M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Daniel Salmon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, élu de cette assemblée depuis septembre 2020, je dois avouer que je ne pensais pas, en tant que sénateur, avoir à m’exprimer sur un texte de cette nature.

Élu en Bretagne, dans le département d’Ille-et-Vilaine, il me revient en effet de me prononcer sur le document d’urbanisme d’une communauté de communes située en Savoie…

M. Loïc Hervé. Haute-Savoie !

M. Daniel Salmon. Pardonnez-moi, en Haute-Savoie. Voyez comme je suis déconcerté…

Comme beaucoup d’entre vous, mes chers collègues, je suis également élu local ; les règles d’urbanisme auxquelles sont soumises les collectivités territoriales sont les mêmes sur l’ensemble du territoire.

Nous avons toutes et tous déjà été confrontés à la révision ou à la mise en conformité d’un PLU visant à permettre la réalisation d’un projet, quel qu’il soit.

Certes, ces règles sont parfois complexes, fastidieuses, longues et coûteuses, mais elles sont la garantie d’un aménagement du territoire respectueux des principes du développement durable, d’une gestion économe de l’espace et des besoins du développement local, tenant compte des politiques nationales et territoriales d’aménagement autant que des spécificités de chaque territoire.

J’ajoute que ces règles sont aussi la garantie, via les enquêtes publiques, qu’une information éclairée est bien fournie aux citoyens quant aux projets d’aménagement d’un territoire – cela n’est pas négligeable.

Il est d’autant plus difficile de se forger un avis sur ce qui a conduit à la présentation de cette proposition de loi que, d’un côté, les auteurs du texte plaident pour une négligence des élus et que, de l’autre, j’ai été destinataire de plusieurs contre-argumentaires selon lesquels les collectivités concernées étaient pleinement informées des risques encourus.

En m’y penchant de plus près, j’ai découvert un véritable serpent de mer, revenant régulièrement dans l’actualité : ce projet de liaison autoroutière entre Machilly et Thonon-les-Bains fait l’objet d’un combat acharné entre ses opposants et ses partisans depuis plus de trente ans.

Je vais m’attacher à m’interroger sur la forme et sur la procédure. Si l’on nous demande aujourd’hui de faire prévaloir la DUP de ce projet autoroutier sur le PLUi, c’est uniquement parce que le nouveau PLUi créé pour le Bas-Chablais ne mentionne pas ce projet d’autoroute, malgré les demandes formulées par l’autorité environnementale et par la sous-préfecture, demandes dont la satisfaction aurait nécessité la réalisation d’une évaluation environnementale, donc un allongement des délais.

La loi est ainsi faite. On peut se demander pourquoi tout cela n’a pas été pris en compte.

Si nous sommes amenés à étudier cette proposition de loi, c’est donc pour réparer ce qui serait, selon les auteurs du texte, un oubli involontaire de la part des élus locaux…

Vous m’excuserez par avance, mes chers collègues, de penser que le Sénat n’est pas le lieu propice pour s’émanciper des garanties spécifiques prévues par nos règles d’urbanisme, alors même que la présente situation aurait pu être évitée maintes fois, dès 2020 par une intégration du projet d’autoroute au PLUi ou en 2021 lors de sa modification simplifiée.

Si ce texte est nécessaire, indiquent de surcroît ses auteurs, c’est parce que ce projet d’autoroute serait lui-même nécessaire, faute d’alternative. À cet égard, je souhaite vous rappeler l’avis émis dans son dernier rapport par le Conseil d’orientation des infrastructures, qu’évoquait M. le ministre : « ce projet local n’a pas de caractère prioritaire pour le système de transport national » et la desserte du Chablais pourrait être améliorée, en renforçant notamment le service ferroviaire du Léman Express, réseau qui a prouvé son efficacité en transportant plus de 50 000 voyageurs par jour.

Je conclurai mon propos, en soulignant le risque constitutionnel qui pèse sur le présent texte. En effet, la seule justification avancée pour une telle loi de validation est le retard pris dans la conclusion du contrat de concession, donc dans la réalisation du projet. Or la jurisprudence du Conseil constitutionnel est claire : un tel retard ne constitue pas un motif d’intérêt général.

En adoptant ce texte, nous créerions un fâcheux précédent, qui n’honorerait pas le Sénat ni ne rendrait justice à sa conception de ce que sont la loi et l’intérêt général.

Pour toutes ces raisons, le groupe écologiste votera contre ce texte qui lui semble fort incongru. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Jean-Claude Tissot applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis.

M. Bernard Buis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à la lecture des conclusions de la conférence des présidents publiées le 13 décembre dernier, comme un certain nombre d’entre nous, j’ai été quelque peu surpris, pour ne pas dire désarçonné, d’apprendre que le Sénat allait examiner une telle proposition de loi.

Peut-être s’agissait-il d’une erreur d’impression, d’une publication involontaire de l’ordre du jour d’une réunion du conseil communautaire de Thonon-les-Bains ?

Non, j’avais bien lu ! Il nous revenait bien à nous, parlementaires, de régulariser le plan local d’urbanisme intercommunal de la communauté de communes du Bas-Chablais. Notre rapporteure, que je remercie pour son travail expertisé et documenté, nous l’a bien confirmé en commission : « Ce texte est inhabituel et concerne un cas spécifique. »

Dans un contexte d’inflation législative, qu’a regretté le président de notre assemblée lors de la présentation de ses vœux, nous pourrions considérer que le signal envoyé par l’examen de ce texte n’est pas positif. Mes chers collègues, quel message souhaitons-nous envoyer aux élus locaux à l’heure où la décentralisation doit être confortée par une future loi sur les libertés locales ?

Et puis, passé l’étonnement, nous avons cherché à comprendre : pourquoi diable passer par le Sénat pour valider un projet d’aménagement local ?

L’objet du texte est un projet d’autoroute situé dans une zone à forte progression démographique. L’idée de construire un axe de 2x2 voies reliant Annemasse, en l’état initial du projet, puis Machilly, à Thonon-les-Bains, date des années 1980, période où des études furent lancées pour la première fois.

La motivation politique était forte autour de ce projet inscrit au schéma directeur routier national le 1er avril 1992 ; de grandes figures nationales se sont prononcées, à l’époque, pour soutenir ce projet – je pense à Bernard Bosson ou à Pierre Mazeaud.

M. Loïc Hervé. Très bien !

M. Bernard Buis. Défendu par les milieux économiques du territoire au motif que sa réalisation favoriserait l’attractivité, le tourisme et la mobilité des habitants, le projet d’A400 fut déclaré d’utilité publique le 6 mai 1995. Mais, en raison d’un front uni d’opposants rassemblant maires et riverains, il fut rejeté par le Conseil d’État en mars 1997.

Après moult rebondissements dont je vous fais grâce, le projet est remis sur les rails vingt ans plus tard et une nouvelle déclaration d’utilité publique est signée en 2019 par le Premier ministre Édouard Philippe.

Nous aurions pu espérer qu’enfin ce dossier serait clos, mais la complexité des normes d’urbanisme et l’oubli concernant la mise en compatibilité du PLUi du Bas-Chablais en auront décidé autrement.

Dans ces conditions, malgré les réserves émises, ce projet doit aboutir. Et si, à titre exceptionnel, il faut passer par notre assemblée, alors nous soutiendrons la présente solution législative, qui permettra d’accélérer et d’achever le processus.

Sur le fond, en effet, ce projet a du sens : situé aux portes de l’agglomération genevoise et bordé par le lac Léman, le Chablais connaît depuis plus de cinquante ans un dynamisme démographique et économique. Sa population a plus que doublé entre 1960 et 2010, pour atteindre 130 000 habitants.

Au regard de la documentation que j’ai pu consulter, nous avons affaire à un territoire particulièrement enclavé, qui ne bénéficie d’aucune voie nationale, contrairement au reste du département.

Élu drômois, plus précisément du Diois, région montagneuse qui couvre le sud du massif du Vercors et le nord de la Drôme provençale, je sais ce que signifie l’enclavement : je connais ses conséquences pour les habitants du point de vue des temps de déplacement.

Plus du tiers des actifs du Chablais travaillent en dehors de ce territoire ; un quart d’entre eux travaillent en Suisse. Plus de 80 % de ces actifs utilisent leur véhicule pour aller travailler, ce qui conduit à un engorgement du réseau secondaire, lui-même cause de diverses nuisances.

Si ce projet, soutenu par la population locale et par une grande partie des élus du département, peut permettre de faciliter les déplacements en direction de pôles d’attractivité comme le Genevois, alors, oui, nous devons le soutenir.

Ainsi mettrons-nous un point final à ce serpent de mer ; le territoire dont il est question disposera enfin d’un projet structurant, facteur d’attractivité, qui permettra de désengorger les petits bourgs et de répondre aux besoins de l’économie locale.

Notre groupe votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – MM. Yves Détraigne, Loïc Hervé et Cyril Pellevat applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’associe à mon propos mon collègue Christian Redon-Sarrazy, chef de file du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain sur ce texte.

Une fois n’est pas coutume, je vais formuler au nom de mon groupe des explications de « non-vote » sur cette proposition de loi visant à régulariser le PLUi de la communauté de communes du Bas-Chablais. C’est là un choix rare, mais qui s’impose.

Il va sans dire que l’inscription de ce texte à l’ordre du jour de notre assemblée par la droite sénatoriale nous a grandement étonnés.

Comportant un seul article, cette proposition de loi prévoit que les dispositions du décret du 24 décembre 2019 déclarant d’utilité publique le projet de liaison autoroutière entre Machilly et Thonon-les-Bains et portant mise en compatibilité des documents d’urbanisme prévalent sur les dispositions contraires du PLUi du Bas-Chablais approuvé par le conseil communautaire de Thonon Agglomération le 25 février 2020.

L’objectif de cette manœuvre législative est de permettre la construction du dernier tronçon de 16,5 kilomètres de l’autoroute A400, qui désenclaverait les communes de ce territoire du Chablais.

Le PLUi du Bas-Chablais, en cours d’élaboration au moment de l’adoption du décret, n’a in fine pas pris en compte la réalisation de cette autoroute, son approbation annulant toutes les mises en conformité, ainsi que la réservation des espaces concernés par les travaux.

Thonon Agglomération a donc ouvert une demande de modification simplifiée du PLUi et saisi la mission régionale d’autorité environnementale (MRAe) d’Auvergne-Rhône-Alpes d’une demande d’examen au cas par cas.

La MRAe a décidé, sans doute contre les attentes de Thonon Agglomération, de soumettre cette procédure à une évaluation environnementale. Pour engager ce projet d’autoroute, il faudrait donc réviser le PLUi dans le respect des procédures prévues, notamment en fournissant au public une information éclairée, quitte à engendrer un nouveau retard.

Parce que Thonon Agglomération souhaite éviter une telle éventualité et de nouveaux blocages, les deux sénateurs de Haute-Savoie membres du groupe Les Républicains ont sollicité le Sénat pour « régulariser » ce projet et forcer la révision de ce PLUi en invoquant un motif d’intérêt général.

Mes chers collègues, prenons un peu de recul sur une telle proposition de loi : nous avons tous, dans nos territoires respectifs, des cas particuliers ou difficiles à régler en matière d’urbanisme. Imaginons que chacun d’entre nous s’inspire de nos deux collègues et songeons à l’allure qu’aurait alors notre ordre du jour !

Plus sérieusement, cette proposition de loi porte atteinte à plusieurs principes constitutionnels et à la crédibilité de notre institution.

L’objectif allégué par les auteurs de cette proposition de loi, qui invoquent l’intérêt général, ne satisfait aucunement à la norme constitutionnelle, mais répond seulement à la volonté, d’ailleurs clairement affichée, d’accélérer la réalisation d’un projet en contournant les règles en vigueur relatives à l’évaluation environnementale.

Le texte qui nous est soumis ne respecte ni l’obligation de vigilance à l’égard des atteintes à l’environnement, ni la procédure d’évaluation environnementale qui suppose la participation du public, ni le droit au recours.

Par ailleurs, requérir la procédure législative pour régler une situation strictement locale est invraisemblable. Le Sénat ne dispose d’aucun droit d’ingérence dans des projets territoriaux de cet ordre.

J’y insiste, comment peut-on valider un tel contournement des procédures habituelles, notamment en matière d’évaluation de l’impact environnemental et de consultation des citoyens ?

Comment peut-on demander au Sénat, chambre des territoires, de passer outre les prérogatives des collectivités quant à leurs documents d’urbanisme ?

Comment croyez-vous, mes chers collègues, que cette manœuvre sera perçue par les élus locaux, quel que soit leur département ? N’y a-t-il pas là une grave atteinte à la crédibilité de notre institution ?

Ce texte est naturellement soutenu par les deux sénateurs Les Républicains du département de la Haute-Savoie, par la majorité sénatoriale, mais aussi – on doit le souligner – par le Gouvernement. En dépit de ses irrégularités, il a donc de fortes chances d’être adopté à l’Assemblée nationale. Voilà un exemple supplémentaire du mépris du Gouvernement à l’égard du Parlement : des projets de loi essentiels y sont, sans vote, considérés comme adoptés, on y régularise des dossiers locaux… Bientôt, le Gouvernement ne s’embarrassera même plus de nous consulter sur quoi que ce soit !

Voter ce texte créera un dangereux précédent dans la régularisation des projets territoriaux, confirmant la négation des prérogatives des communes et le peu de cas qui est fait de l’opinion de nos concitoyens ou des procédures en matière de défense de l’environnement, quand nous ne pouvons plus nous permettre de les ignorer.

Enfin, cette manœuvre nie toute idée de participation collective à l’élaboration de projets qui concernent pourtant en premier lieu les usagers.

Voter contre ou s’abstenir sur ce texte reviendrait à cautionner la sollicitation du Sénat en la matière. Pour toutes les raisons que j’ai évoquées, vous aurez compris qu’il nous était impossible, par respect pour notre institution, de le faire.

Dans un refus de décrédibiliser notre assemblée, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ne prendra donc pas part au vote sur cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, cela a été dit, nous avons été plusieurs à nous interroger sur l’opportunité de légiférer pour régulariser le PLUi d’une communauté de communes précise – aujourd’hui celle du Bas-Chablais –, ce qui pourrait ouvrir la voie, demain, à l’examen par notre assemblée d’autres situations particulières.

Le Bas-Chablais se situe dans la région Auvergne-Rhône-Alpes et les différents élus que je connais m’ont fait part de la réalité de l’engorgement de ce territoire, notamment au niveau des dix communes concernées par la création de ce nouvel axe routier.

Ce projet est soutenu par la grande majorité des élus locaux et par les habitants, mais il a du mal à se concrétiser, comme cela a été relevé. Il était toutefois en bonne voie – les élus et les habitants y ont cru – avec une déclaration d’utilité publique et une enquête publique purgée de tout recours.

J’entends les réserves émises sur le besoin de soutenir des modes de transport alternatifs, notamment les transports en commun. C’est aussi ce que nous suggérons pour offrir la possibilité de voyager autrement et ce que nous portons dans les débats sur la mobilité.

Pour autant, ce territoire a des particularités géographiques, liées notamment à son relief, et la desserte ferroviaire, solution la moins polluante, ne saurait constituer la seule réponse. Il convient donc d’améliorer dès aujourd’hui la circulation par voie routière.

Au même titre que l’on peut considérer que ce n’est pas au Parlement d’intervenir sur une compétence pleinement décentralisée, nous n’avons pas non plus vocation à opposer un projet alternatif à celui retenu et choisi démocratiquement par les collectivités concernées.

Il nous est demandé de corriger ce qui s’apparente à une erreur, en espérant que la présentation de ce type de texte ne se répète pas, ce qui n’est pas sûr, puisque le cas du Bas-Chablais nous semble symptomatique.

En effet, de nombreuses compétences sont régulièrement transférées aux collectivités, récemment par la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, et dernièrement par la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi 3DS. Si ces transferts permettent parfois de privilégier des politiques publiques conçues dans un souci de proximité, les moyens accordés aux collectivités sont malheureusement toujours en deçà de leurs besoins réels, ce qui contribue à aggraver les difficultés qu’elles rencontrent.

J’ajoute, monsieur le ministre – nous le répétons sur toutes les travées –, que, pour renforcer la décentralisation, il faut mettre en place une véritable déconcentration, avec des fonctionnaires d’État qui accompagnent les élus et sécurisent la prise de décision.

Quoi qu’il en soit, il ne serait pas juste de faire payer ce manque de moyens et l’erreur de mise en conformité qui en découle par un retard supplémentaire.

Nous entendons la demande formulée par les élus locaux et l’attente des habitants des dix communes concernées, qui ont entendu parler de ce projet depuis des décennies, mais demeurent relativement mal connectés au reste du département, et donc de la région. Cet axe routier est pour eux une véritable opportunité en matière de développement, de mobilité et de réduction de la pollution sonore qu’ils subissent au quotidien.

Nous ne nous opposerons pas à l’adoption de ce texte, mais nous ne l’encouragerons pas non plus. Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste s’abstiendra.

M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé.

M. Loïc Hervé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cet après-midi, c’est l’avenir du Chablais qui nous réunit.

Le Chablais est l’une des six provinces de la Savoie historique. Situé sur la rive sud du Léman, entre lac et montagnes, il représente l’essentiel du territoire de l’arrondissement de Thonon-les-Bains. C’est un territoire dynamique de plus de 100 000 habitants, à la fois touristique, agricole et industriel. Ne buvez-vous pas régulièrement de l’eau d’Évian ou de Thonon ?

La géographie apparemment très favorable de ce territoire crée cependant des contraintes importantes en termes de desserte par les infrastructures, notamment routières. Ainsi, les Chablaisiens subissent-ils au quotidien les bouchons routiers, quand ils vont vers Genève, Annecy ou la vallée de l’Arve ou qu’ils en reviennent.

L’idée de la création d’une liaison routière et autoroutière entre l’A40 et Thonon-les-Bains n’est pas nouvelle : elle date d’une quarantaine d’années.

Alors que nous approchons de la mise en concession, après que toutes les étapes voulues par la loi ont été franchies avec succès, un écueil insurmontable, semble-t-il, risque de retarder durablement ce projet qui n’a que trop traîné.

Il est vrai que l’idée de régler cette situation par la loi est surprenante, inédite, presque innovante.

Si l’on se fonde sur la hiérarchie des normes, selon laquelle une loi prévaut sur un décret, qui lui-même prévaut sur un arrêté ministériel et sur les actes des collectivités territoriales, il faudrait passer par la loi pour rectifier le document graphique du PLUi de l’ex-communauté de communes du Bas-Chablais. Soit… Je mets donc mes interrogations de côté et vais faire confiance à Mme la rapporteure, ainsi qu’aux services de l’État et à leur analyse, en apportant mon suffrage à l’adoption de cette proposition de loi.

Si la liaison autoroutière mérite absolument d’être soutenue et réalisée, elle ne changera rien à elle seule et risque d’être saturée dès son ouverture dans quelques années. En effet, le désenclavement du Chablais sera multimodal ou ne sera pas ! Une véritable préservation de notre environnement passe bel et bien par là.

Le Président de la République a annoncé sa volonté de développer des réseaux RER dans dix métropoles. Dans l’agglomération franco-valdo-genevoise, nous avons déjà le onzième : le Léman Express. Il nous faut plus de trains, et aussi des trains qui vont plus vite, ainsi que des parkings relais bien positionnés qui permettent le transfert de l’automobile au train.

Je formule le vœu que l’étoile ferroviaire autour de Genève puisse bénéficier de travaux permettant au train de reprendre toute sa place, à l’ouest du Chablais entre Genève et Évian, via Annemasse et Thonon-les-Bains, mais également à l’est avec la réalisation du RER Sud-Léman, qui assurerait le bouclage du lac avec la remise en service de la voie ferrée dite « du Tonkin ».

Il n’y a pas que la route, l’autoroute et le train : il y a aussi le bateau ! En effet, la desserte des grandes villes du littoral du Léman, sur la rive nord comme sur la rive sud, doit être considérablement développée.

Tout comme doivent être développés les transports publics du quotidien, autour de la ligne de bus à haut niveau de service, corollaires indispensables du désenclavement routier et autoroutier du Chablais.

Enfin, je me ferais taper sur les doigts si j’oubliais le vélo, avec la ViaRhôna, et les mobilités douces, très adaptées à la topographie et au climat tempéré des rives du Léman.

Nous avons besoin d’un chef d’orchestre et d’un ensemblier pour mettre en œuvre cette vision stratégique, pour fédérer les initiatives des collectivités territoriales et des acteurs locaux et pour suivre les engagements politiques pris par les uns et les autres, souvent à grands coups de clairon médiatique.

J’en appelle à vous, monsieur le ministre, afin que l’État joue complètement son rôle de suivi des différents projets, en s’assurant qu’ils sont bien menés de conserve. J’espère que vous saisirez cette occasion pour garantir la mise en œuvre d’un désenclavement durable du Chablais et du nord de la Haute-Savoie.

Nous devons apporter aux Chablaisiens une accessibilité digne de leur territoire. (Mme Sylviane Noël et M. Michel Savin applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remplace au pied levé mon collègue Christian Bilhac, qui ne peut être présent parmi nous.

La présente proposition de loi vise à procéder par voie législative au déblocage du projet dit LMT de liaison autoroutière entre Machilly et Thonon-les-Bains en Haute-Savoie, projet déclaré d’utilité publique en décembre 2019, mais dont le tracé n’apparaît pas dans le PLUi du Bas-Chablais. En cause : une complexité procédurale due à une modification du PLUi concomitante à l’évolution du périmètre de la collectivité et à la procédure liée à la DUP.

L’enquête publique liée à cette DUP a été menée en 2018 et porte sur des opérations de réalisation d’une liaison nouvelle à 2x2 voies à caractéristique autoroutière sur un linéaire de 16,5 kilomètres entre la route départementale 1206 à Machilly et le diffuseur d’Anthy-sur-Léman pour le contournement de Thonon-les-Bains et l’accès à la zone industrielle de Perrignier, sur la suppression de deux passages à niveau de la route départementale 135 et sur la requalification de la route départementale 903 dans les traverses de Bons-en-Chablais et Perrignier, bien que cette dernière ne relève pas d’une DUP.

Afin de ne pas retarder davantage la réalisation du projet, il est ici proposé de recourir à la loi plutôt qu’à une procédure ordinaire de modification simplifiée du PLUi, que la communauté d’agglomération avait tenté de mener avant que la mission régionale d’autorité environnementale d’Auvergne-Rhône-Alpes n’exige, en décembre 2021, une évaluation environnementale du projet. En effet, le fuseau autoroutier n’a pas été intégré lors de l’élaboration du PLUi, alors que l’enquête publique sur la mise en compatibilité des documents d’urbanisme avait eu lieu dès 2018.

Mes chers collègues, permettez-moi de faire deux remarques.

La première est de principe. Si le législateur doit intervenir à chaque fois qu’un PLU, un PLUi, un Sraddet ou tout autre projet d’intérêt local ou régional connaîtra des difficultés de mise en œuvre, il conviendra désormais que le Parlement siège cinquante-deux semaines par an…

La deuxième remarque est inspirée de mon expérience d’élu de terrain.

J’ai bien noté que ce projet de liaison autoroutière s’inscrivait dans une démarche de transition écologique exemplaire du point de vue de son insertion environnementale.

Pour autant, j’ai connu le même type de projet dans mon département, l’Hérault : alors même qu’il n’y avait aucune incompatibilité entre les textes existants, les associations environnementales ont contesté le dossier sur le plan juridique, ce qui a entraîné un retard de plus de dix ans.

Loin de moi le souhait que le « LMT » subisse le même sort, si le PLUi devait faire l’objet d’un nouveau recours en raison de l’absence d’évaluation environnementale intégrant le projet. Mais il y a fort à parier que l’on redécouvre sur ce trajet nombre d’espèces rares, souvent inconnues du grand public.

Vous l’aurez compris, le groupe du RDSE, par respect pour notre rôle de législateur et exclusivement pour des raisons de forme, ne participera pas au vote de ce texte qui, pour être utile, n’en est pas moins incongru dans cet hémicycle. En l’absence de motif impérieux d’intérêt général, nous ne pouvons soutenir ce projet de loi de validation. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Sylviane Noël. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sylviane Noël. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le plaisir et l’honneur me reviennent de quasiment clôturer cette discussion générale relative à la proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui et dont je suis coauteure avec Cyril Pellevat.

Je tiens tout d’abord à remercier vivement notre rapporteure Martine Berthet pour la qualité de son travail, le sérieux et la rigueur avec lesquels elle a abordé cette proposition de loi.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il me semble important en préambule de vous présenter le contexte particulier dans lequel s’inscrit cette demande de validation législative.

De quel territoire parlons-nous ?

Du Chablais, la région la plus septentrionale des Alpes françaises, un secteur de Haute-Savoie particulièrement dynamique d’un point de vue démographique – la population de Thonon Agglomération a crû de 16,5 % en onze ans –, regroupant des lieux touristiques de renommée internationale – Évian, Thonon-les-Bains, Morzine, Avoriaz, Châtel et bien d’autres stations, ce qui représente 207 000 lits touristiques –, et des activités économiques de premier plan, avec notamment les eaux minérales d’Évian. Cette usine d’embouteillage, qui est la plus importante de France et l’une des trois plus grandes du monde, compte 1 200 salariés ; 6 millions de bouteilles quittent chaque jour ce site : une partie est distribuée via le réseau ferroviaire, une autre par la route.

Ce territoire se caractérise également par des échanges internationaux de premier ordre, le Chablais se situant à l’interconnexion avec Genève, le canton de Vaud et le Valais.

Sur le plan politique, il fut l’un des derniers de France à être couvert par l’intercommunalité. Vous allez comprendre, mes chers collègues, que cette précision et la chronologie des événements ont toute leur importance dans le dépôt de ce texte et dans les raisons qui ont conduit à cette incohérence dans les documents d’urbanisme – le sujet qui nous occupe aujourd’hui.

Il s’agit en effet du dernier territoire de France à être couvert en totalité par un EPCI à fiscalité propre : une intercommunalité née sous la contrainte, au prix de nombreux débats, parfois violents, au sein de la commission départementale de coopération intercommunale (CDCI).

La ville de Thonon-les-Bains est ainsi restée dépourvue de tout rattachement intercommunal jusqu’au 1er janvier 2017, date à laquelle est née Thonon Agglomération du regroupement des communautés de communes du Bas-Chablais et des Collines du Léman et de la ville de Thonon-les-Bains.

Avant l’avènement de cette communauté d’agglomération, la communauté de communes du Bas-Chablais, concernée par le tracé de l’autoroute, avait, le 17 décembre 2015, prescrit l’élaboration du PLUi sur l’intégralité de son territoire. En 2017, cette communauté de communes a disparu au profit de Thonon Agglomération, qui reprit alors la main sur cette procédure.

Le 22 octobre 2019, le conseil communautaire de Thonon Agglomération arrêta le projet de PLUi du Bas-Chablais avant de l’approuver définitivement le 25 février 2020.

Dans cet intervalle, deux mois auparavant – le 24 décembre 2019 – fut signé le décret du Premier ministre déclarant d’utilité publique le projet de voie nouvelle entre Machilly et Thonon, décret portant mise en compatibilité des plans locaux d’urbanisme des communes concernées.

Cette chronologie révèle parfaitement que l’absence du tracé de cette autoroute dans le PLUi du Bas-Chablais est incontestablement liée à un défaut de vigilance de l’ensemble des services, dans un contexte d’enchevêtrement de procédures complexes menées concomitamment et de construction d’intercommunalité. Or il s’agit d’une infrastructure absolument vitale pour désenclaver le territoire chablaisien, l’un des derniers barreaux autoroutiers manquants du département.

Il convient par ailleurs de souligner que des 2x2 voies existent déjà aux extrémités de ce projet autoroutier : en amont, la 2x2 voies entre Machilly et le Carrefour des Chasseurs, qui sera complétée très prochainement par une liaison « A40-Chasseurs » portée par le département de Haute-Savoie ; en aval, le contournement de Thonon-les-Bains, également en 2x2 voies.

Au milieu se trouve ce goulot d’étranglement, source de bouchons interminables aux heures de pointe, ces 16 kilomètres qui ne sont pas mis au gabarit et qui supportent un trafic routier très soutenu traversant plusieurs communes, y compris rurales – on a enregistré jusqu’à 22 000 véhicules traversant quotidiennement certaines d’entre elles.

Cette situation a conduit l’État à prendre la décision de transformer en 2x2 voies ce tronçon sous concession autoroutière.

Il est en effet inconcevable de laisser persister un tel trafic sur le réseau routier secondaire avec tous les risques que cela comporte. L’actualité de notre département l’a tristement rappelé il y a quelques jours seulement : l’explosion d’un camion-citerne circulant en zone agglomérée a causé deux blessés graves et des dégâts matériels très importants.

Il est de bon sens de terminer ce projet porté par l’État. Je rappelle que l’ensemble des procédures ont été validées et tous les recours purgés, le Conseil d’État ayant confirmé il y a un an le rejet des recours des opposants.

La procédure de validation législative, parfaitement encadrée, est incontestablement adaptée à ce type de situation, puisqu’elle vise à réparer une pure erreur matérielle de procédure, comme c’est le cas en l’espèce.

Notons qu’une vingtaine de procédures de ce type sont examinées en moyenne chaque année par le Parlement français, pour des cas spécifiques. Il nous est ainsi arrivé de légiférer sur des questions très particulières concernant la Clairette de Die, des règles spécifiques pour l’aménagement des jeux Olympiques et du Grand Paris ou encore des délais supplémentaires accordés pour l’élaboration de PLUi métropolitains.

Mes chers collègues, nous avons été, pour bon nombre d’entre nous, élus locaux avant d’être sénateurs et nous connaissons les lourdeurs administratives immenses liées à ces procédures d’élaboration des documents d’urbanisme, a fortiori au stade intercommunal, et à la conduite de ce type d’infrastructures structurantes.

En l’occurrence, ce projet est attendu depuis près de trente ans et fortement soutenu par l’immense majorité des collectivités locales, des entreprises et des citoyens souffrant de cet enclavement et des difficultés de circulation qui s’aggravent avec le temps.

Nous ne sommes jamais à l’abri d’une erreur ou d’un oubli, qui ne peut en aucun cas remettre en cause le bien-fondé et le sérieux d’un projet porté durant une dizaine d’années de concertations, d’études et de procédures parfaitement menées à bien et tout à fait transparentes : l’ensemble des documents de Thonon Agglomération prennent en compte, dans leurs équilibres et orientations, le projet de liaison autoroutière.

Les élus de nos territoires et nos concitoyens déplorent chaque jour notre complexité administrative, source d’erreurs et de contentieux. Dans sa grande sagesse, le législateur a permis par le biais de ces validations législatives une résolution rapide et efficace des erreurs et omissions dont nous pouvons tous être responsables un jour ou l’autre. Ne nous privons pas de cette solution et servons-nous de cet exemple pour tenter de simplifier davantage ce type de démarche, source de contentieux !

Le Sénat, chambre des territoires, doit faire montre de son pragmatisme, en permettant une résolution rapide de ce type de problématique. Les élus locaux n’attendent rien de moins de ceux qui ont le privilège et l’honneur de les représenter au sein de cet hémicycle.

Je vous invite donc, mes chers collègues, à voter massivement en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)