Mme le président. La séance est reprise.

Article 34 (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables
 

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Commerce extérieur : L’urgence d’une stratégie publique pour nos entreprises

Débat sur les conclusions d’un rapport d’information de la délégation sénatoriale aux entreprises

Mme le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la délégation aux entreprises, sur les conclusions du rapport Commerce extérieur : Lurgence dune stratégie publique pour nos entreprises.

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.

Monsieur le ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l’hémicycle.

Je donne tout d’abord la parole aux orateurs de la délégation sénatoriale aux entreprises, qui a demandé ce débat.

La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Vincent Segouin, rapporteur de la délégation sénatoriale aux entreprises. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes heureux que ce débat sur le commerce extérieur puisse avoir lieu, car il nous paraît essentiel de ne pas répéter les erreurs du passé. La plus importante d’entre elles fut le choix de la désindustrialisation, pourtant assumée par les gouvernements successifs depuis des décennies. Personne n’a anticipé les conséquences de ce choix désastreux, qui est à l’origine du déficit abyssal de notre balance commerciale.

Pour de nombreux commentateurs, nous avons « touché le fond », ou plutôt l’abysse, en dépassant la barre des 164 milliards d’euros de déficit en 2022 ! Bien évidemment, les dernières crises ont encore creusé davantage le solde des échanges de biens, notamment avec la hausse du déficit énergétique. Mais cette dégradation conjoncturelle ne fait que renforcer une tendance structurelle, observée depuis vingt ans.

La situation est grave, parce que nous nous sentons impuissants face à la détérioration conjoncturelle du commerce extérieur de la France, n’ayant plus de « réserves » pour faire preuve de résilience. Elle est grave, car notre premier partenaire commercial, l’Allemagne, peut au contraire résister à la crise actuelle. En effet, en 2021, elle affichait, d’après Eurostat, un solde positif de 178,4 milliards d’euros. Nous n’avons pas su tirer les leçons des choix économiques ayant placé nos deux pays sur des trajectoires diamétralement opposées, depuis les années 1990, en termes de compétitivité. Nous sommes aujourd’hui les derniers de l’Union européenne, derrière l’Espagne, la Roumanie et même la Grèce.

Monsieur le ministre, nous espérons que nous partageons le même constat et les mêmes objectifs sur trois points prioritaires.

Premier point, la Team France Export, née de la stratégie dite de Roubaix de 2018, constitue un indéniable progrès. Toutefois, elle ne peut à elle seule résoudre le problème du commerce extérieur de la France. Car nous ne pouvons pas changer la donne en nous focalisant uniquement sur l’export. Aujourd’hui, l’ensemble des témoignages recueillis par notre mission convergent autour du constat d’une carence de vision globale, stratégique, intégrant des objectifs en matière d’importations.

Deuxième point, la réflexion sur une stratégie en matière d’importations et de relocalisations implique de s’interroger sur deux éléments : ce que nous sommes capables de produire en restant compétitifs et ce qui contribue à notre souveraineté. Les Français ont découvert les conséquences des délocalisations de production avec la pénurie de masques pendant la crise du covid-19. Ils vivent aujourd’hui avec l’angoisse d’une rupture d’approvisionnement de médicaments, notamment pédiatriques. On recense près de 320 médicaments d’intérêt thérapeutique majeur en forte tension, conséquence des délocalisations massives de production.

Nous ne pouvons plus attendre les prochaines crises pour réfléchir aux relocalisations. Nous devons impérativement nous demander aujourd’hui quelles sont les dépendances qui peuvent porter atteinte à notre souveraineté et en tirer les conséquences en matière de relocalisations.

Cette stratégie, éminemment politique, devrait faire l’objet d’une loi d’orientation économique pour la France.

Troisième point, qu’il s’agisse de relocalisations ou de « réindustrialisation verte », nous ne pouvons plus nous voiler la face. Rien ne sera possible sans accompagner ces projets d’une stratégie fiscale adéquate. La force de frappe, ce sont les entreprises de taille intermédiaire (ETI), qui ne peuvent pas se développer en France, notamment en raison d’une fiscalité de la transmission bien moins favorable qu’en Allemagne. Nous le répétons depuis des années !

Résultat, nous ne comptons que 5 400 ETI, contre 12 500 chez nos voisins. Tous les économistes l’ont reconnu, le poids de la fiscalité et de la complexité administrative a conduit les entreprises françaises à créer des filiales à l’étranger plutôt qu’à exporter. Or les importations des 46 488 filiales françaises pèsent aujourd’hui sur notre balance commerciale. C’est à cette logique, à cette spirale infernale, que nous devons enfin mettre un terme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure de la délégation sénatoriale aux entreprises. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, comme l’a souligné à l’instant mon collègue Vincent Segouin, nous avons perçu, tout au long de nos travaux, une défaillance en matière de stratégie publique. Le commerce extérieur doit être appréhendé comme un écosystème, et toutes les dimensions de la compétitivité nécessitent que l’on se fixe des objectifs ambitieux.

C’est vrai en particulier en matière de compétences. Elles ne s’improvisent pas et sont incontournables pour que les entreprises puissent s’emparer des marchés étrangers. Compétences linguistiques, économiques et mathématiques doivent être renforcées pour accompagner l’internationalisation de nos PME. Les compétences sont également au cœur de toute stratégie de relocalisation, voire de maintien dans nos territoires des productions qui sont aujourd’hui notre force.

Prenons l’exemple du secteur des services, dont les exportations ont augmenté de 142 % depuis vingt ans, pour atteindre un solde excédentaire de 50 milliards d’euros en 2022, soit une hausse 14 milliards d’euros en un an. Ces services, qui sont intrinsèquement liés aux biens industriels, reposent aujourd’hui sur des savoir-faire qui, avec les nouvelles technologies, connaissent un risque non négligeable de « télémigration ». Cette fuite des talents, donc des activités de services, constituerait un revers fatal pour notre pays.

Or nous constatons, à la faveur de travaux en cours de la délégation aux entreprises sur les sujets de la formation et des compétences, que les entreprises sont obligées de s’organiser et de créer leurs propres écoles pour pallier les carences de la formation initiale des actifs.

Comme l’ont démontré de nombreux rapports de France Stratégie, de la Banque européenne d’investissement ou d’autres, l’indisponibilité de travailleurs qualifiés constitue une entrave à l’investissement et à l’innovation.

Monsieur le ministre, il est temps que la stratégie publique prenne sérieusement en compte la question des compétences. Pouvez-vous nous indiquer comment vous organisez la coordination des actions avec vos collègues chargés de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la formation professionnelle ?

La coordination sera également le maître-mot pour appréhender les enjeux de l’Union européenne. Nous savons déjà que les surtranspositions françaises de directives européennes constituent un handicap pour la compétitivité de nos entreprises. Mais sommes-nous réellement conscients des effets des surtranspositions européennes d’accords internationaux ? Ou bien du taux de recours dérisoire aux instruments de défense commerciale (IDC) de l’Union européenne par rapport aux États-Unis ?

Lors d’un récent débat sur les conclusions du rapport de la délégation consacré à la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), nous avions souligné les difficultés liées à l’absence de réciprocité des règles et normes applicables aux entreprises implantées hors de l’Union européenne.

Monsieur le ministre, comment la France sensibilise-t-elle les autres États membres de l’Union aux effets néfastes de l’absence de « clauses miroir » ? Il faut vraiment avancer sur ce point.

Vous l’aurez compris, l’enjeu du commerce extérieur dépasse largement la politique publique de soutien des entreprises à l’export. Ce sujet ne sera appréhendé efficacement que lorsque les objectifs de compétitivité seront déclinés dans toutes les politiques publiques et partagés par tous les ministères concernés.

Nous espérons que nos travaux trouveront un écho, car nous devons rapidement « changer de logiciel » et définir ensemble les priorités de la France en fixant un cap pour les vingt prochaines années. (Applaudissements au banc des commissions.)

Mme le président. La parole est à M. Thierry Cozic, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

M. Thierry Cozic. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France subit depuis le début des années 2000 une détérioration continue de sa balance commerciale, avec un déficit écrasant évalué à 84,7 milliards d’euros en 2021.

Cette situation est particulièrement inquiétante. Elle l’est d’autant plus que la crise énergétique actuelle est marquée par un grave dysfonctionnement du marché énergétique européen, qui s’est traduit par une envolée historique des prix du gaz et de l’électricité. Les dernières estimations font état d’un déficit qui pourrait atteindre plus de 150 milliards d’euros.

Il est nécessaire de trouver rapidement une solution aux défaillances du marché européen de l’énergie, qui plombent aujourd’hui la compétitivité de nos entreprises et grèvent le budget de nos services publics, de nos collectivités et de nos ménages.

L’électricité que nous produisons en France est pourtant l’une des plus compétitives en Europe. Alors que la spéculation se déchaîne sur les marchés de gros, nos entreprises et notre tissu industriel ne peuvent pas directement profiter de cette compétitivité.

Si les prix de l’électricité continuent d’augmenter, nous pourrions faire face à une nouvelle vague de délocalisations et de désindustrialisation. Alors que les États-Unis ont lancé un programme protectionniste au travers de l’Inflation Reduction Act (IRA), l’Union européenne hésite encore à protéger de manière vigoureuse le peu qui lui reste de son industrie !

Sans un grand plan d’aide pour la décarbonation de notre économie, l’Union européenne peinera à atteindre ses objectifs, ce qui pourrait la mettre à la merci du secteur des nouvelles technologies, dominé principalement par les firmes sino-américaines.

Le repli sur soi n’est pas la solution, mais l’Union européenne doit prendre la mesure des phénomènes de reflux de la mondialisation et adopter une approche plus pragmatique et en phase avec les enjeux de la transition écologique.

Notre dépendance aux importations chinoises ne concerne plus seulement les produits de faible valeur ajoutée. Force est de constater que la Chine a désormais investi le marché des produits de haute technologie. Cette dépendance n’est pas spécifique à la France, puisqu’elle touche aussi nos partenaires européens et les États-Unis.

Lorsque la Chine a commencé à les concurrencer sur ce segment, les États-Unis ont réagi auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), en dénonçant, d’une part, l’utilisation du statut de pays en voie de développement, et, d’autre part, les nombreuses subventions et protections que la Chine déployait pour son tissu industriel.

Comme par le passé, les nations qui ont le mieux tiré leur épingle du jeu sont celles qui ont réussi à protéger leur économie des règles du libre-échange.

C’est se méprendre que de continuer de penser que l’on résoudra le problème du déficit commercial en diminuant le coût du travail. Cette course à la déflation salariale a maintes fois montré son inefficacité. Elle serait d’autant plus inopportune que nous sommes dans un contexte de retour de l’inflation, dont l’origine est principalement énergétique.

La solution pourrait être ailleurs. Les effets de bord d’un capitalisme devenu incontrôlé, avec des délocalisations en nombre, ont appauvri les couches populaires les plus tributaires des secteurs industriels marchands et ont sapé la confiance collective envers les décideurs publics et privés.

Cette confiance est pourtant primordiale, afin d’engager les nécessaires et colossaux investissements qu’exigent les changements climatiques.

Monsieur le ministre, le Pacte vert pour l’Europe, présenté comme une réponse aux incursions protectionnistes sino-américaines, sera-t-il suffisamment important pour remettre sur pied une industrie digne de ce nom, permettant à l’Union européenne de gagner en autonomie stratégique ? Rien n’est moins sûr, à notre sens.

En tout cas, le Gouvernement devra trouver rapidement la réponse à cette question, tant elle conditionne le retour à l’équilibre de notre commerce extérieur.

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Olivier Becht, ministre délégué auprès de la ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de lattractivité et des Français de létranger. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne puis que partager le constat de l’aggravation de notre déficit extérieur, lequel a plus que doublé par rapport à l’année 2021, ce doublement étant quasi intégralement dû à la dégradation de la balance énergétique.

En effet, en 2022, notre parc nucléaire étant en grande partie indisponible du fait du rattrapage de la maintenance que nous n’avons pas effectuée durant les deux années de covid-19, nous avons été obligés d’importer de l’électricité, au lieu d’en exporter.

Nous avons dans le même temps subi de plein fouet, comme d’ailleurs la plupart de nos partenaires, la hausse des prix du pétrole et du gaz, qui, sur l’ensemble de l’année 2022, ont été multipliés par 2,1. Le prix du gaz a même connu une hausse de 148 %.

Nous sommes confiants sur le fait que cette situation très particulière va se résorber de manière naturelle : le parc nucléaire est de nouveau disponible à plus de 75 %, et il le sera encore davantage dans les prochaines semaines. Nous sommes déjà redevenus exportateurs d’électricité, ce qui est une bonne nouvelle.

Pour le reste, nous sommes en train d’agir au niveau européen pour que le prix du gaz soit capé et pour que celui de l’électricité soit recalculé selon une formule permettant de rendre le tarif du mégawattheure acceptable.

Je suis optimiste : les efforts que nous réalisons avec nos partenaires européens nous rendront compétitifs pour les prix de l’énergie, cette dernière étant naturellement une composante importante de notre balance commerciale.

Mme le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le déficit de la balance commerciale de la France est devenu abyssal. Celle-ci continue de se dégrader en dépit des discours martiaux du Président de la République, qui prétend que la réindustrialisation du pays est en marche…

Ne nous laissons pas égarer par une communication qui voudrait nous bercer de douces illusions. En réalité, le compte n’y est pas, et il faut changer de cap !

Les faits sont têtus : la part de la production manufacturière dans le PIB ne cesse de chuter. Certes, elle avait déjà diminué à 13,5 % en 2019, comme les rapporteurs l’ont souligné, mais elle n’est plus que de 9 % en 2021 ! À cet égard, notre pays est le dernier de l’Union européenne, à égalité avec la Grèce.

Oui, la principale cause de la dégradation du commerce extérieur est la désindustrialisation. (M. le ministre acquiesce.) Certes, s’y ajoute désormais la forte dégradation de la balance énergétique, causée par les hausses du gaz et de l’électricité, mais surtout par le fait que la France est redevenue importatrice d’électricité, alors qu’elle en était jusqu’à présent exportatrice. Qu’on le veuille ou non, c’est la conséquence de choix gouvernementaux calamiteux depuis dix ans.

L’horizon est loin de s’éclaircir, tant les perspectives d’évolution des prix de l’énergie sont inquiétantes. Ainsi, 42 % des entreprises industrielles estiment qu’elles verront leur facture énergétique doubler en 2023, ce qui, selon les prévisions, entraînerait une baisse de 1,5 % de la production industrielle du pays.

Devant ces craintes, les propositions du Gouvernement ne sont pas de nature à changer la donne. Nous considérons qu’il en faut davantage. Il y a urgence, tout comme il y a urgence à nous soustraire aux règles de ce dramatique marché européen de l’énergie, totalement absurde et dangereux.

Pour autant, le cœur du problème est bien la désindustrialisation. À cet égard, nous partageons la proposition des rapporteurs de mettre en œuvre une stratégie globale de long terme pour le redressement du commerce extérieur et la réindustrialisation. Mais pour ce faire, il faut partir d’un bilan lucide et rigoureux.

Au premier chef, il importe de souligner l’inefficience des politiques développées par Emmanuel Macron, et largement soutenues par le Medef, le Mouvement des entreprises de France.

On nous disait : pour que la France retrouve sa compétitivité, il faut baisser le coût du travail et les impôts. Voilà dix ans que cette politique dite « de l’offre » est mise en œuvre et voilà dix ans que la balance commerciale et notre industrie plongent ! Cela devrait faire réfléchir et conduire à des remises en cause.

Eh bien non, il n’y en a jamais assez ! Errare humanum est, perseverare diabolicum. Excusez du peu, ce sont 150 milliards d’euros d’allégements de cotisations et d’impôts qui ont été accordés aux entreprises, et cela sans ciblage, que ce soit vers le commerce extérieur ou l’industrie, ni contrepartie en emplois ou en investissements.

Nous estimons qu’il faut mettre fin à ce gâchis d’argent public et réorienter ces crédits vers un soutien ciblé et durable, dans le cadre d’une véritable politique industrielle. Celle-ci doit associer les partenaires sociaux, les collectivités – notamment les régions, mais pas seulement elles –, l’éducation nationale, l’université et les centres de recherche et de formation.

C’est une mobilisation générale du pays qui s’impose. Cette nouvelle politique industrielle doit s’appuyer sur la création d’un véritable ministère de l’industrie, indépendant de Bercy, avec une administration propre, compétente, orientée vers cet objectif et qui travaillerait avec le Haut-Commissariat au plan.

Par ailleurs, nous pensons qu’il faut des plans de filière, bien sûr dans les domaines stratégiques, mais pas seulement. Ne négligeons surtout aucun secteur, même si les efforts doivent être gradués en fonction de leur exposition. C’est bien la diversité du tissu industriel qui permettra la réindustrialisation de notre pays, au travers de ses petites et grandes entreprises…

Mme le président. Votre temps de parole est terminé, ma chère collègue. (Mme Marie-Noëlle Lienemann sexclame.) Vous pourrez intervenir de nouveau en réplique à la réponse du ministre.

La parole est à M. le ministre délégué.

M. Olivier Becht, ministre délégué auprès de la ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de lattractivité et des Français de létranger. C’est vrai, pendant plus de vingt ans, du début des années 1990 au début des années 2010, notre pays a réalisé beaucoup d’efforts, et avec grand succès, pour se désindustrialiser.

Nous avons peut-être cru, tous gouvernements confondus, de gauche comme de droite, à ce que j’appellerai « le mirage chinois », qui nous a fait penser que nous serions plus compétitifs en allant produire ailleurs, pour moins cher.

Or nous avons été victimes de ce merveilleux effet de ciseaux : quand nous ne produisons plus chez nous, non seulement nous n’exportons plus nos produits, mais nous sommes en plus obligés d’importer ce qu’il nous faut. De ce fait, nous avons creusé de manière constante le déficit de notre balance des biens.

Aujourd’hui, ce mouvement de désindustrialisation est inversé.

M. Olivier Becht, ministre délégué. Si, madame la sénatrice ! Depuis trois ans, nous créons plus d’emplois industriels que nous n’en détruisons ; nous construisons plus d’usines que nous n’en fermons.

Sous l’impulsion du Président de la République a été lancé le plan France 2030, qui constitue un magnifique outil pour réindustrialiser notre pays.

J’en veux pour preuve les usines qui, aujourd’hui, sortent de terre, dans les semi-conducteurs à Crolles, près de Grenoble, dans la fabrication de paracétamol à partir de principes actifs avec séquences, dans l’Isère, ou encore, pour extraire du lithium, matière stratégique s’il en est, dans l’Allier ou dans le Bas-Rhin.

Oui, la réindustrialisation est en marche. Oui, elle prendra du temps, parce que l’on n’inverse pas vingt années de désindustrialisation en deux ans – il faudra bien une décennie –, mais le Gouvernement est à la tâche, sous l’autorité du Président de la République.

Mme le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour la réplique.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il me faudrait du temps pour déconstruire ce discours mirobolant sur la réindustrialisation !

Je ne nie pas que, grâce à l’intervention de l’État, certaines usines ont rouvert. Mais c’est l’arbre qui cache la forêt. Des secteurs entiers sont décimés ! Franchement, la reconquête du médicament par le seul paracétamol n’est pas très crédible, comme les rapporteurs l’ont expliqué.

Monsieur le ministre, certains parlaient de « mondialisation heureuse », même si tout le monde n’était pas béat devant la désindustrialisation, et surtout pas les syndicats. Comme vous l’avez dit, on prétendait qu’il n’était pas grave d’aller produire en Chine, pour moins cher…

Aujourd’hui, le temps est venu de rompre avec les politiques européennes qui font du libre-échange généralisé la règle, et pas seulement dans les échanges avec l’extérieur de l’Union européenne. En effet, il faut bien avoir à l’esprit que le gros du déficit de la France vient du commerce intra-européen. Au sein de l’Union européenne, le dumping social et fiscal fonctionnent à plein !

M. Fabien Gay. Très bien !

Mme le président. La parole est à Mme Daphné Ract-Madoux. (M. Michel Canévet applaudit.)

Mme Daphné Ract-Madoux. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, face au retour en force dans le monde d’un protectionnisme classique, couplé à un réarmement commercial inédit, il est plus que jamais nécessaire de bâtir une stratégie commerciale résolument ambitieuse, afin de garantir la compétitivité de nos entreprises à l’international.

Le travail prospectif mené par la délégation sénatoriale aux entreprises et ses rapporteurs est salutaire et permet d’inscrire ce sujet à l’agenda du débat public. Je souhaite donc féliciter Florence Blatrix Contat, Vincent Segouin et Jean Hingray de la qualité de leurs travaux et de leurs recommandations. C’est un travail d’autant plus important que, en matière commerciale, la sonnette d’alarme devrait être tirée depuis longtemps.

Ainsi, le déficit de la balance commerciale française s’est fortement aggravé en 2022, passant de 85 milliards d’euros à près de 164 milliards d’euros. Au-delà d’un phénomène structurel connu de longue date, le renchérissement de la facture énergétique, associé à la forte dépréciation de l’euro face au dollar, a fait plonger notre balance commerciale. Mes chers collègues, nous le savons, notre dépendance aux importations est problématique et remet en cause notre souveraineté.

Si l’on met de côté la question préoccupante de l’énergie, notre déficit structurel s’est creusé dans des proportions inquiétantes. Fleuron français, l’aéronautique voit sa balance excédentaire passer de 31 milliards d’euros à 20 milliards d’euros entre 2019 et 2022, soit une chute de 35 % sur trois ans…

Ces chiffres symptomatiques d’une politique commerciale touchée par un mal profond sont aggravés par une concurrence internationale acharnée.

Avec la fin des restrictions sanitaires, Pékin renoue avec sa politique commerciale offensive, en misant sur sa main-d’œuvre peu qualifiée et ses géants industriels ultra-compétitifs.

Washington a récemment adopté l’Inflation Reduction Act, doté de 370 milliards d’euros, visant à soutenir les entreprises américaines produisant éoliennes, panneaux solaires et véhicules électriques.

Avec nos partenaires européens, nous devons agir rapidement pour permettre à nos entreprises de continuer à trouver des débouchés sur les marchés internationaux en restant compétitives.

Je salue à ce titre l’action du Gouvernement ayant conduit, au niveau européen, à la mise en œuvre d’un plan industriel communautaire pour un Pacte vert, présenté par la Commission mercredi dernier. La création d’un fonds européen de souveraineté à destination de nos acteurs économiques est ainsi un signal fort envoyé par la Commission.

En complément, à l’échelon national, nous devons mieux accompagner à l’international nos TPE, PME et ETI. La mise en œuvre de la Team France Export, dans la lignée de la stratégie de Roubaix de février 2018, est par exemple un véritable succès. C’est désormais un outil clé, qui a accompagné plus de 10 500 PME et ETI françaises en 2021.

Si nous ne pouvons que nous féliciter de ces réformes et de ces avancées, il reste tant à faire, mes chers collègues ! Trois recommandations du rapport me semblent devoir être soutenues à cet égard.

Tout d’abord, nous devons continuer d’investir dans la formation dans le secondaire et le supérieur, afin de doter nos entreprises de professionnels agiles et à l’aise à l’international pouvant faciliter l’insertion de nos entreprises sur les marchés extérieurs.

Ensuite, nous devons mieux identifier les vulnérabilités d’approvisionnement, en utilisant les données douanières européennes. C’est une condition impérative pour garantir notre souveraineté commerciale.

Enfin, il est urgent de définir une vision stratégique à horizon de 2040, voire de 2035, en matière de commerce extérieur, afin de nous attaquer aux racines structurelles de notre déficit.

Cette vision doit s’appuyer sur deux piliers principaux : d’une part, une meilleure synergie entre les nombreux et différents dispositifs existants, pour une politique plus efficiente ; d’autre part, l’inscription dans une loi de programmation des objectifs précis de réduction du déficit, afin de bâtir une trajectoire lisible et cohérente pour l’ensemble des acteurs.

Mes chers collègues, nous le savons, le chantier est immense.

Mme le président. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Daphné Ract-Madoux. Il nous appartient de le mener avec un engagement total. (Applaudissements au banc des commissions.)