Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Anne-Sophie Romagny.

Mme Anne-Sophie Romagny. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 14 février dernier, la Haute Autorité de santé (HAS) a rendu publics les résultats de l’évaluation de la certification des établissements de santé qu’elle mène tous les quatre ans. Si 85 % d’entre eux répondent aux exigences de qualité des soins, 12,8 % doivent « faire preuve d’une amélioration rapide », et 2,8 % n’ont pas été certifiés en raison d’une qualité insuffisante. Ce dernier chiffre n’a jamais été aussi élevé.

Ces résultats varient largement en fonction de la taille des établissements. Selon la HAS, « les petits établissements qui ont un faible niveau d’activité, ou les établissements moyens avec un large éventail de services ont des difficultés pour être au rendez-vous de la qualité ». Ils témoignent également de fortes disparités régionales. Ainsi, un tiers des établissements des Pays de la Loire n’obtiennent pas la certification, ainsi que 20 % de ceux de Nouvelle-Aquitaine et de Normandie, et jusqu’à plus de la moitié des établissements de Guadeloupe et de Guyane.

Monsieur le ministre, vous le comprendrez, une telle situation nous interpelle. Qu’il s’agisse des critères directement liés à l’acte médical ou de ceux qui traduisent la qualité de la prise en charge – je pense notamment au respect des droits des patients ou à la prise en charge de la douleur –, ces résultats appellent des mesures correctrices en urgence.

Quelles sont les causes de ces chiffres alarmants, notamment en termes d’équité territoriale ? Les petits établissements disposent-ils véritablement des moyens nécessaires pour remplir les nouveaux critères institués en 2020 et 2021 ?

Ne craignez-vous pas qu’un cercle vicieux soit en train de s’installer, entre image dégradée dans l’esprit des patients et qualité des soins, faute pour ces établissements de disposer des personnels nécessaires au maintien de leur activité dans les meilleures conditions possibles ? Comment comptez-vous les accompagner concernant les critères qui leur posent problème ? Je pense, par exemple, au nouvel enjeu de la cybersécurité auquel plusieurs établissements ont déjà été confrontés.

Les Français sont évidemment attachés à disposer de soins de qualité en tout point du territoire. Pour ne rien sacrifier à cette exigence, comment comptez-vous mettre en œuvre sans attendre les mesures nécessaires ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargé de la santé et de la prévention. Madame la sénatrice, il est clair que nous n’abaisserons pas les exigences assignées aux établissements et que nous n’adapterons pas les critères en fonction des difficultés rencontrées par les établissements.

En revanche, il convient d’aider l’ensemble des établissements en jouant sur la dimension des groupements hospitaliers de territoire (GHT), institués de manière obligatoire voilà une dizaine d’années. Ces derniers visent à organiser des coopérations permettant, du centre de proximité jusqu’au plateau technique intégré, de dessiner des parcours de prise en charge les plus fluides possible.

Par ailleurs, les établissements principaux, qui possèdent une expertise sur beaucoup de sujets, doivent venir en appui, dans un esprit de coopération, des établissements de leur propre GHT. Ainsi la certification est-elle de plus en plus celle du groupement hospitalier de territoire, plutôt que celle de chaque établissement. La procédure de certification, qui remonte à une vingtaine d’années, a fait ses preuves en apportant des standards de qualité dans l’ensemble des établissements.

Sur les sujets que vous avez évoqués, notamment la sécurité informatique, surtout à l’approche des jeux Olympiques – nos établissements de santé feront très certainement l’objet d’attaques plus importantes qu’auparavant –, nous souhaitons continuer à améliorer le niveau d’intervention des établissements.

La mission doit être coordonnée à l’échelle des GHT, de manière à y adosser des financements liés à la qualité. Une telle évolution a eu lieu pour les urgences et la psychiatrie. Nous continuerons, domaine par domaine, à travailler avec les établissements et la HAS. L’absence de certification n’est pas un couperet qui tombe : on ne ferme pas un établissement pour une telle raison ! En revanche, on met les moyens pour l’accompagner et obtenir les standards souhaités par la HAS.

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne Souyris.

Mme Anne Souyris. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, huit Français sur dix ont le sentiment que l’hôpital public est en danger et estiment que la qualité des soins qu’il fournit se détériorera à l’avenir. Un tel sentiment est partagé par neuf soignants sur dix, à raison.

En effet, nous manquons de professionnels de santé. Le nombre de patients par soignant augmente sans cesse. En théorie, 12 à 14 patients sont hospitalisés par infirmière, mais en pratique souvent davantage, ce qui met en danger les patients et les soignants.

Pourtant, nous pouvons agir. En février 2023, le Sénat adoptait une proposition de loi relative à l’instauration d’un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé. Le Gouvernement se saisira-t-il de ce texte et l’inscrira-t-il à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale ?

Vous me direz peut-être qu’avec un tel ratio, de nombreux établissements devraient être fermés… Mais s’ils devaient fermer avec ratio, quid de la situation actuelle, sans ratio ? Nous faut-il assumer que la situation de l’hôpital met en danger patients et soignants ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargé de la santé et de la prévention. Madame la sénatrice, les ratios existent déjà à l’hôpital, dans de nombreux services : activité de soins critiques, obstétrique, néonatalogie, réanimation néonatale, dialyses, grands brûlés. Systématiser les ratios pour l’ensemble des services n’est pas une formule satisfaisante, pour des raisons que nous avons expliquées l’année dernière lors de l’examen de la proposition de loi déposée par Bernard Jomier.

Imposer des ratios en chirurgie ne permet pas d’encadrer et d’accompagner de manière saine l’activité d’un service, car le taux d’encadrement nécessaire varie : certains patients entrent à l’hôpital la veille d’une opération ; d’autres en sortent le jour même d’une intervention ; d’autres encore passent trois ou quatre jours à l’hôpital après avoir été opérés. Dans ces conditions, comment définir un taux d’encadrement standard ? On risquerait ainsi de désorganiser certains services, en apportant un éclairage partiel sur leurs activités, alors même qu’ils fournissent un travail de qualité.

Les certifications mises en œuvre par la HAS me paraissent plus adaptées à ce qu’est l’activité hospitalière, en tout cas pour des services qui n’ont pas besoin d’être normés – j’ai cité les cinq ou six services faisant aujourd’hui l’objet de normes d’encadrement.

Par conséquent, la systématisation des ratios me paraît constituer une approche quelque peu décalée, déconnectée, à tout le moins bureaucratique. Je suis toujours étonné d’entendre des critiques sur la trop grande bureaucratie de l’hôpital, alors même que certains souhaitent la renforcer. Je le répète, pour les activités les plus critiques, des normes existent et sont respectées ; si elles ne l’étaient pas, l’effectivité du service serait remise en cause. Dans d’autres services, il serait totalement illusoire d’imaginer une telle approche.

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne Souyris, pour la réplique.

Mme Anne Souyris. Monsieur le ministre, vous le savez, cette demande n’est pas d’ordre bureaucratique puisqu’elle émane des soignants eux-mêmes, qui la réclament avec insistance et persistance, en tout cas depuis que je suis une élue. Par ailleurs, le fait d’instaurer un ratio ne signifie pas qu’il doive être identique dans tous les services.

Le ratio, appliqué en Californie depuis 2004, de six patients par soignant a permis d’améliorer les conditions de travail du personnel soignant et, in fine, d’augmenter le nombre d’infirmières recrutées. Comme vous pouvez le constater, une telle mesure répond à un double enjeu.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. À un moment donné, il faut faire confiance aux soignants, c’est-à-dire d’abord au dialogue social dans l’établissement, pour porter la question des effectifs et organiser le soin le plus adapté. Les soignants, cela veut dire le directeur d’établissement, le président de la commission médicale d’établissement (CME), la communauté médicale.

L’approche par ratio et tableau Excel ne me paraît pas correspondre à une nécessité majeure. Cette demande émane non pas des soignants, mais de certains syndicats, qui veulent ainsi dénoncer le manque de soignants à l’hôpital. Or nous connaissons la situation et travaillons à y remédier par le biais de recrutements, qui sont de plus en plus importants, ce dont je me félicite.

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne Souyris, pour la réplique.

Mme Anne Souyris. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre. Mais vous le savez aussi bien que moi, cette demande émane non pas uniquement des syndicats, mais aussi des collectifs Inter Hôpitaux et Inter Urgences.

Du fait du manque de soignants, ceux qui exercent, qui sont amenés à changer sans cesse de service, sont victimes de burn-out et peinent à trouver un sens à leur travail. Il s’agit d’instaurer non pas des tableaux Excel, mais une humanité !

C’est la raison pour laquelle cette question revient aussi fréquemment. Elle vous sera certainement posée de nouveau. Peut-être pouvons-nous discuter de modalités permettant d’adapter ces ratios, lesquels ne doivent pas être systémiques. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a pas pour l’instant un ratio suffisant de soignants dans chaque unité.

Mme la présidente. La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo.

Mme Evelyne Corbière Naminzo. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, entre restrictions budgétaires, fermetures de lits et manque de personnel, l’hôpital public est à bout de souffle. La tarification à l’activité l’a placé dans une logique de rentabilité. L’Ondam, est constamment inférieur au budget dont auraient besoin les hôpitaux, qui se retrouvent contraints à faire des économies.

Les fermetures de lits se poursuivent : 40 000 lits d’hôpitaux ont disparu depuis dix ans, et les hôpitaux ont perdu un quart de leur capacité d’accueil depuis 2000.

Partout sur le territoire, les centres hospitaliers universitaires (CHU) constatent une aggravation inédite de leur déficit. Le déficit cumulé des 32 CHU a triplé entre 2022 et 2023, pour s’établir à 1,2 milliard d’euros.

Les hôpitaux de l’océan Indien souffrent du désintérêt de l’État. L’hôpital de Mayotte est sous-doté par rapport aux besoins sanitaires de la population mahoraise.

Le CHU de mon département, La Réunion, aurait besoin de moyens importants en tant qu’établissement pivot de l’océan Indien. À chaque exercice, on peut constater combien les équipes sont performantes, avec une offre de soins qui s’élargit. Parallèlement, les dotations que vous accordez sont décevantes.

L’unité de formation et de recherche (UFR) et le CHU affichent un manque préoccupant d’enseignants-chercheurs hospitaliers, avec un effectif hospitalo-universitaire quatre ou cinq fois inférieur à celui des UFR hexagonales comparables en termes d’effectifs d’étudiants. Il faut donc que des postes soient créés afin de renforcer les études médicales et de former les futurs médecins de La Réunion. Cette région n’a d’ailleurs pas attendu la volonté de l’État pour rendre possible un cursus complet d’études de médecine sur son territoire.

Monsieur le ministre, quand cessera-t-on de considérer l’hôpital de La Réunion comme un hôpital de seconde zone ? Quand ouvrirez-vous les droits à la santé aux Français de l’océan Indien ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargé de la santé et de la prévention. Madame la sénatrice Corbière Naminzo, j’ai bien entendu vos remarques sur les difficultés de l’hôpital, que je ne méconnais pas. Pour autant, je suis toujours étonné que, au nom de la défense de l’hôpital, on systématise l’hôpital-bashing. Tout ne va pas mal à l’hôpital ! (Mme Émilienne Poumirol ironise.)

Certes, beaucoup de patients attendent trop longtemps dans les services. Mais il convient également de reconnaître que les personnels hospitaliers font le maximum pour faire face à leurs missions et apporter les meilleurs soins possible aux Français !

L’établissement de La Réunion que vous avez évoqué est effectivement en difficulté, avec 49 millions d’euros de déficit. Ce déficit s’est aggravé au cours des trois ou quatre dernières années. (Mme Evelyne Corbière Naminzo opine.) Il convient de réinterroger la politique d’emploi. Depuis la période covid, les effectifs ont énormément grossi sans pour autant que l’activité ait augmenté de manière linéaire en suivant la courbe des emplois.

Une mission de l’inspection générale des affaires sociales (Igas) a été diligentée pour essayer de comprendre pourquoi la situation à La Réunion s’était rapidement détériorée en deux ou trois ans, et pour établir si les causes de ce dérapage des finances de l’hôpital étaient structurelles ou conjoncturelles.

Quant à Mayotte, l’île n’est pas sous-dotée en matière d’offre sanitaire. Nous avons annoncé récemment un investissement de 127 millions d’euros pour rénover l’hôpital. Par ailleurs, un deuxième site hospitalier sera créé, en complément du premier.

Mayotte reste la première maternité de France, pour les raisons que l’on connaît et que je n’évoquerai pas ici. Quoi qu’il en soit, des moyens ont été alloués pour que chaque personne entrant à l’hôpital – et pas simplement les femmes venant accoucher – soit prise en charge dans les mêmes conditions que dans tous les hôpitaux français. Il existe également à Mayotte un réseau de soins primaires adossé à l’hôpital, qui fonctionne très bien : il permet à tous les Mahorais de bénéficier d’une offre de soins de proximité, et d’éviter ainsi de solliciter l’hôpital.

Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin.

Mme Véronique Guillotin. Monsieur le ministre, il y a un an, j’interrogeais votre prédécesseur sur le rapport, largement adopté par l’Académie nationale de médecine et grandement commenté par la presse et les élus locaux, préconisant le regroupement des petites maternités et la fin des accouchements dans les établissements à moins de 1 000 naissances par an. Il m’avait été répondu que ces propositions n’étaient pas à l’agenda du Gouvernement.

Deux mois plus tard, en mai 2023, le ministre de la santé François Braun annonçait, lors du Conseil national de la refondation (CNR) consacré à la santé, le lancement d’une mission conjointe d’élus et de professionnels de santé consacrée aux maternités. L’objectif était « d’étudier les organisations innovantes qui fonctionnent dans une approche territoriale, pour que les femmes enceintes puissent accoucher partout en France dans les meilleures conditions, en trouvant un équilibre entre proximité et sécurité ». À ma connaissance, cette mission n’a jamais vu le jour.

M. Jean-François Husson. Ce n’est pas bien !

Mme Véronique Guillotin. Aujourd’hui, les difficultés s’accumulent dans le champ de la périnatalité, avec un indicateur particulièrement inquiétant : la hausse de la mortalité néonatale.

Un seuil a été atteint en 2023, avec le taux le plus élevé depuis vingt ans. Nous sommes passés d’une situation d’excellence à la vingt et unième place au sein des pays de l’OCDE. Cette situation est évidemment multifactorielle, allant du manque de personnel dans les maternités à la santé des mères – âge plus élevé de la première grossesse, augmentation de l’obésité, facteurs de précarité.

Pour faire un état des lieux précis de la situation et envisager des réformes, le groupe RDSE a souhaité la création d’une mission d’information sur l’avenir de la santé périnatale et son organisation territoriale, dont j’ai été nommée rapporteure. L’Académie nationale de médecine ainsi que tous les soignants que nous avons auditionnés ces dernières semaines parlent d’urgence.

Dans le contexte actuel, tout projet de réarmement démographique nécessite que l’on se penche d’abord sur l’accès et la qualité des soins pour la mère et l’enfant. Monsieur le ministre, cette piste de réflexion a-t-elle bien été identifiée par vos services ? Le cas échéant, quelles sont les mesures envisagées et selon quel agenda ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargé de la santé et de la prévention. Madame la sénatrice, je me réjouis que le Sénat ait lancé une mission sur les maternités. Vos travaux viendront éclairer un débat rendu compliqué, d’une part, par la baisse de la natalité et, d’autre part, par la nécessité d’adapter l’offre capacitaire de prise en charge et les tensions en termes de personnels dans tous les secteurs de l’hôpital.

Notre pays n’a pas à rougir de ses maternités, mais, pour ce qui concerne les accouchements, on observe en France une fragilisation liée – je le répète – à un manque de ressources médicales.

Ces derniers mois, nous avons revalorisé les tarifs d’obstétrique, notamment dans le cadre de la récente campagne tarifaire, pour le privé comme pour le public. Le secteur public supporte davantage l’activité obstétricale que le secteur privé, mais l’application de ces nouveaux tarifs est importante pour valoriser ces actes et les rendre plus attractifs.

Nous voulons également soutenir au maximum les maternités dès lors qu’elles offrent des soins de qualité. La qualité et la sécurité sont donc bien au cœur de notre réflexion sur l’organisation des maternités, et elles doivent le rester.

M. Jean-François Husson. Quelle est la réponse ?

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Le problème de la pérennité de certaines maternités se pose dès lors qu’elles ne sont plus en mesure d’offrir une sécurité minimale aux femmes qui viennent accoucher.

Quant aux préconisations de l’Académie nationale de médecine dans son rapport de février 2023, que j’ai lu avec attention, elles n’engagent qu’elle et ne reflètent pas forcément l’avis du Gouvernement.

M. Jean-François Husson. Que l’on ne connaît toujours pas !

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet.

Mme Nadège Havet. Monsieur le ministre, depuis plusieurs années, nous manquons de médecins, notamment hospitaliers. Nous le savons, certains territoires en souffrent plus que d’autres. Face à ce constat, notre majorité agit.

Il y a quatre ans, le numerus clausus qui limitait depuis cinquante ans le nombre annuel d’étudiants en médecine a été remplacé par le numerus apertus, qui a permis l’ouverture de 13 000 places supplémentaires d’ici à 2025. Il s’agit d’une avancée majeure, mais elle ne produira ses effets que dans quelques années puisque le temps de formation est long.

Il faut aussi rappeler les investissements colossaux réalisés dans le cadre du Ségur : nous le voyons aujourd’hui, ces milliards se concrétisent !

Je veux ce soir aborder le cas des médecins français ou résidents installés avec leurs familles sur le sol français, titulaires d’un diplôme hors Union européenne. J’ai été interpellée à plusieurs reprises sur ce point ces dernières semaines. Leur intégration ressemblerait encore trop souvent à un parcours du combattant, alors qu’ils contribuent de façon essentielle à améliorer les parcours de santé des patients.

Des milliers de ces professionnels travaillent aujourd’hui dans nos hôpitaux. Comme l’avait déclaré Mathias Wargon, chef de service des urgences du centre hospitalier Delafontaine, « s’ils n’étaient pas là, ce serait le chaos ». Ils sont importants en Seine-Saint-Denis comme dans le Finistère, et une réforme de leur statut a donc été votée en 2019, visant à raccourcir le délai pour devenir praticien associé et à mettre en place un nouveau système d’affectation.

Il existe aussi une procédure dérogatoire permettant à certains médecins de déposer leur dossier auprès des agences régionales de santé (ARS), sans passer par le concours. Il semblerait que de nombreux dossiers ne soient pas instruits. Une pétition vient d’être mise en ligne prévoyant des mesures concrètes. Elle se conclut par cette phrase : « J’adore la médecine, je ne me reconvertirai pas. J’aime la France, je ne la quitte pas. »

Monsieur le ministre, comment faire pour accompagner et reconnaître ces professionnels mieux que nous ne le faisons actuellement, et surtout plus rapidement ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargé de la santé et de la prévention. Madame la sénatrice, pendant des années, la France n’a pas bien traité les praticiens à diplôme hors Union européenne, les Padhue, et s’est satisfaite d’une zone grise. Ces praticiens intervenaient sans reconnaissance statutaire, parfois sans rémunération, en étant limités dans leurs pratiques, alors qu’ils rendent des services essentiels à nos établissements.

Il y a quelques années, le Gouvernement a eu la volonté de sortir de cette zone grise et d’accorder un statut à ces professionnels. Il s’agissait d’une juste reconnaissance de ce qu’ils apportent à l’hôpital.

En 2022 et 2023, nous avons clarifié le statut des Padhue qui travaillaient déjà dans nos établissements. Nous avons également simplifié les épreuves permettant aux nouveaux arrivants de valider leurs connaissances professionnelles.

Dans le cadre de la loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, nous avons mis en place un passeport talent pour les métiers médicaux afin d’intégrer au plus vite les professionnels dont nous avons besoin en France. Ceux qui veulent venir travailler dans notre pays doivent pouvoir le faire rapidement.

Nous avons également simplifié les épreuves permettant à ces professionnels d’exercer dans nos établissements, les diplômes des praticiens à diplôme hors Union européenne n’étant pas reconnus en France, excepté pour le Québec – mais ce pays n’est qu’une province du grand monde… Il fallait donc reconnaître la validité de leur savoir-faire professionnel.

Ce sera désormais chose faite à partir de 2025, le concours étant remplacé par un examen devant une commission constituée de pairs à l’échelle d’un GHT. Il s’agissait d’éviter ainsi que les personnes encadrant les Padhue dans les services soient amenées à juger de leurs qualités, l’objectif étant toujours néanmoins de simplifier les procédures et de reconnaître le plus rapidement possible le rôle et la place de ces personnels dans le système.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Le Houerou.

Mme Annie Le Houerou. Monsieur le ministre, le 25 mars 2020, le Président de la République annonçait un plan massif d’investissement et de revalorisation pour l’hôpital. Le Ségur de la santé a concrétisé cette annonce avec un projet d’investissement et une revalorisation des rémunérations des soignants. Ces mesures étaient une réponse à la crise aiguë sans précédent de l’hôpital public.

Pourtant, quatre ans après, l’actualité montre qu’il y a toujours un fort mécontentement des professionnels de santé, des difficultés persistantes de l’hôpital public, des déficits qui bloquent l’investissement des établissements, une crise des vocations à tous les niveaux et dans des spécialités majeures. Les lits ferment, les maternités sont suspendues ou fermées, les urgences sont en survie. Bref l’hôpital public ne répond plus aux besoins de la population, malgré le dévouement sans faille des personnes qui y travaillent.

« On doit sortir de la T2A dès le prochain PLFSS pour aller vers un nouveau financement qu’on doit rebâtir en profondeur », affirmait le 6 janvier 2023 le Président de la République dans ses vœux aux soignants – promesse déjà faite en 2017.

De nombreux tarifs sont en décalage par rapport à la réalité des coûts. L’augmentation des tarifs que vous venez de citer permet à peine de couvrir l’inflation, et en aucun cas elle ne permet de faire face à la hausse des charges. Ces contraintes pèsent surtout sur l’hôpital public, qui ne choisit pas ses patients en fonction de ce qu’ils vont lui rapporter et se doit de prendre soin de tout le monde.

Face à ces difficultés, les gouvernements successifs ont souvent attribué les problèmes de l’hôpital public à des questions de statuts et d’organisation territoriale ou des services, ignorant les appels à un financement basé sur les besoins réels en soins plutôt que sur des objectifs budgétaires.

Face à cette situation catastrophique et à ce constat partagé, quelles mesures concrètes envisagez-vous pour réformer le financement de l’hôpital public afin de mieux répondre à ses besoins spécifiques et de garantir la pérennité de notre système de santé ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargé de la santé et de la prévention. Madame la sénatrice Le Houerou, je ne peux pas vous laisser dire que l’hôpital ne répond pas aux besoins de la population (Mmes Annie Le Houerou et Émilienne Poumirol protestent.), alors que 21 millions de personnes sont prises en charge chaque année dans les services d’urgence !

Je rappelle que l’hôpital soigne des millions de personnes par an, et procède à de multiples interventions de traitement et de suivi de la population. On peut parler de dysfonctionnements, de difficultés ou encore de tensions, mais on ne peut pas dire que l’hôpital ne répond pas aux besoins de la population. Je m’inscris donc en faux.

Vous dites que tout va mal et vous évoquez notamment les rémunérations. Or le Ségur de la santé a engagé 8 milliards d’euros en faveur des hôpitaux – sur les 10 milliards d’euros budgétés –, soit un effort de 10 % de hausses de salaire net en bas de la fiche de paie tous les mois. Jamais aucun gouvernement n’avait augmenté ainsi les rémunérations au sein de l’hôpital public !

Le Ségur a également prévu 15,5 milliards d’euros d’aides à l’investissement. Contrairement aux différents plans d’investissement proposés aux hôpitaux, qu’il s’agisse d’Hôpital 2007 ou d’Hôpital 2012, ce ne sont pas cette fois des avances de prêts remboursables, qui pèsent sur les comptes hospitaliers, mais bien 15,5 milliards d’aides directes pour favoriser la création de certains établissements, parfois financés à 100 % par la solidarité nationale. Je pense au CHU de la Guadeloupe, qui est en train de sortir de terre sans que cela pèse sur les comptes de l’hôpital, si ce n’est pour l’exploitation du bâtiment.

Ces 15,5 milliards d’euros d’aides concernent plus d’une centaine d’établissements. L’effort de modernisation est donc bel et bien présent !

Par ailleurs, la T2A à l’hôpital représente 50 % du financement. Non, la tarification à l’activité n’a pas tué l’hôpital, d’autant que sa part régresse un peu plus chaque année à la faveur des financements au forfait et des financements pour les autres activités.