PRÉSIDENCE DE Mme Laurence Rossignol

vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Breuiller.

M. Daniel Breuiller. Monsieur le Premier président de la Cour des comptes, je vous écoute et vous lis avec attention et intérêt. La décentralisation est sans doute l’un des outils qui renforcent nos capacités à agir. Encore faut-il réellement la promouvoir et non pas, sans cesse, notamment du côté de Bercy, vouloir contrôler l’action territoriale et la contraindre financièrement.

La crise démocratique n’est pas uniquement due à l’actuelle réforme des retraites. Elle est le fruit d’une absence de vision partagée au sein de notre société du pays que nous voulons construire, ainsi que d’un manque de collaboration avec les corps sociaux et les élus locaux.

Les résultats de notre pays sont contrastés, comme vous l’indiquez, et ce n’est pas vrai seulement d’un point de vue financier. Le contraste est aussi démocratique et social, entre ce qui est juste et ce qui ne l’est pas, ce qui est perçu comme juste et ce qui ne l’est pas.

Les Françaises et les Français subissent les inégalités brutales de notre société. Ils savent que les entreprises du CAC 40 reversent des dividendes records à leurs actionnaires sans pour autant rectifier les écarts de rémunérations, que ce soit entre les femmes et les hommes ou entre les bas et les hauts salaires. Ils voient des services publics en difficulté. Le regard qu’ils portent sur notre société est marqué d’un sentiment d’injustice, l’attente vis-à-vis des collectivités croît à mesure que la confiance envers l’État décroît.

La Cour des comptes a choisi de travailler, pour son rapport annuel, sur le bilan de la décentralisation. C’est un sujet qui nous anime et nous passionne.

Pour ma part, je veux affirmer une certitude, qui se traduit d’ailleurs dans votre rapport, monsieur le Premier président : la décentralisation est un de nos meilleurs atouts face aux crises. Elle a permis d’immenses progrès dans de nombreux domaines, en rapprochant des citoyens la gestion et la décision. En effet, la démocratie s’enrichit du contrôle direct et de la proximité.

À la manière d’un Georges Perec, je voudrais un instant vous dire : « Je me souviens. »

Je me souviens que, dans les années 1970, pour le jeune banlieusard que j’étais, le cinéma, la musique, les spectacles n’étaient qu’à Paris, alors qu’aujourd’hui les festivals couvrent tous les territoires et participent au dynamisme de nos régions.

Je me souviens du 6 février 1973, date de l’incendie dramatique du collège Édouard-Pailleron, à Paris. La confiance envers l’État avait alors brûlé aussi vite que ce bâtiment, alors qu’aujourd’hui les départements, véritables acteurs de la communauté éducative, consacrent aux collèges en moyenne 6 % de leur budget, le double de ce qu’ils investissaient au début des années 1980.

Je me souviens avoir été convaincu que garantir un lien direct entre la perception des impôts et la réalisation concrète de choix politiques des élus favorisait le consentement à l’impôt. Les lois Defferre furent prometteuses, même fructueuses, mais l’État jacobin et ses services centraux ont-ils, au fond, jamais renoncé à faire rentrer dans le rang la capacité d’initiative des élus territoriaux, que les lois de décentralisation avaient stimulée et que la Constitution a reconnue ?

Je me souviens que François Mitterrand disait à raison : « La France a eu besoin d’un pouvoir fort et centralisé pour se faire. Elle a aujourd’hui besoin d’un pouvoir décentralisé pour ne pas se défaire. »

Vous préconisez une coordination plus efficace des acteurs, monsieur le Premier président. Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires et moi-même y souscrivons pleinement, car c’est indispensable pour faire face aux défis environnementaux, démocratiques et sociaux. Mais cette coordination ne peut pas découler uniquement d’une vision technocratique ou financière, comme ce fut le cas pour la création des grandes régions. Nous revendiquons à la fois l’autonomie, y compris fiscale, la coopération et l’État stratège !

Je me souviens enfin du cycle de l’eau, que l’on m’expliquait à l’école. Aujourd’hui, le dérèglement climatique a tout changé. La ressource abondante, dont on ne se souciait guère, est devenue un sujet majeur de préoccupation.

Vous avez raison, monsieur le Premier président, de rappeler que l’eau fait partie du patrimoine commun de la Nation. Alors que notre pays ne respecte pas ses propres principes sur le bon état de la ressource, il est aujourd’hui confronté à une réalité terrible : l’insuffisance quantitative, à laquelle nous ne sommes pas assez préparés. Les conflits d’usage se développent et les contradictions existent au sein même du Gouvernement : les priorités des ministres de l’environnement, de l’agriculture, de la santé ou encore de l’énergie divergent et ne semblent guère arbitrées.

Ces conflits témoignent de la nécessité de nouvelles modalités de gouvernance démocratique, qui ne peuvent pas se limiter à une simplification des procédures et des compétences territoriales.

Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) consacre un chapitre complet aux menaces qui planent sur nos écosystèmes hydrologiques et sur les mesures urgentes d’adaptation aux perturbations du cycle de l’eau. En quelques semaines, nous avons vu la remise de deux rapports, le vôtre et celui du Giec, qui répètent encore et encore ceci : il est urgent d’agir !

Monsieur le Premier président de la Cour des comptes, la dette climatique coûte et coûtera plus cher que la dette financière. Surtout, elle ne se rembourse pas. Nous attendons avec impatience votre rapport sur le sujet l’année prochaine. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Patient.

M. Georges Patient. Monsieur le premier président de la Cour des comptes, le rapport public annuel de la Cour, que vous avez remis au Président de la République le 9 mars dernier et que vous nous présentez aujourd’hui, s’attache, au-delà du traditionnel chapitre sur la situation et les perspectives des finances publiques, à dresser un bilan de la décentralisation.

Quarante ans après le début du mouvement décentralisateur amorcé par la promulgation des lois Defferre, la Cour fait état d’un « élan à retrouver ». Monsieur le Premier président, ce n’est pas là une surprise, mais un constat que nous faisons avec vous, car nous croyons qu’une vraie décentralisation est nécessaire et que l’engagement des élus locaux doit être au cœur de l’action publique.

En 2009, la Cour avait déjà réalisé un premier bilan de la décentralisation. Son Premier président d’alors, Philippe Séguin, résumait ainsi, dans sa présentation du rapport, les failles de ce mouvement décentralisateur : « La République, c’est la solidarité nationale. Et il ne faudrait pas que la décentralisation devienne l’alibi de son affaiblissement. »

Monsieur le Premier président, le bilan que vous dressez de ces quarante années aboutit au constat d’une absence de cap clair et lisible et d’un éparpillement des compétences, avec parfois un risque de chevauchement entre les différents niveaux de collectivités. Ce constat est resté le même depuis le rapport de 2009, car l’organisation des services déconcentrés de l’État a failli à s’ajuster aux évolutions – parfois erratiques, il faut le reconnaître – de la carte et des compétences des collectivités.

L’architecture de financement est le reflet de cet éparpillement organisationnel. La Cour nous l’a montré à la fin de l’année dernière, à l’occasion d’un rapport qui mettait en lumière un système de financement à bout de souffle, souffrant d’un manque de lisibilité et de prévisibilité.

Il faut donc aligner résolument le financement, les compétences et les responsabilités, locales et nationales. Il faut clairement identifier des chefs de file pour la conduite des grandes politiques publiques, puis en faire découler une organisation territoriale et une organisation des services déconcentrés de l’État qui épouse cette nouvelle architecture.

De ce point de vue, la position de l’exécutif est claire et va dans le bon sens. Elle s’articule autour des quatre principes suivants : transférer des compétences ; accorder des ressources dynamiques et adaptées ; donner des capacités de différenciation, et j’insiste sur ce terme ; assumer les responsabilités qui vont avec.

Néanmoins, monsieur le Premier président, que dire des collectivités d’outre-mer et en particulier des départements et régions d’outre-mer (Drom), que vous ne mentionnez aucunement dans votre rapport ? Leur réservez-vous un rapport spécifique ?

Si les grands principes que je viens d’énumérer leur sont applicables, ces collectivités ne devraient-elles pas bénéficier d’une différenciation qui leur permettrait de bénéficier de normes spécifiques que les autres collectivités du même échelon ne se voient pas appliquer, ou encore d’exercer des compétences que les autres collectivités de la même catégorie n’ont pas ?

C’est tout le sens de l’appel de Fort-de-France, lancé au mois de mai 2022 par les présidents des Drom pour dénoncer une situation de mal développement structurel. C’était un appel à la coconstruction, avec l’État, d’une décentralisation mieux adaptée à la réalité de ces territoires, une décentralisation qui conjugue la pleine égalité des droits avec la reconnaissance des spécificités et qui refonde la relation entre les territoires d’outre-mer et la République par la définition d’un nouveau cadre. Les signataires ont été reçus le 7 septembre 2022 par le Président de la République. Des travaux se déroulent actuellement au sein de chaque territoire autour de cette question, et un comité interministériel de l’outre-mer devrait se tenir à la fin de ce semestre, afin d’avaliser une première série de décisions.

Monsieur le Premier président, je compte sur votre expertise, qui sera – j’en suis sûr – sollicitée pour que les collectivités d’outre-mer bénéficient d’une juste compensation du transfert de compétences et que le caractère péréquateur de la dotation d’aménagement des communes et circonscriptions territoriales d’outre-mer (Dacom) et du Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (Fpic) soit renforcé. La Cour a déjà travaillé sur ces deux sujets, qui constituent de graves injustices.

Monsieur le Premier président, je remercie la Cour de la qualité de son travail, que je salue.

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Cozic. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

M. Thierry Cozic. Madame la présidente, monsieur le Premier président, mes chers collègues, dans leurs multiples et vaines tentatives de convaincre l’opinion de la nécessité de la réforme des retraites, le Gouvernement et ses alliés de la majorité sénatoriale ont souvent fait valoir la question de la dette.

C’est précisément ce chantage qui a amené le Gouvernement à reprendre la rhétorique de François Fillon en 2007 sur le thème de la faillite.

Malgré le manque de succès de telles tentatives, nous voici réunis avec les représentants de la Cour des comptes, afin d’examiner, dans une sorte de numéro de duettistes bien huilé, le rapport public annuel de cette dernière, qui nous alerte sur la dette publique. En effet, ce rapport invoque des « risques élevés » sur la soutenabilité de celle-ci.

Ce faisant, la Cour remplit son rôle classique de critique de l’exécutif du point de vue de l’orthodoxie financière. Toutefois, ne soyons pas dupes : elle adresse un reproche en forme de soutien des mesures de répression sociale du Gouvernement.

Aussi, je déplore le fait que la Cour ne s’interroge pas sur une éventuelle hausse des prélèvements obligatoires pour relever les comptes publics. Car l’exécutif trouve ainsi dans ce rapport un prétexte pour aller plus loin dans la compression des dépenses sociales, ainsi qu’une justification de ses contre-réformes.

D’ailleurs, le ministre Bruno Le Maire ne s’y est pas trompé : dans sa réponse officielle au rapport, il a déclaré que les réformes des retraites et de l’assurance chômage, par les économies qu’elles devraient permettre, répondaient aux recommandations de la Cour.

Mais nous voyons clair dans le jeu du Gouvernement. Étant établi que les entreprises disposent toujours du levier du chantage à l’emploi et que le mouvement social est ignoré par ce gouvernement, il est aisé de deviner où l’exécutif compte réaliser l’essentiel de ces économies. En effet, je ne pense pas que les 160 milliards d’euros d’aides aux entreprises feront l’objet d’une refonte massive, afin d’éviter à nos concitoyens une cure austéritaire…

Reste désormais à savoir sur quoi repose cette nouvelle alerte sur la dette publique. Dans son rapport, la Cour des comptes critique le scénario d’évolution de la dette publique construit par le Gouvernement. Néanmoins, monsieur le Premier président, il comporte un impensé de taille. Je serai clair : il est frappant que, dans ce rapport, la question de l’inflation soit si rapidement évacuée.

Alors que la hausse des prix s’est accélérée depuis la mi-2021 et devrait vraisemblablement durer, cette question devrait constituer un axe central de réflexion. Comme vous le savez, il existe une dynamique fondamentale entre la dette et l’inflation. Aussi, je m’étonne que cette question soit absente des discussions entre Bercy et la rue Cambon. L’inflation étant avant tout un phénomène redistributif, il n’est pas inutile de rappeler que des dynamiques similaires à celles opérant entre capital et travail existent également entre le débiteur et le créancier.

En effet, lorsque survient l’inflation, la valeur monétaire de la somme empruntée diminue. Le débiteur doit alors rembourser sa dette à l’aide d’une monnaie dont le pouvoir d’achat est amoindri. De la même manière, la dette détenue par le créancier perd de sa valeur.

Le taux d’intérêt doit en théorie couvrir ce risque, mais si le taux auquel la dette a été contractée est fixe et inférieur au taux d’inflation, alors le créancier ne peut pas compenser cette perte de valeur. Celui-ci ne peut alors qu’ajuster le taux des nouvelles émissions, ce qui ne règle pas le problème de la dette passée.

Ainsi, l’inflation conduit souvent à une redistribution entre créanciers et débiteurs au profit des seconds. Dans la période actuelle, cela se vérifie particulièrement pour ce qui concerne la dette publique. Celle-ci est contractée très largement à taux fixe, et elle est « roulée ». De fait, le capital est remboursé par une nouvelle dette. Mais comme le capital remboursé est déprécié par l’inflation, le poids de la nouvelle dette contractée pour le rembourser l’est également.

Voilà précisément ce qui est évacué dans le rapport, alors même que le Fonds monétaire international (FMI) estimait, dans une étude réalisée en 2019, qu’une inflation de 6 % pendant cinq ans permettrait de réduire le ratio de dette publique de la France de 13 points de PIB.

En conclusion, ce rapport pose les bases pour imposer au pays des cures austéritaires dans les années à venir, sans que tous les paramètres macroéconomiques aient été appréciés de manière efficiente. Or si la tension qui s’exerce sur les finances publiques ne peut pas être ignorée, il apparaît primordial d’explorer toutes les pistes d’assainissement, afin que celui-ci ne s’effectue pas au prix d’une nouvelle casse sociale que notre pays et nos concitoyens ne pourraient pas supporter. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe du RDSE. – M. le président de la commission des finances applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

M. Pascal Savoldelli. Madame la présidente, monsieur le Premier président, mes chers collègues, il est vrai que la promesse était belle : l’acte I de la décentralisation devait « mettre fin à un régime centralisé », « modifier profondément la répartition des pouvoirs entre l’État et les collectivités locales », donner à celles-ci la « maîtrise de leur devenir » et permettre de « rapprocher l’administration des administrés ». Belle promesse !

D’ailleurs, cette belle promesse a été renouvelée lors de l’acte II de la décentralisation, dans le cadre de la loi constitutionnelle de 2003. En effet, il était affirmé dans l’exposé des motifs que la décentralisation, « sans remettre en cause l’unité de la Nation, enrichit la vie démocratique et contribue à une application plus effective et moins abstraite du principe d’égalité » des citoyens devant la loi.

Dans les faits, la démarche a produit les maux qu’elle visait à combattre. La décentralisation a été dénaturée, désorganisant, complexifiant et reléguant l’ambition d’une démocratie locale pleine et entière à un vœu populaire inexaucé.

Depuis les années 2010, des actions législatives contradictoires ont été entamées pour revenir sur les erreurs du passé, mais elles n’ont eu pour résultat que de les aggraver. Monsieur le Premier président, il me semble que ces erreurs résultent de trois paradoxes.

Premier paradoxe : une recentralisation a été engagée à marche forcée entre les échelons de collectivités, sans réfléchir, entre échelons et avec les citoyens, à sa pertinence démocratique et territoriale.

Deuxième paradoxe : la décentralisation de certaines compétences s’est immédiatement accompagnée d’une recentralisation des ressources, avec à la clé des transferts de compétences sans moyens budgétaires propres. En somme, on a appliqué la doctrine du toujours plus avec moins, que la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, insuffisamment restrictive selon la majorité sénatoriale, conforte.

Troisième paradoxe : l’État s’est désengagé, disparaissant progressivement des territoires, dans une logique que j’appellerais de « sauve-qui-peut ». Aussi, j’appelle à un retour à l’État territorial. Entre 2012 et 2022, nous avons assisté à une hémorragie des services déconcentrés de l’État, avec une coupe de 14 % des effectifs, soit 11 763 équivalents temps plein, des préfectures et des directions départementales et régionales.

Mes chers collègues, quand l’administration territoriale de l’État disparaît, ce sont la cohérence, l’égalité et l’unité de la Nation et des services publics qui disparaissent avec elle. L’État ne peut pas être dévitalisé ; il est responsable. Nous sommes passés d’une République déconcentrée à une République déconnectée.

Nombre d’entre vous exprimez l’ambition d’un acte III de la décentralisation, tout comme le Gouvernement. Pourtant, la pression austéritaire est chaque jour plus prégnante, entre le retour des règles budgétaires de l’Union européenne et les velléités austéritaires du Gouvernement, que la Cour des comptes estime parfois insuffisantes.

Sans faire de provocation, cette nouvelle promesse risque de se transformer – je le dis de manière modérée – en mensonge. Il s’agira de transférer les impératifs de service public et donc de dépenses publiques vers l’échelon territorial. L’État s’en sortirait à bon compte !

En opposant les échelons territoriaux faute de définition des coopérations intrinsèques aux enjeux du siècle et aux disparités territoriales, nos concitoyennes et nos concitoyens se sentiront démunis et dépossédés de leur capacité d’action et de leurs revendications légitimes.

Un acte III de décentralisation devrait se focaliser sur les nouveaux services publics à conquérir – voilà un chantier intéressant ! –, à inventer, car ils sont seuls protecteurs et porteurs d’égalité devant les risques sociaux, écologiques et économiques. Les principes d’égalité, de continuité et d’innovation sont inhérents au service public.

L’égalité « régit le fonctionnement des services publics », selon l’arrêt Société des concerts du conservatoire du 9 mars 1951. Celle-ci revêt de multiples aspects : égalité d’accès à la fonction publique et à la commande publique ; égalité devant l’impôt et les charges publiques ; égalité devant le service public lui-même, etc.

Penchons-nous sur la question incontournable de l’eau, dont la Cour des comptes rappelle justement qu’elle « fait partie du patrimoine commun de la Nation ». En dépit des moyens humains et financiers consacrés à la politique de l’eau depuis une soixantaine d’années, 56 % des masses d’eau de surface et 33 % des masses d’eau souterraine ne sont pas en bon état au sens de la directive communautaire sur l’eau.

Pourtant, tous les échelons des collectivités sont mobilisés, dans une confusion déplorable. Des projets de territoire de gestion de l’eau sont déployés sans cohérence ni existence légale. Les départements ont été dépossédés de cette question, comme de nombreuses autres.

Ainsi, selon les magistrats de la Cour des comptes, la gouvernance de l’eau « offre un exemple de décentralisation inachevée, confiant des responsabilités importantes aux collectivités locales, conjuguées à une intervention permanente de l’État qui manque de cohérence ».

Ces échecs créent des tensions sociales importantes. Des conflits d’usage émergent, la puissance publique n’étant pas aux rendez-vous.

Il nous faut tirer les leçons du passé, consacrer le retour de l’État dans les territoires et – je vous le dis avec solennité – relégitimer la démocratie de terrain, pour la rendre cohérente, coopérative, à même de lutter contre les inégalités. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canévet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Jean-François Husson applaudit également.)

M. Michel Canévet. Madame la présidente, monsieur le Premier président, mes chers collègues, le groupe Union Centriste regrette que le Gouvernement n’assiste pas à cette séance, car l’équilibre des comptes publics est, selon nous, une question fondamentale.

Monsieur le Premier président, si vous avez estimé que la France n’était pas en faillite, force est de reconnaître que nous sommes loin d’un équilibre des comptes publics. C’est une préoccupation majeure.

Certes, nous avons été confrontés à diverses crises : la crise du pouvoir d’achat a succédé à celle du covid-19, poussant le Gouvernement à apporter des réponses fortes, ce qui implique des coûts pour l’État. Mais pour faire face à cette étape difficile, mon groupe a proposé plusieurs solutions.

Tout d’abord, face à une situation de dépenses exceptionnelles, il nous a semblé que des recettes exceptionnelles devaient être trouvées. C’est pourquoi le groupe Union Centriste avait proposé une taxe sur les superprofits des entreprises. Alors que de nombreuses personnes rencontraient des difficultés, nous avons constaté que des entreprises traversaient cette période aisément. Dès lors, il nous paraissait normal que ces entreprises contribuent au retour à l’équilibre des finances publiques.

Ensuite, au moment de la crise du carburant, mon groupe a proposé que les aides soient non pas généralisées, mais ciblées sur les personnes ayant besoin de prendre leur voiture pour se rendre au travail. En effet, nous sommes engagés dans la lutte contre le changement climatique et il importe de faire preuve de cohérence à cet égard.

En outre, pour faire peser l’effort sur les recettes, nous souhaitions que les suppressions de la redevance audiovisuelle et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) soient reportées. Hélas ! Nous n’avons pas été écoutés.

Ces reports auraient pu nous permettre de répondre à nos engagements européens en matière d’équilibre des finances publiques, à commencer par la réduction de notre déficit non pas à 5 % du PIB, mais à moins de 3 %, ce qui doit rester un objectif majeur.

Monsieur le Premier président, votre rapport aborde la décentralisation, sujet sur lequel mon collègue Jean-Marie Mizzon aura l’occasion de développer notre point de vue. Permettez-moi tout de même de vous faire part de notre forte préoccupation sur la question de l’autonomie fiscale et financière des collectivités territoriales. Nous estimons que la légitimité des élus est indissociable du sens de la responsabilité.

Le sens de la responsabilité découle de la capacité à lever l’impôt, de façon que les élus puissent justifier leurs actes devant leurs administrés. Il nous faudra travailler de manière concrète pour que l’autonomie fiscale et financière des collectivités devienne réalité. Nous devons mettre fin à la dépendance accrue des collectivités aux dotations nationales.

Par ailleurs, monsieur le Premier président, le groupe Union Centriste ne partage pas le point de vue que vous avez exprimé à la tribune sur le nombre de communes. Pour notre part, nous estimons que les communes sont un espace de démocratie primordial et qu’il faut absolument les maintenir. Cela n’empêche pas une bonne organisation territoriale ; c’est bien ce à quoi nous concourons. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Daniel Gremillet applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Bilhac.

M. Christian Bilhac. Madame la présidente, monsieur le Premier président, mes chers collègues, quarante ans après la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, nous sommes invités à commenter la publication du rapport annuel de la Cour des comptes, qui dresse le bilan de la performance de l’organisation territoriale de la France.

Cette publication nous offre l’occasion de mesurer la qualité et l’efficience des services rendus à la population dans les domaines d’action publique partagés entre l’État, les collectivités territoriales et leurs établissements publics, mais également les organismes de sécurité sociale. La Cour des comptes s’est en effet penchée sur la coordination des acteurs, la répartition des compétences et l’aide à l’action sociale.

Dans un contexte de ralentissement économique, le déficit public de la France s’élève à 5 % du PIB, la situation de notre pays étant l’une des plus dégradées de la zone euro en matière budgétaire.

J’entends souvent évoquer l’influence de la finance et les injonctions de la Commission européenne sur le choix des orientations stratégiques et budgétaires. Pour ma part, j’estime que l’équilibre des comptes est une nécessité, comme le soulignait Pierre Mendès France bien avant la signature du traité de Maastricht. Pour atteindre cet objectif, la réduction des dépenses n’est pas l’unique solution : on peut aussi jouer sur les recettes.

Permettez-moi d’évoquer le fameux couperet de 3 % du PIB, limite vertueuse fixée comme objectif aux États membres de l’Union européenne. Comment ce chiffre a-t-il été choisi ? Une part de mystère demeure, mais il semble correspondre au niveau de l’érosion monétaire au moment de la signature du traité de Maastricht. Toutefois, comment interpréter ou réviser ce chiffre dans un contexte où l’inflation devient nulle ou, au contraire, s’envole ?

Comme le souligne la Cour dans son rapport, seule une véritable nouvelle étape de la décentralisation permettra de remettre en ordre nos comptes publics. Si nous avons décentralisé, il y a toujours autant de ministères… De plus, les économies de personnel réalisées par l’État le sont pour la plupart sur les services déconcentrés de proximité, c’est-à-dire ceux qui fournissent un service direct à nos concitoyens. Des efforts équivalents n’ont pas été imposés aux administrations centrales.

Il nous faut redéfinir le rôle de chacun, tout en veillant à l’égalité d’accès des Français au service public, sur tout le territoire national. L’État doit accepter d’abandonner des pans entiers de ses compétences aux collectivités territoriales pour qu’elles soient appliquées au plus près du terrain. En vue de l’élaboration de cette réforme, il nous faut garder à l’esprit le principe de subsidiarité, afin que les services publics soient administrés à l’échelon le plus proche des administrés.

L’État doit se repositionner sur ses missions régaliennes, de manière à mobiliser les moyens nécessaires pour retrouver un bon niveau d’éducation nationale, à rendre la justice dans de bonnes conditions et à faire en sorte que la sécurité des Français soit assurée, à l’intérieur et à l’extérieur du pays. À l’État les missions régaliennes, aux collectivités un maximum de compétences. L’État doit simplement contrôler, évaluer et garantir, notamment dans le cadre des contrats de plan État-région (CPER).

De plus, l’effort de décentralisation implique de renforcer et de rationaliser le financement et l’autonomie des collectivités locales.

En conclusion, la Cour propose plusieurs mesures relatives aux collectivités locales et aux intercommunalités. Si une rationalisation de la gestion des finances locales est, certes, envisageable, il convient toutefois de rappeler, une fois de plus, que les collectivités ne portent pas la responsabilité des déficits. En effet, celles-ci ont l’obligation de voter des budgets en équilibre et dégagent même, année après année, des excédents de leurs comptes administratifs.