M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous le savons, et depuis fort longtemps, notre système de santé a dépassé le stade de la crise pour entrer dans une phase de réel effondrement, que nous mettrons des décennies à dépasser, même en faisant preuve de la meilleure volonté politique du monde et en réalisant les investissements nécessaires.

En effet, l’enchaînement de décisions politiques à courte vue, articulées autour d’une idéologie considérant que les services publics doivent coûter le moins cher possible à court terme, que le secteur privé et le marché sont par nature plus efficaces, qu’il faudrait « marchandiser » les soins et rentabiliser la santé, a eu raison de la force de nos services publics.

Les personnels de santé ont ainsi vu leurs conditions de travail se dégrader fortement, accélérant d’autant plus cet effondrement.

Tant d’entre eux renoncent et partent, quand trop peu arrivent, et ceux qui restent sont en proie à l’épuisement ainsi qu’au terrible sentiment d’impuissance face aux conséquences désastreuses pour leurs vies, mais surtout pour celles des patientes et des patients, mis en danger par les politiques menées jusqu’ici.

Dans ce contexte, revaloriser ces métiers est l’une des batailles à mener.

En permettant l’accès direct aux IPA, aux masseurs-kinésithérapeutes et aux orthophonistes dans le cadre de structures d’exercice coordonné, la proposition de loi vise à élargir les responsabilités de ces derniers et contribue à améliorer l’accès aux soins, à l’heure où 6 millions de Français, dont 600 000 souffrant d’une affection de longue durée, n’ont pas de médecin traitant et, de façon réaliste, ne peuvent matériellement pas en trouver, à court ou moyen terme.

Mon groupe salue évidemment la montée en responsabilité de ces professionnels, qui participe à la reconnaissance de leurs qualifications.

Nous sommes cependant surpris que ces propositions ne soient pas accompagnées d’une importante revalorisation salariale. Si l’idée est de remplacer des infirmières sous-payées par des infirmières sous-payées avec plus de responsabilités, je ne suis pas sûre que nous allions bien loin dans la résolution du problème.

De la même manière, nous savons qu’une des clefs pour améliorer réellement l’accès aux soins réside dans les effectifs. Investir dans nos services publics pour former davantage de personnels de santé et, surtout, construire un système de santé fondé sur les besoins de la population est bien plus important que d’avoir directement accès à des séances de kinésithérapie.

Cet impératif d’investissement public doit se retrouver dans les décisions à venir, faute de quoi la proposition de loi examinée aujourd’hui ne fera office que de fragile rustine posée sur un navire déjà à moitié englouti.

Nous regrettons par ailleurs l’adoption en commission d’un dispositif de sanction des rendez-vous non honorés, laissé à la discrétion de la convention médicale et sans cadre légal très précis.

Naturellement, les rendez-vous doivent être honorés et en réserver un sans s’y présenter pose plusieurs problèmes, aussi bien au médecin privé de la consultation qu’aux autres patients privés d’accès aux soins faute d’avoir pu profiter de ce créneau de rendez-vous, et ce d’autant plus dans un contexte de pénurie de médecins.

Néanmoins, l’alternative est soit de définir un dispositif réellement juste, s’appliquant uniquement aux annulations véritablement illégitimes – ce qui n’est pas explicitement prévu dans la version actuelle du texte –, assorti d’une sanction financière ne représentant pas une charge disproportionnée pour les patients concernés, ce qui aboutira à coup sûr à une « usine à gaz », soit de s’exposer à la mise en place d’une double peine pour de nombreux malades, accompagnée d’un mécanisme à peu près inapplicable.

Nous avons d’ores et déjà du mal à trouver des créneaux de rendez-vous pour être soignés en payant, évitons peut-être de faire payer les gens pour ne pas l’être. D’autant que, pour plusieurs raisons, il est statistiquement prouvé que les publics les plus précaires sont les plus susceptibles de ne pas honorer leur rendez-vous.

Encore une fois, je suis tout à fait consciente du problème, de son ampleur et de la nécessité d’y remédier, mais je veux croire que des dispositifs différents de la sanction financière ou du non-remboursement de soins ultérieurs, auxquels personnes n’a intérêt, peuvent être trouvés.

Enfin, je voudrais dire quelques mots sur la philosophie générale du texte, illustrée de manière assez limpide par son titre : « Proposition de loi portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé » : nous savons parfaitement que les problèmes d’accès aux soins dans notre pays n’ont pas beaucoup à voir avec la confiance dans les professionnels de santé, que ce soit celle que les pouvoirs publics ou que les patients leur portent.

La raison majeure de ce problème d’accès aux soins est le désinvestissement public dans notre système de santé. Réinvestir dans les services publics, revaloriser les rémunérations, construire un système de santé fondé sur les besoins et accordant toute sa place à la prévention doit rester notre cap.

D’ici là, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’abstiendra sur ce texte, eu égard à son équilibre général. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Xavier Iacovelli. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les chiffres sont là : 1,6 million de Français renoncent chaque année à des soins médicaux, 11 % des Français âgés de plus de 17 ans n’ont pas accès à un médecin traitant et 600 000 d’entre eux sont atteints d’affection de longue durée. Ces derniers ont besoin de suivi et de soins pour éviter d’éventuelles complications et, in fine, une hospitalisation.

Face à cette situation, il existe aussi une autre réalité, celle de professionnels de santé aux compétences variées, qui peuvent collaborer utilement, ou de nouveaux accès à des formations de plus en plus complètes, par exemple celle des infirmiers en pratique avancée.

En tenant compte de ces éléments, le texte déposé par notre collègue députée Stéphanie Rist vise à améliorer l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé.

Plusieurs mesures ont d’ores et déjà été prises pour renforcer l’accès aux soins. Je pense notamment à l’investissement massif de 19 milliards d’euros dans notre système de soins à l’occasion du Ségur de la santé, à la suppression du numerus clausus, aux revalorisations de 180 euros à 400 euros par mois, à l’augmentation des places ouvertes aux infirmiers, à l’assouplissement des règles concernant le cumul emploi-retraite ou encore au renforcement du déploiement des assistants médicaux.

Plusieurs dispositifs votés ont également déjà visé à renforcer la coopération entre professionnels de santé, par exemple en matière de vaccination par les pharmaciens et d’autres professionnels de santé.

En trois ans, le budget de la santé a augmenté de 50 milliards d’euros, madame la ministre.

Désormais, il nous faut aller plus loin et les conseils nationaux de la refondation (CNR) territoriaux, sources de multiples propositions, seront utiles à une réflexion globale en faveur de l’amélioration à la fois de notre système de santé et de l’accès aux soins à moyen et long terme.

La proposition de loi soumise à notre examen constitue une étape supplémentaire et s’ajoute à ces mesures.

Si le médecin traitant demeure le maillon central de notre organisation de santé, les soins peuvent être délégués à d’autres professionnels de santé compétents, tout en respectant le parcours de soins.

Comme son titre l’indique, cette proposition de loi nous invite à faire confiance : faire confiance aux compétences de nos professionnels de santé, faire confiance à leur expérience. Il ne s’agit pas ici de se substituer aux médecins.

Cependant, ce texte nous invite aussi à réfléchir plus largement à la revalorisation, à la coopération et, plus globalement, à l’organisation des professions de santé.

Lutter contre les déserts médicaux, améliorer la qualité de la prise en charge des patients, valoriser les compétences acquises tout en assurant une organisation cohérente des soins, voilà les objectifs ce texte.

Certes, il n’a pas la prétention de régler tous les maux d’un système malade, mais il contribue amplement à cette démarche de refondation.

La simplification du parcours de soins est un vrai sujet pour des millions de Français. Nous devons aménager l’accès direct, c’est-à-dire la possibilité pour un patient de consulter, en première intention, un professionnel de santé autre que son médecin généraliste, dans le cadre d’un exercice coordonné.

Je tiens d’ailleurs à saluer le travail de Mme la rapporteure Imbert et l’ensemble des contributions afférentes à ce texte pour parvenir à l’équilibre.

Le texte prévoit, dans son article 4 ter, une organisation de la permanence des soins sur chaque territoire, en tenant compte de leurs spécificités, grâce à une collaboration efficace entre les professionnels de santé présents sur le terrain. Il nous paraît opportun de pouvoir associer les communautés professionnelles territoriales de santé, de la même manière que les ordres des professionnels de santé concernés.

L’introduction d’un principe de responsabilité collective de participation à la permanence des soins nous semble également pertinente, c’est pourquoi nous proposons de rétablir ce principe au travers d’un amendement.

Il est important de laisser aux partenaires conventionnels la définition des modalités de l’engagement territorial des médecins, afin que ceux-ci puissent s’en saisir. Cela permettrait de définir les mesures envisageables pour une juste reconnaissance et une valorisation des professionnels s’engageant en faveur de la coopération ainsi que d’un accès aux soins de proximité et aux soins non programmés, avec des pratiques tarifaires maîtrisées au bénéfice de la population de leur territoire, au-delà des limites de leur propre patientèle.

Enfin, mes chers collègues, une problématique que nous ne pouvons ignorer, tant les retours de terrain sont nombreux, a trait aux rendez-vous non honorés. Nous en comptons plus de 27 millions chaque année. Ils représentent une perte de temps médical, par ailleurs précieux, particulièrement au sein de territoires sous-dotés. Nous saluons le dispositif proposé par la commission, mais il nous paraît comporter certaines limites. C’est pourquoi nous avons proposé une nouvelle rédaction visant à prévoir le recouvrement d’une pénalité financière d’un euro symbolique si plusieurs rendez-vous ne sont pas honorés par un même patient.

Enfin, mes chers collègues, j’aimerais également dire quelques mots des métiers de la santé et saluer l’engagement, le dévouement de ces femmes et de ces hommes au service des autres.

Comme je le soulignais, notre système de santé est à bout de souffle. Il existe des situations professionnelles extrêmement compliquées, mais il existe aussi de beaux parcours et de belles expériences dans ce secteur du soin qui fait la fierté de notre pays.

Il ne tient qu’à nous de poursuivre la dynamique enclenchée depuis plusieurs années, afin de mettre en valeur ces parcours, d’agir face à cette crise des vocations et surtout de continuer à écouter ces personnels pour coconstruire le système de soins de demain.

C’est la raison pour laquelle le groupe RDPI votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Bernard Jomier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, examiner ce texte à ce moment précis est une faute, madame la ministre.

En accélérant la procédure parlementaire au lieu d’attendre la fin de négociations conventionnelles pour saisir notre assemblée, votre gouvernement a fait le choix d’ignorer le respect dû aux acteurs intermédiaires.

Le président du Sénat avait d’ailleurs souhaité que cette proposition de loi ne nous soit soumise qu’à l’issue des négociations conventionnelles. Votre gouvernement a refusé ces deux mois de report.

C’est une habitude depuis qu’Emmanuel Macron est chef de l’État. Aujourd’hui, le monde de la santé, qui a besoin d’écoute, de sens de la négociation et du compromis, est un peu plus en rupture avec votre gouvernement en raison de votre inaptitude à respecter la démocratie sociale.

Voilà deux semaines, dans ce même hémicycle, madame la ministre, vous avez repoussé, sans discuter et sans montrer la moindre volonté de dialoguer, la proposition de loi relative à l’instauration d’un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé, soutenue par toutes les catégories de soignants hospitaliers et largement approuvée par le Sénat.

Aujourd’hui, vous cristallisez des oppositions entre professions de santé, alors qu’il faudrait davantage de coopération pour permettre à notre système de soins de répondre aux besoins de santé de notre population, qui est en grande difficulté à cet égard.

Madame la ministre, après avoir jeté tant d’huile sur le feu et en avoir mis si peu dans les rouages, comment espérez-vous parvenir à un accord sur de nouvelles répartitions de missions entre professionnels de santé ?

La difficulté est engagée quand vous commencez par poser un cadre par trop restrictif. Un objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) hospitalier fixé à 4 % est un signal négatif quand l’inflation s’élève à 6 %. Nous l’avons clamé haut et fort lors de l’examen du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

Nous avions alors également souligné que l’évolution de l’Ondam de ville, à 2,9 %, était inférieure de moitié à la hausse de l’inflation.

Dans de telles conditions, comment voulez-vous apporter du grain à moudre au moulin des discussions ?

Vous accordez des revalorisations de quelques centimes aux kinésithérapeutes, qui ont dénoncé l’avenant n° 7 de leur convention, ainsi qu’aux médecins, alors que le tarif de l’acte n’a pas été revu à la hausse depuis 2017 et que la convention sera valable pour une durée de quatre à cinq ans ; la revalorisation portera donc sur plus de dix ans.

En conséquence, tous les syndicats, y compris les plus modérés, ont unanimement claqué la porte des négociations.

Force est de constater que la recherche d’un accord avec les syndicats réformistes n’est pas toujours, et c’est un euphémisme, la ligne du Gouvernement.

Votre projet consiste-t-il à demander aux soignants de maintenir leurs revenus en multipliant les actes ? C’est ce que le directeur de la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam) a indiqué ce matin encore, en demandant aux médecins, déjà surchargés, de voir plus de patients. Il faudrait donc travailler plus pour gagner pas plus ! Les infirmières de ville devront-elles maintenir demain leurs revenus en réduisant le temps des toilettes, les kinésithérapeutes passer moins de temps avec leurs patients, les médecins se résoudre à des consultations toujours plus courtes, dans lesquelles le temps accordé à la prévention s’amenuise ?

Nous ne pouvons pas répondre à la pénurie par la désorganisation des parcours de soins et la multiplication des actes !

Dans ce contexte dégradé, l’utilisation de la voie parlementaire pour imposer de nouveaux partages de tâches est vouée à l’échec, non pas sur le plan législatif – un texte peut évidemment être adopté –, mais sur le terrain, dans l’application de ces mesures par des professionnels que l’on aura opposés au lieu de les rassembler.

Oui, sur le fond, de nouveaux partages de tâches sont nécessaires, et nous le soutenons, non pas uniquement d’ailleurs pour répondre à la pénurie de médecins, mais parce que notre système de santé reconnaît et valorise insuffisamment les compétences des différentes professions qui le composent.

Je veux rappeler à cette tribune que, depuis cinq ans, texte après texte, mon groupe dépose des amendements pour mieux valoriser la profession d’infirmière. Si cet hémicycle a souvent adopté nos propositions, vos deux prédécesseurs s’y sont systématiquement opposés, madame la ministre.

C’est au Gouvernement et au législateur qu’appartient la responsabilité de fixer les principes : pour nous, ces partages de tâches doivent respecter la nécessité d’un haut niveau de compétences du professionnel à qui la mission est confiée et l’inscription dans un parcours de soins. Charge ensuite aux organisations professionnelles, aidées par un cadre tarifaire soutenant, d’avancer par la négociation.

Réformer l’organisation des soins de ville implique l’adhésion des professionnels concernés. Je sais, pour l’avoir constaté, que, dans chaque profession – médecins, kinésithérapeutes, infirmières, sages-femmes –, beaucoup y sont prêts. Laissez-leur un peu de temps !

En effet, indépendamment des améliorations, réelles et significatives, que la commission des affaires sociales a apportées au texte sur proposition de sa rapporteure, dont je salue la qualité du travail, mieux légiférer, c’est aussi savoir quand ne pas légiférer. Nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je salue le travail de notre rapporteure Corinne Imbert, qui a tenté de repêcher une proposition de loi bien insatisfaisante.

On a tendance à dire que, très souvent, les suites de film sont moins bonnes que la première version. Nous n’étions déjà pas satisfaits de la première proposition de loi Rist ; je dois dire que cette deuxième saison n’est pas plus convaincante !

Sur la forme, cette proposition de loi est en réalité, une fois de plus, un projet de loi déguisé du Gouvernement. C’est pourquoi, madame la ministre, je m’adresserai directement à vous lors de mon intervention, d’autant que vous avez fait adopter plusieurs amendements sur des sujets majeurs, et ce sans étude d’impact ni concertation.

Nous avons de nouveau l’impression d’une loi fourre-tout, visant à réorganiser notre système de santé, mais sans vision d’ensemble, sans réelle ambition.

Depuis 2017, on ne compte plus le nombre de propositions de loi sur la santé censées régler un aspect du problème. Six ans plus tard, la situation est toujours la même : près du quart des Françaises et des Français vivent dans un désert médical ; beaucoup renoncent aux soins ; treize départements n’ont pas de gynécologue médical ; de nombreux patients n’ont plus de suivi psychiatrique. Je pourrai – hélas ! – poursuivre cette triste litanie.

Votre pseudo-réforme du numerus clausus ne produira aucun effet sur la pénurie de professionnels ou sur le développement des déserts médicaux. Les mesures du Ségur de la santé, elles non plus, n’ont eu aucun effet sur l’amélioration des conditions de travail des personnels.

Votre gestion de la pénurie se transforme aujourd’hui en discours pour, supposément, libérer du temps médical et mieux articuler les compétences des professionnels de santé.

Pour notre part, nous sommes favorables à une revalorisation des missions et des professions, notamment paramédicales, ainsi qu’à une reconnaissance des compétences. Mais l’objectif ne peut pas seulement être de remédier au manque de médecins. Il faut un haut niveau d’ambition pour notre système de santé, une vision globale et cohérente, ainsi, surtout, que le souci d’anticiper au lieu de réagir au coup par coup.

Il a été proposé une expérimentation de l’autorisation de la primo-prescription pour les IPA dans le PLFSS pour 2022, et une expérimentation de l’accès direct dans le PLFSS pour 2023. Nous avions soutenu ces dispositions. Mais, quelques mois plus tard, alors que l’expérimentation n’a pas eu lieu, vous nous proposez la généralisation des dispositifs. Notre propos n’est pas d’exprimer de la défiance à l’égard des professionnels concernés. Nous voulons simplement bien comprendre les raisons d’une telle accélération.

Madame la ministre, reconnaissez enfin que les politiques de restrictions budgétaires n’ont fait qu’affaiblir notre système de santé publique et que nous sommes proches de la rupture. Travaillez enfin à une loi sur la santé digne de ce nom, en prenant en compte les revendications, les aspirations et les besoins des professionnels comme des patients. C’est cela, l’urgence !

Or ce n’est pas du tout le chemin que vous empruntez. Sans même attendre la fin des négociations conventionnelles, vous inscrivez à l’ordre du jour du Parlement la présente proposition de loi, qui n’a fait qu’enfler au fil des différentes lectures.

Les conséquences sont immédiates : un arrêt des négociations et l’opposition des différentes professions médicales et paramédicales entre elles, là où il faudrait plus que jamais coordination et complémentarité.

Même les mesures qui pourraient améliorer les prises en charge des patients sont réduites dans leur portée.

Ainsi, que ce soit pour les IPA ou les orthophonistes, l’accès direct tel qu’il est envisagé est plus que restrictif : il serait uniquement autorisé dans les structures d’exercice coordonné. Il y a là une méconnaissance totale non seulement des territoires, mais également des professions concernées. Une telle rédaction ne prend en compte qu’une toute petite minorité des orthophonistes, pour ne pas dire quasiment aucun ! C’est pourquoi nous avions proposé plusieurs amendements en faveur de cette profession ; malheureusement, un seul d’entre eux a été jugé recevable.

En résumé, avec ce texte, les Françaises et les Français auront toujours autant de difficultés à se faire soigner. Ce ne sont pas les dispositions de l’article 4 ter sur la permanence des soins et l’élargissement de cette mission de service public à d’autres professions qui régleront le problème, puisque vous ne revenez pas sur l’obligation de garde.

Le parcours de soins, qui fait du médecin traitant le point d’entrée des patients, ne peut pas être détricoté sans réflexion globale et cohérente pour trouver des solutions immédiates face aux 6 millions de Françaises et de Français qui sont privés de médecin généraliste.

Une nouvelle fois, écoutez nos propositions !

Investissez massivement dans notre système de sécurité sociale pour augmenter les capacités de formation des professionnels de santé et améliorer l’attractivité des carrières, tout en donnant aux universités les moyens d’accueillir plus d’étudiants.

Réorganisez notre système de santé en partant des besoins des usagers, en maintenant les structures d’accès aux soins de proximité et en revoyant la gouvernance des hôpitaux pour une véritable démocratie sanitaire.

Confiez aux autres professionnels de santé une mission d’orientation du patient dans le système de santé, en leur permettant d’assurer une première prise en charge et d’organiser, avec les autres acteurs du territoire, l’orientation vers un médecin traitant, comme cela se fait dans les centres de santé.

En attendant tout cela, nous nous abstiendrons sur cette proposition de loi, qui constitue une nouvelle occasion manquée d’améliorer l’accès aux soins. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Élisabeth Doineau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, deux ans après l’examen de la première proposition de loi Rist au Sénat, texte hospitalo-centré qui, déjà, avait suscité une avalanche de réactions, nous examinons une deuxième proposition de loi Rist, portant, elle, sur la médecine de ville.

Aujourd’hui comme hier, on ne peut pas dire que ces initiatives emportent l’adhésion des professionnels. Bien au contraire : les médecins font grève et sont dans la rue !

Je commencerai donc mon propos par deux observations.

La première observation concerne la temporalité ; le sujet a déjà été évoqué par plusieurs de mes collègues. Est-il bien judicieux de choisir le temps des négociations conventionnelles pour réorganiser le système d’accès aux soins ?

Mme Élisabeth Doineau. Est-il bien raisonnable de jeter de l’huile sur le feu – je reprends l’expression de Bernard Jomier – dans cette période privilégiée pour fixer avec la Cnam les tarifs, les forfaits, les bonifications liés au prix des actes et des consultations ?

La deuxième observation concerne le choix du véhicule législatif. Pourquoi choisir l’initiative parlementaire en deux temps, désolidarisant l’hôpital et la médecine de ville, deux sujets intimement liés ? Pourquoi, alors que le Gouvernement soutient ces dispositions, ne pas avoir construit un projet de loi cohérent et, surtout, enrichi d’une étude d’impact ?

Je poursuis en évoquant deux obligations.

La première obligation est d’assurer un accès à des soins de qualité à tous les Français.

Nos concitoyens et nos élus nous pressent de trouver des solutions pour répondre à la faiblesse de la démographie médicale. Je comprends parfaitement l’exaspération des uns et des autres. Mais doit-on y répondre sans l’adhésion des professionnels ? Je ne le pense pas ! Je pense au contraire qu’il faut absolument rétablir la confiance. Celle-ci, comme on a coutume de le dire, ne se décrète pas ; elle se construit.

Or les médecins, pour ne parler que d’eux en ce jour de grève, n’en peuvent plus. Le climat est devenu délétère au fil du temps, avec une succession de propositions de loi imposant des mesures de régulation, des permanences de soins obligatoires, l’installation en zone sous-dense ou encore la dixième année de médecine générale.

On peut défendre l’objectif d’une offre de santé pour tous, mais on doit aussi préserver nos médecins. Maltraiter les soignants, c’est maltraiter les patients ! Il faut donc ramener la confiance et la sérénité.

Les médecins n’en peuvent plus des propositions de loi qui traversent le temps législatif comme les ballons chinois traversent le ciel américain ! (Mme Catherine Procaccia applaudit.) C’est insupportable et les conséquences sont importantes pour la médecine générale. Je ne vous dis pas, mes chers collègues, combien de médecins, de futurs médecins et d’étudiants en médecine m’ont exprimé leur désarroi et leur désaffection pour cette spécialité. Prenons-y garde !

La deuxième obligation est de reconnaître la montée en compétences d’autres professionnels de santé, comme j’ai toujours tenté de le faire par des amendements aux différents PLFSS ; sans doute le temps n’était-il pas venu…

La première marche s’est matérialisée à l’automne dernier par les annonces du Comité de liaison des institutions ordinales (Clio). Les différents ordres se sont accordés pour agir sur la pluridisciplinarité, la coordination des soins, la valorisation des compétences et l’amélioration de la lisibilité du système.

Il me semblait que cette première marche était à saluer et que nous devions poursuivre en ce sens ; la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui nous en donne peut-être l’occasion. Il y a donc – il faut le reconnaître – des raisons d’adopter ce texte, notamment parce qu’il octroie de nouvelles responsabilités à certaines professions.

Comme je l’ai indiqué, il faut garder en tête certaines observations et les obligations qui nous incombent. Nous devons regarder combien certains professionnels, notamment par des formations adaptées, sont montés en compétences. Je pense aux infirmières en pratique avancée, ou même aux infirmières de bloc opératoire, infirmières-anesthésistes, infirmières puéricultrices. Je pense à d’autres professionnels de santé, des paramédicaux qui sont devenus des éléments importants d’équipes pluridisciplinaires ou de soins primaires. Nous devons en tenir compte.

J’en viens aux dispositions prévues par la proposition de loi.

D’abord, je salue et fais mienne l’approche équilibrée de Mme la rapporteure Corinne Imbert. Je ne m’étendrai pas trop longuement sur le détail des articles.

Dans un premier temps, le texte ouvre l’accès direct aux infirmiers en pratique avancée, aux masseurs-kinésithérapeutes et aux orthophonistes. J’y suis favorable.

La profession d’IPA n’en est encore qu’à ses balbutiements. Il convient de faciliter son essor, en étendant ses compétences et en lui assurant un cadre sécurisant. Mais ne nous leurrons pas, il n’y a pas tant d’IPA en libéral que cela, et nous n’allons pas trouver des capacités supplémentaires en termes d’accès aux soins du jour au lendemain.

L’article 2 est relatif aux kinésithérapeutes. Le nombre maximal de séances accessibles sans diagnostic médical préalable a fluctué lors des différents examens du texte entre dix et cinq. Je m’interroge : est-ce vraiment au législateur de définir ce nombre ?

Par ailleurs, en concertation avec Mme Corinne Imbert, j’ai proposé un amendement tendant à lutter contre la pratique des rendez-vous médicaux non honorés, afin de regagner du temps médical. Je trouve réellement inacceptable que certaines personnes prennent des rendez-vous et ne les honorent pas, au détriment d’autres qui en ont besoin et n’en obtiennent pas.

L’objet de mon amendement est de confier à la convention médicale le soin de déterminer une indemnisation du médecin à qui un patient fait faux bond sans raison légitime. Je soutiendrai en outre un amendement de Mme la rapporteure visant à étendre cette disposition à l’ensemble des professionnels de santé ; nous avions pensé aux médecins, car c’était eux, principalement, qui avaient évoqué un levier important, nécessitant d’être pris en compte, mais d’autres professions médicales peuvent effectivement être affectées par les rendez-vous non honorés.

Cette indemnisation serait mise à la charge du patient manquant à l’appel, afin de responsabiliser les assurés sociaux. La CPAM pourra par exemple déduire la somme des remboursements ultérieurs versés au patient.

Même si ces amendements ne sont pas adoptés, il est aujourd’hui important de parler du problème.

Enfin, nous connaissons tous les difficultés rencontrées par les familles pour accéder à un orthophoniste. On sait aussi que ces professionnels sont en nombre insuffisant pour répondre à la demande. Essayons néanmoins de faciliter leur accès en évitant certains passages par le médecin traitant, notamment lorsque les enfants ont été vus par le médecin de la protection maternelle et infantile.

Je n’insisterai pas sur les autres dispositions, car je suivrai sur ces différents articles l’avis de Mme la rapporteure.

Cette proposition de loi crée des tensions au sein et entre certaines professions de santé. C’est regrettable au moment où nous avons besoin de la pleine mobilisation de chacun dans la lutte pour l’accès aux soins.

« Que faire dans la confusion et l’inquiétude ? C’est simple, dire ce que l’on croit », disait Jean-François Deniau. Voilà ce que je crois : il y a le volet santé du Conseil national de la refondation, qui n’a pas encore livré ses conclusions ; il y a les douze travaux du ministre de la santé, annoncés à la fin du mois de janvier ; il faut se recentrer sur ces deux chantiers, qui sont importants et dont j’attends beaucoup. Sans cela, on pourrait se retrouver à dire, à l’instar de l’auteur cité précédemment : « Dans le méli-mélo, j’ai toujours préféré le méli. » Quel dommage de ne pas choisir l’ensemble ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)