Pourtant, je me souviens des mots adressés par le ministre Christophe Castaner aux Audois, deux jours après la catastrophe : « L’État participera afin que tous les équipements publics arrachés à votre terre soient reconstruits. »

Dans l’Aude, madame la ministre, nous n’avons pas la mémoire courte ! Ces mots apparaissent comme une promesse non tenue, car, manifestement, le provisoire dure toujours, et avec lui la souffrance de ces patients déracinés de leur foyer d’accueil.

Pire, ce retard à un coût, évalué à 10 millions d’euros en 2019. Le projet de reconstruction est resté, hélas ! à l’état de pré-étude opérationnelle. Plus on tarde et plus le coût de reconstruction explose : c’est 20 millions d’euros qu’il faut aujourd’hui prévoir. J’ose espérer qu’il n’y a pas là une stratégie d’enlisement volontaire, aux motifs économiques, pour enterrer le projet.

Avec le maire de Saint-Hilaire, ses collègues des villages voisins et la population, qui ont été profondément meurtris par la violence de cet épisode climatique destructeur, nous sommes inquiets de l’absence de perspective et méfiants quant aux intentions des pouvoirs publics.

Pouvez-vous, madame la ministre, nous rassurer en nous garantissant que l’agence régionale de santé (ARS) engagera les efforts nécessaires de coordination des partenaires locaux, pour que ce projet soit enfin finalisé ?

Pouvez-vous aussi nous annoncer des financements exceptionnels, complémentaires à ceux du Ségur, pour pallier la hausse du coût de l’opération ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de lorganisation territoriale et des professions de santé. Monsieur le sénateur, dans la nuit du 14 au 15 octobre 2018, le département de l’Aude a effectivement vécu un dramatique épisode méditerranéen. Cette inondation a entraîné l’évacuation de l’Ehpad de Saint-Hilaire, d’une capacité de 52 places, et les dégâts ont nécessité sa reconstruction : un projet estimé à 10 millions d’euros en 2019.

Le bâtiment de l’Ehpad n’était en effet plus exploitable au regard du caractère persistant du risque inondation. La solution temporaire retenue par les autorités a été la délocalisation des places de l’Ehpad dans quatre sites relevant du centre hospitalier de Limoux, avec le maintien des emplois.

Dès 2018, plus de 1 million d’euros étaient alloués à l’Ehpad par l’ARS Occitanie, et chaque acteur concerné partageait l’importance de définir rapidement un projet de reconstruction afin de permettre l’exploitation de l’intégralité de la capacité autorisée et d’accompagner les personnes accueillies.

Ainsi, plusieurs mesures financières et d’octroi de dispositifs supplémentaires aux 52 places d’hébergement permanent ont été anticipées. D’une part, le conseil départemental de l’Aude a autorisé l’agrément de 10 places de résidence autonomie. D’autre part, l’ARS Occitanie a prévu une subvention d’investissement de 2,1 millions d’euros inscrite dans le cadre du Ségur de l’investissement, mais également : un pôle d’activités et de soins adaptés de 14 places permettant d’améliorer la prise en charge des personnes souffrant de maladies neurodégénératives ; 6 places d’accueil de jour ; 2 places d’hébergement temporaire.

Monsieur le sénateur, comme vous le soulignez, le dernier projet présenté par le centre hospitalier de Limoux n’est pas satisfaisant. De son niveau de financement découlerait un prix de journée qui serait inaccessible pour la population de la commune, ce qui n’est évidemment pas acceptable.

Je sais que la direction du centre est en lien avec les autorités de tutelle afin de présenter un projet de reconstruction cohérent, qui soit ouvert et inscrit dans la vie de la commune de Saint-Hilaire.

Mme la présidente. La parole est à M. Sebastien Pla, pour la réplique.

M. Sebastien Pla. J’entends ce que vous dites, madame la ministre, et j’ai échangé à ce propos, hier, avec le directeur de l’ARS et le préfet de l’Aude.

Du fait de l’inflation qui touche notre pays, et quel que soit le projet définitif qui sera retenu – et il faudra le retenir très rapidement, au regard de l’augmentation des coûts ! –, il coûtera plus cher. À aléa exceptionnel, financement exceptionnel : il faudra trouver des moyens au-delà du Ségur. À défaut, nous tournerons en rond et ne réaliserons pas ces travaux.

conditions d’accueil de la petite enfance à paris

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Dumas, auteure de la question n° 553, transmise à M. le ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées.

Mme Catherine Dumas. Madame la ministre, les structures collectives de garde de la petite enfance à Paris, notamment les crèches associatives ou municipales, proposent une offre d’accueil indispensable pour la plupart des familles de la capitale.

Depuis plusieurs années, une pénurie de places disponibles est constatée dans ces établissements. Dans certains arrondissements, la Ville de Paris indique même que les commissions d’attribution des places en crèche ne peuvent attribuer plus de 40 % des places initialement ouvertes, faute d’auxiliaires de puériculture récemment diplômés : 1 047 postes seraient toujours vacants, avec pour conséquence la fermeture de 3 680 places.

Cette situation risque de mettre en grande difficulté de très nombreuses familles parisiennes. J’aimerais donc savoir, madame la ministre, au-delà de la campagne sur les métiers de la petite enfance déjà promise par la Première ministre, ce que le Gouvernement envisage de faire pour assurer une revalorisation et une promotion des métiers de la petite enfance, et connaître le calendrier de validation des diplômes qui permettrait à la Ville de Paris et aux structures privées de procéder à des recrutements pour envisager les prochaines rentrées dans des conditions plus normales.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de lorganisation territoriale et des professions de santé. Madame la sénatrice, le Gouvernement porte une attention particulière au secteur de la petite enfance, qui souffre de problèmes structurels liés à la pénurie de main-d’œuvre qualifiée et aux besoins croissants des familles. L’enjeu est celui des crèches collectives, mais pas seulement. Car le vieillissement des assistantes maternelles actuellement en poste est aussi un enjeu majeur.

Selon les chiffres fournis par la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), 10 000 professionnels manquent aujourd’hui à l’appel sur l’ensemble du territoire et le nombre de places offertes par les assistants maternels recule en raison de départs massifs à la retraite. En conséquence, ce sont plus de 160 000 parents qui sont empêchés de prendre ou de reprendre un emploi, faute de mode d’accueil adapté à leurs besoins et à leurs moyens. Cela concerne bien sûr la ville de Paris, au même titre que le reste du territoire.

Notre ambition est d’accroître massivement le nombre de places, avec 200 000 places d’accueil supplémentaires qui devront être créées à horizon 2030. Cet objectif quantitatif se double bien sûr d’un objectif qualitatif, et les deux sont pleinement liés, car la qualité d’accueil repose en grande partie sur un nombre de professionnels formés, en nombre suffisant.

C’est toute l’ambition du service public de la petite enfance, et c’est pour y répondre que nous avons engagé un travail partenarial avec les acteurs, dans le cadre du comité de filière Petite enfance. Car cette ambition ne pourra se concrétiser sans un travail en profondeur sur la formation et les parcours, les conditions de travail et la rémunération des professionnels de la petite enfance.

En outre, mon collègue Jean-Christophe Combe a souhaité lancer une campagne ambitieuse de promotion de l’ensemble des métiers de la petite enfance. Cette campagne, visible à partir de la mi-avril, permettra de découvrir toute la richesse et l’importance de ces métiers de sens qui requièrent connaissances et compétences spécifiques.

Il faut évoquer aussi les travaux de préfiguration de l’observatoire national de la qualité de vie au travail (ONQVT), qui se poursuivent. En parallèle, une mission a été confiée à l’Igas pour animer les travaux de définition du socle social commun des professionnels de la petite enfance, contrepartie demandée aux partenaires sociaux pour la participation de l’État au financement de revalorisations dans le secteur.

Beaucoup d’autres actions sont en cours, par exemple sur les formations, toutes sous-tendues par l’idée d’atteindre le plus vite possible nos objectifs.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Dumas, pour la réplique.

Mme Catherine Dumas. Le coût de la vie parisienne, notamment celui du logement, est un vrai problème pour attirer et conserver des professionnels de la petite enfance dans la capitale. Une revalorisation des métiers de la petite enfance est indispensable.

Je tiens à vous faire part des difficultés que rencontrent les élus parisiens pour obtenir, par arrondissement, les chiffres exacts sur les effectifs manquants. Si le ministère pouvait nous les transmettre, nous vous en serions très reconnaissants !

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.

Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Alain Richard.)

PRÉSIDENCE DE M. Alain Richard

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

5

Rappels au règlement

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour un rappel au règlement.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le ministre délégué chargé des comptes publics, je suis vraiment contente que vous soyez présent au banc du Gouvernement, car mon rappel au règlement concerne votre ministère.

La semaine dernière, le parquet national financier a probablement mené la plus grande opération de son histoire, en perquisitionnant plusieurs établissements bancaires pour suspicion de blanchiment de fraude fiscale lié à une fraude bien connue d’arbitrage des dividendes, dit CumEx ou CumCum, que j’ai découvert en 2018 au moment des CumEx Files.

À l’époque, sous l’impulsion non seulement d’Albéric de Montgolfier, alors rapporteur général de la commission des finances, mais aussi de l’ensemble de ses groupes politiques, le Sénat avait adopté un amendement tendant à endiguer cette fraude, amendement qui a ensuite été totalement vidé de sa substance à l’Assemblée nationale. Par conséquent, chaque année, nous avons redéposé les uns et les autres des amendements ayant le même objet. Finalement, aucune disposition n’a été votée.

À la suite de la perquisition de la semaine dernière, ce sujet devient d’actualité, puisqu’il est question d’une fraude oscillant entre 1 milliard et 3 milliards d’euros par an.

Monsieur le président, au travers de ce rappel au règlement, je demande que puisse avoir lieu dans cet hémicycle un débat sur le sujet. En effet, la situation fiscale de notre pays n’est pas particulièrement brillante et l’on ne peut pas laisser de l’argent « s’évader » de cette façon. Il est donc grand temps de prendre des mesures pour endiguer cette fraude.

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour un rappel au règlement.

M. Jean Louis Masson. La Russie et l’Ukraine sont en guerre depuis plus d’un an et, plus inquiétant encore, plus ça va, plus la France s’engage et devient un cobelligérant, comme d’ailleurs les autres pays de l’Union européenne.

Il est à mon sens profondément regrettable, sinon tout à fait scandaleux, que le Gouvernement ne saisisse pas le Parlement à l’occasion d’un vaste débat sur ce sujet. En effet, on ne peut pas laisser le Gouvernement faire ce qu’il veut, au prétexte que c’est lui qui, de par la Constitution, décide. C’est vrai : en la matière, c’est le Gouvernement qui décide, mais, dans une démocratie – et nous prétendons être plus démocrates que d’autres et pouvoir donner des leçons au monde entier –, la moindre des choses serait que le Parlement, qui participe à l’exercice de la souveraineté nationale, puisse largement débattre de ce sujet.

Accessoirement, si le Gouvernement ne prend pas cette initiative, je souhaite que le Sénat organise un tel débat sur son ordre du jour réservé. En effet, dans le cadre des espaces d’initiative sénatoriale, nous abordons tout un tas de thèmes qui, s’ils sont intéressants, n’en sont pas pour autant fondamentaux – c’est le moins que l’on puisse dire – ; nous pourrions pour une fois aborder une grande problématique et y consacrer plusieurs heures de débat.

M. le président. Acte est donné de ces rappels au règlement.

6

Candidatures à une commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

7

Résidence d’attache pour les Français établis hors de France

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de loi créant une résidence d’attache pour les Français établis hors de France, présentée par M. Ronan Le Gleut et plusieurs de ses collègues (proposition n° 843 [2021-2022], texte de la commission n° 474, rapport n° 473).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Ronan Le Gleut, auteur de la proposition de loi.

M. Ronan Le Gleut, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, aujourd’hui, une fois encore, le Sénat démontre qu’il est la « maison des Français de l’étranger ». Depuis des décennies en effet, toutes les avancées en faveur de nos compatriotes établis hors de France ont émané de la Haute Assemblée ou ont été initiées par elle.

Je rappelle par exemple que nous devons la création de la Caisse des Français de l’étranger à notre ancien collègue Jean-Pierre Cantegrit.

Plus récemment, la proposition de loi de Bruno Retailleau, votée il y a bientôt trois ans, a balayé de nombreux sujets au cœur des préoccupations des Français établis hors de France, notamment un volet sur la fiscalité de leur résidence en France.

Permettez-moi également d’évoquer notre proposition de loi, votée à l’unanimité le 30 juin 2020, portant création d’un fonds d’urgence pour les Français de l’étranger victimes de catastrophes naturelles ou d’événements politiques majeurs.

Sans parler de la création, grâce au président Gérard Larcher, du groupe d’études Statut, rôle et place des Français établis hors de France.

Je tiens à remercier du fond du cœur Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains, de son soutien permanent, ainsi que Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances, et Jérôme Bascher, rapporteur de toutes nos propositions relatives aux Français de l’étranger, de leur écoute bienveillante et de leur compréhension des enjeux des Français vivant hors de France.

Enfin, je tiens à remercier l’ensemble des membres de la commission des finances et son président, qui ont adopté mercredi dernier en commission le texte que nous débattons aujourd’hui.

L’an dernier, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2023, le Sénat a voté notre amendement créant la résidence d’attache, contre l’avis du Gouvernement, qui promettait la mise en place d’un groupe de travail sur le sujet. Puis, rien pendant des mois…

Par un hasard étonnant, qui n’a certainement rien à voir avec le fait que notre proposition de loi soit inscrite à l’ordre du jour des travaux du Sénat (Sourires.), le Gouvernement annonce la semaine dernière la mise en place de ce groupe de travail !

Quoi qu’il en soit, retenons ceci : nous, sénateurs, faisons bouger les choses ! Nous obligeons le Gouvernement à répondre aux avancées que le Sénat propose. Seule la défense de l’intérêt général guide nos travaux.

La proposition de loi que nous étudions aujourd’hui répond à une demande récurrente et ancienne des Français de l’étranger, au-delà des considérations partisanes.

Il existe plusieurs catégories de Français établis hors de France. Il y a ceux qui sont nés à l’étranger, pour la deuxième, parfois la troisième génération. Il y a ceux qui quittent la France pour tenter leur chance, créer une entreprise, enseigner, être salariés, faire rayonner la culture française à l’étranger. Il y a ceux qui rencontrent un conjoint étranger et le suivent dans son pays. Il y a ceux qui choisissent de vivre une partie de leur retraite à l’étranger. Il y a aussi ceux, nombreux, qui s’expatrient quelques années par obligation professionnelle.

Partout, quelles que soient les situations – et elles sont multiples –, les Français qui vivent à l’étranger font rayonner la France dans le monde.

Pensez un instant à cet entrepreneur français qui importe des produits fabriqués en France pour les vendre dans son pays de résidence. Non seulement il profite au commerce extérieur, mais, bien au-delà, il crée des emplois sur le territoire national !

Les professeurs français qui enseignent le français à l’étranger font rayonner notre langue et notre culture. Si le français est la cinquième langue la plus parlée dans le monde, c’est aussi grâce aux enseignants français, partout présents sur la planète, notamment dans les 567 lycées français répartis dans le monde.

La grande majorité des Français établis hors de France gardent des liens forts avec la France, leur patrie, leur famille, leurs amis. Nombre d’entre eux y reviennent régulièrement. Nombre d’entre eux y ont une maison de famille, qui est leur port d’attache et qu’ils souhaitent conserver, parfois pour y revenir finir leur vie et la transmettre à leurs enfants.

Et que dire de ceux qui vivent dans des zones dangereuses ou qui se retrouvent pris dans une guerre ? Mes collègues sénateurs représentant les Français établis hors de France et moi-même avons eu à gérer des situations de retour en urgence en France de compatriotes pris dans la tourmente.

Avant le 24 février 2022, 1 500 Français vivaient en Ukraine. Pour eux, un pied-à-terre en France, qu’il s’agisse d’un appartement ou d’une maison, n’est pas un lieu de villégiature : c’est un refuge !

Voilà un an et demi, en Éthiopie, l’ambassadeur de France à Addis-Abeba a appelé les 800 ressortissants français à quitter le pays en urgence, compte tenu de l’évolution de la guerre du Tigré. Pour ces Français d’Éthiopie, un pied-à-terre en France n’est pas un lieu de villégiature : c’est un refuge pour leur famille ! (M. Christophe-André Frassa acquiesce.)

M. Laurent Duplomb. Très bon argument !

M. Ronan Le Gleut. Pensez aux Français du Burkina Faso, qu’ils vivent à Ouagadougou ou à Bobo-Dioulasso. Vous savez que les autorités de ce pays ont demandé que les troupes françaises quittent le territoire en un mois, ce qui s’est passé. Pour ces Français, avoir un pied-à-terre en France est une question de survie : c’est un refuge potentiel.

Aujourd’hui, nombre de nos compatriotes qui vivent à l’étranger et qui sont dans ces situations doivent se séparer de leur résidence en France, parce que la fiscalité est trop lourde pour eux. Il s’agit souvent d’une maison familiale dont la taxe foncière et la taxe d’habitation sont devenues trop importantes.

Permettez-moi également d’évoquer la situation des Français au Moyen-Orient. Pour qui y est salarié, perdre son emploi implique l’obligation de quitter le territoire en une quinzaine de jours. Comment se retourner dans un délai si court ?

La France doit permettre aux Français de l’étranger de garder une résidence en France. Elle doit aussi inciter ceux qui n’en ont pas encore d’en acquérir une, ce qui ferait revenir des capitaux français dans notre pays. C’est l’intérêt de la France de maintenir le lien avec eux.

En votant aujourd’hui la proposition de loi que Bruno Retailleau, Christophe-André Frassa et moi-même avons déposée, nous obligeons le Gouvernement à aller jusqu’au bout. Nous posons le principe de la création du statut de résidence d’attache – ce terme montre combien il est question d’attachement à la France. Par l’amendement que je présenterai tout à l’heure, nous ne permettrons pas au Gouvernement d’enterrer les conclusions du groupe de travail.

Aujourd’hui, le Sénat a une nouvelle fois l’occasion de démontrer qu’il est bien la « maison des Français de l’étranger ». Nous répondrons à une demande forte de ces Français et nous répondrons aussi à l’intérêt de la France.

« La France ne peut être la France sans la grandeur », disait le général de Gaulle. Si elle est évidemment défendue depuis la métropole et depuis les outre-mer, sachez que la grandeur de la France est défendue par chacun de nos compatriotes vivant à l’étranger. Tous les Français établis hors de France ont beau être loin des yeux, ils restent près du cœur et la France bat dans leur cœur. C’est le sens de leur expatriation, c’est aussi le sens de cet amour de la France qu’ils incarnent chacun aux quatre coins du monde. Nous devons être à leurs côtés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Alain Duffourg applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jérôme Bascher, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, 2,5 millions de Français hors de France : ce ne sont pas des sous-Français, ce sont des Français à part entière. Comme Ronan Le Gleut vient de le souligner, ils participent à la grandeur de la France, comme nos outre-mer, que nous oublions trop souvent dans nos textes. Au Sénat, nous n’oublions personne.

Ces 2,5 millions de Français sont au cœur de nos préoccupations. Cela fait plusieurs années que, sur toutes les travées, en particulier sur celles du groupe Les Républicains, nous accordons la plus grande attention aux Français de l’étranger. D’ailleurs, souvenons-nous que, bien avant l’Assemblée nationale, le Sénat comptait des parlementaires représentant les Français établis hors de France. Cela montre combien, ici, nous y sommes attachés.

C’est une demande transpartisane qui arrive aujourd’hui devant nous, mes chers collègues, qui consiste à considérer que posséder une résidence dans son propre pays – une et une seule, il faut le préciser d’emblée –, ce n’est pas posséder une résidence secondaire.

Les Français de l’étranger ne sont pas toujours ce que l’on appelle des expatriés, c’est-à-dire ces Français parfois un peu privilégiés envoyés par de grandes entreprises ou par l’État, moyennant des conditions financières plutôt avantageuses et un déroulement de carrière favorable. Ce sont parfois aussi des Français qui sont obligés de quitter leur pays pour des raisons diverses et variées, ne serait-ce que parce que leur conjoint est d’origine étrangère – et il est très bien de quitter son pays par amour, cela n’empêche pas de conserver l’amour de sa patrie, comme l’a fait remarquer Ronan Le Gleut.

Je le répète, il s’agit d’un sujet transpartisan.

Voilà près de trois ans, ici même, Jacky Deromedi et moi-même avons été respectivement rapporteur et rapporteur pour avis d’une proposition de loi, très complète, de Bruno Retailleau, cosignée notamment par Christophe-André Frassa, Damien Regnard et Évelyne Renaud-Garabedian. Par ailleurs, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2023, Ronan Le Gleut a soulevé le sujet de la résidence d’attache au travers d’un amendement ; on nous a alors expliqué que nous ne pouvions pas parler de « résidence d’attache » et qu’il fallait un texte plus complet pour cela. En suivant l’actualité de l’Assemblée nationale, nous avons compris qu’un député de la majorité – relative – du Président de la République, Frédéric Petit, s’intéressait également à cette question. Jean-Yves Leconte a lui-même également déposé des amendements à ce sujet.

Il ne s’agit donc pas d’une question nouvelle. Nous sommes au contraire en terrain connu : le sujet revient comme un marronnier, mais nous n’en faisons pas grand-chose.

La semaine dernière, le ministre délégué chargé du commerce extérieur, de l’attractivité et des Français de l’étranger, Olivier Becht, a passé la patate chaude au ministre chargé des comptes publics que vous êtes, monsieur le ministre, et créé une commission.

Il ne faudrait pas que la majorité présidentielle, après que le Président de la République lui-même a fait des promesses en ce sens, fasse pareil. Comme la culture, où il y a ceux qui boivent à la fontaine de la connaissance et ceux qui s’en gargarisent (Sourires.), j’ai peur que le Gouvernement ne se gargarise d’engagements en faveur des Français de l’étranger et que l’on ne voie toujours rien venir. En effet, après toutes ces propositions du Sénat, il ne se passe toujours rien.

La proposition de loi qui nous est aujourd’hui soumise crée le statut de « résidence d’attache ». Nous préférons cette expression à celle de « résidence de repli », car on ne se replie pas en France : la France n’est pas un pays replié… Elle prévoit également une exonération de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires (THRS). Nous nous sommes adaptés à la suppression de la taxe d’habitation, décidée par le Président de la République, que les maires de France regrettent – non pas le Président de la République, mais la taxe d’habitation. (Nouveaux sourires.)

Pour autant, il reste un problème. Nous le réclamons depuis des années, monsieur le ministre : il serait temps que l’administration fiscale mette les données à jour. Il suffirait pour cela de prévoir une petite case à cocher sur la déclaration d’impôt sur le revenu : « Suis-je un Français résidant en France ? » ou « Suis-je un Français résidant à l’étranger ? »

L’administration fiscale qui traite les impôts nationaux se trouve au 139, rue de Bercy. En revanche, tout ce qui relève de l’impôt local dépend des directions départementales des finances publiques (DDFiP), c’est-à-dire des trésoreries locales. Or les systèmes d’information ont parfois du mal à communiquer, ce qui fait que nous ne parvenons pas à traiter globalement, fiscalement, les Français de l’étranger : l’administration fiscale n’est pas suffisamment bien organisée pour cela.

Si nous n’avons pas pu déposer plus d’amendements, si nous ne pouvons pas être plus précis s’agissant des chiffrages, monsieur le ministre, c’est parce que la donnée manque. Là encore, et cela fait quelques années que nous le demandons, il serait bon que l’on arrive à créer dans la déclaration d’impôt cette petite case qu’il suffirait de cocher. Voilà qui n’a rien de compliqué et qui permettrait de disposer de chiffres précis. C’est dommage qu’il n’en soit pas déjà ainsi.

Les dispositions prévues dans ce texte sont bienvenues : créer le statut de résidence d’attache pour répondre à une demande ancienne et légitime et créer un statut qui pourrait à l’avenir servir de support de politiques publiques en faveur des Français de l’étranger. Voilà ce qui nous manque.

La commission des finances a identifié quelques difficultés : un périmètre ab initio trop large et une absence de compensation véritable pour les collectivités locales. Elle a donc précisé comment il fallait entendre la propriété et la jouissance des résidences d’attache – il ne s’agit pas en effet d’avoir une résidence et de laisser ses enfants ou sa famille en profiter : dans ce cas, ce serait bien là une résidence principale, mais pour d’autres – et prévu une véritable compensation pour les collectivités locales par un dégrèvement plutôt que par une exonération.

En vérité, monsieur le ministre, nous aurions souhaité que chaque foyer fiscal ait droit à un dégrèvement et à un seul. Le Sénat est en effet attaché au dégrèvement ; c’est d’ailleurs ce qu’il a proposé l’hiver dernier lors de la discussion du budget, chacun se souvient de nos débats.

À propos de dégrèvement, permettez-moi une légère digression. Je reprends une demande de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) : il s’agirait bien, comme dirait Bruno Le Maire, de compenser à l’euro près les collectivités. En matière de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), en effet, il en manque un petit peu, monsieur le ministre ! (M. le ministre délégué fait un signe de dénégation.)

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Beaucoup de communes touchent plus qu’elles ne devraient !

M. Jérôme Bascher, rapporteur. Je souhaite ardemment qu’il ne nous arrive pas exactement la même chose pour la taxe d’habitation sur les résidences secondaires… Attention aux exonérations, car on a ensuite l’impression que la compensation n’est pas totale. Monsieur ministre, vous pourrez évidemment répondre à cette petite digression.

La commission des finances a proposé en réunion une double amélioration pour soutenir plus efficacement les Français de l’étranger.

D’une part, un allégement de THRS est prévu l’année du retour pour des motifs d’urgence. Je souligne que, à l’issue des travaux de la commission des finances, avec les amendements proposés par Rémi Féraud et le groupe socialiste ainsi qu’avec ceux qui ont été déposés par le groupe Les Républicains, nous proposons un ciblage plus précis pour limiter cette mesure aux pays qui sont les plus difficiles, c’est-à-dire les pays situés en zones rouges et orange.

D’autre part, il a été décidé un allégement de la majoration de la THRS pour les résidences d’attache.

En séance publique, nous pourrons certainement trouver un accord transpartisan sur cette question. Nous avons en effet essayé de travailler avec tous les groupes politiques : les Français de l’étranger sont de tous les partis. D’ailleurs, leurs représentants siègent sur toutes les travées. Je souhaite que, à l’occasion de l’examen de ce texte en séance publique, nous puissions trouver la majorité la plus vaste possible pour que les débats au Sénat et, plus largement, les débats parlementaires, monsieur le ministre, servent votre commission.

Il ne faudrait pas que celle-ci soit une commission supplémentaire créée opportunément avant les élections et avant l’examen de la proposition de loi. Elle doit au contraire être nourrie non seulement des débats, mais également du vote du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué. (M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit.)

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, cela a déjà été dit : nos compatriotes établis hors de France – ils sont près de 2,5 millions – sont une formidable richesse pour notre pays.

Ces femmes et ces hommes, qui ont décidé de construire leur vie hors de nos frontières, font rayonner nos valeurs, notre langue et notre culture à des milliers de kilomètres de chez nous. Ils sont une chance pour la France, j’en suis persuadé. Je le mesure chaque fois que je leur rends visite au gré de mes déplacements. Ainsi, à l’occasion d’un déplacement aux États-Unis consacré à la coopération fiscale et douanière entre nos deux pays, j’ai réuni les communautés françaises de New York et de Washington : c’est toujours une très grande fierté pour un ministre de la République que de rencontrer ces Français qui font rayonner notre pays bien au-delà de nos frontières.

Avant d’aborder le cœur du dispositif proposé par Ronan Le Gleut, ainsi que les modifications apportées par le rapporteur Jérôme Bascher, permettez-moi de rappeler des points essentiels.

Je le dis sans ambages : nous sommes fiers de celles et ceux qui réussissent ailleurs et nous devons les y aider. Nous devons être à leurs côtés, parce que, quand ils réussissent, c’est aussi la France qui réussit.

Je rappelle que, depuis 2017, nous avons invariablement été à leurs côtés et j’en profite pour rendre hommage au travail de Jean-Baptiste Lemoyne.

Je pense par exemple aux questions de simplification des démarches administratives. À ce titre, je rappelle un certain nombre de mesures très concrètes comme la suppression du numéro surtaxé pour joindre la direction des impôts des non-résidents (DINR) – cela relève du bon sens, mais nos compatriotes établis hors de France qui voulaient joindre ce service devaient auparavant payer une taxe –, la dématérialisation de la délivrance d’extraits et de copies d’actes ou, bien sûr, la création de la plateforme France Consulaire, en cours de déploiement.

Je pense aussi au soutien massif apporté à nos compatriotes qui étaient à l’étranger pendant la crise covid. Ce sont ainsi 220 millions d’euros qui ont été mis sur la table en urgence pour les aider à surmonter ce moment incroyablement difficile, mais aussi pour mettre en place des services de téléconsultation ou des aides au rapatriement.

Les sujets de fiscalité ne sont pas en reste, puisque nous avons aussi permis d’importantes avancées au cours des dernières années, notamment au travers de la loi de finances pour 2021. Ce texte a, par exemple, prévu la déduction, sous certaines conditions, des pensions alimentaires versées par les contribuables non-résidents ou l’exonération de plus-values immobilières pour les contribuables qui transfèrent leur résidence fiscale hors de France, si la cession intervient au plus tard le 31 décembre de l’année qui suit le départ.

Pour autant, je suis conscient qu’il nous reste du chemin à parcourir en matière de simplification fiscale pour les non-résidents. Le renforcement très significatif des moyens de la DINR, intervenu durant la précédente mandature, à hauteur de 100 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires pour les équipes chargées de gérer la fiscalité des plus de 250 000 foyers de non-résidents, a constitué en cela un pas important. Néanmoins, les tentatives que nous avons conduites pour introduire davantage d’automaticité dans le prélèvement de l’impôt pour les non-résidents se sont heurtées à la complexité inhérente à l’application de multiples conventions fiscales.

Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les principaux chantiers que nous avons menés, dans un souci constant de faciliter le quotidien de nos compatriotes établis au-delà de nos frontières. D’autres restent à poursuivre. Celui qui fait l’objet de cette proposition de loi a été beaucoup étudié et discuté, sur l’initiative de parlementaires, de l’Assemblée nationale comme du Sénat, de tous horizons politiques : je rends hommage à leurs travaux et à leur engagement.