M. David Assouline. Parlons des bénéfices de Total !

M. Olivier Dussopt, ministre. Vous l’avez compris, nous n’emprunterons pas de tels chemins, aussi escarpés que sans issue. C’est donc une réforme d’équilibre et une réforme équilibrée,…

Mme Monique Lubin. D’un seul côté !

Mme Corinne Féret. Une réforme injuste !

M. Olivier Dussopt, ministre. … qui répartit l’effort que nous demandons de la manière la plus juste possible.

Mme Corinne Féret. Non, injuste !

M. Olivier Dussopt, ministre. La réforme que nous présentons est d’abord une réforme soucieuse de justice. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

Travailler plus longtemps, oui, mais pas pour tout le monde et pas de la même manière.

Nous allons conserver et améliorer le dispositif des carrières longues, en le rendant plus juste,…

Mme Cathy Apourceau-Poly. N’importe quoi !

M. Olivier Dussopt, ministre. … plus lisible, et en l’élargissant aux périodes de congé parental.

Nous apportons également une réponse aux carrières très longues, en permettant aux travailleurs ayant commencé avant 18 ans de partir quatre ans avant l’âge légal.

Nous le faisons en préservant les dispositifs déjà prévus pour ceux qui ont débuté avant 20 ans. Si vous l’acceptez, nous vous proposerons d’inclure ceux qui ont commencé à travailler avant 21 ans, comme l’a évoqué la Première ministre devant l’Assemblée nationale.

Ces améliorations ne pourront pas pour autant dénaturer le système, dont le principe fondamental est que la durée de cotisation est un minimum, un plancher, sans jamais avoir été un plafond.

Nous vous proposons un système plus juste, qui est également un système qui prend mieux en compte les travailleurs les plus fragiles, les victimes d’accidents et de maladies professionnelles. Les travailleurs handicapés pourront toujours partir à la retraite à 55 ans et les travailleurs invalides ou inaptes percevront toujours une retraite à taux plein dès 62 ans, comme c’est le cas aujourd’hui.

Dans le même temps, nous maintenons aussi le dispositif de départ anticipé à 50 ans pour les salariés exposés à l’amiante.

Nous vous proposons aussi de mettre ce texte à profit pour compléter les lois dites Chassaigne, du nom du président du groupe communiste à l’Assemblée nationale, en particulier la première, en considérant comme complète la carrière des exploitants agricoles interrompue avant son terme pour inaptitude ou invalidité.

Cette condition d’une carrière complète est exigée pour bénéficier de la pension minimale ; l’aménagement proposé permettra à 45 000 exploitants à la retraite d’en bénéficier, avec une revalorisation d’environ 80 euros par mois.

Concernant les aidants, nous créons une assurance vieillesse pour eux, qui viendra compenser les interruptions de carrière par l’attribution de droits nouveaux.

Nous veillons ainsi à tenir compte des particularités des parcours comme de la difficulté des métiers exercés.

Cette réforme est par ailleurs une réforme de progrès, qui ouvre de nouveaux droits.

Nous entendons d’abord améliorer la prise en compte de la pénibilité, notamment l’usure liée aux conditions d’exercice de certains métiers.

L’accès et les droits acquis avec le compte professionnel de prévention (C2P) seront considérablement renforcés avec un abaissement des seuils, une meilleure prise en compte des salariés « poly-exposés » et la création de nouvelles utilisations possibles.

Nous créerons notamment un congé de reconversion afin d’éviter l’enfermement dans des métiers difficiles sans perdre en rémunération.

Nous demanderons également aux branches de négocier des accords de prévention de l’usure professionnelle pour les métiers identifiés comme difficiles par les instances de la sécurité sociale, notamment la branche AT-MP, afin de tenir compte de l’exposition aux critères ergonomiques de port de charges lourdes, de postures pénibles ou de vibrations.

Pour accompagner ce suivi et financer ces mesures, nous créerons un fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle, doté de 1 milliard d’euros sur les cinq prochaines années.

Pour les travailleurs les plus exposés à la pénibilité, nous renforcerons le suivi médical à compter de 45 ans afin de garantir la possibilité de départs anticipés quand c’est nécessaire. Nous prévoirons également une visite à 61 ans et, entre les deux, un rythme de visites défini par les branches professionnelles et par le dialogue social.

Cette réforme est donc la promesse à celles et à ceux qui ont des métiers difficiles de partir en meilleure santé. Nous voulons ajouter à ces progrès relatifs à la prise en compte de l’usure d’autres progrès concernant, notamment, les petites pensions.

Ainsi, conformément à l’engagement du Président de la République, nous revaloriserons de 100 euros la retraite minimale de nos compatriotes ayant eu une carrière complète au niveau du Smic, pour les retraités de demain comme pour ceux d’aujourd’hui. (Marques dironie sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

M. Olivier Dussopt, ministre. Comme l’a rappelé le Président de la République depuis sa campagne, et comme je le dis depuis le début, cette mesure concerne les carrières complètement cotisées, c’est-à-dire complètes, à taux plein. J’insiste sur ce point, car il s’agit non seulement d’une mesure forte pour valoriser le travail, mais aussi d’une défense de la nature de notre système.

Valorisation du travail, d’une part, qui ne doit pas se confondre avec une politique de minima sociaux, car comme je l’explique à ceux qui soulèvent cette question et qui comprennent l’argument, on ne peut pas imaginer un système de retraite qui distribue des pensions très supérieures aux salaires perçus pendant la carrière.

Défense de la nature de notre système, d’autre part, car il est important d’entretenir une saine différence entre l’assurance contributive et le minimum de pension. La retraite est une assurance, le minimum vieillesse est un minimum social : ce sont deux instruments différents pour deux objectifs distincts.

Pour les retraités actuels, environ 1,8 million d’entre eux bénéficieront de cette revalorisation. Pour la moitié d’entre eux, soit 900 000 personnes, cette revalorisation sera comprise entre 70 et 100 euros. (Mme Corinne Féret en doute.)

Pour les futurs retraités – il y en a 800 000 par an –, ce sont 200 000 d’entre eux qui bénéficieront d’une pension meilleure qu’avant la réforme grâce à ce système de pension minimale.

Beaucoup l’avaient réclamé depuis vingt ans lorsque le principe des 85 % du Smic a été inscrit dans la loi, mais aucune majorité ni aucun gouvernement ne l’avait concrétisé, personne n’avait prévu de système d’indexation. C’est ce à quoi nous voulons aujourd’hui apporter une réponse.

Enfin, cette réforme est une réforme d’équité, et j’en viens à la question des régimes spéciaux.

Les régimes spéciaux ont leur histoire. Ils avaient leur raison d’être,…

Mme Cathy Apourceau-Poly. Ils étaient les pionniers !

M. Olivier Dussopt, ministre. … mais pour la plupart d’entre eux ils ne se justifient plus.

Mettre un terme à ces différences dont notre système a hérité au fil du temps, c’est aussi avoir le courage que peu de personnes ont eu avant nous. Il s’agit d’effacer des différences devenues incompréhensibles et de faire preuve de responsabilité.

Personne ne comprend plus pourquoi des agents de conduite partent en moyenne à un peu plus de 56 ans en région parisienne contre 62 ans dans d’autres régions. (Protestations sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

Nous devrons naturellement accompagner financièrement les régimes fermés progressivement à l’occasion des textes financiers de l’automne 2023. Je le dis très clairement : nous assurerons la soutenabilité des caisses de retraite, comme nous l’avons déjà fait pour la SNCF.

Les nouveaux employés des entreprises concernées seront affiliés au régime général de l’assurance vieillesse à partir du 1er septembre 2023. Dans le même temps, les salariés actuels continueront à bénéficier du régime spécial en matière d’assurance vieillesse, mais chaque entreprise devra négocier une période de convergence à l’issue de laquelle les âges spécifiques d’ouverture des droits seront relevés eux aussi de deux ans. C’est un point important, qu’il convient de souligner ici.

Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales caractéristiques du texte que je vous présente. Place au débat désormais.

L’examen à l’Assemblée aura permis d’entendre de nouvelles demandes, sans permettre de les discuter pour autant.

Je pense aux mesures pour les pompiers volontaires, les enseignants, les apprentis. Je pense aussi à la situation de Mayotte ou encore aux possibilités de rachat de trimestres de stages ou d’études. Je soutiendrai les amendements allant en ce sens ; le Gouvernement en a d’ailleurs déposé quelques-uns.

Cependant, nous devons aller plus loin, dans la continuité des discussions en commission des affaires sociales. Nous l’avons dit avec la Première ministre, le Gouvernement souhaite, vous le savez, ouvrir un débat sur les droits familiaux.

C’est un sujet complexe, car sensible, appuyé sur des inégalités entre les statuts, et qui porte sur un système pensé initialement pour compenser des trimestres non cotisés alors même que la progression du taux d’emploi des femmes a changé la nature de ces trimestres : ils viennent désormais s’ajouter à ceux qui ont été cotisés sur la même période.

Nous devons veiller à ce que notre système de retraite soit fidèle à notre époque, notamment pour les mères de famille. Il apparaît que la problématique est non plus tant celle des interruptions de carrière qu’elles subissent, comme cela l’a été et l’est encore parfois, que celle de l’accès à la promotion et à l’égalité professionnelle.

Les conclusions de ce débat sur les droits familiaux, à la fois en matière de maternité, d’éducation des enfants, de pension de réversion, trouveront leur place dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2024, mais cela ne doit pas nous empêcher d’avancer et d’apporter de premières réponses. Je pense à deux sujets en particulier.

Le premier doit nous permettre d’aller plus loin dans la compensation en matière de valorisation des pensions des écarts de salaires, dont une large partie est due aux interruptions. C’est tout le sens du dispositif de surcote à partir de 63 ans que votre commission des affaires sociales a adopté et que nous regardons avec beaucoup d’intérêt, car il répond à un certain nombre de nos priorités, même si nous restons attachés à l’équilibre financier du système.

Le second concerne une initiative du président Bruno Retailleau visant à créer un dispositif spécifique de pension de réversion des orphelins, notamment en faveur de ceux en situation de handicap. Le Gouvernement soutient également cette mesure.

Voilà donc, mesdames, messieurs les sénateurs, la réforme que nous vous proposons, voilà comment elle s’inscrit dans notre projet politique. Vous savez où nous voulons aller, vous savez comment nous voulons y aller. Avec cette réforme, nous prenons nos responsabilités, pour nous et pour les autres.

Je compte sur les débats du Sénat pour améliorer et enrichir ce texte. Soyez assurés que vous trouverez auprès du Gouvernement une oreille toujours attentive à l’ensemble de nos échanges. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – MM. Daniel Chasseing et Pierre Louault ainsi que Mme Évelyne Perrot applaudissent également.)

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le président, messieurs les ministres, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure générale de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur de la branche vieillesse, madame la rapporteure pour avis de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, nous voilà, mon collègue ministre du travail et moi-même, devant le Sénat et devant les sénateurs pour présenter le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale qui réforme nos retraites.

À l’orée de ces débats, je voudrais vous dire que nous venons devant vous avec un objectif simple : construire un compromis clair pour les retraites des Français. (Marques dironie sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

M. Fabien Gay. Un compromis ?

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Je le répète, l’objectif du Gouvernement et de la Première ministre est qu’à l’issue de nos discussions nous puissions trouver un compromis pour payer les retraites des Français, sans impôt en plus ni retraite en moins.

Nous voilà devant vous cet après-midi et c’est, j’allais dire, le cycle naturel…

M. Gabriel Attal, ministre délégué. … des lois financières : après l’Assemblée nationale, vient le temps du Sénat.

M. Bernard Jomier. C’est donc bien une loi financière.

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Je sais qu’ici, par-delà les divergences politiques, on s’écoute. (Murmures sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

Je sais qu’ici, par-delà les oppositions de fond, on débat. (Murmures ironiques sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

Je sais qu’ici, par-delà les parcours de chacun, on se respecte.

Je sais qu’ici il n’y a pas de ZAD, il n’y a que la République ! (Exclamations sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

Je serais donc tenté d’espérer qu’après le vacarme et l’obstruction des extrêmes s’ouvre en cet instant le temps de la sagesse et de la raison.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Quel mépris pour les députés ! (Mmes Laurence Rossignol et Marie-Pierre de La Gontrie ainsi que M. David Assouline renchérissent.)

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Car je souhaite poser une question et une seule : des cent heures de débat à l’Assemblée nationale, en commission et dans l’hémicycle – soit davantage de temps que pour les réformes précédentes –, qu’est-il sorti de bon pour les Français du point de vue de ceux-là mêmes qui s’arrogeaient le monopole de leur défense et qui ont tout fait pour retarder les débats ?

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Au fond, chacun apportera la réponse qu’il souhaite, même si je crois que les Français se sont malheureusement fait leur avis et qu’ils ne nous ont pas attendus pour cela. (Marques dirritation sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

Mmes Cathy Apourceau-Poly et Raymonde Poncet Monge. Ça, c’est sûr !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Si je pose cette question, mesdames, messieurs les sénateurs, ce n’est pas uniquement pour dénoncer une nouvelle fois ce qui a pu se passer.

Si je pose cette question, c’est parce qu’elle est la seule qui vaille d’être posée et parce qu’elle résume à elle seule notre unique boussole et, au fond, ce qui doit nous réunir : l’intérêt général et celui des Français.

Pour moi, l’intérêt général et l’intérêt des Français en matière de retraite tiennent en quatre points clairs.

Premier point : pouvoir payer sereinement les retraites de bientôt 20 millions de retraités en France.

Deuxième point : ne pas faire perdre 1 euro de pouvoir d’achat aux Français,…

Plusieurs sénateurs des groupes CRCE, SER et GEST. C’est raté !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il ne fait que baisser !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. … et donc exclure toute hausse d’impôts ou toute baisse des pensions.

Troisième point : équilibrer notre système de retraite en travaillant donc globalement un peu plus longtemps.

Quatrième point, enfin : prendre en compte la situation de chacun pour que la réforme soit équilibrée sur le plan budgétaire, je l’ai dit, mais qu’elle répartisse aussi équitablement l’effort demandé aux Français. (M. Bernard Jomier sexclame.)

Voilà l’approche cohérente qui est la nôtre et que nous soumettons à votre examen.

Voilà le cadre qui est le nôtre et auquel nous ne dérogerons pas, mais au sein duquel nous sommes ouverts au compromis.

Voilà ce qui nous semble être des conditions raisonnables pour œuvrer ensemble au service de l’intérêt général. En l’espèce, l’intérêt général, cela signifie permettre à chaque Français, le temps venu, de compter sereinement sur la retraite à laquelle il a droit. Ni plus ni moins !

Voilà ce qui est en jeu : préserver nos retraites, non par dogme ou par réflexe, mais par bon sens. Une vie de travail, à la fin, on doit en voir les fruits. Et le fruit d’une vie de travail, pour l’immense majorité des Français, c’est leur pension de retraite, qui leur permet de financer leur mode de vie auquel ils n’ont aucune envie de renoncer.

Au fond, c’est cela la classe moyenne, à savoir tous les Français qui n’ont que leur travail pour vivre. Cette classe moyenne qui a trop souvent le sentiment de travailler pour d’autres qui, eux, font le choix de ne pas travailler. (Protestations indignées sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

M. Bernard Jomier. Lamentable !

M. Fabien Gay. Honteux !

Mme Laurence Rossignol. C’est de la provocation !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Si l’on ajoute à cela le fait de travailler dur pour une retraite qui, en plus, diminuerait, ces Français perdront définitivement foi en l’action publique.

Alors c’est pour eux que nous agissons, c’est pour eux que nous nous sommes engagés dans cette bataille, c’est pour eux que nous vous présentons ce texte. Et c’est pour eux, mesdames, messieurs les sénateurs, que je souhaite lancer un appel. Loin des polémiques, engageons-nous dans ce débat sans faux-semblants ni postures politiques. (Murmures accentués sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

M. Rémi Féraud. Et sans cynisme !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. J’adresse un appel au compromis entre la majorité sénatoriale, qui incarne la volonté d’une réforme, et la majorité présidentielle, qui porte la responsabilité de la réforme.

J’adresse un appel à la cohérence : la majorité sénatoriale a tant voulu cette réforme, et l’a votée de nombreuses fois.

Mme Raymonde Poncet Monge. C’est la sienne !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. J’adresse un appel à la responsabilité : augmenter les impôts pour financer les retraites n’est pas la bonne solution. Car, à la fin, il y en a toujours un qui paye : il s’appelle le contribuable.

J’adresse donc cet appel au Sénat : discutons, amendons, débattons, mais, à la fin, votons ce texte. Votons-le, car garantir aux Français que leurs retraites seront payées n’est ni de droite, ni du centre, ni de gauche. C’est tout simplement œuvrer pour l’intérêt général. (Protestations sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

M. Fabien Gay. C’est de droite !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Cet appel n’est ni idéaliste ni déconnecté des réalités politiques à l’œuvre au Parlement. En effet, la progression des débats dans le pays a permis de trouver des points de convergence (M. Fabien Gay proteste.) qui rendent possible ce compromis. Je souhaite les partager brièvement avec vous.

Tout d’abord, premier point de convergence politique qu’il me semble intéressant de noter, plus personne ne remet en question le problème de financement de nos retraites.

M. Gabriel Attal, ministre délégué. S’il est un progrès permis par le débat à l’Assemblée nationale, c’est d’avoir vu la partie gauche de l’hémicycle, la Nupes (Nouvelle Union populaire écologique et sociale), reconnaître enfin qu’il y a un problème de financement pour notre système de retraite, comme l’ont dit plusieurs de ses députés. (Protestations sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SER.)

Les faits sont là et ils sont têtus : en 2002, notre sécurité sociale devait payer la retraite de 12 millions de retraités ; en 2030, elle devra payer la retraite de 20 millions de retraités, soit un quasi-doublement en une génération. Quel pays pourrait absorber ce choc sans rien faire ? Aucun ! Et d’ailleurs, tous les pays européens ou presque ont réformé leurs retraites. (M. Pierre Laurent, Mme Michelle Gréaume et M. David Assouline protestent.)

M. Mickaël Vallet. Tant pis pour eux !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. C’est un premier point d’accord qui me paraît essentiel.

Je tiens, à cet égard, à saluer la qualité des travaux conduits par Catherine Deroche, Élisabeth Doineau, René-Paul Savary et Sylvie Vermeillet dans cette assemblée. Ils témoignent d’une volonté sincère d’affronter les problèmes et vous nous trouverez toujours à vos côtés pour cela.

Mme Raymonde Poncet Monge. Ça, c’est sûr !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Ensuite, le contexte social du pays nous oblige tous, collectivement. Notre avertissement est clair : enlever 1 euro de pouvoir d’achat aux Français qui travaillent ou aux retraités serait d’une injustice presque cynique. Nous nous y opposerons de toutes nos forces, comme nous l’avons fait à l’Assemblée nationale où les propositions en matière de taxes, d’impôts, de cotisations, ont été nombreuses.

On nous a proposé de taxer les heures supplémentaires alors même qu’un ouvrier sur deux dans notre pays en fait. On nous a proposé de taxer les petites successions dans notre pays : 80 % des successions sont aujourd’hui exonérées d’impôt, les amendements venus de la Nupes nous proposaient de taxer toutes les successions, dès le premier euro, y compris les petites successions à 30 000 ou 40 000 euros. (Vives exclamations sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

M. Étienne Blanc. Quel scandale !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Qu’aurions-nous dit aux Français qui ont travaillé toute leur vie et dont le travail a été taxé ? Le fruit de ce labeur devrait-il être de nouveau taxé au moment de la succession ?

On nous a proposé d’augmenter les charges pour les petits artisans, les petits commerçants et les petits chefs d’entreprise : 700 euros de plus de charges pour un salarié au Smic ! (Exclamations continues sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.) Voilà ce qui était proposé à l’Assemblée nationale !

MM. Fabien Gay et Mickaël Vallet. Les cotisations, pas les charges !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Cela signifie qu’un boulanger employant trois salariés au Smic aurait dû en licencier un pour payer les charges des deux autres ! Voilà exactement ce qui était proposé par amendements ! (Vives protestations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST. – Marques dapprobation sur des travées des groupes Les Républicains et UC.) Mais je constate que ces propositions ont aussi leurs défenseurs au Sénat…

Notre conviction, c’est que c’est le travail qui crée la richesse, pas les nouveaux impôts. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains. – Protestations continues sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

Enfin, notre système actuel est injuste et il faut le corriger : pour les travailleurs qui ont des métiers pénibles et qui arrivent cassés à la retraite ; pour les femmes, dont les spécificités de carrière, en lien notamment avec la maternité et l’éducation des enfants, mais également avec des inégalités de rémunération, ne sont pas assez prises en compte au sein même du système de retraite ; pour les petites retraites, qui sont trop basses et que nous voulons revaloriser. (Mme Laurence Cohen sexclame.)

Voilà, en toute transparence, les points d’accord qui sont, je crois, largement partagés sur ces travées et qui rendent possible la perspective d’un compromis. (Marques dironie sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.) C’est en tout cas ce que j’espère. Nous y sommes prêts, pour notre part. Notre volonté est réelle, elle est sincère, elle est entière.

Mais je suis lucide : si l’Assemblée nationale a été la chambre des divergences brutales, je ne crois pas que le Sénat sera pour autant celle des convergences miraculeuses. (Mêmes mouvements.) Car un compromis se construit à certaines conditions : la discussion dans laquelle nous nous engageons, la capacité à faire évoluer notre projet, nous la démontrons, mais le compromis se construit aussi par la cohérence que les Français attendent de nous tous.

Je rappelle que, si les parlementaires qui soutiennent depuis des années une réforme des retraites par le recul progressif de l’âge légal de départ à la retraite répondent à l’appel que nous lançons, alors voter une réforme serait non seulement possible, mais aussi logique !

En matière de retraite, la majorité sénatoriale a en effet incontestablement le mérite de la constance. Je ne doute pas qu’elle aura aussi celui de la cohérence. Puisqu’elle vote chaque année en PLFSS des mesures visant à assurer l’équilibre de la branche vieillesse, le projet du Gouvernement et celui que cette majorité sénatoriale défend de longue date sont proches.

Je pense, notamment, au report de l’âge légal de départ à 64 ans et à l’accélération de l’allongement de la durée d’assurance requise pour obtenir le taux plein, autant de mesures contenues dans l’article 7 de ce PLFRSS.

Je tiens d’ailleurs à saluer cet esprit de responsabilité dans un jeu politique où, malheureusement, de trop nombreux responsables choisissent parfois d’ignorer le danger qui pèse sur nos finances publiques.

En bref, je crois à un compromis possible au Sénat. J’y crois et je l’appelle de mes vœux, car ce serait œuvrer démocratiquement à l’intérêt général. Je le dis, la force du compromis vaut toujours mieux que le fait accompli.

L’intérêt général, je l’ai souligné, c’est de payer sereinement les pensions de bientôt 20 millions de retraités. Pour cela, l’équilibre financier est indispensable et n’est donc pas négociable. Le menacer n’est pas une option. Je dis bien que cet équilibre est indispensable, car ce n’est pas une variable d’ajustement de la réforme : l’équilibre financier n’est pas secondaire, c’est le moteur de cette réforme puisqu’il s’agit de pouvoir continuer à payer chaque mois les pensions de bientôt 20 millions de retraités dans notre pays.

Parlons donc équilibre financier quelques instants, mesdames, messieurs les sénateurs. Ma responsabilité de ministre des comptes publics, c’est de dire la vérité sur les chiffres et, donc, sur le potentiel impact budgétaire des mesures votées par le Parlement.

Le texte venant de l’Assemblée nationale qui vous a été transmis – au sens textuel du terme – est à l’équilibre. Un certain nombre de mesures, discutées et votées en commission, auront un coût pour notre système de retraite. Je sais que nous recherchons tous l’équilibre du système et que nous ne souhaitons pas alourdir davantage les déficits. Il faut que nous puissions en discuter de façon approfondie et sereine au cours de nos débats.

Je pense d’abord à l’amendement visant à permettre aux assurés ayant obtenu au moins un trimestre de majoration de durée d’assurance au titre de la maternité, de l’adoption ou de l’éducation des enfants et justifiant d’une carrière complète à 63 ans de s’ouvrir des droits à surcote sans devoir attendre d’atteindre l’âge de 64 ans. Nous aurons évidemment ce débat, mais la Première ministre a rappelé notre ouverture par rapport à des mesures de bonification pour les femmes et qui contribueraient à gommer les écarts dans le niveau des pensions. Les évaluations sont en train d’être affinées, mais le coût d’une telle mesure est évidemment très important.

S’agissant de la proposition de maintenir à 60 ans l’âge minimum de départ à la retraite anticipée pour incapacité permanente, elle représente, combinée aux ajustements permettant à davantage d’assurés d’être éligibles à ce dispositif présentés dans le texte initial, un surcoût de plus de 250 millions d’euros à l’horizon de 2030, dont 100 millions d’euros pour le système de retraite.

Je pense aussi à l’amendement prévoyant le maintien de l’âge d’éligibilité à la retraite progressive à 60 ans, au lieu de son report à 62 ans, qui coûte un peu plus de 100 millions d’euros en 2030.

S’agissant des mesures visant à favoriser le recrutement des seniors, la commission des affaires sociales a proposé la création d’un « contrat de fin de carrière ». Ouvert aux salariés d’au moins 60 ans, ce contrat à durée indéterminée serait exonéré de cotisations famille.

Par ailleurs, le dispositif prévoit la possibilité pour l’employeur de mettre à la retraite le salarié si ce dernier remplit les conditions pour bénéficier d’une retraite à taux plein. L’idée est d’inciter l’employeur à recruter des seniors et à les maintenir dans l’entreprise jusqu’à ce que ces derniers puissent liquider leur pension.

Là encore, si je comprends l’intention des rapporteurs, je souhaite alerter sur le coût considérable d’une telle mesure, qui pourrait avoisiner les 800 millions d’euros selon une première estimation provisoire – nous aurons l’occasion d’en débattre. Il faut par ailleurs noter qu’il existe un risque d’effet de seuil.

Si j’additionne les coûts de chacune de ces mesures, en ne retenant que celles dont les conséquences financières sont les plus importantes, l’équilibre de notre système à l’horizon de 2030 s’éloigne indubitablement. Je le dis très clairement : nous souhaitons pouvoir respecter cet équilibre. Soyons clairs, parler de dépenses supplémentaires n’a jamais été un tabou, mais si nous perdons de vue l’équilibre financier du régime de retraite une réforme serait non seulement vaine, mais surtout contre-productive.

L’équilibre financier n’est évidemment pas une fin en soi,…