MISSION COMMUNE D'INFORMATION  "LA FRANCE ET LES FRANÇAIS FACE A LA CANICULE


Table des matières




Mercredi 29 octobre 2003

- Présidence de M. Jacques Pelletier, président.

Audition de M. Jean-Pierre Besancenot, directeur de recherche au CNRS

La mission a d'abord procédé à l'audition de M. Jean-Pierre Besancenot, directeur de recherche au CNRS.

Après avoir indiqué que M. Jean-Pierre Besancenot était chargé d'un enseignement de climatologie à la faculté de médecine de Dijon, M. Jacques Pelletier, président, lui a demandé de dresser un tableau d'ensemble de l'évolution des phénomènes climatiques en France.

M. Jean-Pierre Besancenot a précité que la synthèse des études qu'il a menées depuis trente ans sur une soixantaine de vagues de chaleur avait récemment été publiée dans la revue « Environnement, risques et santé ». Cette étude permet de replacer la canicule de l'été dernier dans un contexte plus large, les interrogations portant sur le fait de savoir si la situation a été correctement gérée et s'il aurait été possible de réduire l'importance de la surmortalité enregistrée.

Il a insisté sur le caractère sans précédent, à plusieurs titres, de cette canicule :

- l'intensité de la chaleur (record absolu de température dans plus de trente départements) ;

- le record des températures nocturnes (25,5 degrés relevés à Paris, sans doute 5 à 7 degrés de plus dans les quartiers d'habitat dense) ;

- la durée de l'anomalie thermique, la vague de chaleur s'étant prolongée de fin mai à mi-août. Les températures élevées du mois de juin ont été bien supportées, à l'exception d'un pic de morbidité et de mortalité passé inaperçu le 17 ; les températures ont été très élevées durant la deuxième décade de juillet, pour battre ensuite des records du 4 au 12 ou 13 août ;

- l'extension géographique : pour la première fois, l'ensemble de la France métropolitaine s'est trouvée simultanément concernée par une vague de chaleur (celles de 1976 et de 1983 avaient été limitées aux deux tiers nord pour la première, à l'extrême sud est et au Massif central pour la seconde) ;

- la date du paroxysme thermique (la première quinzaine d'août, alors que nombre de Français étaient en vacances et les personnes âgées plus isolées) ;

- la vulnérabilité de la population du fait de son vieillissement. A cet égard, citant l'exemple de la Touraine, il a relevé la corrélation étroite entre la carte de surmortalité et la carte d'espérance de vie.

M. Jean-Pierre Besancenot a souligné les difficultés de gérer une situation à laquelle la France n'avait encore jamais été confrontée.

Evoquant ensuite les polémiques relatives à la gestion de la crise par les pouvoirs publics, il a précisé que les premières notifications de décès liés à la chaleur, auprès des autorités de tutelle, avaient émané, le 6 août, de médecins urgentistes du Morbihan. Il a estimé que le communiqué de la Direction générale de la santé du 8 août, techniquement parfait, était cependant sans doute trop tardif et inefficace sur le plan politique et médiatique : non relayé, il est passé inaperçu. Il a toutefois jugé que, même si ce communiqué avait été parfaitement relayé, le bilan final n'aurait pas changé significativement, dans la mesure où une crise de cette ampleur ne peut se gérer dans l'urgence. Il convient de s'y préparer en mettant en place des dispositifs d'accompagnement des personnes âgées et, à plus court terme, des systèmes d'alerte sanitaire, le problème étant qu'on ne dispose pas d'informations centralisées en temps réel, non seulement sur la mortalité, mais aussi sur la morbidité.

Il a souligné la nécessité de disposer de prévisions médico-météorologiques, à l'instar de l'Allemagne -même si son dispositif mis en place depuis cinquante ans est perfectible- et d'un certain nombre d'autres pays étrangers qui s'en sont dotés plus récemment. Il s'agit de transformer les prévisions météorologiques classiques en prévisions de risques pour la santé, afin de permettre le lancement d'alertes justifiées. Il a annoncé la mise en place, à la demande du ministre de la santé, d'un groupe de travail sur l'ensemble des urgences climatiques, associant Météo France, l'Institut national de veille sanitaire et le laboratoire «météorologie et santé » de la faculté de Dijon.

Répondant à M. Hilaire Flandre, rapporteur, il a indiqué qu'il ne disposait pas d'informations précises sur l'évolution de la mortalité au-delà des 28 ou 30 août, mais que le bilan net de l'année 2003 devrait s'avérer bien inférieur aux 15.000 décès enregistrés, dans la mesure où les premières indications, non encore validées, laissent penser que la mortalité du mois de septembre a été sensiblement inférieure à celle du même mois des années précédentes.

Il a relevé la diversité des schémas selon les vagues de chaleur; ainsi, le bilan de la surmortalité constatée en Belgique pendant l'été 1994 s'est révélé moindre qu'annoncé initialement ; à l'inverse, après la canicule enregistrée par la ville de Marseille fin juillet 1983, la mortalité est restée excédentaire jusqu'au 15 décembre. Il a noté qu'il n'était pas pertinent de comparer d'emblée les étés 2002 et 2003, sachant que la première quinzaine d'août 2002 avait été caractérisée par une sous-mortalité relativement forte.

M. Jean-Pierre Besancenot a également indiqué au rapporteur qu'il était hasardeux d'affirmer ou d'infirmer l'existence d'une relation entre le changement climatique annoncé par les milieux scientifiques et la canicule de l'été dernier. Il a évoqué une récente estimation du président de Météo France selon lequel, à l'horizon de la deuxième moitié du XXIe siècle, l'occurrence de telles vagues de chaleur pourrait quintupler. Rappelant que les gaz à effet de serre agiront dans les décennies à venir, il a jugé l'évolution du climat comme inéluctable.

M. Hilaire Flandre, rapporteur, s'est enquis des causes de ces phénomènes et du rôle joué par la pollution atmosphérique. M. Jean-Pierre Besancenot a estimé difficile d'évaluer les relations entre l'évolution de la température et la pollution, la vague de chaleur favorisant la formation d'ozone et s'opposant à la dispersion, tant « verticale qu'horizontale », de ses composants. Selon deux études, l'ozone aurait contribué de façon non négligeable à la vague de chaleur qu'a connue Bruxelles en 1994 ; la contribution de la pollution atmosphérique à la surmortalité enregistrée dans l'agglomération londonienne corrélativement aux vagues de chaleur de 1995 et 1999 a été évaluée à environ 7 %. Cette évaluation n'est toutefois pas transposable, le taux d'ozone londonien étant sensiblement inférieur à ceux de l'agglomération parisienne ou des villes méridionales.

Il a ensuite constaté que l'ensemble des mesures adoptées par la ville d'Athènes, à la suite des 2.000 décès surnuméraires de 1987, avaient permis de réduire ce nombre à 20 en juillet 1988 (interdiction de la circulation automobile, réduction de l'activité industrielle...).

Compte tenu de la prise de conscience tardive de la gravité de la canicule de l'été dernier, M. Claude Domeizel s'est interrogé sur les moyens qui auraient pu être mis en oeuvre. Il a également demandé si la fiabilité des données météorologiques du printemps aurait permis d'anticiper les problèmes et de quelle façon. Dans le même sens, M. Daniel Eckenspieller a indiqué que la mise en place d'un système médico-météorologique supposait des données suffisamment objectives pour que les moyens soient mis en oeuvre de manière pertinente. M. Jacques Pelletier, président, a évoqué à cet égard la multiplicité des alertes intervenues depuis la tempête de décembre 1999.

M. Jean-Pierre Besancenot a indiqué que, si les prévisions à sept jours étaient susceptibles d'être utilisées, les prévisions à échelle saisonnière restaient, quant à elles, très largement perfectibles. Il a précisé que les vagues de chaleur étaient toutefois plus faciles à prévoir que les tempêtes, les situations anticycloniques évoluant plus lentement que les situations dépressionnaires. En outre, l'évolution de la température est plus prévisible que la vitesse du vent ou le degré d'humidité, ce dernier pouvant difficilement être prévu au-delà de 48 heures. En cas de situation anticyclonique, existe en outre un risque de pic de pollution par ozone et oxyde d'azote. Des mesures d'alerte, sept jours à l'avance, permettraient de mettre en place en temps utile des mesures efficaces. Ceci n'exclut pas des mesures préventives, telles que la climatisation des maisons de retraite, par exemple.

Répondant ensuite à M. Bernard Angels, qui l'interrogeait sur les conditions climatiques et l'éventuelle surmortalité constatée dans des pays proches de la France au cours de l'été dernier, il a souligné qu'une vague de chaleur devait s'apprécier par comparaison avec les niveaux habituels, et non absolus, de températures. Ainsi, si la Belgique enregistre une surmortalité à partir de 27 à 28 degrés, pour le sud de l'Espagne, ce n'est le cas qu'à partir de 41 ou 42 degrés, en raison notamment des adaptations biologiques, comportementales, et des caractéristiques architecturales. Les dispositifs sanitaires sont eux-mêmes plus ou moins adaptés à la gestion de ces situations. En Allemagne, par exemple, où les associations pour personnes âgées sont nombreuses, la surmortalité semble avoir été faible.

Mme Gisèle Gautier a mis en avant l'intérêt qu'il y aurait à affiner les statistiques en fonction de critères sociologiques, tels que le caractère rural ou urbain de l'environnement, l'isolement plus ou moins important des personnes restées à domicile, afin, en particulier, de mesurer la solidarité relative dont ont bénéficié, ou non, les personnes âgées. Elle s'est également interrogée sur les mesures qu'auraient pu prendre les maisons de retraite si elles avaient été alertées, et sur l'insuffisance des effectifs des médecins urgentistes.

M. Jean-Pierre Besancenot a répondu que, si l'on ne disposait pas de données permettant de différencier milieu rural et milieu urbain, une courbe qu'il venait d'établir en fonction de la taille des ensembles urbains marquait en revanche un point d'inflexion très brutal, indiquant un véritable envol de la courbe de surmortalité, au-delà de 200.000 habitants. Il a, par ailleurs, souhaité que les « cartes de vigilance » tiennent désormais compte des risques pour la santé des évolutions climatiques.

M. Jean-François Picheral a demandé si Météo France aurait pu prévoir, deux semaines à l'avance, que la chaleur augmenterait jusqu'au 15 août. Il a regretté que le communiqué du 8 août soit resté huit jours sur le bureau du ministre de la santé, alors que les médecins urgentistes avaient réagi dès le 15 juillet. Il s'est toutefois montré optimiste pour l'avenir, évoquant la faible surmortalité enregistrée à Marseille, en raison notamment des leçons tirées par le professeur San Marco de la canicule de 1983.

M. Jean-Pierre Besancenot a rappelé que l'annonce faite par Météo France le 1er août, d'une vague de chaleur devant s'intensifier dans les dix à quinze jours suivants était passée relativement inaperçue. Mme Gisèle Gautier et M. Jean-François Picheral ont souligné le caractère, en tout état de cause, tardif de cette annonce.

M. Claude Domeizel s'étant enquis des comparaisons avec d'autres pays européens, M. Jean-Pierre Besancenot a indiqué que la canicule de l'été 2003 avait fortement touché le Portugal, largement épargné l'Espagne, l'Italie centrale et méridionale (mais non les villes italiennes du nord), l'Angleterre (à l'exception de l'extrême sud-est) ; les informations provenant de Belgique apparaissent contradictoires et l'Allemagne présente des chiffres apparemment très faibles par rapport à la France, mais avec un nombre assez élevé de décès chez les jeunes adultes.

Audition de M. Pierrick Givonne, directeur scientifique adjoint du Centre national du machinisme agricole du Génie rural, des eaux et des forêts (CEMAGREF)

La mission a ensuite procédé à l'audition de M. Pierrick Givonne, directeur scientifique adjoint du Centre national du machinisme agricole du Génie rural, des eaux et des forêts (CEMAGREF).

M. Pierrick Givonne a tout d'abord précisé qu'il centrerait son propos sur les problématiques liées à l'eau et à l'irrigation, et qu'il ne traiterait donc pas de l'ensemble des facteurs de la canicule.

A titre liminaire, il a distingué la canicule (événement météorologique dont l'intensité varie) de l'étiage (conséquences du climat sur le niveau des fleuves et rivières sans intervention humaine) et de la sécheresse (même définition que l'étiage, mais en y ajoutant la référence aux interventions humaines, et notamment aux prélèvements).

Partant de ces définitions, il a estimé que les événements de cet été correspondaient, certes, à une forte canicule, mais pas à une sécheresse à proprement parler, les réserves en eau étant généralement restées à un niveau satisfaisant.

Comparant les pluviométries respectives des premiers semestres 1976 et 2003, il a remarqué que le déficit de pluie en 1976 touchait surtout le nord et l'ouest, alors qu'il affectait cette année principalement le centre-est, le sud-est et la Corse.

En dépit de ces carences géographiquement localisées, il a indiqué que l'« histoire hydrique » précédant la canicule de 2003 était plutôt favorable (les crues importantes du printemps ayant permis de remplir début juillet les réserves d'eau à 80/95 % de leur niveau maximal), alors que celle précédant la canicule de 1976 était plutôt défavorable.

M. Patrick Givonne a ensuite relativisé les conséquences environnementales de la canicule, aussi bien sur le milieu aquatique (la petite faune microscopique s'étant enterrée et les poissons ayant migré) que sur le milieu terrestre (la physionomie actuelle des espaces forestiers, relativement inquiétante à première vue, ne préjugeant en rien de leur état futur).

Il a en revanche regretté que n'existe pas un système permettant de mesurer en permanence et sur l'ensemble du territoire la température des cours d'eau.

Répondant à M. Hilaire Flandre, rapporteur, qui l'interrogeait sur les conséquences de la canicule sur la production agricole et sur les possibilités de stocker l'eau provenant des précipitations, M. Pierrick Givonne a précisé :

- que si les chiffres n'étaient pas encore tous connus, apparaissaient néanmoins de profondes différences, notamment en Aquitaine, entre les agriculteurs ayant irrigué leurs terres (qui ont subi des pertes de production de 20 à 30 %) et ceux n'ayant pas pu irriguer (qui ont essuyé de bien plus lourdes pertes) ;

- que la gestion de l'eau pouvait se fonder soit sur un modèle de restriction des quantités (régulation a posteriori, peu efficace), soit sur un modèle reposant sur la création de réseaux de retenue et l'établissement, après réflexion entre tous les acteurs concernés, de quotas pouvant faire l'objet de contrôles (régulation a priori, plus efficace).

M. Hilaire Flandre, rapporteur, ayant déploré que les réserves d'eau, dans le cadre de ce second modèle, ne soient pas davantage abondées, alors que le territoire français bénéficie d'une pluviométrie annuelle moyenne de 700 mm, M. Pierrick Givonne a remarqué que la moitié seulement de cette eau était utilisable après évaporation et que le second modèle n'était en rien figé car pouvant conduire à décider d'augmenter les réserves en eau selon les besoins.

Répondant ensuite au rapporteur, qui s'était interrogé sur l'intérêt qu'auraient les agriculteurs à utiliser des plants et des méthodes de culture moins exigeantes en eau, M. Pierrick Givonne a noté :

- que le choix des plants était orienté par le marché et répondait donc avant tout à des impératifs de rentabilité économique ;

- que les pratiques culturales, bien que largement optimisées à cet égard, devraient veiller davantage à économiser les ressources en eau, l'irrigation diurne en période de forte chaleur étant de ce point de vue néfaste aux plantations.

M. Jacques Pelletier, président, a fait observer que le bassin fluvial au nord-est de Paris, largement rempli durant la canicule, était au plus bas depuis début octobre.

M. Pierrick Givonne a expliqué que les barrages et retenues sur la Seine et sur la Marne maintenaient un étiage satisfaisant durant l'été et le réduisaient ensuite afin de prévenir les crues.

M. Claude Domeizel a indiqué que les « Alpes sèches » (c'est-à-dire le département des Alpes de Haute-Provence) avaient connu un sort très différent selon que les territoires étaient ou non irrigués. Il s'est demandé si les prévisions météorologiques étaient suffisamment fiables et surtout suffisamment précoces pour prévenir les incendies.

M. Daniel Soulage a indiqué que le département du Lot-et-Garonne, très concerné également par la canicule, était parvenu à stocker les 9/10e de l'eau nécessaire à l'irrigation grâce, à un maillage de barrages et de petites retenues. Il a souhaité, par ailleurs, que soit suffisamment prise en compte la nécessité de réalimenter les fleuves et les rivières en eau.

Mme Gisèle Gautier s'est interrogée sur le bilan écologique de la canicule concernant le domaine maritime.

M. Louis Grillot s'est inquiété des conséquences des méthodes culturales, qui tendent à supprimer les retenues naturelles et contribuent ainsi à augmenter le ruissellement des eaux de pluie.

M. Alain Gournac s'est interrogé sur les conséquences de l'apparition de nouvelles algues dans la Seine.

Répondant à ces interventions, M. Pierrick Givonne a notamment apporté les précisions suivantes :

- l'apparition des algues est due à l'eutrophisation des eaux causée par la canicule, ces algues d'origine exotique risquant de perdurer si l'hiver est doux. Il a toutefois estimé que leur prolifération précoce durant l'été avait permis d'oxygéner suffisamment l'eau pour que les poissons survivent, la mise en place de dispositifs d' « aération » de la Seine n'ayant donc pas été nécessaire ;

- la prévision des incendies de forêt en est encore au stade de la recherche, les cartes de combustibilité étant peu fiables, peu « prospectives » et surtout peu utiles, la majorité des incendies étant d'origine humaine et non pas naturelle. Il a ajouté que la régénération des arbres ayant été touchés par les incendies serait délicate du fait que l'ouverture des cônes avait été plus précoce cette année en raison de la canicule et que leurs graines avaient été brûlées dans les feux de forêt. Il s'est également inquiété des risques d'érosion liés aux prochaines précipitations, en dépit des aménagements importants effectués par l'Office national des forêts ;

- aucune pollution majeure dans le domaine maritime, qui aurait justifié une interdiction générale de la consommation de crustacés, n'a été constatée. Il a ajouté que la surmortalité des poissons en rivière et en estuaire avait été faible, sauf cas ponctuels (anguilles dans le Rhin et éperlans en Gironde) ;

- certaines pratiques agricoles sont effectivement néfastes pour les réserves d'eau, même si de telles pratiques sont de plus en plus rares et compensées par des pratiques correctrices.

M. Hilaire Flandre, rapporteur, s'est étonné de l'impossibilité d'effectuer des prévisions météorologiques fiables au-delà de quelques jours, alors que celles consignées dans l'almanach des Postes donnaient autrefois d'assez bonnes informations sur les tendances climatiques pour la saison à venir. Il a également évoqué l'apparition de nouvelles espèces animales du fait de la canicule et s'est interrogé sur l'efficacité des coupes-feu pour lutter contre les incendies de forêt.

M. Pierrick Givonne a fait observer que l'utilité de ces derniers avait été très relative du fait de la force des vents.

Audition de M. Emmanuel Le Roy Ladurie, historien, professeur au Collège de France et directeur de l'académie des sciences morales et politiques

La mission d'information a enfin procédé à l'audition de M. Emmanuel Le Roy Ladurie, historien, professeur au Collège de France, président de l'Académie des sciences morales et politiques.

M. Jacques Pelletier, président, a souhaité la bienvenue au professeur Le Roy Ladurie en rappelant que son ouvrage sur l'« Histoire du climat depuis l'an mil » demeurait une référence en la matière et a souligné l'intérêt d'une mise en perspective historique pour les travaux de la mission d'information.

M. Emmanuel Le Roy Ladurie, après avoir rappelé qu'il n'était pas un « scientifique de sciences exactes » a dressé un bilan chronologique des événements climatiques exceptionnels ayant touché la France depuis le Moyen-Age. Il a précisé qu'un indice mis au point par un chercheur hollandais, permettait d'appréhender l'ampleur des « coups de chaleur » sur une échelle allant de 1 à 9. Il a ajouté que l'étude des vendanges et des récoltes constituait aussi un bon critère pour évaluer l'importance des étés chauds.

Il a rappelé que ces derniers, à l'exemple de l'été 1351, avaient été la plupart du temps marqués par des vendanges et des moissons précoces, ajoutant que l'échaudage des blés constituait un bon indice d'été caniculaire.

Après avoir décrit le treizième siècle comme celui des étés chauds, il a indiqué que des coups de chaleur s'étaient ensuite produits successivement en 1326, en 1351, en 1420, cette dernière année étant marquée par un été chaud et sec et des céréales brûlées sur pied dans le contexte difficile de la Guerre de Cent Ans.

Evoquant la famine de Bruges en 1438 où « des enfants en jeune âge avaient été dévorés par des chiens affamés », M. Emmanuel Le Roy Ladurie a ajouté que certaines années avaient été à l'inverse touchées par des « famines de pluie », le mauvais temps provoquant la pourriture des récoltes et une hausse considérable de la mortalité.

Il a indiqué que le « doux seizième siècle » allant de 1500 à 1560 avait connu des séries estivales de sécheresse et d'échaudage des blés, notamment en 1516, entre 1523 et 1525, en 1540, 1545 et 1556.

Il a rappelé que les années sèches entre 1523 et 1525 avaient été à l'origine de l'une des grandes crises de subsistance du seizième siècle, caractérisées aussi par des incendies importants comme à Troyes, où 1500 maisons furent brûlées. A titre d'anecdote, il a ajouté que les Parisiens avaient prié en procession pour obtenir de la pluie en « sortant la châsse de Sainte-Geneviève ».

Concernant l'année 1540, il a précisé qu'un anticyclone, dont le noyau dur se situait au pays basque, avait été à l'origine d'une forte chaleur estivale sur l'ensemble de l'Europe Occidentale, asséchant les fleuves, faisant reculer les glaciers et transformant le vin en boisson apéritive sucrée. Il a ajouté que cet été pouvait se comparer à celui de 1947, décrit par Thomas Mann séjournant alors en Suisse en tenue légère.

Après avoir souligné le caractère exceptionnel de l'année 1556 où des incendies de forêt avaient embrasé la Normandie et où les vendanges avaient eu lieu dès le 1er septembre, M. Emmanuel Le Roy Ladurie a indiqué qu'à partir de 1560, période dite du petit âge glaciaire maximal, la température avait été plus fraîche, comme le témoignait par exemple la correspondance de Mme de Sévigné à sa fille pour l'été 1695.

Il a cependant noté que des épisodes de forte chaleur estivale avaient été constatés en 1636, 1639, 1705, 1706, 1718, 1719 et 1779, indiquant que les conséquences des étés pluvieux avaient été souvent plus graves que les étés chauds pour les populations. Il a toutefois insisté sur les pics de mortalité résultant de chaleurs estivales et de la dysenterie provoquée par la baisse du niveau des cours d'eau et de leur pollution. Il a ajouté que ces dysenteries avaient été à l'origine de millions de décès lors des étés chauds du dix-huitième siècle.

Rappelant les travaux de son maître Ernest Labrousse sur le lien entre les grandes époques de surproduction agricole de 1778-1781 et la crise prérévolutionnaire, tout en nuançant ses conclusions, il a estimé que les variations climatiques brutales avaient parfois contribué au déclenchement d'événements historiques. Il a rappelé que le climat de l'année 1788, marqué par l'échaudage des blés, puis un hiver rigoureux et donc de mauvaises récoltes et une hausse des prix agricoles, avait contribué au déclenchement de la Révolution française.

Il a également souligné que ce constat semblait valable pour l'été 1794, débouchant sur les journées révolutionnaires de Prairial, de l'année 1816 marquée par des émeutes à Lyon et de l'année 1846, caractérisée par six mois de sécheresse et une situation économique difficile, aggravée en Irlande par la maladie de la pomme de terre qui a été à l'origine d'un million de morts.

Après avoir noté que la période d'âge glaciaire avait pris fin en 1858-1859, avec le début de la fonte des glaciers alpins, M. Emmanuel Le Roy Ladurie a rappelé que la crise de surproduction viticole issue des étés chauds de 1904 à 1906 avait contribué à la révolte des vignerons du Midi.

Il a ensuite fait observer que les températures s'étaient stabilisées entre 1950 et 1970 mais que depuis cette époque, la France avait connu une succession de coups de chaleur et de sécheresse en 1976, en 1982-83, en 1987, en 1989, en 1992, en 1994, en 1995 ou encore en 1997.

M. Jacques Pelletier, président, a vivement remercié M. Emmanuel Le Roy Ladurie pour la qualité de son exposé et a rejoint ses conclusions sur le réchauffement du climat constaté dans la dernière décennie.

M. Hilaire Flandre, rapporteur, a souligné que la sagesse populaire confirmait les explications du professeur Le Roy Ladurie en rappelant les adages : « une année de foin est une année de rien » et qu'« une année de sécheresse n'a jamais provoqué de disette », avant de s'interroger sur le caractère exceptionnel de la canicule de l'été dernier dans l'histoire du climat.

Il a insisté sur l'intérêt, pour la mission d'information, de connaître l'impact de tels phénomènes climatiques sur les réactions individuelles et collectives des citoyens et sur la capacité de réaction des autorités publiques. Il s'est enfin inquiété des mesures de prévention, d'anticipation et d'adaptation qui devraient être prises afin d'éviter une catastrophe à l'avenir.

M. Emmanuel Le Roy Ladurie a constaté que la canicule de l'été 2003 constituait bien une rupture dans l'histoire du climat en France, compte tenu de l'importance des températures et des émissions de dioxyde de carbone constatées par les scientifiques. Il a confirmé que les épisodes caniculaires avaient souvent provoqué des émeutes de subsistance, mais aussi une recrudescence des manifestations religieuses comme les prières, les invocations aux saints et les processions au cours desquelles on brûlait la statue de Saint Médard.

Concernant la capacité d'adaptation des autorités publiques, après avoir souligné que les autorités locales avaient toujours agi rapidement pour limiter les conséquences et tirer les leçons de tels phénomènes climatiques, il a indiqué que l'intervention du pouvoir central avait été croissante au cours des siècles passés.

Après avoir rappelé que nos rois, à l'exemple de Louis X le Hutin qualifié de « roi de la famine », avaient été longtemps indifférents aux effets de la canicule, il a évoqué l'action déterminante de Louis XI, tentant d'organiser un « maximum », c'est-à-dire un contrôle des prix, en période de sécheresse, ou de Louis XIV et de Colbert, interdisant les importations de blé et créant des réserves dans des greniers spécifiques. A cet égard, il a rappelé que la population est alors devenue progressivement plus exigeante à l'égard des pouvoirs publics, dénonçant l'inaction de l'Etat ou « le complot de famine », c'est-à-dire la spéculation sur les prix agricoles. Il a ajouté que la mise en cause des autorités politiques lors d'événements climatiques exceptionnels était une spécificité française.

Il a précisé que la sécheresse de l'été dernier, conjuguée à « l'hyper canicule », constituait peut-être un signe avant-coureur de l'effet de serre. A cet égard, il a souligné l'incertitude de la situation actuelle avec les inquiétudes dues à l'isolationnisme américain en ce domaine, mais également le constat d'évolutions positives comme l'écroulement de l'industrie soviétique, forte productrice de dioxyde de carbone.

Il a ajouté qu'un changement de comportement individuel et collectif semblait nécessaire pour lutter contre l'effet de serre mais que le choix d'un mode de croissance alternatif était difficile.

En réponse à M. Hilaire Flandre, rapporteur, qui s'interrogeait sur l'existence éventuelle de périodes chaudes comparables à l'été 2003 dans l'histoire climatique de la France, M. Emmanuel Le Roy Ladurie a souligné le caractère exceptionnel des températures constatées l'été dernier et de la durée de la période de chaleur au regard des épisodes caniculaires passés. Il a indiqué que les « beaux étés » du treizième et du seizième siècles étaient incontestablement moins chauds.

En réponse à M. Daniel Eckenspieller, qui s'était enquis de l'importance de la surmortalité due à l'activité volcanique au regard de celle provoquée par l'activité humaine et l'effet de serre, M. Emmanuel Le Roy Ladurie a noté que les grandes explosions volcaniques, comme celle du Tambora en Indonésie en 1815, qui a envoyé un voile de poussière sur la planète, avaient toujours été suivies d'un rafraîchissement de l'atmosphère alors que le phénomène actuel du réchauffement climatique allait croissant et concernait désormais l'ensemble de notre planète.