Mme le président. Votre temps de parole est épuisé ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)

La parole est à Mme Angèle Préville, sur l’article.

Mme Angèle Préville. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à prendre la parole pour évoquer de nouveau ce dont ont parlé mes collègues. Face au choix, crucial pour l’avenir, que constitue la construction de nouveaux réacteurs nucléaires – cette question relève aussi d’un choix de société –, un débat public réel s’impose, autour du recours même au nucléaire, et pas seulement de futures installations sur certains sites prédéfinis.

Ce grand débat, à la mesure de ce que représente ce choix, stratégique et politique, reste selon moi le premier impératif. Je rappelle que les difficultés posées par les réacteurs actuels ne sont toujours pas résolues, après plusieurs dizaines d’années de fonctionnement.

Premièrement, les déchets radioactifs sont toujours stockés à la surface. On approche de la saturation en attendant un stockage de longue durée à Bure.

Deuxièmement, s’ajoute à cela le réchauffement climatique, ainsi que le besoin d’eau qu’il entraîne. Nous le subissons actuellement – sécheresse, diminution des quantités d’eau, fermeture de centrales, comme celle de Golfech, sur la Garonne – ; or il faut de l’eau pour refroidir une centrale, c’est un impératif absolu.

Troisièmement, enfin, reste le risque ultime de l’accident, toujours réel, toujours possible. Si l’on peut être reconnaissant à EDF, à l’ASN, à l’IRSN de leur bonne gestion de la sûreté nucléaire, nous ne sommes à l’abri de rien. On le mesure au vu de l’actualité, à bien des égards préoccupante, tant géopolitique qu’au regard d’événements extrêmes amenés à se multiplier. Je rappelle donc que, dans ce choix, nous devons associer les Français. Cela me paraît absolument nécessaire.

Mme le président. La parole est à M. Jacques Fernique, sur l’article.

M. Jacques Fernique. Fessenheim aurait été « exécutée »… C’est l’expression que j’ai entendue tout à l’heure. (Oui ! sur des travées du groupe Les Républicains.) À tous ceux qui répètent, en boucle, que la fermeture de Fessenheim aurait été une terrible erreur attentant gravement à notre souveraineté énergétique, je voudrais juste rappeler quelques éléments.

Ses deux réacteurs n’étaient manifestement pas en mesure de passer leur quatrième visite décennale (VD4), qui aurait dû intervenir en 2020 pour l’un et en 2022 pour l’autre. L’ASN – ce n’est pas moi qui le dis – avait imposé, en 2012, la mise en place de diesels d’ultime secours pour 2018. EDF avait commencé à le faire, mais en prenant beaucoup de retard. L’ASN a donc accordé un délai supplémentaire, mais, sous prétexte de fermeture de la centrale, EDF a refusé cette prescription.

Le renforcement du radier séparant les réacteurs de la nappe phréatique avait été très insuffisant : cette amélioration ne faisait que ralentir l’avancée du corium, sans l’arrêter. Rappelons qu’avant Fukushima, son épaisseur était de 1,20 mètre, contre 4 mètres en moyenne pour les autres centrales, et 8 mètres pour Fukushima. L’ASN, compte tenu d’une amélioration, même limitée, a autorisé la poursuite de l’exploitation jusqu’à la fin du cycle de la troisième visite décennale (VD3), mais cela n’aurait pas été possible après la VD4.

Enfin, la falsification commise aux ateliers du Creusot pour faire passer des aciers non conformes – on se souvient des fameux dossiers barrés – a touché de nombreuses centrales : à Fessenheim, la virole, qu’il avait fallu remplacer sur le générateur de vapeur n° 335, et qui avait provoqué 666 jours d’arrêt, était elle-même encore incorrecte. Cela avait amené l’ASN à n’autoriser qu’à titre transitoire le fonctionnement du réacteur 2, en mode dégradé et pour la seule VD3 : encore une fois, cela ne serait pas passé pour la VD4. Ce réacteur détenait le triste record du nombre d’incidents sur l’ensemble des centrales françaises, avec une production particulièrement intermittente.

En clair, les réacteurs étaient en fin de vie et, par pragmatisme, les investissements pour se hisser au niveau requis pour la VD4 n’avaient pas été jugés possibles. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme le président. La parole est à M. Fabien Gay, sur l’article.

M. Fabien Gay. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous avions déposé quelques amendements à ce titre Ier, déclarés irrecevables, au sujet du statut des salariés. En effet, notre collègue centriste avait raison : si l’on donne un signal clair selon lequel on veut refaire du nucléaire, il faudra de l’attractivité pour faire venir les talents. Eh oui ! Il faudra aussi construire les filières de formation. Or, pour l’instant, le signal envoyé depuis dix ans à nos meilleurs ingénieurs, à nos meilleurs techniciens et à nos meilleurs soudeurs, c’est de ne plus venir dans le nucléaire, car on ne le développera plus !

Un des éléments d’attractivité – je sais que nous pouvons avoir ce débat ici –, c’est le statut, et en particulier le statut de la sous-traitance. En effet, une des raisons du retard de l’EPR de Flamanville, ce ne sont pas les procédures administratives, c’est la construction.

M. Fabien Gay. Or, quand on discute avec les ingénieurs, les syndicats, mais également les responsables d’EDF, tous nous disent que la question de la sous-traitance est posée en grand.

Je sais que vous vous évertuez à casser les statuts. On vous l’avait dit, par exemple, sur les cheminots en 2018 : nous vous avions prévenus que vous auriez un problème, que cela coûterait plus cher et que personne ne voudrait venir. Discutez-en avec M. Farandou aujourd’hui : il vous dira que les concours de recrutement sont ouverts, mais qu’il y a peu de candidats.

Pareil à la RATP ! Discutez-en avec M. Castex, qui vient justement de tenir une intéressante conférence de presse sur le sujet : il vous parlera des 1 000 démissions que la régie a recensées l’an dernier. Voilà le résultat !

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. C’est pareil chez McDo !

M. Fabien Gay. L’un des critères de l’attractivité, c’est le statut. Certes, on paie moins cher les gens quand on ne le leur accorde pas, mais le faire est un gage de sécurité sur le long terme.

Ne pas vouloir parler des enjeux de formation et du statut des salariés de plein droit, comme de celui des sous-traitants, madame la ministre, posera problème. Et vous ne relancerez pas le nucléaire « lourd » sans salariés très bien formés et sous statut.

Mme le président. La parole est à M. Daniel Salmon, sur l’article.

M. Daniel Salmon. Je sais que la mode est aujourd’hui à la réécriture de l’Histoire. (Marques dirritation sur des travées des groupes Les Républicains et UC.) C’est pourquoi je vais prendre quelques instants pour vous raconter la petite histoire du développement du nucléaire en France.

On a tout simplement décidé, dans les années 1970, d’investir massivement dans le parc nucléaire français. On partait alors de l’hypothèse que l’on consommerait 1 000 térawattheures d’électricité en l’an 2000. On a donc décidé d’agir fortement.

En fait, il s’est avéré que l’on était loin de consommer ces 1 000 térawattheures. Mais, comme il faut bien entretenir la filière nucléaire française, on a continué de construire des centrales. Le dernier réacteur à avoir été fabriqué et livré, celui de Civaux, l’a été en 2002.

Que faire de ce surplus d’énergie ? Eh bien, il a été décidé de le vendre à perte en Europe. Le contribuable français offre ainsi de l’énergie à ses voisins européens !

M. François Bonhomme. Oui, mais c’est de la bonne énergie ! (Sourires.)

M. Daniel Salmon. Très bien ! Je savais bien que vous étiez partageurs de ce côté-ci de l’hémicycle… (Lorateur se tourne vers les travées du groupe Les Républicains.) Bref, tout va bien !

On nous a expliqué ensuite que la filière avait été traversée par une grande faille et qu’il n’y avait plus eu de nucléaire du tout. Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

Dès 1989, notre pays a commencé à plancher sur les plans de l’EPR. En 1989 ! En 2004, c’est-à-dire deux ans après la mise en service de Civaux – si vous trouvez que deux années, c’est long… –, on a construit l’EPR finlandais ; trois ans plus tard, on a lancé celui de Flamanville. Il n’y a donc pas eu de trous dans la raquette ! Tout cela, ce sont des fables, on nous raconte des bêtises !

L’EPR de Flamanville, qui devait être une tête de série et qui, s’il avait fonctionné, aurait entraîné la multiplication d’EPR similaires, a effectivement été un gros ratage, car – c’est bien dommage ! – il ne fonctionne pas du tout.

Alors, certes, on peut refaire l’histoire, la réinventer, chercher des fautifs ici et là, mais il faut tout de même regarder les choses en face.

Je poursuivrai cette histoire du nucléaire français un peu plus tard. (M. Daniel Breuiller applaudit.)

Mme le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir, sur l’article.

M. Stéphane Piednoir. Tout d’abord, pour rebondir sur vos propos, monsieur Salmon, mais aussi pour les compléter, car votre groupe a oublié de le mentionner lors de la discussion générale, je précise qu’il faut faire la distinction entre EPR et EPR 2.

C’est justement parce que l’on a constaté plus que des défaillances au cours de la construction de l’EPR de Flamanville, qui concernaient la construction en elle-même, le design du réacteur, que les partenaires industriels se sont lancés dans la fabrication d’un nouveau type de réacteur, simplifié, l’EPR 2. Ce point, me semble-t-il, fait l’unanimité.

Il serait souhaitable que vous soyez plus précis dans vos argumentaires.

Ensuite, je veux parler du diagnostic. Après vous avoir écouté, monsieur Fernique, je me dis que les visites décennales pourraient constituer un formidable levier d’économies.

Je le rappelle, ces visites sont prévues par les textes : tous les dix ans, un réacteur doit faire l’objet d’une visite qui doit permettre de déterminer si, oui ou non, il est en mesure de fonctionner pour les dix années à venir. C’est la loi !

Or vous avez affirmé que l’on sait d’avance si telle ou telle visite décennale sera validée ou non : il y a donc là une incroyable source d’économies ! À vous écouter, mon cher collègue, on pourrait en définitive tout à fait se passer de l’IRSN et de l’ASN.

Soyons un peu sérieux ! La visite décennale a du sens : il faut aller jusqu’au bout de cette démarche, qui doit nous permettre de discerner si les difficultés que vous avez pointées sont susceptibles de causer l’arrêt d’un réacteur.

Je serais curieux de tester les boules de cristal – j’allais dire les « voyants verts » (Sourires.) – dont vous disposez, mon cher collègue.

M. Ronan Dantec. C’est la position de l’ASN !

M. Stéphane Piednoir. En tout cas, vos propos ne me semblent absolument pas reposer sur une vérité scientifique. Certains aspects de la question méritent certes d’être examinés de près, mais il convient de laisser les autorités compétentes, qui sont payées pour cela, faire leur travail.

Mme le président. La parole est à M. Ronan Dantec, sur l’article.

M. Ronan Dantec. On rêve en effet d’avoir un débat véritablement structuré et de disposer de vrais chiffres.

Les propos de Jacques Fernique reflètent la position de l’ASN et ne découlent pas de la consultation d’une boule de cristal. Ceux qui manient la boule de cristal sont ceux qui pensent que l’on peut commencer à couler du béton, bien que le design de l’EPR 2 ne soit pas encore finalisé.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit ici : on veut accélérer les procédures en simplifiant les autorisations d’urbanisme et de génie civil, alors que ni vous ni moi ne savons à quoi ressemblera l’EPR 2. On sait seulement que le précédent EPR, de troisième génération, est trop coûteux et ne fonctionne pas. Voilà la réalité ! Et ce type de réacteur ne fonctionne pas davantage en Finlande – l’un d’entre eux était encore à l’arrêt ces derniers jours – ou en Chine, où certains d’entre eux rencontrent déjà de sérieux problèmes.

La réalité, c’est celle qu’a clairement décrite Henri Proglio. Il faut écouter ce grand défenseur de l’EDF d’avant qui, tout en étant très peu favorable au développement des EnR, a dit : « L’EPR est une “vraie connerie !” » C’est ce qu’il a déclaré devant les députés, mes chers collègues ! Il a même ajouté que c’était trop compliqué, trop cher et que cela ne marchait pas… Ses propos reflètent une partie du débat que nous avons aujourd’hui.

Les discussions que nous devrons avoir sur la future loi de programmation devront se concentrer sur cette question : nous sommes en train de prendre un risque économique immense – c’est un pari qui repose sur une « boule de cristal++ » ! Personne n’a jamais démontré, dans le monde tel qu’il est aujourd’hui, que l’on puisse tirer un bénéfice économique au niveau du prix du mégawattheure produit par un EPR 2.

Les autres pays ne s’y trompent d’ailleurs pas, puisque les rares États qui se lancent dans la construction de réacteurs nucléaires achètent chez les Russes ou les Américains, et pas notre EPR. Et s’ils lisent les propos de M. Proglio, ils risquent encore moins de l’acheter !

Nous sommes dans cette situation de votre fait, madame la ministre. Je suis désolé de vous le dire, mais c’est votre souhait absolu de relancer le nucléaire sur cette base qui fait peser sur notre économie un risque majeur de marginalisation.

Le futur débat sur la PPE portera sur ce point : en 2040, l’économie française survivra-t-elle au coût du mégawattheure produit par ce type de réacteur – qui ne marche pas ?

Mme le président. Je suis saisie de deux amendements identiques.

L’amendement n° 42 est présenté par MM. Salmon, Labbé, Dantec, Fernique, Benarroche, Breuiller, Dossus et Gontard, Mme de Marco, M. Parigi et Mmes Poncet Monge et M. Vogel.

L’amendement n° 54 est présenté par MM. Montaugé, Devinaz, Houllegatte, Tissot, Michau et Kanner, Mmes Artigalas et Blatrix Contat, MM. Bouad, Cardon, Mérillou, Pla, Redon-Sarrazy et J. Bigot, Mmes Bonnefoy et M. Filleul, MM. Gillé et Jacquin, Mmes Préville, Monier et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Daniel Salmon, pour présenter l’amendement n° 42.

M. Daniel Salmon. La définition d’une nouvelle stratégie énergétique nationale dans le domaine nucléaire n’a pas sa place dans ce projet de loi.

Le présent texte ne porte pas sur la place du nucléaire dans le mix énergétique. En effet, c’est la future loi de programmation quinquennale en matière d’énergie et de climat qui devra, notamment, acter ou non la relance du programme nucléaire national. Je ne vous apprends normalement rien en le disant.

Décider de manière cavalière, unilatérale et antidémocratique le remplacement de l’objectif de réduction de 50 % de l’énergie nucléaire d’ici à 2035 par un objectif de maintien à 50 % au moins de cette énergie à l’horizon 2050, pour relancer la filière nucléaire, ou encore l’introduction d’un objectif de production d’énergie nucléaire à partir de matières recyclées – de 20 % d’ici à 2030 – pour valoriser le cycle du combustible n’est pas opportun, alors que le débat public sur les EPR 2 est en cours, et ce jusqu’à fin février, et que la concertation publique sur le mix énergétique n’a pas encore eu lieu.

Ces nouveaux objectifs sont définis de manière prématurée. Toutes les garanties doivent être apportées pour que les décisions politiques soient prises dans le respect du Parlement et de nos concitoyens, ce qui n’a pas l’air d’être facile quand il s’agit du nucléaire…

Tout cela ne doit pas être décidé unilatéralement et en catimini. C’est pourquoi nous demandons la suppression de cet article.

Mme le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour présenter l’amendement n° 54.

M. Franck Montaugé. Mon propos vaudra également défense des amendements nos 55 et 58.

Je ne répéterai pas ce que j’ai dit au cours de la discussion générale et que certains collègues, issus d’autres groupes, ont également exprimé. Je veux simplement rappeler l’enjeu démocratique que représente la possibilité pour les Français de s’exprimer sur la question de la politique énergétique de leur pays. Il s’agit d’une exigence constitutionnelle, qui est inscrite dans la Charte de l’environnement depuis 2004.

Introduire dans ce projet de loi, initialement axé sur l’accélération des procédures, une partie du débat concernant la programmation pluriannuelle de l’énergie n’est pas une bonne chose et donne une mauvaise image du fonctionnement de notre Parlement à nos concitoyens.

Plusieurs consultations, comme celle qui porte sur la stratégie française relative à l’énergie et au climat ou encore l’enquête publique sur les six EPR, dont le lancement est annoncé, ont été lancées. Laissons donc les choses se faire, puis tenons compte du fruit de ces réflexions, de l’expression des Français qui auront pris parti sur ces questions, avant de légiférer, comme cela est prévu, en 2023.

Aujourd’hui, on mélange tout, et ce n’est pas de nature à clarifier un débat pourtant fondamental pour les Français.

Je le redis : je regrette que le Président de la République ait pris seul sa décision sans prendre en considération, en particulier, la position du Parlement sur le sujet.

J’ai bien compris qu’il fallait aller vite, mais on ne peut pas agir n’importe comment. Encore une fois, tout mélanger comme on le fait ne facilite pas la compréhension, par les Français, des enjeux que soulèvent les politiques énergétiques, alors qu’il est justement nécessaire de les y intéresser.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Daniel Gremillet, rapporteur. Les amendements identiques nos 42 et 54 tendent à supprimer l’article 1er A, qui abroge plusieurs dispositions du code de l’énergie par coordination avec l’objectif de relance du nucléaire visé par le présent projet de loi.

Je précise que cet article, tel qu’il est désormais rédigé, constitue un apport majeur de notre commission, qui, compte tenu de l’objectif annoncé par le Gouvernement d’une relance du nucléaire, a souhaité revenir sur les verrous issus de la loi de 2015 de transition énergétique pour la croissance verte, notamment l’objectif de réduction de 50 % de l’énergie nucléaire d’ici à 2035.

Je signale également que, sans le Sénat, cet objectif aurait été fixé à l’horizon 2025. Si j’en parle, c’est parce que tout le monde semble faire abstraction de cet événement : sans notre assemblée, la PPE n’aurait même pas fait l’objet d’une discussion devant le Parlement. (M. Ronan Dantec en convient.) C’est nous, votre serviteur et vous-mêmes, mes chers collègues, qui avons modifié le texte initial – après avoir fait en sorte que nos amendements figurent dans le texte examiné en commission mixte paritaire –, bref, c’est le Sénat, qui est le véritable initiateur du débat parlementaire sur la PPE !

M. Daniel Gremillet, rapporteur. Au passage, alors que j’entends parler d’absence de débat démocratique, je ferai remarquer que, par ce débat parlementaire, nous avons donné une belle leçon de démocratie. Il faut souligner cet apport du Sénat et, si j’y insiste, c’est que personne ne le fait.

Revenons-en au texte : un travail transpartisan a été réalisé par notre commission – je parle sous le contrôle de notre présidente –, laquelle convient de la nécessité d’une relance du nucléaire, ainsi que de la nécessité de promouvoir le couplage nucléaire-hydrogène.

Pour en finir avec l’objectif de 50 % d’énergie d’origine nucléaire d’ici à 2035, j’aimerais enfin rappeler, comme certains d’entre vous l’ont fait, ainsi que Mme la ministre d’ailleurs, qu’aujourd’hui 70 % de notre énergie électrique est encore d’origine nucléaire. Comment voulez-vous relancer les capacités de production d’énergies pilotables de notre pays sans rappeler cette vérité ?

La commission émet un avis défavorable sur ces deux amendements.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Je veux redire ici que, mathématiquement, si l’on prend le meilleur des scénarios établis par RTE – j’insiste sur ce point –, même en construisant quatorze réacteurs nucléaires à l’horizon 2050, la part du nucléaire dans le mix énergétique ne dépassera pas 50 % au maximum. Ce sont des mathématiques : certains cherchent à se faire plaisir politiquement, mais il y a tout de même une réalité physique qui s’impose à nous et qui doit nous conduire à réfléchir collectivement sur la future programmation pluriannuelle de l’énergie.

En réponse à Mme la sénatrice Muller-Bronn, je précise que le projet de technocentre d’EDF à Fessenheim n’est absolument pas à l’arrêt, puisqu’il est convenu qu’EDF nous le présente prochainement. L’aide prévue est d’ailleurs réservée dans le cadre du plan de relance, ce qui montre qu’elle est bel et bien financée. De plus, plusieurs projets industriels sont actuellement en cours de finalisation sur le site de Fessenheim.

Monsieur Gay, vous avez parlé de formation. Comme vous le savez, le premier programme de construction de centrales nucléaires lancé par Pierre Messmer – auquel nous avons tous fait référence –, les cinquante-six réacteurs, a été réalisé par des sociétés industrielles dont les salariés n’étaient pas, en tout cas pour ce qui concerne le volet « construction » – génie civil, cuves, pièces diverses, tuyauteries, etc. –, et sauf erreur de ma part, sous statut.

N’oublions pas ce petit détail : il prouve que l’on a su faire sans.

M. Fabien Gay. C’est ça ! Continuons !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Cela n’enlève rien à l’intérêt d’être sous statut, mais notons qu’une grande partie des fabricants de centrales nucléaires n’en ont pas eu besoin pour les construire.

Le point important, c’est plutôt de savoir comment parvenir à attirer, former et faire évoluer les filières. C’est l’un des facteurs clés du succès ou de l’échec potentiel du nouveau programme nucléaire – je vous rejoins sur ce point, monsieur Gay.

Messieurs Salmon et Dantec, vous nous avez expliqué que l’EPR de Flamanville n’était pas au rendez-vous. Je rappelle – ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les patrons que vous avez interrogés dans le cadre de vos auditions – que, pour avoir un programme industriel, il faut plusieurs réacteurs.

M. Fabien Gay. Oui, c’est normal !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Et c’est très exactement ce que nous envisageons aujourd’hui : disposer de plusieurs réacteurs pour créer un effet de convergence et réduire drastiquement les coûts de développement grâce à la standardisation.

Ce que nous demandons et ce sur quoi est en train de travailler le nouveau patron d’EDF grâce à ses équipes, c’est un retour d’expérience sur les raisons qui pourraient expliquer le « dérapage » de Flamanville, de sorte que l’on puisse en tenir compte en vue du lancement du nouveau programme.

Est-il nécessaire de simplifier ? A-t-on construit trop rapidement ? A-t-on engagé trop tôt les opérations de maîtrise d’œuvre, dans la mesure notamment où le design de la centrale n’était pas finalisé ? Ce sont autant de très bonnes questions auxquelles les industriels – c’est du reste leur responsabilité – vont nous répondre et sur le fondement desquelles ils proposeront des améliorations.

Le programme nucléaire n’est pas le premier à avoir été couronné de succès en France. Je rappelle que notre pays a fait le TGV et le Concorde – même si l’on peut se demander s’il a été utile –, qui sont autant de réalisations industrielles exceptionnelles que l’on a su encourager efficacement. De la même façon, nous continuons à soutenir certaines filières aujourd’hui. Il nous reste simplement à définir les meilleurs moyens pour y parvenir.

S’agissant maintenant des deux amendements identiques nos 42 et 54, je considère qu’il ne faut pas revenir sur la suppression du plafond de 63 gigawatts, étant donné que nous préparons actuellement un projet de relance du programme nucléaire.

Nous ne sommes actuellement pas en mesure – c’est en revanche l’objet de la PPE – de fixer un tel plafond, mais s’il faut envoyer un signal à la filière nucléaire, faisons-le. Dans la mesure où la question est posée, la position du Gouvernement est très claire : elle consiste à augmenter en valeur absolue la part du nucléaire dans notre mix énergétique.

S’il s’agit en revanche de déterminer ce que devrait être la proportion de l’énergie nucléaire dans ce mix, nous abordons une question qui suppose de s’intéresser aux énergies renouvelables. Mais ce n’est pas le sujet aujourd’hui.

Mme Céline Brulin. C’est pourtant bien vous qui avez décidé de présenter ce texte !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. À cet égard, je comprends votre analyse, monsieur le sénateur Montaugé : pour débattre de la PPE, il faut effectivement traiter au préalable de l’ensemble de ces questions, comme celle de la baisse de la consommation cible ou encore celle de la fixation au juste niveau de l’augmentation dans le mix de la part des énergies renouvelables et de l’énergie nucléaire, tout cela en s’appuyant sur les différents scénarios possibles, sur lesquels vous prendrez position et à partir desquels nous ferons des propositions très claires.

D’ici là, le Gouvernement demande le retrait des amendements nos 42 et 54 au profit de son amendement n° 118, qui n’a pas pour objet de rétablir le plafond des 63 gigawatts supprimé par la commission des affaires économiques, mais de maintenir un objectif de diversification du mix électrique français, car nous devons marcher sur nos deux jambes : l’une reposant sur les énergies renouvelables, l’autre sur le nucléaire. Tel est le message que nous envoyons aux deux filières.

S’agissant de la part que représentera chacune de ces énergies dans notre mix et de la production énergétique ou de la puissance, en valeur absolue, dont nous souhaitons disposer grâce aux différentes filières technologiques, ce sera à la PPE de le définir.

Mme le président. La parole est à M. Daniel Breuiller, pour explication de vote.

M. Daniel Breuiller. Tout d’abord, permettez-moi de vous faire remarquer, madame la ministre, que vos propos relèvent un peu de la croyance, me semble-t-il, notamment lorsque vous nous expliquez que le chantier de Flamanville a certes dérapé, mais qu’il suffit désormais d’y croire et de travailler sur le dossier pour que tout aille bien en ce qui concerne les EPR 2, et ce bien que le premier EPR ne soit toujours pas en service.

Par ailleurs, j’ai bien noté votre demande de retrait des amendements de nos collègues, mais je dois avouer qu’après avoir entendu vos explications je suis un peu perdu. Vous nous dites que ce texte ne doit pas faire l’objet de débats qui concernent plutôt la PPE, laquelle sera examinée ultérieurement par le Parlement, et qu’il faut respecter les procédures démocratiques. Et puis, peu après, vous nous informez que vous n’avez pas l’intention de revenir sur l’objectif de 63 gigawatts, tout en affirmant vouloir rediscuter du mix énergétique.

Madame la ministre, soit on discute de la PPE et de la diversité du mix énergétique, soit on n’en discute pas ! Et dans ce cas, les amendements de nos collègues Salmon et Montaugé ont toute leur place dans ce texte, car ils visent à ce que l’on débatte effectivement des procédures d’accélération liées à la construction de nouvelles installations nucléaires, et non du mix énergétique.