Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Narassiguin.

Mme Corinne Narassiguin. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, voici un fait incontestable : dans la grande majorité des cas de séparation impliquant des enfants, la résidence principale de ces derniers est établie chez la mère. La résidence alternée ne concerne donc qu’une minorité des cas.

La situation est telle aujourd’hui qu’elle pourrait nous conduire à affirmer la nécessité de poser le recours à la résidence alternée comme principe général, ce qui nous ferait aller dans le sens de la version initiale du présent texte. Mais nous passerions alors à côté d’un élément central : dans une proportion plus grande encore, la décision du juge en matière de résidence des enfants correspond à la demande des deux parents.

Nous sommes donc loin de la vision fantasmée et véhiculée par certaines associations selon laquelle les pères seraient les victimes d’un système judiciaire qui les discriminerait : quand les pères demandent la résidence alternée, ils l’obtiennent, dans l’immense majorité des cas.

J’avance ici l’hypothèse que, si l’ensemble des litiges ne concernent évidemment pas un ou des parents violents, lorsque tel est le cas, ils ne seront sans doute pas en accord sur la façon de se séparer.

Notre unique préoccupation doit être l’équilibre, l’intérêt et le bien-être de l’enfant ; cet objectif ne peut être atteint qu’en maintenant son pouvoir d’appréciation au juge, et non en posant un principe général.

Je sais que la plupart de nos voisins européens établissent le recours à la garde alternée en cas de séparation des parents en principe général. Ils considèrent celle-ci comme étant de nature à rééquilibrer le rôle des deux parents auprès des enfants. En Suède, la garde alternée est ainsi ordonnée dans 48 % des cas. Elle l’est dans 37 % des cas aux Pays-Bas, contre seulement 12 % en France.

La résidence alternée soulève évidemment des questions matérielles et financières importantes : érigée en principe général, elle pourrait finalement, et de manière contre-intuitive, conduire à renforcer les inégalités entre les femmes et les hommes.

Les femmes représentent la majorité des familles monoparentales avec des revenus modestes : la résidence alternée, érigée en principe général, risquerait de les appauvrir, puisqu’elles bénéficieraient d’une pension alimentaire moindre. Cela pourrait aussi conduire à négliger la prise en compte des violences conjugales et intrafamiliales.

Si l’objectif est de développer la résidence alternée, il serait plus judicieux d’aider les familles à vivre sereinement ce mode de garde, de permettre une réelle égalité économique entre les femmes et les hommes et d’accompagner les parents vers une meilleure répartition de la charge parentale.

Je le rappelle, quand la résidence alternée est demandée, le juge l’accorde déjà dans la grande majorité des cas. Pourtant, la prépondérance du rôle de la mère dans l’éducation des enfants est encore largement majoritaire, en pratique et dans l’imaginaire collectif. Il reste beaucoup à faire.

C’est pourquoi le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s’est interrogé sur l’opportunité et les apports d’une telle proposition de loi, notamment dans sa version initiale.

Le premier article du texte tend à compléter l’article 373-2 du code civil par l’ajout de la notion d’entretien régulier dans les relations personnelles que doit maintenir un père ou une mère avec son enfant.

Cette disposition vise, ni plus ni moins, à aligner la rédaction de la législation française sur celle de la Convention internationale des droits de l’enfant, ce qui ne soulève aucune objection de notre part.

Il en va de même de l’article 3 de la proposition de loi qui prévoit, par la modification de l’article 373-2-11 du code civil, l’exclusion explicite de la résidence alternée en cas de violences exercées par l’un des parents sur l’enfant. Parce qu’elle renforce la protection des enfants victimes de violences intrafamiliales, cette disposition est plus que bienvenue.

En revanche, la version initiale de l’article 2 soulevait des interrogations. En effet, il s’agissait d’instaurer une présomption d’intérêt de l’enfant à bénéficier équitablement des apports respectifs de ses parents et, par là même, d’ériger le recours à la résidence alternée en principe général.

Pourtant, ni les associations ni les professionnels du droit ne sont aujourd’hui en mesure de se prononcer, de manière unanime, sur les bénéfices de la garde alternée pour l’enfant.

Aussi nous semblait-il pour le moins hasardeux de porter une atteinte si prononcée au pouvoir d’appréciation du juge.

Faute de disposer d’une autre solution, c’est à ce dernier que doit incomber l’évaluation concrète de la situation de l’enfant et le choix du dispositif le plus à même de sécuriser son quotidien.

Tenant compte de cette réalité, la commission des lois a choisi de rejeter la disposition proposée à l’article 2 et de lui substituer une mesure que nous jugeons plus satisfaisante : l’octroi d’un droit de visite et d’hébergement élargi au parent chez qui l’enfant ne réside pas.

Une fois l’article 2 profondément remanié, force est de constater que la présente proposition de loi a été amplement vidée de son contenu : sa portée est aujourd’hui limitée et elle ne devrait nullement modifier substantiellement la législation, ainsi que la pratique en vigueur.

En la matière, notre unique boussole est, et sera toujours, l’intérêt supérieur de l’enfant.

Aussi, bien que ce texte, issu d’une initiative parlementaire, ne permette d’améliorer que très marginalement le sort de l’enfant, nous estimons que toute avancée doit être saluée. C’est la raison pour laquelle le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain se prononcera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme le rapporteur applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Elsa Schalck. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Olivier Bitz applaudit également.)

Mme Elsa Schalck. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, dans notre pays, chaque année, plus de 300 000 couples se séparent soit par divorce soit par dissolution de pacte civil de solidarité (Pacs).

Ces temps de rupture conjugale peuvent être compliqués et difficiles à gérer, notamment lorsque la séparation est conflictuelle et que des enfants sont issus de l’union.

La présente proposition de loi pose la question du mode de garde de l’enfant. Ce sujet, qui relève des modalités d’exercice de l’autorité parentale, peut être particulièrement sensible. Il est souvent, malheureusement, à l’origine de nombreux contentieux au sein des juridictions.

En cela, je salue l’initiative de notre collègue Élisabeth Doineau, qui nous invite à nous pencher sur le sujet et à nous interroger sur le droit positif, mais aussi sur son application.

Je tiens également à remercier la rapporteure, Marie Mercier, de son travail réalisé en un temps contraint et d’avoir mené des auditions précieuses, qui nous ont livré la vision des associations, des professionnels, mais aussi des personnes concernées au premier chef par ce sujet : les parents.

Cette proposition de loi a le mérite de rappeler que, lors d’une séparation, un enfant doit pouvoir entretenir des relations personnelles avec ses deux parents de manière régulière. Cela peut sembler une évidence, mais les séparations conjugales affectent parfois les protagonistes à un point tel qu’ils en perdent toute rationalité, notamment sur leur rôle de parent.

L’objet de l’article 1er est donc d’inscrire la notion d’entretien régulier dans le code civil, en alignant sa rédaction sur celle de la Convention internationale des droits de l’enfant. Cette disposition a une portée non seulement symbolique, mais également pédagogique, puisqu’elle vise à responsabiliser les parents.

L’article 3, quant à lui, tend à compléter les critères que le juge aux affaires familiales doit expressément prendre en considération pour rendre une décision relative à l’autorité parentale. Seraient ainsi prises en compte les éventuelles violences ou pressions exercées par l’un des parents sur l’enfant, étant entendu que les juges tiennent déjà compte, en pratique, de ces éléments.

Pour ce qui concerne les dispositions ayant trait à la résidence alternée, prévues initialement à l’article 2 de la proposition de loi, je suis favorable à leur suppression, conformément à la version du texte issue des travaux de la commission.

Cette position résulte non pas d’une opposition de principe à la garde alternée, qui peut présenter des atouts dans certains cas, mais de notre responsabilité, en tant que législateur, de toujours nous interroger pour savoir s’il est réellement nécessaire de modifier la loi. Cette question devrait d’ailleurs tous nous préoccuper, tant nous sommes nombreux à dénoncer l’inflation législative et les changements de réglementation bien trop fréquents, qui affectent les professionnels.

Selon l’article 373-2-9 du code civil, « la résidence de l’enfant peut être fixée en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l’un d’eux ». Un critère majeur est alors pris en compte : l’intérêt supérieur de l’enfant.

À mon sens, ce critère doit rester le moteur des décisions des juges aux affaires familiales, couplé à une appréciation in concreto, qui offre souplesse et adaptation au cas par cas. C’est une nécessité, mais aussi une force de notre droit positif, tant nous savons que chaque situation familiale ou personnelle est à la fois singulière et différente.

Ainsi, le cas d’un enfant en bas âge diffère de celui d’un adolescent ; de même, deux enfants du même âge peuvent être dans des situations complètement dissemblables.

En outre, la garde alternée ne recouvre pas les mêmes réalités selon l’éloignement géographique des domiciles des parents séparés ou les habitudes scolaires et extrascolaires de l’enfant. La qualité de la communication au sein du couple et le climat qui y règne doivent aussi être pris en compte.

Présumer que l’intérêt de l’enfant réside, par principe, dans la garde alternée risque, me semble-t-il, de rigidifier notre droit, de le rendre inadapté à une majorité de situations, voire d’aller à l’encontre de l’intérêt de l’enfant. D’autant que, dans certaines situations, la garde alternée ne paraît absolument pas appropriée comme – à l’évidence – en cas de violences conjugales et intrafamiliales.

L’appréciation souple du juge me semble constituer un atout à préserver. Pour autant, cela ne doit pas nous exonérer de nous interroger sur son application.

En effet, la garde alternée reste encore une modalité de résidence minoritaire – c’est une réalité –, malgré une tendance à la hausse, liée à la recherche accrue d’une parentalité équilibrée.

Il nous faut tenir compte non seulement des sentiments exprimés par les parents, notamment les pères, qui vivent certaines décisions comme une injustice, mais aussi du besoin de connaître les raisons qui ont motivé une décision de garde.

Cela est d’autant plus vrai que les délais de traitement judiciaire des affaires familiales sont particulièrement longs dans notre pays. Une telle lenteur est difficilement compatible avec l’évolution d’un enfant.

Enfin, en matière de droit de la famille, il est essentiel de parvenir à l’apaisement et de ramener de la sérénité dans des temps familiaux qui n’en sont pas toujours empreints. En cela, nous devons encourager les règlements amiables des conflits.

Mme la présidente. Il faut conclure, chère collègue.

Mme Elsa Schalck. Pour toutes ces raisons, nous voterons le texte issu des travaux de la commission. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Mme le rapporteur applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Laure Darcos.

Mme Laure Darcos. Madame la présidente, monsieur le garde de sceaux, mes chers collègues, la famille est la cellule de base de la société, au sein de laquelle se forge la personnalité des enfants et où ils s’épanouissent et grandissent moralement et intellectuellement.

La séparation des parents, parfois dès leur plus jeune âge, est bien souvent vécue douloureusement.

Si nous sommes tous ici conscients de l’augmentation gravissime des violences intrafamiliales, les séparations ne sont, heureusement, pas toujours conflictuelles.

À l’évidence, il importe en toutes circonstances de privilégier l’intérêt de l’enfant, comme nous y invite la Convention internationale des droits de l’enfant, ratifiée par la France en 1990.

Pour ma part, je considère que la parentalité est une responsabilité à vie, qui se partage – notamment en ce qui concerne l’éducation.

La résidence alternée me semble une solution à privilégier aux autres formes d’organisation, qui pourraient créer une situation inéquitable au détriment du parent n’obtenant pas le droit d’accueillir son enfant à son domicile.

Elle est le dispositif le plus vertueux en ce qu’elle encourage une coopération continue entre les deux parents et crée un environnement familial stable, sécurisant et propice à l’épanouissement de l’enfant.

Elle permet également à celui-ci de renforcer ses liens avec son entourage familial plus large. Je pense notamment aux grands-parents, qui contribuent aussi à l’équilibre affectif de l’enfant et qui passent malheureusement trop souvent au second plan lorsqu’il s’agit de fixer les conditions de la séparation des parents.

Or nombre de pères de bonne volonté constatent, vingt ans après sa reconnaissance juridique, que la résidence alternée est peu proposée par les juges aux affaires familiales, au profit d’une résidence chez la mère – en cela, mes propos s’opposent à ceux de plusieurs orateurs qui m’ont précédée.

Aussi, je salue l’initiative de notre collègue Élisabeth Doineau, qui vise à favoriser le recours à la résidence alternée ou, à défaut, à un temps parental aussi équilibré que possible entre les deux parents dans l’éducation de leurs enfants.

L’article 1er de la proposition de loi établit clairement l’obligation pour les deux parents d’entretenir des liens personnels réguliers avec leurs enfants. C’est un motif de satisfaction.

Je me félicite également que l’article 3 permette d’écarter la résidence alternée en cas de pressions ou de violences à caractère physique ou psychologique exercées par l’un des parents sur l’enfant lui-même. Jusqu’à présent, seules étaient prises en compte lesdites violences exercées à l’encontre de l’autre parent. Cette précision paraît utile même si, dans les faits, de telles situations sont fort heureusement déjà prises en compte par les juges.

L’article 2 prévoyait initialement d’instaurer une présomption légale d’intérêt de l’enfant à la résidence alternée et une compétence liée du juge. Ainsi, le juge aux affaires familiales aurait été tenu d’ordonner la résidence alternée si l’un des parents le demandait, sauf s’il était démontré qu’elle n’était pas conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant.

Dans le cas où le principe de la résidence alternée aurait été écarté, le juge aurait alors dû se prononcer, en priorité, sur un droit de visite et d’hébergement élargi au bénéfice du parent chez qui l’enfant ne réside pas.

Je regrette que la commission ait singulièrement atténué la portée des dispositions de l’article 2 et décidé de préserver la totale liberté d’appréciation du juge. Il s’agit, à mon sens, d’un recul en matière d’égalité des droits.

La commission a prévu que le juge tienne compte, lorsqu’il se prononce sur les modalités de visite et d’hébergement, de la nécessité, pour les parents séparés, d’entretenir avec leurs enfants des relations personnelles aussi régulières que possible.

Cette disposition répond à l’objectif de maintenir les liens entre les parents et les enfants en cas de séparation. Nous l’approuvons.

Madame la ministre, mes chers collègues, les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires sont particulièrement sensibles aux questions relatives à l’enfance. Ils souscrivent pleinement à l’objectif de ce texte – même si la portée de ce dernier a été amoindrie – de renforcer le principe de coparentalité lorsque les parents se séparent.

En conséquence, ils voteront en faveur de l’adoption de la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme le rapporteur et Mme Patricia Schillinger applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien.

Mme Dominique Vérien. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, quelle est l’ambition initiale de ce texte ? Il s’agit tout simplement d’encourager la résidence alternée de l’enfant chez chacun de ses parents, afin de favoriser l’entretien régulier de relations personnelles entre les parents et leur enfant dans un contexte de séparation.

Ce débat m’offre l’occasion de dire tout le bien que je pense de la médiation. Lors d’un divorce, les parents sont souvent concentrés sur leur conflit, oubliant parfois de considérer l’enfant et sa future place.

Grâce à la médiation, l’enfant et son bien-être reviennent au cœur de la séparation, de telle sorte que les parents réfléchissent ensemble à ce qui paraît le mieux pour lui. Cela permet de s’orienter plus facilement vers une résidence alternée, si c’est dans l’intérêt de l’enfant.

L’intérêt de l’enfant, c’est justement la philosophie de notre rapporteur, Marie Mercier, dont je tiens à saluer une nouvelle fois le travail de qualité effectué en collaboration avec notre collègue Élisabeth Doineau, auteure de cette proposition de loi. Ce travail a permis d’aboutir à une version du texte qui concilie des positions divergentes, ce qui n’était pas une mince affaire !

Tout d’abord, la proposition de loi prévoit une clarification : la notion de maintien de relations personnelles serait complétée par la nécessité d’un entretien régulier de ces dernières, ce qui préciserait la portée de l’obligation ainsi faite aux parents.

Une telle précision est utile au regard des débats récents sur la place et le rôle des pères lors des séparations.

Disons-le franchement, il n’est pas cohérent de demander aux hommes d’assumer leurs responsabilités, d’allonger la durée des congés de paternité et de leur retirer tout rôle après un divorce. Je tiens à le rappeler, s’il existe des hommes violents, ils sont – et c’est heureux ! – nombreux à ne pas l’être.

Pour ce qui concerne les cas de violences intrafamiliales, l’article 3 prévoit la prise en considération, par le juge aux affaires familiales, des pressions ou des violences, à caractère physique ou psychologique, exercées par l’un des parents sur l’enfant ou l’autre parent. Je salue l’existence d’une telle disposition.

En la matière, la proposition de loi visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales, présentée par notre collègue députée Isabelle Santiago, devrait enfin être votée afin de pouvoir retirer l’exercice de l’autorité parentale aux pères violents.

Ensuite, la commission des lois a choisi de préserver la liberté du juge, ce qui est évidemment nécessaire, puisque chaque cas est unique.

Cela est d’autant plus important qu’aucun consensus n’existe sur les bénéfices de la résidence alternée pour l’enfant. Ainsi, les associations ont des positions diamétralement opposées en la matière. En outre, d’après les magistrats auditionnés, la résidence alternée peut être la meilleure comme la pire des solutions selon l’enfant.

Face à ce constat, laisser la main au juge, qui décidera en appréciant au mieux la situation familiale et l’intérêt de l’enfant, paraît une bonne solution. La décision sera ainsi personnalisée.

Toutefois, les différentes possibilités de résidence de l’enfant doivent être présentées non seulement pour que les pères osent demander la garde alternée, ce que souvent ils s’interdisent, persuadés qu’elle leur sera refusée, mais aussi pour que les mères osent faire la même demande, alors qu’elles se censurent souvent de peur de passer pour une mauvaise mère. Il importe de mettre toutes les possibilités sur la table et de laisser le juge trancher au bénéfice de l’enfant et non pas seulement des parents.

Je remercie l’auteure de cette proposition de loi ainsi que la rapporteure d’avoir mené un travail conjoint pour aboutir à un texte équilibré, en faveur duquel le groupe Union Centriste votera. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP. – Mme le rapporteur applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Antoinette Guhl. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Antoinette Guhl. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je remercie nos collègues de l’Union Centriste, en particulier Élisabeth Doineau, auteure de la proposition de loi, de nous permettre de débattre d’une question si importante : les relations entre l’enfant et ses parents après la séparation de ces derniers.

Chaque année, 380 000 couples avec enfants se séparent. Si toute séparation est singulière, l’ancien couple doit toujours répondre à des questions d’une vaste portée. Par exemple, qui amènera l’enfant à l’école ou chez des amis ? Lorsque l’enfant veut s’inscrire à une association sportive, qui peut remplir le formulaire d’adhésion et qui paie ? Chez qui habitera l’enfant ? Qui a un droit de visite ?

En somme, la séparation pose la question de l’exercice de l’autorité parentale et des modalités de garde.

Si l’exercice de l’autorité parentale est, le plus souvent, partagé entre les deux parents, la garde est rarement confiée uniquement au père.

Certes, la résidence alternée serait une solution de substitution, mais elle demeure rare, elle aussi. Inscrite dans la loi depuis plus de vingt et un ans, elle concerne aujourd’hui seulement 12 % des enfants. Par conséquent, les relations entre les enfants et leurs parents séparés sont rapidement déséquilibrées.

Dans ce contexte, il serait tentant d’inscrire dans la loi un type de relations à entretenir entre parents et enfants. Mais serait-ce une approche appropriée ? Nous ne le croyons pas.

Cela risquerait d’imposer un cadre qui ne conviendrait ni aux parents ni aux enfants. Une telle relation pourrait ainsi aller à l’encontre de l’intérêt supérieur de l’enfant. Plus spécifiquement, imposer un tel cadre risque d’exposer les enfants aux violences intrafamiliales ou incestueuses.

Certes, des exemptions peuvent toujours être prévues afin de retirer le droit de visite, voire l’autorité parentale, au parent violent. Encore faut-il que ces faits de violences soient avérés pour pouvoir être pris en compte. Toute autre disposition serait une violation de la présomption d’innocence.

Or nous sommes loin du compte, puisque la plupart des faits ne sont même pas signalés. Le rapport de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), remis le mois dernier, l’a encore souligné : seule une victime d’inceste sur dix révèle l’existence des violences au moment des faits. En d’autres termes, 90 % des victimes risqueraient de se voir imposer une relation avec leur agresseur.

Dès lors, comment empêcher cette exposition à la violence et à l’inceste ? Garantir l’examen au cas par cas de chaque situation est la seule manière de s’assurer de la réelle prise en compte de l’intérêt de l’enfant.

Pour être très claire, il n’est jamais dans l’intérêt de l’enfant d’être obligé de passer du temps avec un parent violent – jamais.

Mme Marie Mercier, rapporteur. Exactement !

Mme Antoinette Guhl. Néanmoins, seule une prise en compte de la situation individuelle de l’enfant permet d’identifier de tels cas. C’est pourquoi nous saluons l’objet de l’article 3, qui tend à renforcer la vigilance accordée aux éventuelles violences.

Ces décisions prises au cas par cas, il faut le souligner, ont aujourd’hui pour conséquence de déséquilibrer les relations entre l’enfant et ses parents séparés.

Toutefois, M. le ministre l’indiquait, celles-ci ne sont que le reflet des choix des enfants et des parents, puisque dans 80 % des cas, les juges suivent un commun accord des parties.

Comment pouvons-nous rendre ces relations plus équilibrées ? À cette fin, il faut intervenir non pas seulement au moment de la séparation, mais de manière plus structurelle. Bien trop souvent encore, un père ne s’occupe guère de son enfant. Plus largement, le travail domestique est réparti de manière inégale, puisque 80 % des femmes font la cuisine ou le ménage au moins une heure chaque jour, contre seulement 36 % des hommes. Nous devons lutter contre ces stéréotypes de genre.

Plutôt que d’intervenir lors d’une séparation,…

Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue !

Mme Antoinette Guhl. … il serait intéressant de le faire en amont, entre autres, au travers du renforcement du congé parental ou de la lutte contre les inégalités salariales.

Malgré une amélioration substantielle du texte par la commission, la présente proposition de loi ne nous semble pas activer les bons leviers. Aussi nous abstiendrons-nous.

M. Michel Canévet. Le temps est compté !

Mme la présidente. La parole est à Mme Marianne Margaté.

Mme Marianne Margaté. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous examinons une proposition de loi qui tend à favoriser le recours à la garde alternée de l’enfant en cas de séparation.

Le modèle du chef de famille n’a été remis en cause qu’à partir des années 1960, au profit d’une reconnaissance de l’égalité des sexes dans les statuts familiaux. La puissance paternelle a été remplacée par l’autorité parentale conjointe uniquement en 1970. L’enfant est alors devenu l’élément central sur lequel est fondée la famille.

À partir des années 1990, les réformes du droit de la famille s’orientent vers la défense des intérêts supérieurs de l’enfant, notamment en cas de séparation des parents.

La proposition de loi dont nous débattons a trait à l’hébergement de l’enfant en pareille situation.

La garde – ou résidence – alternée prévoit alors que l’enfant séjourne, pendant un temps d’une durée identique, chez les deux parents et suppose notamment l’existence d’une capacité d’entente.

En l’état du droit, le choix d’y recourir relève de l’intérêt de l’enfant et de la situation familiale. Dès lors, la durée de résidence chez chaque parent est non pas nécessairement identique, mais équitable.

En cas de désaccord, la décision du juge sera fondée surtout sur l’intérêt supérieur de l’enfant. Le juge n’est pas tenu d’ordonner provisoirement la garde alternée et conserve ainsi, d’une manière générale, un certain pouvoir d’appréciation.

À nos yeux, la présente proposition de loi va dans le sens inverse. Elle contredit la jurisprudence de la Cour de cassation et prévoit, de fait, une réduction du pouvoir d’appréciation du juge, alors qu’il est le plus à même de considérer objectivement l’intérêt de l’enfant.

En outre, selon le sociologue Édouard Leport, si les enfants sont confiés à la mère dans 80 % des cas, c’est parce que les parents ne demandent pas la garde alternée.

Par ailleurs, l’article 3, qui prévoit d’ajouter, aux critères pris en compte par le juge, les pressions ou violences exercées par l’un des parents sur la personne de l’enfant, a attiré notre attention.

Il semble trouver sa source dans la notion controversée d’aliénation parentale, théorisée dans les années 1980 par un psychiatre américain, dans un contexte de libération de la parole de femmes victimes de violences conjugales.

Selon cette notion, en cas de séparation, l’enfant serait manipulé par l’un des parents afin de porter sur l’autre de fausses accusations.

L’utilisation de cette théorie a d’ailleurs valu à la France, en avril dernier, une mise en garde de la rapporteuse spéciale des Nations unies sur la violence contre les femmes et les filles, ses causes et ses conséquences.

Enfin, la garde alternée empêche, en principe, le versement d’une pension alimentaire, sauf si un écart de revenus important existe entre les parents. Or, en cas de séparation, la perte de revenus est plus importante pour la mère. Ce point requiert toute notre vigilance.

Pour toutes ces raisons, nous voterons contre ce texte.