe Bonnecarrère. Effectivement, je vous prie de bien vouloir m’en excuser, j’arrête donc là mes remarques… (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Laurence Cohen. Sans doute le cœur aura-t-il pris le pas sur la raison ?

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la création d’une délégation parlementaire aux droits de l’enfant se heurte une nouvelle fois au refus d’un grand nombre de nos collègues de la commission des lois.

Les raisons que celle-ci invoque, vous m’excuserez, sont peu argumentées. Comme en 2019, vous justifiez le rejet de ce texte par des considérations relatives à la méthode du travail parlementaire.

Nous avons été élus pour porter la voix de nos concitoyens et de nos collectivités. Les services de l’aide sociale à l’enfance sont saturés et manquent de moyens pour agir.

Par exemple, en novembre 2021, un nourrisson âgé de seulement 13 mois est décédé, battu à mort par ses parents alors même qu’il faisait l’objet d’un signalement et qu’il bénéficiait d’une mesure de protection de l’enfance. Ce drame aurait pu être évité.

Je pourrais vous citer tellement de tragédies liées à l’inceste et à la maltraitance qui se finissent ou par un suicide ou par un coup mortel. En l’occurrence, la responsabilité de l’État est immense.

Le rapport de l’inspection générale des affaires sociales (Igas) met en évidence un enchaînement de circonstances défavorables et de défaillances profondes dans le système de l’ASE.

En plus de son dernier rapport accablant, la Défenseure des droits, Mme Claire Hédon, s’est saisie, le 15 novembre dernier, de la situation alarmante et préoccupante des mineurs placés dans le Nord et la Somme. Les juges des enfants de ces départements ont alerté sur le manque de places en foyer, les placements non exécutés et les mesures d’assistance éducative non prises en charge, avec des délais excédant les six mois. Une véritable rupture s’opère entre les enfants laissés pour compte et l’État largement désengagé.

La Défenseure des droits l’affirme : la protection de l’enfance n’est plus dûment assurée dans certains territoires. Selon la Fondation Abbé Pierre, un quart des personnes sans domicile fixe (SDF) aujourd’hui sont d’anciens enfants placés.

Vous voudriez alors nous faire croire qu’il n’est ni légitime, ni efficace, ni cohérent de créer cette délégation parlementaire aux droits de l’enfant ? Que ce soit dans les domaines de l’éducation, de la santé, notamment depuis l’épisode de covid, de la justice et de la protection de l’environnement, les enfants ont une place à part entière dans nos politiques publiques !

Engageons-nous réellement dans cette cause et créons enfin cette délégation, qui serait une fenêtre ouverte du Parlement pour y faire entrer l’enfant, un organe d’action et de propositions. Je voterai cette proposition de loi et je remercie son auteur, M. Iacovelli. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDPI. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)