Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, 55 milliards d’euros de recettes commerciales en 2021, 431 milliards d’euros de déficit commercial en 2022 : voilà l’évolution de l’Union européenne, une illustration de plus du choc et de l’importance de la remise en cause de notre modèle européen.

Face à cette remise en cause, il est indispensable de faire preuve d’humilité, mais aussi de solidarité. Nous sommes en effet tous responsables, et chercher des boucs émissaires parmi nos partenaires ne nous permettrait pas de trouver, en solidarité, une réponse à ce défi commun : définir un nouveau modèle sans se battre sur les questions de nucléaire ou de production et de transmission d’hydrogène…

Nous devons plus que jamais, et de manière encore plus résolue au vu de ce que nous avons vécu en 2022, avancer vers le Green Deal, encore une fois en solidarité, en sachant que nous trouverons ensemble une solution.

En effet, malgré les échos pessimistes qui nous reviennent, l’Union européenne est encore un espace fort en matière commerciale.

La puissance commerciale de l’Union est, certes, un atout, mais qui n’est pas suffisant. Nous l’avons vu, lorsque l’on commerce sans s’aimer, survient le Brexit… Et lorsque l’on commerce sans se comprendre, à un moment se produit un choc : c’est ce que nous vivons aujourd’hui avec la Russie.

Chercher à construire un nouveau modèle ne peut pas se faire en autarcie ; il faut en passer par des accords commerciaux qui sont assumés par l’ensemble des populations et qui répondent aux exigences actuelles en matière de respect de l’environnement et de compréhension des questions climatiques, environnementales et sociales.

Madame la secrétaire d’État, nous entendons dire que la Commission européenne pourrait dissocier les accords commerciaux, afin d’éviter le passage devant les parlements nationaux : il y aurait, d’une part, une partie strictement commerciale, ainsi qu’on l’entendait dans les années 1980, et, d’autre part, une partie politique. Ce n’est ni sérieux ni correct !

Si nous avons de bons accords politiques et de bons accords commerciaux, nous pourrons avancer. Mais passer des accords commerciaux comme au siècle dernier n’est certainement pas le bon moyen de placer l’Union européenne en position de force !

Tout ce qui a pu être dit sur nos faiblesses, en termes notamment d’aides d’État, justifie que nous construisions nos projets différemment, de façon plus politique. La Commission européenne doit savoir avancer avec l’ensemble des parlements nationaux pour que nous ne nous trouvions pas devant le fait accompli en matière d’accords commerciaux.

Nous devons plus que jamais nous mobiliser pour soutenir l’Ukraine et lui fournir les armes qui lui permettront, demain, d’imposer la paix sur son territoire. Il nous faut aussi soutenir les réfugiés que nous accueillons.

Nous devons, en outre, reconnaître le droit pour la Cour pénale internationale (CPI) de lancer des mandats d’arrêt contre toutes les personnes responsables de crimes de guerre en Ukraine. À cet égard, je veux saluer la proposition de résolution européenne dénonçant les transferts forcés d’enfants, présentée par André Gattolin. Aucun niveau de la chaîne de commandement et d’exécution de ce qui peut être qualifié de crime de génocide ne doit bénéficier d’une quelconque impunité.

Nous devons au peuple ukrainien, à ses souffrances et à son combat de défendre l’État de droit plus résolument que jamais, auprès des pays membres et des pays candidats à l’adhésion à l’Union européenne, l’Ukraine en premier lieu.

Aucun pays de l’Union européenne et aucun candidat à l’adhésion ne saurait transiger sur les principes d’indépendance de la justice, de lutte contre la corruption, de liberté de la presse et de liberté d’opinion !

Nous avons conféré à l’Ukraine la qualité de candidat à l’adhésion à l’Union européenne. C’est une bonne chose, et c’est indispensable. Ce doit être la source d’un nouveau dynamisme en vue de l’adhésion des pays candidats, en particulier ceux des Balkans, qui ne croient plus à la perspective européenne.

Il convient de crédibiliser la perspective d’adhésion des peuples des Balkans et de ne pas décevoir demain le peuple ukrainien, qui a commencé son combat parce qu’il voulait entrer dans l’Union européenne. Nous devons à ces peuples d’avancer dans cette voie. Le veto qui fut opposé à la Macédoine, par exemple, doit faire partie du passé.

Ce nouveau dynamisme est nécessaire, mais il faut être conscient que le processus d’adhésion sera difficile. Rappelons que l’Ukraine, en tant que grande puissance agricole, est dans une situation unique sur le continent européen. Il faudra cependant avancer, et ce sera positif pour l’ensemble des pays européens.

Il faut également progresser sur le pacte sur la migration et l’asile : pas seulement sur la base de données Eurodac, sur la procédure de filtrage dite « screening », en bref sur le volet « répressif », mais aussi sur les questions de solidarité. Nous devons tirer les enseignements de ce que nous avons bâti pour la protection temporaire des réfugiés, en accordant la liberté de circulation dans l’ensemble de l’Union européenne et le droit au travail aux Ukrainiens que nous avons accueillis et protégés.

Je n’évoquerai pas l’ensemble des relations entre l’Afrique et l’Union européenne, dont la politique de visas me semble particulièrement préoccupante ; elle influe sur la perception par les Africains de l’Europe et de la France. Mais permettez-moi, madame la secrétaire d’État, de vous faire partager mon inquiétude sur l’évolution de la Tunisie.

L’Europe ne peut pas rester tétanisée face à un pays dont l’avenir est lié à sa relation avec l’Union. Nous ne pouvons pas fermer les yeux en imaginant le pire, avec toutes les conséquences que cela entraînerait.

L’Europe est véritablement elle-même lorsqu’elle est fidèle à ses valeurs et qu’elle défend résolument, tout en étant consciente de son histoire, la liberté de l’ensemble des peuples du monde.

Cela vaut pour l’Ukraine comme pour tous les peuples du monde. Nous savons crier avec les peuples qui revendiquent la liberté : « Femme, vie, liberté » ! Il revient à l’Union européenne de montrer sa solidarité sans limites avec le combat du peuple iranien, comme avec ceux de tous les autres peuples. C’est pour cela qu’elle doit se développer pour être plus forte ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli.

M. Pascal Savoldelli. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans cette période de disette en matière de progrès social, je me réjouis que le Parlement européen ait entériné, avec 376 votes favorables, la directive relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme, consacrant la présomption de salariat des travailleurs de plateformes.

Avant un débat tronqué sur les retraites, Emmanuel Macron aurait dû présenter une loi sur le travail. Dans ce texte, la France se serait honorée à reconnaître le salariat des travailleurs de plateformes avant même la fin du processus législatif européen.

Pourtant, le Président de la République en a décidé autrement : la réforme des retraites apparaît comme un solde de tout compte omettant le débat primordial sur le travail, en particulier sur celui des travailleurs ubérisés, qui cumulent les précarités et qui ne connaîtront pas la retraite.

M. Pierre Ouzoulias. Très bien !

M. Pascal Savoldelli. Par cet acte manqué, 6 milliards d’euros échappent aux caisses de la sécurité sociale. Ils représentaient pourtant une piste de financement du système des retraites : 1,25 milliard d’euros pour les retraites, la dignité pour les travailleurs. On aurait fait ainsi d’une pierre deux coups !

Contrainte par les luttes et les décisions judiciaires, l’Europe a franchi une première étape, mais, malgré une évolution du rapport de force en faveur de la requalification des travailleurs et du droit du travail, le Président de la République reste arc-bouté sur une défense obstinée des intérêts des plateformes.

Madame la secrétaire d’État, le Gouvernement continuera-t-il à être récalcitrant à cette avancée sociale ? Mieux, prévoyez-vous de devancer l’adoption définitive de la directive pour consacrer, dès demain, un droit nouveau pour les travailleuses et les travailleurs de plateformes ?

Sur la réforme des retraites, le contrat pourrait être rempli d’ici au 23 mars et le texte adopté, contre l’opinion populaire majoritaire. Nous ne cesserons de rappeler que, comme ce fut le cas en Espagne, cette réforme répond à une exigence de la Commission européenne. Nul complotisme dans cette affirmation ; nul projet dissimulé : tout est public et transparent.

Dès le 5 juin 2019, le Conseil de l’Union européenne enjoignait à la France de réformer ses retraites ; bis repetita le 1er juillet 2022 : les ministres des États membres de l’Union recommandent que la France s’attache « à réformer le système de retraite pour uniformiser progressivement les règles des différents régimes de retraite, en vue de renforcer l’équité et la soutenabilité de ces régimes ». Vous nous expliquerez – sans doute pas ce soir, car nous en avons déjà beaucoup débattu ! – où vous voyez de l’équité dans cette réforme !

La Commission, tout comme le Conseil, raffolait d’une retraite par point, comme le prévoyait la précédente réforme, mise en échec en 2019. Elle préparait plus frontalement, mais moins sournoisement, l’accroissement d’une part de capitalisation.

Le recul de l’âge de départ obligera ceux qui le peuvent à mettre de l’argent de côté pour se prémunir des décotes, de l’épuisement professionnel ou des minima sociaux. Cette manne va être captée par le système bancaire, puis placée sur les marchés financiers. Les banques américaines font faillite sans garantie des dépôts, sans garantie des placements ; cela devrait vous faire réfléchir. Il ne suffit pas de crier : « Calm down ! », comme Bruno Le Maire, pour faire cesser l’irrationalité des marchés devenus fous.

L’insistance européenne en faveur d’une réforme des retraites est un phénomène de longue date. Je le dis avec solennité, en France comme en Europe, en gouvernant par oppression, et en menant des réformes contre le progrès social, on réarme les extrêmes droites dans leur quête du pouvoir, le tout sur fond d’affaiblissement continu des parlements nationaux. Ainsi, nous réunissons les conditions d’émergence d’un régime autoritaire. Notre idéal démocratique est bien mis à l’épreuve.

La contre-réforme des retraites n’est pas la seule conséquence de la volonté d’ingérence de l’Union européenne dans la souveraineté budgétaire des États. Après leurs suspensions pendant la crise sanitaire, les règles budgétaires reviennent et seront probablement abordées au troisième point de l’ordre du jour du Conseil.

Nous en attendons les éléments, mais ce que nous entendons est extrêmement préoccupant et ne tire en rien les leçons des injonctions austéritaires inapplicables et inappliquées : 3 % de déficit – une hérésie ! – et 60 % de dette publique – une fable répétée à l’envi. Le peuple souverain a-t-il décidé de telles règles ? Je n’en trouve pas la trace démocratique. Osez donc consulter les parlements nationaux !

En tout état de cause, la Commission a présenté le 9 novembre 2022 une nouvelle méthode. Chaque État pourra définir lui-même sa propre trajectoire de réduction des déficits et de sa dette publique sur quatre ans. Il en serait ainsi terminé des règles uniformes, qui n’ont jamais fonctionné.

Pour autant, si un délai supplémentaire de trois ans est prévu pour les pays dont la dette publique dépasse 60 % du PIB, il ne serait accordé, selon Le Monde, qu’à condition que ceux-ci « s’engagent à adopter des réformes structurelles et à faire des investissements stratégiques de nature à alimenter la croissance ». « Réforme structurelle » est ici synonyme de chantage, pour mener des contre-réformes libérales contre l’intérêt des classes populaires.

Dès lors, des questions s’imposent. Quelle croissance ? Pour qui ? Pour quels nouveaux emplois ? Pour quels nouveaux métiers ? Pour quels progrès sociaux ? On ne saurait raisonner ainsi, tant la croissance pour la croissance ressemble à une impasse.

Un média allemand résume ainsi les annonces de la commission : « Plus de marge de manœuvre, mais aussi plus de rigueur ». Si j’ai du mal à voir les marges de manœuvre, je vois bien la rigueur !

Ainsi, la procédure d’infraction pour déficits excessifs est maintenue. En entendant l’expression, on sait déjà que l’on va prendre perpétuité, sans remise de peine. Les sanctions relatives au niveau de la dette publique sont renforcées par des sanctions financières et des sanctions de réputation, notamment par une convocation à une audition au Parlement et par le blocage des fonds structurels.

Rassurez-vous, mes chers collègues, tout cela sera préventif ; le goulot d’étranglement interviendra plus tôt, enfermant les États dans l’austérité en asséchant leur capacité budgétaire. Les mêmes causes emporteront donc les mêmes effets ; la Grèce en a déjà durement fait les frais !

En outre, les deux piliers du pacte de stabilité sont maintenus : déficit public limité à 3 % du PIB et plafond d’endettement à 60 %.

Les finances publiques ne sont pourtant pas qu’une dette ; elles constituent aussi un patrimoine financier et immobilier. Si nous procédions ainsi, la dette de la France n’atteindrait plus que 87 %, au lieu de 115 %, nous rapprochant de l’objectif infondé de 60 %. Nos concitoyens auraient dès lors le droit de décider de leur propre politique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud. (M. Olivier Cadic applaudit.)

M. Jean-Michel Arnaud. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je concentrerai mon propos sur les volets relatifs à la compétitivité et à l’énergie inscrits à l’ordre du jour de la prochaine réunion du Conseil.

La crise énergétique a affecté la balance commerciale de la quasi-totalité des pays de l’Union européenne. En France, son déficit s’établit à 164 milliards d’euros en 2022.

Les subventions massives aux technologies vertes de l’IRA américain laissent craindre une nouvelle perte de compétitivité de l’Europe vis-à-vis des États-Unis. Le 8 février dernier, le Sénat a ainsi consacré un débat d’actualité à la question suivante : « Quelle réponse européenne aux récentes mesures protectionnistes américaines ? »

Madame la secrétaire d’État, comment éviter un détournement de l’investissement européen vers les États-Unis ? Faut-il ouvrir la voie à de nouveaux financements pour nos industries vertes ou miser sur le renforcement d’enveloppes existantes, comme le Fonds européen de développement régional (Feder) ?

Par ailleurs, le récent renchérissement du dollar vis-à-vis de l’euro semble représenter une occasion de relance pour la politique industrielle européenne, dès lors qu’il est porteur de gains de productivité et de compétitivité pour nos entreprises exportatrices.

Comment éviter, toutefois, une course aux subventions entre États membres, qui fragiliserait les règles de concurrence équitable sur lesquelles est bâti le marché unique ?

La dégradation du solde de notre balance commerciale procède principalement de la dépendance de l’Union européenne à l’égard des énergies fossiles. Il convient de prendre les mesures nécessaires au renforcement de la souveraineté énergétique du continent.

Je salue le fait que, depuis peu, les plans nationaux de relance et de résilience peuvent comprendre un chapitre REPowerEU, qui leur permettra d’accéder aux 20 milliards d’euros – dont 2,32 milliards pour la France – de subventions supplémentaires prévues par ce plan européen. Je m’interroge cependant sur la possibilité accordée aux États membres de puiser dans les fonds de réserve de la politique de cohésion à hauteur de 7,5 % du Feder.

Cela ne risque-t-il pas de priver nos régions de financements essentiels à leur développement économique ? Madame la secrétaire d’État, des mécanismes de compensation du manque à gagner pour nos territoires sont-ils envisagés ? De manière générale, il est regrettable que les collectivités aient été tenues à l’écart de l’élaboration des plans de redressement et de résilience nationaux.

Je note pourtant que ces plans doivent désormais contenir une synthèse du processus de consultation des autorités locales et régionales. Comment garantir que leurs besoins soient réellement pris en compte dans le texte final ?

Je souhaite par ailleurs vous interpeller sur la feuille de route qu’a présentée hier Mme Kadri Simson, commissaire européenne à l’énergie, devant le Parlement européen. Trois mesures principales ont été annoncées.

Premièrement, la réforme proposée maintient le système du merit order, selon lequel la dernière unité de production électrique appelée fixe les prix. L’exécutif européen n’a pas accédé à la demande française d’un découplage total entre le gaz et l’électricité.

Deuxièmement, pour les nouveaux investissements dans le bas-carbone, quand un financement public est nécessaire, la Commission plaide pour le recours à des contrats pour la différence, ce qui représenterait une opportunité pour nos investissements dans le nucléaire.

Troisièmement, la proposition oblige également les États membres à établir des fournisseurs en dernier ressort afin qu’aucun consommateur ne se retrouve privé d’électricité, et vise de plus à renforcer la capacité de surveillance de l’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie (Acer) et des régulateurs nationaux.

Madame la secrétaire d’État, quelle sera la position de la France dans les négociations à venir sur ce sujet particulièrement sensible pour les industries, les entreprises et les consommateurs ?

Je souhaite également évoquer le plan des mobilités. L’Allemagne vient de surprendre ses partenaires en s’opposant à un texte européen censé exiger la vente de véhicules uniquement électriques à partir de 2035. Ce faisant, elle a entraîné dans son sillage plusieurs pays d’Europe centrale, dont la Hongrie, dans lesquels l’industrie automobile est puissante et représente une part importante de l’économie.

Cette décision doit nous amener à réfléchir à des alternatives au tout électrique qui nous permettraient de nous détacher des énergies fossiles sans pour autant imposer une technologie précise aux industriels.

M. Loïc Hervé. Très bien !

M. Jean-Michel Arnaud. Depuis quelques jours, le Gouvernement français est sollicité pour répondre à la proposition de Berlin d’utiliser les carburants synthétiques dans les moteurs à combustion après 2035. Quelle voix la France entend-elle porter au Conseil, alors même que plusieurs de nos producteurs automobiles, comme Renault, se sont engagés à fabriquer 100 % de véhicules zéro émission en Europe dès 2030 ? Stellantis a adopté cette orientation, tout en ayant été plus critique que Renault sur le sujet.

L’actualité européenne sera également bientôt marquée par l’entrée en vigueur de deux directives ayant pour objectif une meilleure régulation numérique. Pour rappel, à eux seuls, les Gafam – Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft – représentent un chiffre d’affaires comparable aux recettes fiscales de la France.

Leur modèle économique, qui repose sur la combinaison de masses de données sur leurs utilisateurs et sur des algorithmes puissants et opaques, leur permet d’avoir une position de quasi-monopole sur le marché européen, laissant peu de place à la concurrence. Cela appelle une réelle régulation européenne, dont les prémices verront le jour avec les directives dites Digital Markets Act (DMA) et Digital Services Act (DSA).

Le DMA, applicable au 2 mai 2023, vise à stimuler l’innovation, la croissance et la compétitivité sur le marché numérique, ainsi qu’à renforcer la liberté de choix des consommateurs européens, en créant une concurrence loyale entre acteurs du numérique.

Et le DSA, applicable en février 2024, sauf pour les très grandes plateformes en ligne et les très grands moteurs de recherche, concernés dès 2023, entend mettre en pratique le principe suivant : ce qui est illégal hors ligne est illégal en ligne. Il permet ainsi de s’assurer du bon fonctionnement du marché intérieur numérique, selon des règles uniformisées.

Quelle sera la position de la France au sein du Conseil européen pour favoriser ce travail et atténuer autant que possible les risques systémiques, désinformation ou manipulation de l’information, dont nous avons pu constater les effets à l’occasion du Brexit, ainsi que lors de grandes échéances électorales dans des pays de l’Union européenne ou d’ailleurs ?

Il s’agit d’un sujet important pour nos concitoyens et déterminant pour l’équilibre de nos démocraties en Europe, attaquées à la fois par des puissances extérieures – rappelons qu’une enquête sur TikTok a été lancée au Sénat – et des manipulations à grande échelle. En Europe, la démocratie peut également être remise en cause par un manque de volontarisme en la matière.

J’attends du Gouvernement français et du Conseil de l’Europe des avancées sur ce sujet, afin de protéger les libertés individuelles et les démocraties nationales. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Berthet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Martine Berthet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, guerre en Ukraine, difficultés d’approvisionnement en matières premières, pénurie de semi-conducteurs, hausse sans précédent des prix de l’énergie, l’Europe traverse une grave période de turbulences.

Le doublement, le triplement, ou plus encore, des factures d’électricité et de gaz met nos collectivités et nos entreprises dans une situation financière délicate. De sérieuses menaces planent sur la vie économique de nos territoires. Nous le savons tous : l’indemnisation des collectivités et des entreprises par l’État ne peut pas durer, car elle ne fait qu’aggraver le déficit public. Quant au bouclier tarifaire, il protège nos ménages de l’inflation violente des prix de l’énergie, mais pour combien de temps ?

Dans ce contexte, si un constat doit faire l’unanimité, c’est bien celui de l’incapacité du marché européen de l’électricité à protéger les consommateurs de la crise liée à l’approvisionnement en gaz.

Cet aveu d’échec, la commissaire européenne à l’énergie, Kadri Simson, l’a fait elle-même le 27 février dernier, à l’issue d’une réunion informelle des vingt-sept ministres de l’énergie de l’Union européenne. Aujourd’hui, les Français – ménages, entreprises, TPE-PME, industries, collectivités – pâtissent de règles européennes dépassées qui font dépendre, de façon paradoxale, le prix de l’électricité du cours des énergies fossiles que sont le gaz ou le charbon, alors même que notre pays produit une électricité peu chère, grâce à son parc nucléaire et à son hydroélectricité.

Nous ne pouvons pas sacrifier notre tissu économique et social et mettre le pays tout entier en danger pour conserver – « quoi qu’il en coûte ! » – un marché européen de l’électricité dérégulé qui ne joue plus son rôle.

Le mécanisme ibérique, qui consiste à intervenir sur le marché pour faire baisser les prix, mis en œuvre par nos voisins portugais et espagnols, en témoigne : il est efficace pour ces deux pays, mais il génère une concurrence déloyale pour nos entreprises. La réponse à la crise énergétique doit être commune aux États membres de l’Union.

Nous avons été nombreux à alerter le Gouvernement sur ces différents écueils. Lors de sa déclaration de politique énergétique devant le Sénat, le 12 octobre dernier, Mme la Première ministre avait elle-même reconnu la nécessité de réviser les règles européennes.

Pourtant, à la lecture du paquet législatif annoncé par Mme Simson hier au Parlement européen, la Commission européenne ne semble pas prendre la mesure des dysfonctionnements.

L’objectif affiché de ces propositions est louable : il s’agit de faire en sorte que le prix de l’énergie produite sur le continent européen ne soit pas trop volatil et ne dépende pas de nos importations de gaz et de pétrole. Il ne renvoie cependant qu’à des mesures ciblées, suggérant qu’aucune refonte complète des règles n’est véritablement engagée.

Le système du merit order, selon lequel la dernière unité de production électrique appelée fixe le prix, est ainsi conservé et le découplage du prix du gaz de celui de l’électricité, que nous appelions de nos vœux, n’est toujours pas à l’ordre du jour.

Par ailleurs, la Commission européenne a présenté des propositions sur l’industrie zéro carbone. Elle souhaite lancer une stratégie de décarbonation massive de nos productions industrielles qui inclura toutes les modalités d’une production énergétique neutre en carbone.

Or, sur ce point, la Commission est revenue sur sa proposition initiale, en excluant le nucléaire du domaine des énergies pouvant être utilisées par une Europe qui se décarbone. Dans la perspective d’une réforme du marché européen de l’électricité, il s’agit d’un anachronisme !

Pour rompre avec des logiques de production polluantes et carbonées, il faut obligatoirement faire avec le nucléaire ; le Giec nous le rappelle régulièrement.

Les traités européens garantissent aux États membres le droit et le devoir de définir souverainement leur propre mix énergétique. L’Union européenne doit simplement leur en donner les moyens.

L’Allemagne, dans le même temps, double la production de ses centrales à gaz – une énergie fossile, est-il nécessaire de le rappeler ? – et place l’Europe dans une situation de dépendance vis-à-vis de puissances étrangères. Ce n’est pas acceptable. La France doit se faire entendre. Le nucléaire fait partout son retour, au Moyen-Orient, au Japon, en Chine, en Inde, au Canada, aux États-Unis. Comme l’indique M. Fatih Birol, directeur de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), l’Europe ne doit pas manquer ce « saut technologique ».

Face à la concurrence agressive et au protectionnisme auxquels se livrent plusieurs de nos partenaires commerciaux depuis quelques mois, la stratégie française lors du prochain Conseil doit être dénuée d’ambiguïté : la réforme du marché de l’électricité est un véritable enjeu de souveraineté économique et de compétitivité. Nos entreprises subissent en effet une double peine, infligée par les États-Unis, avec l’Inflation Reduction Act, et par l’absence de choix européens forts et structurants.

De tels choix sont pourtant essentiels pour que, d’une part, nous profitions pleinement des avantages comparatifs que nous procure le nucléaire, énergie bas-carbone, et que, d’autre part, l’indépendance économique européenne sorte renforcée de ce temps de crise.

La réforme du marché de l’électricité doit inciter les industriels européens et français à relocaliser et nous permettre d’accélérer les investissements de transition vers une économie décarbonée et moins dépendante des économies étrangères.

Actuellement, la situation de notre industrie est préoccupante ; celle-ci n’a absolument aucune visibilité quant à ses coûts d’approvisionnement en électricité. À l’inverse, ses concurrents au niveau mondial disposent, eux, d’une visibilité de dix ans, quinze ans ou vingt ans au minimum, et peuvent se fournir en électricité à bas coût autant qu’ils le souhaitent. Pour ces entreprises, l’électricité peu chère est parfois l’élément de base de leur production, qui leur permet d’être compétitives vis-à-vis de leurs concurrents.

À cet égard, le rétablissement des contrats de long terme est indispensable pour sécuriser des prix d’approvisionnement stables et des coûts de production compétitifs.

Mon département, la Savoie, compte plusieurs grandes industries hyper électro-intensives qui produisent des matériaux nécessaires à la transition énergétique. Si ces entreprises ne peuvent pas renouveler leur contrat de long terme en 2023, elles seront contraintes de baisser, voire d’arrêter, leur production. Certaines l’ont déjà fait en ce début d’année. La seule alternative étant de se fournir auprès de la Chine ou de la Russie, le déficit du commerce extérieur comme la situation géopolitique de la France s’en trouveraient aggravés.

Le rétablissement de ces contrats fait partie des mesures ciblées par la Commission européenne. C’est une excellente nouvelle, mais il faudra veiller à ce que l’adaptation du marché de l’électricité à un système énergétique dominé par les énergies renouvelables, conformément au souhait de la Commission, prenne bien en compte la production nucléaire, afin de ne pas pénaliser nos industries dans la renégociation de leurs contrats.

La reconnaissance de l’urgence d’une nouvelle politique énergétique pour accélérer la décarbonation de l’économie et renforcer la compétitivité des entreprises européennes fait l’unanimité. Saisissons donc l’occasion de ce prochain Conseil européen pour défendre une réforme plus ambitieuse du marché européen de l’électricité.

L’heure n’est plus aux déclarations d’intentions, mais aux actes forts. La France doit se faire entendre. Le sujet des concessions de nos barrages hydroélectriques n’est d’ailleurs toujours pas réglé.

Le Gouvernement doit défendre nos intérêts. Madame la secrétaire d’État, nous comptons sur votre action. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)