Mme la présidente. La parole est à M. Alain Milon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Milon. Monsieur le ministre, je comptais vous poser une question sur les arbitrages budgétaires et les investissements, mais vous venez d’y répondre. Je vous interrogerai donc plutôt sur la démographie médicale.

La suppression du numerus clausus et son remplacement par un numerus apertus ont permis d’augmenter le nombre de médecins formés de 15 %. Néanmoins, l’ancienne ministre de la santé Agnès Firmin Le Bodo rappelait que, au regard des évolutions à l’œuvre et des attentes des jeunes professionnels, il fallait désormais plus de deux médecins pour remplacer un départ à la retraite.

Par ailleurs, aucune analyse prospective n’est partagée quant aux besoins en nombre de médecins par spécialité d’ici à quinze ans, en fonction des évolutions des besoins de santé. L’évolution des compétences des professionnels paramédicaux ne suffira pas à répondre à cet enjeu.

Monsieur le ministre, que compte faire le Gouvernement pour former davantage de médecins ? Allez-vous créer plus de postes hospitalo-universitaires, la Fédération hospitalière de France (FHF) en demandant 1 000 de plus ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargé de la santé et de la prévention. Monsieur le sénateur Alain Milon, vous êtes fin connaisseur de ces sujets. Je tâcherai donc de vous apporter une réponse qui soit la plus précise possible.

On peut certes discuter de la suppression du numerus clausus, mais vous avez cité un chiffre important : il y a aujourd’hui 15 % d’étudiants en deuxième année de médecine en plus par rapport à 2019, ce qui permet d’entrevoir une hausse du nombre des médecins pour les prochaines années, car le temps de formation est long.

On m’a reproché cet après-midi, à l’Assemblée nationale, de former autant de médecins qu’en 1970. C’est exact, mais cela ne signifie pas grand-chose, car il y avait suffisamment de médecins dans les années 1970 et 1980. Quel sens cela aurait-il de comparer la situation d’aujourd’hui et celle d’il y a cinquante ans ? Je préfère m’en tenir à ce seul constat : on compte aujourd’hui davantage de jeunes dans les filières de formation.

Mme Annie Le Houerou. La population a augmenté !

Mme Émilienne Poumirol. Et elle vieillit…

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Par ailleurs, nous enregistrons une montée en puissance de la reconnaissance des autres professionnels de santé, aux côtés des médecins, la prise en charge des patients s’effectuant différemment aujourd’hui. Nous sommes passés d’un système basé sur le tout-médecin à un système fondé sur une équipe de soins.

Le médecin conserve évidemment le rôle prééminent qui est le sien puisqu’il orchestre l’intervention des différents professionnels paramédicaux ou des nouveaux professionnels – je pense, par exemple, aux infirmières en pratique avancée – qui officient aussi bien dans les services d’urgence et les différents services hospitaliers que dans les maisons de santé pluridisciplinaires et les cabinets de ville, pour assurer l’accompagnement des patients, y compris ceux touchés par des affections de longue durée (ALD).

Notre système de santé repose donc sur un ensemble de mesures. Ne jugeons pas de sa qualité en tenant compte uniquement du nombre de médecins formés ou qui s’installent ! Il faut aussi prendre en considération la façon dont nous avons su adapter les nouveaux modes de prise en charge, en répartissant les soins entre les différents professionnels qui ont un rôle à jouer aux côtés des médecins.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Milon, pour la réplique.

M. Alain Milon. Monsieur le ministre, la semaine dernière, j’ai assisté avec Mme Doineau à un petit-déjeuner avec votre prédécesseur Mme Agnès Buzyn – chacun sait ici à quel point j’aimais travailler avec cette dame. Elle nous a dit qu’il manquerait d’ici à quelques années entre 10 et 12 millions de professionnels de santé sur l’ensemble du globe en raison de l’arrivée de ressortissants des pays émergents, qui auront des exigences importantes en termes de santé, du vieillissement de la population et de l’apparition de maladies nouvelles liées à ce vieillissement, mais aussi de l’émergence de pratiques nouvelles chez les jeunes médecins, qui abordent différemment le métier. À cela viendra s’ajouter le coût extrêmement élevé de l’ensemble des nouveaux soins.

Il importe donc de réfléchir à tous ces enjeux afin de mettre progressivement en place un nouveau type de financement de la santé en France, sans nuire aux malades. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joshua Hochart.

M. Joshua Hochart. Monsieur le ministre, de discussion en discussion, de débat en débat, de rapport en rapport, le temps avance et l’hôpital public souffre, continuant de se dégrader. L’accès aux soins pour nos compatriotes recule, les temps d’attente s’accumulent, que ce soit aux urgences ou pour l’accès à un spécialiste.

L’attractivité des métiers du soin est en perdition. Le Ségur de la santé a certes été une avancée financière pour les professionnels. Mais si la question de la rémunération a un impact sur l’attractivité de la profession, car elle offre une reconnaissance face à la complexité de leur tâche, elle ne saurait être la seule solution.

Il faut revoir les organisations de travail pour réduire la pénibilité de ces métiers. La formation des professionnels de santé doit être repensée pour mieux préparer les étudiants à la réalité du terrain. L’hôpital, mais aussi tout le système de soins, a besoin d’être réformé, repensé et rebâti.

Comme nous l’avions proposé pendant la campagne présidentielle, il faut supprimer les ARS, qui ont conduit à cette gestion bureaucratique. Il est urgent de libérer la santé d’une logique purement comptable et financière, des coupes budgétaires incessantes, des baisses tarifaires qui ne permettent pas l’amortissement de certains équipements et qui ne sauraient être compensées par des forfaits.

Les indicateurs comptables doivent céder la primauté aux indicateurs de qualité et de pertinence des soins, ce dernier critère permettant de réaliser d’importantes économies de santé.

Anticiper et prévoir, voilà ce qui devrait guider nos gouvernants. Monsieur le ministre, quand allez-vous revoir le fonctionnement de l’hôpital, des ARS et de la T2A ? Vous avez parlé en préambule de l’hôpital dans les murs et hors les murs, et notamment des infirmiers libéraux. Quand entendrez-vous leurs revendications ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargé de la santé et de la prévention. Votre question est un tout-en-un et comprend de nombreuses interrogations.

Certes, l’hôpital souffre et les Français connaissent des difficultés d’accès aux soins. Mais ce n’est pas uniquement parce que l’hôpital est dans cette situation que les Français rencontrent ces problèmes : l’hôpital n’est qu’une seule partie du sujet et tout le système de santé est en crise.

Ce sont tous les métiers du soin qui sont aujourd’hui moins attractifs. Les modes d’exercice anciens – en ville ou à l’hôpital – intéressent moins les jeunes. Ces problématiques ne sont pas propres à l’hôpital !

Pour ma part, je ne pratique pas l’hôpital-bashing et je ne mets pas sur le dos de l’hôpital des difficultés qui concernent plus largement l’ensemble du système de santé.

Certes, depuis dix, vingt ou trente ans les tâches administratives ont pris une place beaucoup trop importante dans notre système de santé. C’est vrai à l’hôpital, mais aussi en ville, comme pourraient en témoigner les médecins généralistes de votre département. Il faut améliorer ce point. C’est pourquoi l’assurance maladie finance des assistants médicaux chargés de se concentrer sur les tâches administratives, afin que les médecins puissent se consacrer à leur cœur de métier : 6 000 postes ont été créés, l’objectif étant de parvenir à 10 000 postes d’ici à la fin de l’année.

Vous évoquez la suppression des ARS. Or nous avons besoin d’un mécanisme de régulation de l’offre de soins. Le tout-libéral ne saurait exister ! Les ARS ont peut-être trop de poids, alors que le ministère n’a pas suffisamment déconcentré ses services… Nous pourrions y réfléchir.

Quoi qu’il en soit, les ARS permettent aussi d’apporter de l’ingénierie dans les territoires lorsqu’il s’agit d’ouvrir une maison de santé ou de mettre sur pied des projets. Elles ont également vocation à donner un éclairage sur la faisabilité budgétaire et juridique.

Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur le ministre !

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Vous évoquez des baisses de tarifs : pour ma part, je ne vois que des hausses depuis des années, comme en attestent les chiffres de l’Ondam. Je ne comprends pas à quoi vous faites allusion…

Mme la présidente. La parole est à M. Joshua Hochart, pour la réplique.

M. Joshua Hochart. Considérer seulement la situation de l’hôpital ne permettra pas de résoudre les problèmes d’accès aux soins… Les indicateurs du département du Nord sont parmi les plus faibles de France. Pourtant, on y ferme des services d’urgence ! Les services mobiles d’urgence et de réanimation (Smur) ne peuvent plus intervenir. En parallèle, le conseil départemental réduit, voire supprime, les interventions des infirmiers et des sapeurs-pompiers. Rien de cela ne va dans le bon sens !

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing.

M. Daniel Chasseing. Monsieur le ministre, malgré l’Ondam en hausse de plus de 50 milliards d’euros depuis 2019, la situation financière de nombreux hôpitaux est déficitaire, notamment en raison de l’inflation qui touche l’alimentation et l’équipement, et de dotations insuffisantes, même si les salaires médicaux et paramédicaux ont été augmentés.

La situation des urgences reste souvent difficile, mais nous enregistrons une amélioration grâce à la mise en place du service d’accès aux soins et la mobilisation des médecins libéraux.

Cependant, il existe toujours un engorgement important des urgences lié à un manque de lits d’aval en médecine polyvalente. Les patients sans diagnostic précis, mais nécessitant des hospitalisations, sont très souvent récusés par les services de spécialité. Ils patientent ainsi des heures aux urgences alors qu’ils auraient leur place dans le service de médecine polyvalente, où ils bénéficieraient d’un bilan et seraient orientés, le cas échéant, vers un service de spécialité.

La situation de la psychiatrie et de la pédopsychiatrie nécessite également un effort particulier. Dans certains départements, il n’y a pas de service de pédopsychiatrie – les demandes sont parfois faites pendant vingt ans ! – alors que les enfants de l’aide sociale à l’enfance (ASE) souffrent de troubles graves du comportement ; ils ont besoin de lieux de rupture et d’une hospitalisation.

Monsieur le ministre, malgré les difficultés de la sécurité sociale, pouvez-vous soutenir l’hôpital en obtenant un financement complémentaire pour certains hôpitaux, en créant des services de médecine polyvalente pour désengorger les urgences, en renforçant la psychiatrie et en mettant en place des lits de pédopsychiatrie ?

Mme Corinne Imbert. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargé de la santé et de la prévention. Monsieur le sénateur Chasseing, permettez-moi de rappeler les chiffres d’accompagnement des hôpitaux.

J’ai cité l’augmentation de l’Ondam à hauteur de 60 milliards d’euros depuis 2017. Au titre notamment de l’inflation, nous avons également prévu 800 millions d’euros d’accompagnement exceptionnel en 2022 et nous avons décidé en janvier dernier d’accorder 500 millions d’euros de soutien exceptionnel pour 2023.

Pour autant, l’hôpital doit continuer à faire des efforts. Notre système de santé doit mieux valoriser la pertinence des soins. Ce faisant, il s’agit de dégager des fonds pour mieux financer les salaires à l’hôpital et le tarif des consultations en secteur 1 pour la médecine libérale. Ce sera l’un de mes chevaux de bataille.

Ce débat, qui n’aura pas lieu entre les quatre murs de l’hôpital, vaudra pour l’ensemble des opérateurs de soins, qu’ils soient libéraux, publics, privés ou privés à but non lucratif. La pertinence des soins doit être valorisée : ceux qui sont utiles à la santé des Français doivent passer avant les autres !

Je partage votre constat sur la santé mentale, qui a longtemps été un angle mort des politiques de santé. La situation s’est malheureusement aggravée depuis la crise du covid-19. Nous enregistrons une très forte augmentation des besoins en termes de prise en charge et d’accompagnement, et sommes en retard en raison de la conjonction de ces deux phénomènes.

À la demande du Président de la République, j’organiserai à la fin du mois d’avril un CNR sur la santé mentale. Il s’agit non pas de partir d’une page blanche, mais au contraire de faire aboutir les travaux engagés depuis dix-huit mois, qui ont mobilisé de nombreux professionnels en santé mentale. Nous espérons des avancées sur ces questions.

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour la réplique.

M. Daniel Chasseing. Monsieur le ministre, je me permets de rappeler la nécessité d’ouvrir des lits d’aval, pour que les personnes qui se rendent aux urgences soient immédiatement orientées vers un service de médecine polyvalente. Ainsi, une fois le bilan réalisé, les patients peuvent rentrer chez eux ou être admis dans le service de spécialité adapté.

Je vous remercie pour votre réponse sur la pédopsychiatrie. Ce sujet est très important, car certains enfants pris en charge par les services de l’ASE sont atteints de graves troubles du comportement.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. N’oublions pas que dans le cadre de la hausse des tarifs hospitaliers pour 2024, qui a suscité une forme de débat public, nous avons revalorisé les actes de médecine, notamment pour favoriser la création des lits d’aval, dans le but de désengorger les urgences. Le tarif des actes de maternité a également été augmenté.

Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Doineau. (Mme Anne-Sophie Romagny applaudit.)

Mme Élisabeth Doineau. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis de l’organisation de ce débat sur l’initiative du groupe Les Républicains, deux ans après la publication du rapport intitulé Hôpital : sortir des urgences, issu des travaux de la commission d’enquête sur la situation de l’hôpital et le système de santé en France.

Je salue les interventions des orateurs précédents, car elles reflètent les différentes opinions des Français et sont l’expression de leurs angoisses, auxquelles nous devons répondre.

Que nous soyons parlementaires ou ministres, nous avons une mission : lutter contre la dévalorisation des métiers exercés au sein de l’hôpital, et apporter des solutions aux problématiques de ce secteur.

Étant rapporteure générale de la commission des affaires sociales, ma question portera – cela ne vous étonnera pas – sur le financement de l’hôpital.

L’Ondam pour 2024 a été voté à près de 255 milliards d’euros. Dans ce montant, une enveloppe de 105,6 milliards d’euros est destinée aux établissements de santé. Ce montant paraît colossal, et susceptible de garantir une forme de confort au système hospitalier ; ce n’est pas le cas, et nous venons d’en avoir la démonstration par plusieurs de nos collègues.

Nous connaissons tous les difficultés de l’hôpital, qui ont été rappelées par Philippe Mouiller et par d’autres collègues. Le déficit des hôpitaux a atteint en 2022 puis en 2023 des records successifs, atteignant le milliard d’euros. Malgré cette somme, les établissements d’excellence que doivent être nos CHU ont enregistré l’an dernier un déficit de 1,2 milliard d’euros. Ainsi, alors que 13 milliards d’euros de dette ont été transférés à la Cades pour améliorer la situation financière des hôpitaux, le financement actuel reconstitue à une vitesse préoccupante une dette hospitalière abyssale.

Aussi, monsieur le ministre, qu’allons-nous faire ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargée de la santé et de la prévention. Madame la sénatrice Doineau, permettez-moi d’insister sur un sujet que j’ai rapidement évoqué. L’avenir du financement de notre système de santé, qui dépasse le seul champ de l’hôpital, dépend de notre capacité à mieux financer ce qui est pertinent, autrement dit ce qui est utile.

En raison du manque de communication entre les acteurs, que ce soit entre le public et le privé, ou entre la médecine de ville et la médecine hospitalière ou d’établissement, et du fait de cette organisation en tuyaux d’orgue, les pertes sont importantes. Une étude de l’OCDE datant de la fin des années 2010 estimait à 20 % la part de dépenses inutiles dans le système de santé français. Ce taux pourrait même atteindre 30 %, à en croire d’autres études. Rapportés à un budget de 255 milliards d’euros, ces taux représentent d’énormes gisements.

Il ne s’agit en rien de dénoncer une quelconque malversation. Ces dépenses ne sont pas liées à des abus, mais à des redondances, à des actes inutiles ou à l’ancrage de certaines habitudes. Elles sont parfois aussi le fait d’un codage trop ancien d’actes dont la valeur économique ne correspond plus à leur coût réel, en raison des progrès de la médecine.

Il est donc nécessaire de remettre ce système à plat. J’ai souhaité ouvrir un débat sur la valeur des actes avec la direction de la sécurité sociale. La classification commune des actes médicaux (CCAM) de la sécurité sociale répertorie plus de 2 000 actes et détermine leur tarif : nous devons vérifier que chaque acte est financé à sa juste valeur économique. Ces situations de rentes sont généralement d’une ampleur limitée, mais les petits ruisseaux faisant les grands fleuves, ces dépenses coûtent cher à la sécurité sociale.

Mme la présidente. La parole est à Mme Émilienne Poumirol. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Émilienne Poumirol. Monsieur le ministre, des événements dramatiques ont eu lieu au mois de février 2024 au sein des urgences psychiatriques de l’hôpital Purpan du CHU de Toulouse : deux patientes ont été victimes d’agressions sexuelles et un jeune patient s’est suicidé dans les locaux de consultation après dix jours d’attente pour être hospitalisé.

Le personnel avait pourtant donné l’alerte sur les difficultés rencontrées et sur le fonctionnement dégradé des urgences face au manque de moyens humains et financiers accordés aux services psychiatriques de l’hôpital public. Des lits avaient même été fermés dans mon département, la Haute-Garonne, qui attire pourtant chaque année près de 17 000 habitants supplémentaires…

À Toulouse, le secteur privé, qui dispose de 75 % des lits d’hospitalisation en psychiatrie, se réserve le droit de refuser certains patients, en particulier ceux qui relèvent de mesures de soins sans consentement. Par conséquent, le secteur public se retrouve contraint d’accueillir des patients dans des conditions inacceptables. Nous en avons observé le résultat au mois de février.

Ces problématiques se posent sur l’ensemble du territoire français, où tous les établissements de psychiatrie décrivent des difficultés majeures et déplorent un fonctionnement dégradé en raison du manque de moyens humains ou bâtimentaires consacrés au développement de la psychiatrie publique.

En psychiatrie adulte, dans plus de la moitié des établissements, le délai moyen d’accès aux services ambulatoires est d’un à quatre mois, aggravant ainsi la situation et les pathologies de nombreux patients. Je ne reviens même pas sur la situation plus dramatique encore des services de pédopsychiatrie, qui a été évoquée par mon collègue Chasseing.

Monsieur le ministre, quels moyens entendez-vous déployer à long terme pour garantir l’accès aux soins psychiatriques et sauvegarder la psychiatrie publique dans notre pays ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargé de la santé et de la prévention. Madame la sénatrice Émilienne Poumirol, avant de répondre à votre question, je veux, comme vous l’avez fait, revenir sur la situation à Toulouse. Vous avez raison, celle-ci est emblématique de nombre de dysfonctionnements de notre système de santé. Je me suis rendu sur place pour comprendre ce qui a rendu possible cette aberrante succession de drames aux urgences psychiatriques du CHU, alors même que le nombre de lits d’accueil en santé mentale dans l’agglomération et dans l’ensemble du département semble suffisant.

J’ai découvert que les dysfonctionnements étaient liés à l’inadaptation des locaux dans lesquels sont accueillies les urgences psychiatriques, à la difficulté des services d’orienter les patients vers des lits d’aval pour désengorger les urgences, et au manque de communication entre l’hôpital privé et l’hôpital public. Cette absence de coopération, en particulier, est dramatique dans un bassin de vie où 75 % de l’offre hospitalière en santé mentale relève du secteur privé, et où les urgences sont assumées par le service public. Le secteur privé, en outre, ne respecte pas la carte de secteur, ce qui oblige l’hôpital à prendre en charge des patients issus du même territoire.

L’ensemble de ces facteurs a conduit à ces drames insupportables.

Un rapport de l’Igas permettra d’éclairer cette situation particulière. Mais au-delà du cas de Toulouse, vous soulevez la difficulté de faire coopérer des systèmes qui fonctionnaient jusqu’à maintenant de manière déconnectée. Ce n’est pas normal ! Les autorisations que nous accordons ont aussi pour objectif que les établissements assument leur mission de prise en charge des patients, quels que soient leur pathologie et leur état.

L’accueil des patients dans les services psychiatriques sera l’un des sujets du CNR sur la santé mentale qui sera organisé fin avril. Il est essentiel que le public et le privé communiquent davantage : l’exemple de Toulouse est éclairant à cet égard.

Mme la présidente. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour la réplique.

Mme Émilienne Poumirol. Monsieur le ministre, je sais bien que vous êtes venu à Toulouse et que vous avez constaté cette absence de dialogue entre le public et le privé. Mais la loi du 27 décembre 2023 précise que les établissements de santé sont responsables collectivement de la permanence des soins en établissements de santé (PDSES). Or aucune contrainte ne pèse sur le secteur privé. Le texte prévoit que l’ARS pourra désigner des établissements pour contribuer à la PDSES en cas de « carences persistantes ».

Mme la présidente. Chère collègue, il faut conclure.

Mme Émilienne Poumirol. C’est d’ailleurs ce qui a permis, à Toulouse, de mettre en place une cellule de crise pour avancer sur ce sujet. La situation s’améliore depuis quelques jours, mais ce n’est pas la bonne solution.

Mme la présidente. Le temps de parole est écoulé.

La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Comme par hasard, le lendemain de ma venue, l’hôpital privé avait des lits disponibles et a pu accueillir des patients qu’il ne prenait pas en charge jusqu’alors !

S’agissant de la PDSES, la loi que vous évoquez date du 27 décembre dernier : laissez-nous quelque temps pour rédiger les décrets d’application. Nous ferons preuve d’une très grande vigilance sur la participation effective des établissements privés à la permanence des soins, en matière de santé mentale comme dans les autres domaines.

Enfin, lorsqu’une autorité publique accorde une autorisation de prise en charge de patients, celle-ci est assortie de contreparties parmi lesquelles figure la permanence des soins.

Mme la présidente. La parole est à Mme Émilienne Poumirol.

Mme Émilienne Poumirol. Vous dites qu’une contrepartie est nécessaire. Ce qui est anormal, c’est qu’il ait fallu un drame pour que les différents services dialoguent enfin à Toulouse, et que, soudainement, les cliniques s’aperçoivent qu’elles pouvaient ouvrir quarante lits et non seulement seize !

Nous devrions prévoir cette contrainte, quitte à l’assortir d’une contrepartie, pour que le partage entre le public et le privé se fasse en permanence sur l’ensemble des soins – outre la psychiatrie, je pense notamment à la répartition de la prise en charge des soins ambulatoires (PDSA) entre la ville et l’hôpital, et entre la médecine libérale et la médecine hospitalière, car le problème est le même.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Sol. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean Sol. Monsieur le ministre, les services d’urgence, véritables vitrines de nos établissements hospitaliers, ont décidé de baisser leurs rideaux la nuit à Perpignan et ailleurs en France. Quelle image ! Quel symbole de la dégradation de nos hôpitaux !

Nos urgences sont à bout de souffle, les personnels sont très éprouvés moralement et physiquement, les médecins de ville désemparés, les usagers angoissés à l’idée de se rendre aux urgences, et nos élus impuissants. Ce n’est pas une vision alarmiste, mais alarmante, monsieur le ministre !

La réalité des urgences, c’est cet usager qui souhaite passer devant un enfant en situation d’urgence vitale. Ce sont ces familles qui attendent sans information pendant des heures et des heures. Ce sont, encore, ces personnes âgées qui restent parfois vingt-quatre, quarante-huit ou soixante-douze heures sur des brancards dans un couloir et que l’on renvoie à deux heures du matin chez elles, par manque de place…

Les urgences font aujourd’hui face à l’incapacité de réguler l’augmentation exponentielle des appels, ce qui entraîne une perte de chance pour les patients et, dans le pire des cas, des décès, comme plusieurs exemples récents l’attestent. En résulte aussi une carence criante de lits d’aval, tandis que le personnel, qui manque d’effectifs comme de compétences, croule sous une charge administrative chronophage tout en devant faire face à des agressions verbales ou des menaces !

La désertification médicale amplifie naturellement cette situation inacceptable qui rompt l’accessibilité de tous aux soins vingt-quatre heures sur vingt-quatre, que devrait assurer le service public.

L’été arrive, avec ses traditionnels flux saisonniers. Monsieur le ministre, laisserez-vous encore longtemps se délabrer le fonctionnement de nos services d’urgence ? Qu’envisagez-vous pour y remédier ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)