Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Joly.

M. Patrice Joly. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en l’espace d’un an, le paysage énergétique a considérablement changé. Les prix mondiaux du pétrole ont augmenté de 200 %, ceux du charbon de 400 %, et les prix du gaz européen jusqu’à 1 000 %.

La hausse des prix de l’énergie a alimenté la crise du coût de la vie, qui touche d’autant plus les foyers européens que leurs revenus sont modestes. Elle impacte aussi fortement les entreprises, en particulier les PME et les TPE.

Jusqu’à présent, les États membres ont majoritairement réagi en instaurant des mécanismes d’urgence de contrôle des prix ou d’amortissement : baisse de la fiscalité, bonus climatique, chèque énergétique ou chèque de chauffage.

Alors que les prix de l’énergie sont loin d’être stabilisés, la réforme ciblée du marché de l’électricité, proposée hier par la Commission européenne, est-elle suffisante ?

Nous partageons l’essentiel des objectifs affichés par la Commission. Celle-ci vise en effet un accès généralisé et à un coût abordable à l’électricité produite à partir de sources renouvelables et non fossiles.

Elle entend encourager une meilleure transparence des informations sur les marchés vis-à-vis des consommateurs et un plus grand choix de fournisseurs, afin qu’aucun consommateur ne se retrouve privé d’électricité.

Elle défend un accès amélioré des entreprises à des contrats et à des marchés à long terme plus stables.

Enfin, elle envisage une révision des règles relatives à la revente des énergies renouvelables.

Cependant, cette réforme ne devrait pas toucher aux fondamentaux du fonctionnement du marché, alors que l’explosion historique des prix de l’énergie que l’Europe subit aujourd’hui provient bien de sa défaillance. De plus le découplage strict entre le gaz et l’électricité n’est pas prévu. Comment expliquer cet échec dans la négociation, alors que le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en faisait son principal cheval de bataille ?

En outre, nous ne maîtrisons pas le calendrier de mise en œuvre de ces mesures. Le Parlement européen et le Conseil doivent désormais discuter et adopter la proposition qui leur est soumise.

Enfin, certains experts et professionnels du secteur ne sont pas convaincus que les mesures présentées par la Commission aient pour effet de faire refluer les prix, dont la baisse dépend de beaucoup d’autres facteurs, notamment de la disponibilité du nucléaire en France, de la météo ou du marché mondial du gaz.

Se posent donc plusieurs questions. Comment les ménages vont-ils passer l’hiver prochain ? Verront-ils leur pouvoir d’achat préservé ? Les entreprises bénéficieront-elles à temps d’une énergie à des tarifs compétitifs, au risque d’une course aux délocalisations, au moment où les États-Unis renouent avec le protectionnisme pour protéger, relocaliser et investir dans l’industrie verte ? Le coût de l’énergie, fondamental au sein des coûts de production, est aussi le nerf de la guerre.

Que penser donc de ce texte, qui se présente également comme l’une des facettes de la réponse européenne à l’IRA, c’est-à-dire au plan américain de soutien massif à l’économie, comprenant notamment de fortes subventions à l’énergie pour en baisser le prix.

L’Europe entend-elle s’aligner – pour ne pas dire qu’elle doit le faire ? De nombreux défis de taille sont en jeu, dont la reconquête industrielle et la transition écologique, qui ne peuvent plus attendre.

Ce plan massif d’aides à la transition énergétique lancé par Joe Biden a montré à quel point l’Union européenne était fondée sur un logiciel pseudo-économique qui arrive à son terme.

L’IRA ne doit pas se résumer à une tentative protectionniste américaine pour attirer l’industrie verte, en plein essor, sur son territoire, au détriment des intérêts de ses partenaires commerciaux. Joe Biden s’est engagé vendredi dernier auprès d’Ursula von der Leyen à ne pas déclencher une concurrence délétère dans la course à la transition énergétique et à « travailler pour éviter une compétition à somme nulle, afin que [leurs] politiques d’aides publiques soutiennent le développement des énergies propres et de l’emploi sans devenir des aubaines pour les intérêts privés ».

Une bonne nouvelle, pour autant : les États-Unis souhaitent réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 50 % d’ici à 2030, même si l’on peut être dubitatif à ce sujet au vu de l’autorisation récente accordée à l’exploitation de pétrole en Alaska.

Cet épisode offre également une chance pour l’Europe : nous prenons collectivement conscience qu’il faut, certes, adopter une politique de défense vis-à-vis de la concurrence, mais aussi qu’il est vital de mettre en place une politique industrielle et de transition écologique.

Tel est bien l’enjeu pour l’Europe : il s’agit d’accélérer les investissements bas-carbone dans le logement et la mobilité pour se préparer aux prochains hivers en s’attaquant à la racine de la crise : notre dépendance aux combustibles fossiles. Il nous faut décarboner dès que possible, conformément au Pacte vert pour l’Europe, car décarbonation et compétitivité vont de pair.

De plus, la transition ne peut pas se faire sans prendre en compte le pilier social : nous ne pouvons pas parvenir à la durabilité environnementale sans durabilité sociale. Il nous faut donc continuer à augmenter le budget du Fonds social pour le climat, dont la portée pourrait contribuer à limiter la crise climatique sociale et à garantir la sécurité énergétique tout en renforçant la solidarité européenne.

Il est également essentiel que l’industrie soit préparée aux objectifs du Pacte vert de neutralité climatique à l’horizon 2050.

L’industrie de l’Union européenne doit occuper une position de leader international pour garantir notre autonomie stratégique et pour créer des emplois de qualité pour tous les Européens.

Or, pour mener une politique industrielle et de transition écologique, des subventions, de la planification et des pouvoirs publics forts sont nécessaires. Il faut également, parfois, protéger nos industries.

C’est pourquoi plusieurs leviers financiers doivent être activés, notamment à l’occasion de la revue à mi-parcours du cadre financier pluriannuel, qui doit avoir lieu d’ici à l’été 2023.

L’Union doit aujourd’hui plus que jamais se doter de nouvelles ressources propres. J’ai eu l’occasion d’indiquer à de nombreuses reprises dans cet hémicycle combien il est important de disposer de moyens.

Je pense bien sûr à l’extension des marchés carbone, à la mise en place du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières le plus rapidement possible, à la création d’une nouvelle taxe sur les transactions financières et, enfin, à une meilleure taxation des bénéfices des multinationales. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Olivier Cadic. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, Véronique Guillotin a opportunément évoqué les menaces que la Russie fait peser sur la Moldavie.

La Géorgie, elle, fait face à un mouvement contestataire d’ampleur depuis le 7 mars dernier, date à laquelle le Parlement a adopté la loi dite des « agents étrangers ». Inspiré de la législation russe, ce texte était censé museler les ONG et les médias d’opposition dans le pays.

Des rassemblements spontanés de plusieurs milliers de personnes à Tbilissi, la capitale, ont fait plier le gouvernement. Quel avenir proche pour la Géorgie, pays paradoxal dirigé par des gouvernements inféodés à la Russie, mais dont la population est acquise à plus de 80 % à la cause de l’Europe ?

En début de semaine, Sergueï Lavrov n’a pas hésité à comparer ce soulèvement à la révolution ukrainienne de 2014, dénonçant par là même des influences cherchant à provoquer un sentiment antirusse. Et le représentant des affaires étrangères de la Crimée de renchérir : « Nous recommandons au peuple géorgien de se souvenir d’une situation similaire en Ukraine en 2014, et de ce à quoi elle a finalement mené. »

En juin dernier, l’Union européenne s’est déclarée prête à donner le statut de pays candidat à la Géorgie. Quelles sont les prochaines étapes envisagées pour cette adhésion, madame la secrétaire d’État ? Les conditions nécessaires à l’activation de ce statut sont-elles réunies ? La situation de la Géorgie fera-t-elle l’objet d’un point précis lors du Conseil européen de la semaine prochaine ?

Alors que les combats et les bombardements en Ukraine s’intensifient, l’Europe a annoncé qu’elle se prépare à mettre en œuvre un plan d’action qui prévoit d’utiliser les ressources de la Facilité européenne de paix à hauteur de 1 milliard d’euros, afin de libérer les stocks de munitions déjà existants et de passer de nouveaux contrats.

Comme l’a indiqué M. Rapin, Thierry Breton a détaillé cet enjeu existentiel pour l’Europe en expliquant qu’il fallait identifier les goulets d’étranglement qui empêchent l’Union européenne de produire des munitions de manière massive et qu’il convenait de procéder, avec les entreprises qui produisent des munitions, presque au cas par cas.

Cette stratégie permettra-t-elle à court terme de produire plus de munitions et de préserver notre souveraineté européenne en la matière ?

Par ailleurs, je souhaite attirer votre attention sur la proposition de résolution de mon collègue André Gattolin, déjà évoquée par notre collègue Colette Mélot. Adopté il y a quelques jours par la commission des affaires européennes, ce texte, qui dénonce les transferts forcés et massifs d’enfants ukrainiens par la Fédération de Russie, sera examiné par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées dans les tout prochains jours.

La France et, plus largement, l’Union européenne mettront-elles des moyens pour enquêter sur ces disparitions d’enfants ?

Je souhaite enfin vous alerter, madame la secrétaire d’État, sur l’Indopacifique.

Le président chinois a apporté son appui politique à Moscou. Comme Poutine, il combat le monde démocratique et cherche à le soumettre.

Alors que les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni affirment leur stratégie dans l’Indopacifique et ont fait une déclaration commune voilà quelques jours, l’Union européenne peine à fournir une réponse à la hauteur des enjeux de la région.

Au mois de septembre 2021, l’Union européenne a présenté sa stratégie pour la région indopacifique. Celle-ci a vocation à répondre aux grands défis mondiaux en matière de sécurité, de climat ou encore de transition numérique.

Cette zone est au centre d’une concurrence géopolitique très intense. Preuve en sont notamment les tensions croissantes autour de territoires et de zones maritimes contestés par la Chine, qui affiche son expansionnisme.

La Chine augmente encore son budget militaire et investit dans sa capacité à prendre le contrôle de Taïwan et à chasser les États-Unis hors de la région.

Au mois de décembre 2022, le Japon a modifié radicalement sa doctrine de défense et prévoit désormais de doubler son budget annuel consacré à celle-ci, le portant d’environ 1 % de son PIB actuellement à 2 % d’ici à 2027.

Le mois dernier, à Manille, le président Marcos a convoqué l’ambassadeur chinois pour dénoncer l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des actions menées par la Chine contre les garde-côtes et les pêcheurs philippins.

En février, les États-Unis et les Philippines ont signé un accord pour créer quatre bases militaires américaines supplémentaires dans ce pays d’Asie du Sud-Est.

Compte tenu de la proximité de Taïwan et de ses eaux voisines, les Philippines occupent une position stratégique dans l’éventualité d’un conflit avec Pékin, pronostiqué par certains généraux dès 2025.

Comme nous l’indiquait Gillian Bird, ambassadrice d’Australie en France, la situation dans l’Indopacifique n’a jamais été aussi dangereuse depuis la Deuxième Guerre mondiale.

La France a toujours eu la volonté de porter une stratégie européenne sur ce sujet. Cette question sera-t-elle discutée lors du prochain Conseil ?

La loi sur la sécurité nationale de 2020 à Hong Kong a par ailleurs porté un coup fatal au cadre « un pays, deux systèmes » mis en place au moment de la rétrocession par le Royaume-Uni de Hong Kong à la Chine en 1997.

Le procès de quarante-sept personnes accusées de subversion pour avoir organisé une élection primaire non officielle à Hong Kong en 2020 a commencé le mois dernier. Il vise à écraser la dissidence.

La plupart de ces personnalités prodémocratie sont détenues depuis deux ans. Seules seize d’entre elles seront jugées, tandis que trente et une personnes ont plaidé coupable et seront condamnées à l’issue du procès.

Ce procès montre que Pékin s’est affranchi du respect de ses engagements internationaux, comme l’a dénoncé l’ONU et comme l’avait anticipé Josep Borrell.

L’Union européenne prévoit-elle de prendre position sur ces procès politiques qui nous rappellent les procès staliniens et démontrent que le concept « un pays, deux systèmes » a disparu ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. Guillaume Chevrollier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen qui se tiendra les 23 et 24 mars prochains intervient dans un climat extrêmement compliqué pour l’Union européenne, écartelée entre plusieurs crises distinctes.

La première d’entre elles est, bien sûr, la guerre entre l’Ukraine et la Russie, dont nous fêtons le triste anniversaire. Durant toute cette année, l’Europe n’a cessé de tanguer face aux répercussions de ce conflit.

Celles-ci sont d’abord humaines. Le bilan humain du conflit est en effet dramatique. Celui-ci a de plus entraîné des déplacements massifs de population.

Je salue à ce titre l’ensemble de nos collectivités locales, de nos élus, mais aussi des concitoyens français qui, comme je l’ai vu dans mon département de la Mayenne, ont permis par pure solidarité à des familles d’être accueillies dans des conditions décentes sur notre territoire.

Ce conflit emporte également des conséquences militaires pour la France et pour l’Europe, qui envoient du matériel, notamment des munitions, mais aussi, pour la France, des canons Caesar. L’Union européenne devrait d’ailleurs fournir une aide supplémentaire de 2 milliards d’euros en munitions pour l’Ukraine, soit le double de ce qui était prévu.

En mettant fin à la paix européenne si durement acquise, cette guerre nous a conduits à nous interroger de façon lucide sur nos capacités militaires et à revoir celles-ci au niveau national, mais aussi européen.

Quel est l’état actuel de notre coopération militaire avec nos voisins européens ? Existe-t-il une ligne rouge à ne pas franchir dans l’aide apportée à l’Ukraine ? Le prochain Conseil européen débattra-t-il de nouveau de sa boussole stratégique pour ce qui concerne l’Europe de la défense ?

Ce conflit a également engendré une instabilité sur les marchés de l’énergie et une augmentation vertigineuse des prix. Chacun connaît les répercussions de ces prix de l’énergie sur nos collectivités locales et sur toutes nos entreprises. Pour beaucoup, notamment pour nos artisans et nos commerçants, les factures sont insupportables.

Du fait de cette augmentation des prix, du sous-investissement dans la filière nucléaire dans notre pays et de l’arrêt de nombreux réacteurs, la France a échappé de peu à la catastrophe cet hiver. Mais qu’en sera-t-il l’année prochaine ?

À l’échelon européen, notre politique d’investissements dans le nucléaire nous impose de réformer le marché européen de l’électricité, par exemple en découplant le prix de l’électricité des cours du gaz.

Le conflit avec la Russie et la suppression de l’approvisionnement en gaz russe ont totalement changé la donne. Aujourd’hui, le mécanisme est devenu totalement inéquitable, dans la mesure où le gaz ne contribue qu’à 7 % de la production de notre électricité.

La France doit peser de tout son poids dans les négociations à venir. À l’heure où nous relançons nos investissements dans le nucléaire, peut-on espérer voir les négociations aboutir avant cet été, madame la secrétaire d’État ?

L’Union européenne est aussi tiraillée par la récente mise en place par les États-Unis de l’Inflation Reduction Act, qui repose notamment sur un impressionnant paquet de subventions du gouvernement américain d’un montant de 370 milliards de dollars pour stimuler le développement des énergies renouvelables.

Ces mesures prises par les États-Unis constituent une véritable offensive économique et manifestent la volonté d’aller chercher en Europe des entreprises et leur technologie, afin de les installer aux États-Unis. Pour être éligibles à ces subventions, les entreprises doivent en effet produire sur place.

L’Union européenne doit réagir fermement, au risque de connaître une fuite des cerveaux et, pis encore, une fuite de notre savoir-faire technologique et industriel.

Les premières pistes d’une réponse européenne qui voient le jour, notamment via le Pacte vert, semblent insuffisantes.

L’assouplissement des aides d’État permettra à la France d’investir davantage, mais aura comme conséquence de créer une distorsion au sein de l’Union européenne entre les pays membres disposant d’une forte capacité fiscale et ceux n’en disposant pas.

Pour rappel, on estime que l’Europe aura besoin de 350 milliards d’euros d’investissements supplémentaires par an sur cette décennie pour atteindre son objectif de réduction des émissions à l’horizon 2030 pour les seuls systèmes énergétiques.

Néanmoins, la volonté de mettre en place une taxe carbone aux frontières de l’Union européenne ne peut qu’être saluée et encouragée pour des raisons à la fois écologiques et économiques.

L’Union européenne a réalisé plus de 2 100 milliards d’euros d’importations en 2019, soit l’équivalent du PIB de la France. Ces échanges intenses représentent 20 % des émissions de gaz à effet de serre de l’Europe. À l’heure de la décarbonation de notre économie, une telle taxe permettra de réduire cette empreinte.

Elle constitue aussi une mesure de compétitivité économique. Par cette taxe carbone, l’Union européenne encourage la mise en place d’une concurrence loyale entre les entreprises européennes et les entreprises mondiales et lutte contre la délocalisation de nos entreprises.

Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous indiquer l’état d’avancement de la mise en place de cette taxe carbone et nous confirmer que celle-ci sera bien effective en 2026 ?

Le point noir le plus nuisible à notre compétitivité est sans aucun doute l’empilement des réglementations au sein de l’Union européenne, qui pèse sur nos entreprises et qui est devenu l’un des problèmes majeurs ces dernières années.

Quelque 116 propositions de réglementation de la Commission européenne seraient en attente. Et pour la seule année 2023, celle-ci prévoit de présenter 43 nouvelles initiatives. Madame la secrétaire d’État, pensez en particulier à nos agriculteurs et au secteur agricole, si important pour notre souveraineté alimentaire et si fortement fragilisé dans sa compétitivité. C’est une véritable surcharge réglementaire, qui peut contribuer à faire peser sur nos entreprises des contraintes supplémentaires.

Récemment encore, dans cet hémicycle, je rappelais combien les initiatives européennes en matière de responsabilité sociale des entreprises (RSE), bien qu’utiles et même nécessaires, laissent à craindre la création d’un choc de complexité dans la mesure où elles élargissent l’obligation de diffusion d’informations sociales et environnementales à un grand nombre d’entreprises européennes, notamment les PME, qui n’étaient jusqu’alors pas concernées.

Madame la secrétaire d’État, peut-on espérer une Europe moins technocratique ?

Assistera-t-on cette année à la fin de la naïveté européenne, à la fois militaire et économique ? Je le souhaite sincèrement et l’appelle de mes vœux.

Je terminerai cette intervention en rappelant que si nous sommes profondément Européens et attachés à l’Union européenne comme institution politique, nous avons le devoir de nous réformer pour nous adapter à un monde qui change et à une mondialisation qui a atteint ses limites, notamment sur le plan environnemental.

Se réformer est la condition sine qua non pour construire une Europe forte, une Europe véritablement puissante, susceptible de faire face aux nombreuses menaces, au retour des empires, mais aussi aux nombreux défis enthousiasmants du XXIe siècle. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, RDPI et RDSE, ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Boone, secrétaire dÉtat. Madame la présidente, messieurs, messieurs les sénateurs, je vous remercie de vos interventions. Je tâcherai de répondre à toutes les questions que vous m’avez posées. Mais le temps qui m’est imparti étant restreint, je me tiendrai à votre disposition avec mon cabinet si vous avez besoin d’éléments supplémentaires.

Monsieur le président Rapin, monsieur le rapporteur général Husson, madame la sénatrice Guillotin, monsieur le sénateur Gattolin, madame la sénatrice Mélot, vous avez été très nombreux à évoquer la guerre en Ukraine, où les combats sont toujours très intenses.

La Russie tirant environ 10 000 obus par jour, les Ukrainiens ont cruellement besoin de notre aide, notamment en matière de munitions. Les discussions qui se tiennent à Bruxelles ont abouti à la proposition de prélever 2 milliards d’euros sur les fonds de la Facilité européenne de paix pour accélérer la fourniture de munitions, essentiellement de 155 millimètres, à l’Ukraine.

L’objectif de cette initiative est triple.

Premièrement, encourager la cession des stocks en remboursant à hauteur de 1 milliard d’euros des cessions consenties par les États membres à l’Ukraine.

Deuxièmement, faciliter les achats conjoints via l’Agence européenne de défense.

Troisièmement, renforcer les capacités de production de l’industrie européenne, notamment par la mobilisation du budget européen pour aider nos industriels à augmenter l’offre européenne de munitions.

Cette initiative devrait être validée lors du Conseil affaires étrangères et défense du 20 mars, puis endossée par le Conseil européen.

Monsieur le sénateur Chevrollier, vous m’avez demandé s’il y avait une ligne rouge dans l’aide à fournir à l’Ukraine. Le Président de la République a été très clair à ce sujet. Rien n’est exclu, mais nos choix doivent répondre à trois exigences : ils doivent être efficaces et utiles immédiatement pour les Ukrainiens – ce n’est pas le cas de toutes les armes que nous leur fournissons –, ils ne doivent pas contribuer à l’escalade et ils ne doivent pas obérer nos propres capacités de défense nationale.

Vous avez été nombreux – MM. les sénateurs Cadic et Leconte, ainsi que Mme Mélot, qui a évoqué le projet de résolution de votre collègue André Gattolin – à mentionner les transferts forcés et massifs d’enfants ukrainiens par la Fédération de Russie. Ces transferts forcés sont ignobles.

Le Conseil européen s’est emparé du sujet, puisque le dixième paquet de sanctions contre la Russie, adopté le 25 février, a déjà permis de sanctionner quatre personnes responsables de la déportation et de l’adoption forcée d’enfants ukrainiens.

Il s’agit de deux responsables politiques dans des régions russes – le vice-premier ministre de la République de Bachkirie et le chef adjoint de l’oblast de Moscou –, ainsi que de la commissaire russe aux droits de l’homme et d’une responsable de fondation russe. Tous ont contribué à l’adoption illégale d’enfants ukrainiens par des citoyens russes. Nous n’hésiterons évidemment pas à renforcer ses sanctions.

Monsieur le président Rapin, madame la sénatrice Guillotin, vous m’avez également interrogée sur la Moldavie, où je me suis rendue la semaine dernière. Je ne peux que vous encourager à vous y rendre également pour apporter votre soutien à sa présidente Maïa Sandu.

Lors de mon entretien avec Mme Sandu la semaine dernière, nous avons abordé trois thématiques principales.

La première est la coopération apportée par la France pour renforcer la démocratie, l’État de droit et la justice en Moldavie. Vous savez à quel point la présidente s’est attaquée à la corruption et à la rénovation de la justice dans son pays.

La deuxième thématique est celle du soutien que nous apportons à la société civile moldave, notamment dans la continuité de l’aide d’urgence qui est apportée depuis l’an dernier.

Nous avons enfin évoqué les préparatifs du deuxième sommet de la Communauté politique européenne (CPE) qui se tiendra à Chisinau le 1er juin et qui est un événement très important pour la Moldavie.

La diplomatie parlementaire a un rôle majeur à jouer, d’autant que comme cela a été indiqué, dans de nombreux pays des Balkans, la demande de soutien parlementaire est très forte.

Vous avez également évoqué la Géorgie, monsieur Cadic. J’ai reçu ce matin la présidente de la commission des affaires européennes du Parlement géorgien – si mes informations sont bonnes, vous l’avez également rencontrée, monsieur le sénateur –, qui m’a fait part des progrès réalisés par son pays sur onze des douze recommandations qu’il doit mettre en œuvre, la polarisation de la vie politique demeurant un sujet difficile.

De notre côté, nous avons salué le retrait du projet de loi sur la transparence de l’influence étrangère, qui n’était pas compatible avec le processus de rapprochement de la Géorgie avec l’Union européenne.

Ce pays a besoin de tous les soutiens possibles, notamment techniques, pour parvenir à mettre en œuvre les recommandations de façon satisfaisante

Plus largement, dans le cadre de l’élargissement de l’Union européenne aux Balkans occidentaux, nous devons parvenir à fournir une assistance technique plus importante à ces pays de manière à ne pas les laisser dans une chambre d’attente trop longtemps.

M. le rapporteur général Husson, ainsi que Mmes et MM. les sénatrices et sénateurs Berthet, Joly, Chevrollier et Fernique, Guillotin et Arnaud m’ont également interrogée sur la compétitivité de l’Union européenne en matière d’énergie et sur l’IRA.

Tous l’ont souligné, la première des raisons pour lesquelles nous avons un fossé de compétitivité avec les États-Unis et d’autres régions est bien le prix de l’énergie. Dans ce cadre, la réforme du marché de l’électricité est extrêmement importante, et la France s’est mobilisée en ce sens, notamment grâce à l’action du ministre Bruno Le Maire, de la ministre Agnès Pannier-Runacher et de tout le Gouvernement, depuis plus d’un an, pour protéger les consommateurs, pour lutter contre la volatilité des prix et pour donner de la visibilité à nos entreprises afin qu’elles puissent prendre leurs décisions d’investissement en Europe.

Je crois qu’il faut le reconnaître, la proposition de la Commission européenne est une base solide et large, puisqu’elle inclut le nucléaire existant. Elle aura pour effet non seulement de préserver les avantages de l’intégration des échanges d’énergie en Europe, mais aussi de nous apporter des bénéfices concrets en matière de stabilité. Elle nous permettra de bénéficier de la compétitivité du parc nucléaire.

Elle prévoit à la fois des contrats de long terme – certains d’entre vous le demandaient – et ce que l’on appelle des contrats « pour différence ». Ainsi, le Power Purchase Agreement (PPA) permet de sécuriser les consommateurs comme les entreprises en incluant le nucléaire existant, de faire baisser les prix au plus près des coûts de production de notre parc nucléaire existant et de fournir une certaine stabilité et une prévisibilité, qui sont très importantes pour nos entreprises.

Notre objectif est que cette réforme soit adoptée avant la fin de l’année. Nous disposerons probablement d’un certain nombre d’orientations au mois de juin prochain. Nous espérons – et je crois que le Parlement européen en fait aussi un sujet d’importance – parvenir à conclure rapidement, de façon à pouvoir présenter la mise en œuvre de cette réforme et son bilan dans le cadre des prochaines élections européennes.

Outre la question des prix de l’énergie, il faut aussi prendre en compte la nécessité de répondre au plan américain Inflation Réduction Act par le plan « zéro émission nette ». Cette réponse s’inscrit dans une stratégie très large, qui vise à faire en sorte que l’Europe se montre plus offensive en matière commerciale et industrielle. Je regrette que vous trouviez que ce plan ne produise pas d’« effet waouh », mais j’espère que dans sa mise en œuvre, ce sera le cas.

Il prévoit plusieurs dispositifs, au premier rang desquels un volet de propositions sur les marchés publics pour que tous les bons critères soient pris en compte dans l’attribution des contrats, que ce soit la performance environnementale ou la sécurité d’approvisionnement de l’Union européenne. L’objectif est d’éviter toute dépendance en faisant en sorte que nos services publics ne soient pas assurés par des entreprises de pays tiers.

Le deuxième dispositif consiste en la mise en place d’une plateforme d’investissement pour mieux coordonner les financements disponibles et pour mobiliser toutes les ressources dans les secteurs stratégiques de façon rapide.

Monsieur le rapporteur général, j’entends ce que vous dites sur la bureaucratie européenne, mais je peux vous assurer que le troisième pilier de ce plan est la réduction des délais d’octroi de permis pour faciliter la réindustrialisation de la France. Il sera complété par le futur projet de loi sur l’industrie verte en France qui est défendu par Bruno Le Maire. Nous voulons réduire la bureaucratie européenne et faire de la rapidité de nos procédures un réel avantage compétitif.

Je ne dirai pas qu’il n’y a pas encore de progrès à faire dans cette proposition de plan. La liste des technologies couvertes doit être étendue pour intégrer le nucléaire, puisque comme vous l’avez constaté, cela n’y figure pas encore. Il en va de même pour la chaleur renouvelable et la biomasse. Il faut que le règlement prenne en compte tous les projets de décarbonation du secteur industriel.

J’en viens à présent à la question du Royaume-Uni, sur laquelle m’ont interrogée Mme la sénatrice Mélot et M. le sénateur Gattolin, entre autres.

L’accord de Windsor a en effet été signé le 27 février dernier, ce qui est une bonne chose, puisqu’il nous permet d’avancer sur la mise en œuvre du protocole nord-irlandais.

Son dispositif est assez simple : il y aura des produits destinés à rester sur le marché britannique et des produits qui iront sur le marché unique. Sur le marché britannique, l’accord prévoit des tests aléatoires et sur le marché unique les tests seront systématiques. Nous aurons aussi un système de contrôle des données d’échanges commerciaux, de façon à détecter toute éventuelle fraude.

Plus largement, sur le Royaume-Uni, la ligne française n’a pas varié. Notre pays défend une exigence maximale sur le respect des accords conclus dans le cadre du Brexit et une ouverture maximale pour travailler avec le Royaume-Uni, car nous n’échapperons pas à notre géographie.

Messieurs les sénateurs Fernique, Gattolin, Arnaud et Chevrollier, en ce qui concerne l’interdiction des véhicules thermiques en 2035, la France est très claire : elle réaffirme qu’il faut garder cet objectif de 2035. Tout d’abord, c’est là un signal clair de notre mobilisation pour lutter contre l’urgence climatique. Cet objectif est nécessaire sur le plan écologique. Ensuite, il est aussi nécessaire sur le plan industriel. Nous l’avons dit aux producteurs de voitures : changer de direction serait nuisible à la prévisibilité que nous voulons donner à toutes nos entreprises industrielles. La décision est donc à la fois écologique et industrielle. Elle nous permettra en outre de renforcer notre indépendance énergétique.

Je note aussi que la ministre de l’environnement allemande ne dit pas autre chose, ce qui me donne beaucoup d’espoir pour sortir de cette situation malheureuse.