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Jeudi 26 avril 2001 - Présidence de M. Denis Badré, président.

Audition du Professeur Alain Carpentier

La mission d'information a procédé à l'audition du professeur Alain Carpentier.

Après avoir indiqué qu'il tenterait de répondre aux différentes préoccupations de la mission d'information en s'appuyant sur son expérience personnelle dans le domaine de la recherche médicale, le professeur Alain Carpentier a rappelé les conditions particulières dans lesquelles s'exerçait cette dernière, notamment au sein de centres hospitaliers et universitaires accueillant des praticiens qui assument une triple fonction de soins, d'enseignement et de recherche.

Il a estimé, en premier lieu, que, dans le domaine de la recherche médicale, la " fuite des cerveaux " constituait incontestablement une réalité, bien que le phénomène demeure limité en valeur absolue, en raison de la diminution globale des effectifs d'étudiants en médecine et du moindre recrutement de médecins. Il a ajouté que la moitié environ des élèves qu'il avait lui-même formés occupaient actuellement des postes éminents à l'étranger, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne ou encore en Australie. Il faut y voir, a-t-il poursuivi, une certaine reconnaissance de la valeur du système de formation français, mais malheureusement, ces départs ont laissé en France un vide qui n'a pu être comblé que par le recrutement, dans les centres hospitaliers non universitaires, de médecins étrangers dont la formation et les capacités ne sont pas toujours équivalentes.

Au-delà de cet appauvrissement de la médecine française, du fait des départs de praticiens renommés, il s'est vivement inquiété du déclin de la recherche médicale française, illustré à ses yeux par la diminution du nombre de publications françaises dans les plus grandes revues scientifiques, par celle du nombre des brevets déposés par des chercheurs français ou par la moindre représentation de ces derniers dans les grands congrès médicaux internationaux.

Le professeur Alain Carpentier a ensuite analysé les causes de cette situation.

Il a tout d'abord estimé que la place accordée à la recherche médicale durant les études de médecine était très insuffisante, puisqu'en pratique, et à la différence de ce que l'on constate aux Etats-Unis, l'accès à la recherche n'est ouvert qu'après le succès à l'internat. Il lui a paru nécessaire de prévoir un enseignement à la recherche dès le premier cycle des études médicales, ainsi qu'il l'avait proposé lorsqu'il présidait le comité pour la réforme des études médicales mis en place par M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Il a également estimé souhaitable d'opérer, lors de ces études, une différenciation entre les étudiants qui s'orientent vers la recherche et ceux qui se destinent uniquement aux soins.

Il a par ailleurs déploré que les activités de recherche soient moins reconnues et valorisées que celles de soins et d'enseignement, les chercheurs en médecine pouvant à juste titre s'estimer pénalisés dans leur carrière par rapport aux praticiens hospitalo-universitaires.

Il a ensuite mis l'accent sur les conditions d'exercice de la recherche, qui n'étaient pas, en France, aussi satisfaisantes que dans d'autres pays, du triple point de vue de la liberté du chercheur, de ses moyens et de la reconnaissance dont il bénéficie. La liberté laissée aux jeunes chercheurs lui est apparue très insuffisante, en particulier au regard de l'expérience que certains avaient pu acquérir aux Etats-Unis lors de stages post-doctoraux, car les structures et les procédures administratives françaises demeurent trop contraignantes. Les moyens matériels et financiers n'atteignent pas le niveau souhaitable, bien qu'un effort de relèvement ait été opéré ces dernières années sous l'impulsion de M. Claude Allègre. Les chercheurs ont aussi besoin de reconnaissance et de considération, non pas, comme aux Etats-Unis, en termes de gains financiers liés à la valorisation de leur recherche, mais plutôt par l'assurance d'un cadre d'exercice stable et de possibilités de promotion et d'accès aux postes de responsabilités.

Enfin, le professeur Alain Carpentier a mentionné une difficulté provoquée, au cours des années récentes, par les règles excessivement contraignantes imposées pour la participation de médecins du secteur public aux congrès médicaux à l'étranger, l'autorisation du Conseil de l'Ordre des médecins étant désormais requise en complément de celle du chef de service. Précisant que cette autorisation imposait une procédure lourde, et qu'elle n'était accordée qu'une fois sur deux, il a estimé que la volonté d'éviter certaines dérives liées à la prise en charge, par des laboratoires, de ces déplacements, n'aurait pas dû conduire à instituer une mesure aussi inadaptée qui se répercute aujourd'hui sur la participation française à des rencontres internationales indispensables à la stimulation de la recherche.

Le professeur Alain Carpentier a ensuite évoqué les orientations que l'on pouvait à ses yeux définir pour enrayer le déclin de la recherche française. Il a estimé qu'il fallait se garder de transposer aveuglément en France des méthodes anglo-saxonnes qui n'étaient pas nécessairement en harmonie avec notre culture propre et a souligné, à ce propos, les effets néfastes, aux Etats-Unis, d'une évaluation des chercheurs exclusivement fondée sur des critères quantitatifs, tel le nombre de brevets déposés.

Il a réitéré son souhait d'une prise en compte, dès les premières années d'études médicales, d'une formation pour et par la recherche. S'agissant de la valorisation des chercheurs, il a estimé que ceux-ci devraient pouvoir accéder à des postes de chefs de service hospitaliers, alors qu'aujourd'hui, les responsabilités les plus éminentes sont réservées aux seuls cliniciens. Enfin, il a préconisé la création, au sein des organismes universitaires et de recherche, de structures d'accueil exclusivement réservées aux jeunes chercheurs, notamment à ceux qui effectuent des stages post-doctoraux à l'étranger. Il a précisé qu'il avait mis en place une telle structure à l'hôpital européen Georges Pompidou, dans le but de pouvoir offrir, durant 3 ans, à des jeunes chercheurs, un cadre de travail favorisant leur recrutement futur par un organisme de recherche ou les préparant à créer leur propre laboratoire.

Un débat s'est ensuite engagé avec les membres de la mission d'information.

A la suite d'une question de M. Denis Badré, président, le professeur Alain Carpentier a indiqué qu'une entreprise américaine lui avait permis de valoriser ses recherches sur les valves cardiaques. Les ressources ainsi obtenues ont financé son laboratoire, qui fonctionne aujourd'hui avec 92 % de recettes provenant de l'étranger et qui emploie en France, sous contrat privé, 10 chercheurs, dont 5 Français et 5 étrangers. Il a souhaité que cet exemple soit suivi par le plus grand nombre possible de chercheurs français, le dépôt et l'exploitation de brevets permettant d'obtenir les financements privés indispensables au fonctionnement de ce type de structures.

A la suite de questions de M. André Ferrand, rapporteur, il a renouvelé son souhait d'un assouplissement des règles encadrant la participation à des congrès à l'étranger et d'une meilleure reconnaissance de la recherche en termes de carrières. Il a jugé nécessaire une formation à l'anglais, ainsi que la possibilité de séjours à l'étranger, au cours des études médicales, en vue de renforcer la place des chercheurs français dans la communauté scientifique internationale. Il a regretté le déclin de la coopération française dans le domaine médical et hospitalier, soulignant qu'à la suite de la suspension de la conscription, le rôle joué par les médecins qui effectuaient leur service national en coopération n'avait pas été relayé.

A M. Michel Souplet qui lui demandait si les chercheurs étrangers accueillis en France pour leur formation revenaient dans leur pays d'origine, le professeur Alain Carpentier a répondu que pour sa part, il avait toujours posé une telle condition à l'accueil de médecins étrangers dans son équipe, afin de donner tout son sens à cette forme de coopération et de favoriser de réelles retombées pour le pays d'origine.

Enfin, à la suite d'une remarque de Mme Maryse Bergé-Lavigne, il a observé que les chercheurs français qui partaient aux Etats-Unis y bénéficiaient de rémunérations bien plus avantageuses qu'en France. La perspective de conditions de vie plus confortables pèse sur leur décision, sans que l'on puisse pour autant considérer que leur motivation repose sur la perspective de faire fortune, à la différence de l'état d'esprit que l'on rencontre plus volontiers chez les chercheurs américains.