M. Gérard Longuet. Quand on n’a rien à dire, c’est déjà beaucoup ! (Rires sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Viviane Artigalas. Nous avons avancé des arguments financiers et chiffrés pour défendre nos amendements et nous avons pris le temps de dénoncer l’iniquité de ce projet de loi.

Les journalistes parlent d’obstruction, selon vous. Pour notre part, nous avons reçu de nombreux messages de nos concitoyens, qui regardent nos débats et sont très contents de prendre connaissance, grâce à nos interventions, d’éléments de ce texte : ils se rendent ainsi compte que certains chiffres avancés par le Gouvernement ne sont pas les bons ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Monsieur Lemoyne, la grande question, c’est celle des recettes. Nous vous avons présenté nombre de propositions pour les augmenter. Nous ne sommes pas d’accord à cet égard, mais nous donnons notre point de vue : nous voulons présenter d’autres solutions que les vôtres pour équilibrer le système de retraite. (Mêmes mouvements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Hussein Bourgi, pour explication de vote sur l’article.

M. Hussein Bourgi. Un collègue a parlé d’« obstruction cordiale », un autre d’« obstruction raisonnable ». Je considère, pour ma part, que ce que nous faisons ici s’appelle tout simplement la démocratie. Il s’agit d’un travail d’opposition.

Aujourd’hui, nous sommes dans l’opposition. Hier,…

M. Gérard Longuet. Vous votiez Touraine !

M. Xavier Iacovelli. Justement, il faut pérenniser le droit d’amendement !

M. Hussein Bourgi. … c’était votre cas et ce le sera peut-être de nouveau demain : vous bénéficierez alors aussi des droits que nous défendons aujourd’hui.

Un autre collègue a comparé nos travaux à ceux de l’Assemblée nationale. Comparaison n’est pas raison ! Ici, personne n’a agressé ou insulté les ministres – et c’est très bien ainsi. En effet, au Sénat, nous avons le culte du respect des adversaires, le culte du respect des ministres, le culte de la nuance ; chacun et chacune d’entre nous s’y emploie.

Pour le reste, le projet de loi qui nous est présenté est celui de la majorité sénatoriale, que le Gouvernement présente par procuration ! Vous devriez, chers collègues de la majorité sénatoriale, y trouver quelques motifs de satisfaction, tant votre stratégie d’influence a réussi.

M. Hussein Bourgi. Vous avez réussi à influencer le Gouvernement, qui a repris à son compte ce que vous vouliez faire depuis tant d’années. Réjouissez-vous, revendiquez cette victoire symbolique et politique !

Quant à vous, messieurs les ministres et chers collègues de la majorité présidentielle, assumez cette jonction entre les deux droites : la droite sénatoriale et la droite présidentielle !

Aucun ne veut assumer cette jonction parce que, dans quelques semaines, nos collègues de la majorité sénatoriale iront voir les grands électeurs. Parmi eux se trouvent des caissières, des agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (Atsem), des hommes et des femmes concernés par la pénibilité ! À ces personnes, précisément, vous allez ajouter deux ans au compteur. Commencez à l’assumer ici, car vous devrez l’assumer sur le terrain ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article liminaire.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 142 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 341
Pour l’adoption 250
Contre 91

Le Sénat a adopté. (Applaudissements au banc des commissions.)

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Bravo !

PREMIÈRE PARTIE

DISPOSITIONS RELATIVES AUX RECETTES ET À L’ÉQUILIBRE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE POUR L’EXERCICE 2023

Article liminaire
Dossier législatif : projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023
Article additionnel avant l'article 1er - Amendement n° 4473 rectifié

Intitulé de la première partie

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 3394, présenté par Mmes Poncet Monge et M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco et MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé, Parigi et Salmon, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet intitulé :

Dispositions relatives aux recettes et illustrant l’incapacité du gouvernement à équilibrer le budget, autrement qu’au détriment des travailleuses et travailleurs

La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Il s’agit d’un amendement de clarté et de sincérité.

La réforme repose à 100 % sur les travailleurs. Aucune contribution n’est demandée aux employeurs, si ce n’est la mise en place de l’index seniors, mesure non contraignante qui finira fort probablement par disparaître après le passage du texte devant le Conseil constitutionnel.

Aucun effort n’est demandé aux hauts revenus, aux hauts patrimoines, alors qu’en 2015, selon l’Insee, 10 % des ménages français avaient un patrimoine net supérieur à 534 000 euros.

M. Gérard Longuet. Mélenchon !

Mme Monique Lubin. C’est une obsession…

Mme Raymonde Poncet Monge. Or la taxation à hauteur de 2 % des plus grandes fortunes de France permettrait de combler le déficit du système de retraite et d’alimenter le Fonds de réserve pour les retraites (FRR). Vous avez participé à leur enrichissement ; nous souhaitons qu’elles prennent leur part dans l’effort demandé.

Je le redis, l’ensemble de cette réforme repose sur les travailleurs, auxquels on impose de travailler deux ans de plus, alors que de multiples solutions existent, notamment l’augmentation des cotisations. Messieurs les ministres, selon l’Ifop, 59 % des Français, et deux tiers des jeunes, sont favorables à cette mesure.

Selon le chercheur Michaël Zemmour et le COR, cette augmentation serait de 28 euros pour un salaire moyen d’ici à 2027, sachant que ce même salaire augmenterait de 128 euros à cette date.

S’il faut éviter la perte de pouvoir d’achat des plus modestes – sur cela, nous pourrions nous rejoindre –, l’augmentation des cotisations sur les hauts salaires est possible. D’ailleurs, le Conseil d’analyse économique (CAE) recommandait la fin des baisses de cotisations pour les salaires supérieurs à 1,6 Smic, du fait de l’absence d’efficacité de ces mesures.

Mme la présidente. L’amendement n° 3531, présenté par Mmes Poncet Monge et M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco et MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé, Parigi et Salmon, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet intitulé :

Dispositions relatives aux recettes et illustrant l’incapacité du Gouvernement à équilibrer le budget, autrement que par une contre-réforme injuste et brutale

La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Cet amendement se justifie par le constat et le diagnostic partagés par toutes les organisations syndicales et figurant dans les rapports qui évaluent déjà les effets de la loi de 2010 retardant l’âge de départ à la retraite.

Cette réforme frappe tous les travailleurs, mais encore plus fortement les plus modestes et les femmes. Outre l’extension du sas de précarité et de pauvreté pour les seniors qui ne sont ni en emploi ni à la retraite, la réforme aura un impact sur la durée de retraite des plus précaires.

Je rappelle que l’Insee, l’Institut national d’études démographiques (Ined) et le COR ont unanimement constaté une stagnation des gains d’espérance de vie, qui ne sont plus maintenus que par la baisse de mortalité des plus de 70 ans.

Selon la Drees, les réformes cumulées entre 2010 et 2015 ont déjà contribué à faire baisser la durée de la retraite de près de 7 % entre la génération de 2050 et celle de 2080, et ce de façon très différenciée.

Alors que la durée moyenne de la retraite était de vingt-cinq ans et demi avant la réforme Sarkozy, elle est de vingt-quatre ans et demi aujourd’hui : elle a diminué d’un an. Elle devrait descendre à vingt-trois ans en 2030, du fait de cette réforme. Il s’agit d’une marche arrière.

Selon les chercheurs Ulysse Lojkine et Julien Blasco, respectivement rattachés aux universités de Paris-Nanterre et Paris-Dauphine, la réforme envisagée diminuera la durée de retraite de l’ensemble de la population, mais plus fortement celle des plus pauvres. Selon leurs études et l’Insee, l’écart d’espérance de vie entre les 5 % les plus aisés et les 5 % les plus pauvres est d’ores et déjà de treize ans. Selon Lojkine, l’écart d’espérance de vie en bonne santé entre un cadre et un ouvrier est quant à lui de 11 %.

Avec cette réforme, les plus pauvres perdront jusqu’à 14 % de leur durée de retraite.

Les mesures d’atténuation que vous proposez – cette brutalité que vous appelez « mesures sociales » – n’y changeront malheureusement rien, a fortiori pour la très grande majorité des carrières longues, dont le départ anticipé est désormais établi à l’âge de 62 ans.

Mme la présidente. L’amendement n° 2188 rectifié, présenté par Mmes V. Boyer, Thomas et Belrhiti, MM. Le Rudulier, Sido et Frassa, Mme Borchio Fontimp, M. Chatillon, Mmes Goy-Chavent et Garnier, M. Hingray, Mmes Dumont, Lopez et Micouleau et MM. Calvet, Gremillet et de Nicolaÿ, est ainsi libellé :

Compléter cet intitulé par les mots :

afin de tenir compte de la situation démographique

La parole est à Mme Valérie Boyer.

Mme Valérie Boyer. Il est retiré ! (Marques de déception sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Mme la présidente. L’amendement n° 2188 rectifié est retiré.

Quel est l’avis de la commission ?

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. La première partie de ce projet de loi s’intitule : « Dispositions relatives aux recettes et à l’équilibre de la sécurité sociale pour l’exercice 2023 ». Cet intitulé a une consonance normée : il ne saurait donc être modifié, surtout dans le sens politique que vous proposez.

C’est pourquoi la commission émet un avis défavorable sur les amendements nos 3394 et 3531.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Rémi Féraud, pour explication de vote.

M. Rémi Féraud. Pour une fois que la majorité sénatoriale avait un amendement ! Il est dommage qu’elle le retire avant même de le présenter, nous aurions pu en discuter… J’évoquerai par conséquent seulement les deux amendements présentés par Mme Poncet Monge.

Là encore, il est dommage que Vincent Delahaye ne soit pas présent. En effet, lors de l’examen des projets de loi de finances ou des projets de loi de finances rectificative, il présente souvent un amendement visant à ce que la première partie soit intitulée non plus « dispositions relatives aux recettes et à l’équilibre financier », mais « dispositions relatives aux recettes et au déséquilibre financier ». Ce faisant, il considère qu’il convient de mettre le titre de la première partie en adéquation avec la réalité.

Tel est aussi l’objet – certes, présenté avec un peu d’humour – de ces deux amendements. Nous pouvons donc tout à fait les voter. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Thomas Dossus applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Breuiller, pour explication de vote.

M. Daniel Breuiller. Je voterai, bien évidemment, ces amendements présentés par Raymonde Poncet Monge, car ils permettent de nommer les choses. Or, vous le savez, mal nommer coûte toujours très cher…

Quelques chiffres : 17 % des Français trouvent cette réforme juste et 79 % l’estiment injuste. Je tiens à dire à mes collègues de la majorité sénatoriale que je reconnais leur courage à défendre leur position, alors que 59 % de leurs électeurs trouvent également cette réforme injuste…

Mme Émilienne Poumirol. C’est pour cette raison qu’ils se taisent !

M. Daniel Breuiller. C’est une réalité dont tous les sondages témoignent.

Par ailleurs, quelque 70 % des Français trouvent que cette réforme n’est pas claire, en partie sans doute en raison de la non-présentation de la note de synthèse du Conseil d’État. (Sourires sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)

Au fond, le Gouvernement continue de cacher des éléments de données financières : c’est une ruse de procédure pour empêcher un débat sincère. Cela n’est pas acceptable. Monsieur le ministre, je vous demande de nouveau de produire aux yeux de tous nos concitoyens cette note de synthèse du Conseil d’État. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Raynal, pour explication de vote.

M. Claude Raynal. Comme Rémi Féraud, je regrette moi aussi sincèrement que l’on ne puisse pas discuter de l’amendement de Mme Boyer et de certains de ses collègues. Peut-être a-t-on toutefois le droit d’en lire la première phrase de l’objet sans la discuter ni la commenter : « La réforme des retraites qui nous est opposée ne va pas résoudre la question du financement de notre système de retraite par répartition, ni à moyen terme ni à long terme. » (Exclamations amusées et applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Madame Boyer, s’il est vrai que vous vous exprimez peu, vous écrivez bien ! (Rires sur les mêmes travées. – Mme Valérie Boyer rit également.) Sincèrement, on ne pourrait pas mieux démonter cette réforme qu’avec cette phrase. Je crois que certains d’entre vous ont une lucidité particulière et je tenais à la faire apprécier.

En réalité, ce qui est gênant, c’est que, depuis cinq ans, vous déposez chaque année un amendement visant à instaurer la retraite à 64 ans. On sait tous qu’il s’agit d’un amendement d’appel, puisque l’on sait bien aussi qu’une telle mesure ne peut pas être votée au détour d’un amendement dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Ce qui est dommage, mes chers collègues, c’est que vous ayez perdu cinq ans sans avoir déposé d’amendement d’appel sur des questions essentielles, qu’il s’agisse de l’égalité des salaires entre les hommes et les femmes, qui permet d’augmenter les recettes, ou bien des seniors. Certes, vous faites à présent des propositions, mais il est bien tard. Cela fait cinq ans que, en même temps que votre amendement, vous auriez dû proposer des solutions pour augmenter les recettes. C’est là que l’on vous attendait – d’ailleurs, on vous attend toujours, car l’on ne voit rien arriver.

C’était donc un très bel amendement et, monsieur Retailleau, vous n’avez pas été gentil d’en demander le retrait, car il était de grande qualité. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour explication de vote.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Dans l’amendement n° 3394, Mme Poncet Monge évoque une réforme qui se fait « au détriment des travailleuses et travailleurs ».

Mme Viviane Artigalas nous a indiqué que l’on nous regardait dans les Hautes-Pyrénées. L’on nous suit certainement aussi dans l’Yonne, dans le Cher et dans tous nos départements. C’est donc l’occasion de mettre le projecteur sur des dispositions dont on parle moins et qui sont pourtant essentielles pour les travailleuses et les travailleurs.

Je pense à l’article 9 qui porte sur les départs anticipés. Songez que 40 % des départs à la retraite se feront sur cette base. Les curseurs du compte professionnel de prévention (C2P) seront également ajustés à la baisse, de sorte que l’accès sera élargi à un plus grand nombre.

Je pense également à l’article 13 sur la retraite progressive, dispositif qui n’existe pour l’instant que pour certaines catégories de personnes : le secteur public n’y a, par exemple, pas droit. Que l’on puisse, à partir de 60 ou 62 ans, travailler à 60 % de son temps seulement en déclenchant une partie de ses droits à la retraite est plutôt vertueux.

Tout cela, nous avons l’occasion de le réaffirmer ici. C’est pourquoi cet amendement ne mérite pas d’être voté. Pour ma part, je voterai contre.

Mme la présidente. La parole est à Mme Victoire Jasmin, pour explication de vote.

Mme Victoire Jasmin. Je suis vraiment séduite par l’amendement de Valérie Boyer. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) En réalité, il confirme les propos que j’ai tenus hier sur la démographie et la situation des femmes.

Nous avons déjà abordé le sujet, il y a une quinzaine de jours, lors d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement. Je trouve donc cet amendement extraordinaire et il est vraiment dommage que Valérie Boyer n’ait pas pu le défendre, je l’aurais probablement voté. En effet, il a pour objet la situation des femmes qui sont en âge de procréer, qui voudraient tout à la fois avoir des enfants et travailler.

J’ai évoqué le sujet hier encore, mais je n’ai disposé que de quatre minutes pour parler de la démographie, de la situation des femmes et de la précarité.

Merci, Valérie Boyer, d’avoir déposé cet amendement. Je regrette que vous vous soyez arrêtée dans votre belle lancée et que vous ne l’ayez pas présenté. Franchement, les arguments avancés dans son objet sont très bons et j’aurais pu moi-même le déposer. (Applaudissements sur des travées des groupes SER et CRCE.)

Mme Valérie Boyer. Il fallait le reprendre !

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Jean-Baptiste Lemoyne a bien du courage d’essayer de trouver quelques éléments positifs à ce texte, alors qu’il ne s’agit que de rustines sur un système en passe d’être détérioré, afin de rattraper la donne.

Il a indiqué – sur ce point, je partage l’analyse de Mme Poncet Monge – que la loi Touraine avait contribué à diminuer les retraites, ce qui ne serait pas le cas de la présente réforme. Manque de chance, ce sera pire !

En effet, le niveau des retraites baissera considérablement, en tout cas si l’on compare le ratio entre les retraites et les salaires. En effet, en accélérant la réforme Touraine, on accélère aussi la baisse des retraites. Selon la projection à 1 % établie par le COR, la pension moyenne passerait de 50 % du salaire moyen en 2021 à 42 % en 2050.

Votre réforme accentue encore ce phénomène. Il faut le dire aux Français : elle ira contre les travailleurs, qui non seulement travailleront plus, mais dont la retraite baissera aussi considérablement.

Enfin, puisque vous nous donnez toujours des exemples étrangers, je vous rappelle qu’en Allemagne le taux de retraite, même à la fin du temps de cotisation, ne dépasse jamais 50 % des revenus des actifs. Dans ce pays, le nombre de retraités pauvres ne cesse de croître. Voilà votre modèle !

Certes, la France est généreuse, mais la France est surtout respectueuse de la dignité humaine.

Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Faire que les retraités tombent massivement dans la pauvreté n’est pas républicain. (M. Mickaël Vallet applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. Jean-Baptiste Lemoyne a parlé de l’élargissement des départs anticipés pour carrière longue et de la création des super-carrières longues, il a aussi mentionné les retraites progressives. Il aurait pu également faire état de la revalorisation des minima contributifs de zéro à cent.

Sur ces trois points cependant, il oublie de préciser que cela aura pour contrepartie deux ans de travail supplémentaires. La fameuse mesure des départs anticipés était accessible à l’âge de 60 ans, lorsque l’âge légal de départ à la retraite est passé à 62 ans ; elle le sera à 62 ans, quand l’âge légal sera porté à 64 ans ; par conséquent, selon ce que vous envisagez, cet âge passera peut-être dans cinq ans à 64 ans quand l’âge légal sera à 66 ans.

Lorsque vous dites : « Nous revalorisons les minima contributifs de zéro à cent », précisez que ce sera contre deux ans de travail en plus. Lorsque vous annoncez : « Nous favorisons la retraite progressive », indiquez que ce ne sera qu’à partir de 62 ans. Enfin, lorsque vous affirmez : « Nous favoriserons les départs anticipés pour carrière longue », précisez là aussi que l’on ne pourra en bénéficier que deux ans plus tard. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. René-Paul Savary, rapporteur de la branche vieillesse de la commission des affaires sociales. Mme Lienemann, qui connaît bien les dispositifs dont nous discutons, a exprimé la réalité de la situation : le fait d’étendre la réforme Touraine a eu pour effet de faire baisser les pensions. C’est bien là qu’il faut trouver un équilibre.

En effet, on sait très bien que la réforme Touraine, en allongeant la durée de cotisation sans bouger l’âge de départ à la retraite, a pour effet que les retraites moyennes baisseront de 300 euros dans quelques années.

Le fait de décaler l’âge évite que l’on parte avec une décote et c’est la raison pour laquelle il a pour effet d’augmenter les pensions de retraite. (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE.)

Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est faux ! Les carrières complètes seront beaucoup plus rares.

M. René-Paul Savary, rapporteur. De plus, les années supplémentaires permettent que les retraités bénéficient d’une meilleure retraite.

C’est la raison pour laquelle nous expliquons depuis quatre ans qu’il faut être attentif aux deux piliers qui constituent notre système de retraite : le pilier de la durée, qui protège ceux qui commencent à travailler tôt, le pilier de l’âge, qui protège ceux qui commencent à travailler tard. Si l’on ne veille pas à articuler les deux, le système ira au déséquilibre le plus complet, compte tenu de la démographie, de la diminution progressive du nombre d’entrants et de la longévité qui a pour effet d’augmenter de plus en plus la durée de retraite.

Si nous ne prenons pas nos responsabilités aujourd’hui, on ne travaillera pas jusqu’à 64 ans, mais nos enfants dans quelques années travailleront jusqu’à 65 ans. Si nous ne prenons pas nos responsabilités aujourd’hui, nos enfants ne travailleront pas pendant 43 ans, mais pendant 45 à 46 ans : ce sera la seule façon d’équilibrer le dispositif. (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.)

Mes chers collègues, nous aurons l’occasion de discuter de ce sujet pendant plusieurs jours.

Face à cette demande supplémentaire d’un effort collectif, le Sénat vous proposera des mesures de justice sociale complémentaires. Venons-en aux faits ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Exclamations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.

M. Didier Marie. Monsieur le rapporteur, vous allez nous faire des propositions, dites-vous, et, dans l’état actuel de la réforme, les retraités gagneraient plus.

Je parlerai des quelques millions de nos concitoyens, ceux qui aujourd’hui ont 60 ans et qui, pour un tiers d’entre eux, ne sont ni en emploi ni à la retraite, mais sont au chômage, au RSA, en invalidité ou en congé de maladie. À 61 ans, ils sont 61 % à être dans cette situation ; à 62 ans ils sont 73,6 %. Imaginez alors combien ils seront à 63 ans et à 64 ans ! Croyez-vous que, pour eux, attendre encore deux ans pour sortir de la précarité est une avancée sociale ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.

Mme Monique Lubin. Il est une constante dans toutes les réformes des retraites qui ont succédé à celle qui a porté l’âge de départ à 60 ans, c’est qu’elles ont baissé à terme le niveau des pensions. La pire à mes yeux a été celle de 1993, qui a eu pour effet de calculer les pensions du privé en se fondant sur les 25 meilleures années au lieu des 10 meilleures années, créant un cataclysme pour de nombreux salariés, et qui a indexé l’évolution des pensions sur les prix. Voilà ce qui a été catastrophique pour les salariés du privé.

Quant aux autres réformes, elles n’ont pas apporté non plus d’amélioration.

La réforme Touraine, tout le monde tape dessus.

M. Gérard Longuet. Je l’ai votée !

Mme Monique Lubin. En ce qui me concerne, je ne renie pas tout à fait ce que je suis ni ce que j’ai à un moment soutenu. Quand cette réforme a été faite – je rappelle que nous n’étions pas encore pas sortis de ces fameuses années de crise –, la projection de déficit était de 30 milliards d’euros, alors qu’aujourd’hui nous ne sommes toujours pas en déficit. Certes, elle a allongé la durée du travail, mais elle a maintenu l’âge de départ à 62 ans. D’aucuns diront que c’est de l’hypocrisie : moi, je dis que non, mes chers collègues.

Tous les Français ne font pas des études supérieures très longues et nombreux sont ceux – il y en aura toujours – qui commencent à travailler à 18, 19 ou 20 ans. Ceux-là, il faut les protéger.

On est en train de faire comme si tout le monde entrait dans la vie active à 25 ans, mais ce n’est pas le cas. Il n’y a pas deux catégories de Français, il y en a une seule. Certains doivent être protégés plus que d’autres.

Nous aurons l’occasion d’en reparler et j’aurai de nombreux arguments à exposer. (Applaudissements sur des travées des groupes SER et CRCE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.

M. Victorin Lurel. René-Paul Savary vient de nous expliquer qu’il existait deux variables – je n’ose pas dire « paramètres », puisque, dans le cadre d’une réforme paramétrique, on ne doit pas tenir compte des variables, c’est-à-dire des choses qui évoluent. Ces variables sont la durée et l’âge.

Votre raisonnement ne peut tenir que si vous ignorez l’environnement général du système. En effet, dans votre conception du régime par répartition, seuls les salariés cotisent et doivent équilibrer leur régime. Vous refusez de comprendre que le système par répartition, qui est déjà financé à 54 % par les cotisations, le reste l’étant par subventions, dotations et que sais-je encore, est équilibré et équilibrable et que sa trajectoire tient la route.

Ce raisonnement tient de l’entropie ou de la néguentropie, pour parler comme les physiciens, et, forcément, une dégradation s’opérera. En revanche, si vous ouvrez la perspective en considérant qu’il est possible de faire payer un montant plus important de CSG, plus de dividendes ou plus de superprofits, le système est parfaitement pérenne et durable. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)